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Working Men's Club

Interview publiée par Laetitia Mavrel le 11 juillet 2022

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En vu de la sortie du toujours très attendu « second album » après un premier essai très prometteur, nous rencontrons Sydney Minsky-Sargeant, tête pensante de Working Men's Club qui, fort d'un nouveau disque encore plus abouti, nous évoque sa conception très personnelle et perfectionniste de ce qu'est pour lui le processus de composition, dévoilant ainsi une grande maturité chez un si jeune musicien.

Je te retrouve après le festival Levitation France de 2021 à Angers où tu avais clôturé la soirée avec succès. Un an après sort ce nouvel album, Fear Fear, et une grande tournée te mènera jusqu'à l'an prochain au Royaume-Uni, en Europe et aux États-Unis. Tu y as déjà joué ou est-ce que ce sera la première fois ?

Non, on a joué aux États-Unis il y a quelques mois, au South By Southwest Festival au Texas, c'était vraiment sympa.

C'est une mini tournée qui s'organise là-bas, est-ce que de jouer aux Etats-Unis continue d'être une forme de reconnaissance pour un groupe anglais ? Tu en attends quelque chose de spécial ?

Non, pas vraiment, c'est surtout l'occasion de partir explorer des nouvelles régions et d'y apporter ma musique en même temps, et d'en profiter pour visiter en dehors du groupe. Également de créer un peu de lien. Je sais que selon les cultures, la musique est perçue différemment, je suis curieux de voir les différentes réactions.

Vous avez été rejoints par Hannah (ndlr : Hannah Cobb, nouvelle guitariste qui a remplacé Rob Graham). Faisait-elle déjà partie du microcosme Working Men's Club ?

En fait, c'est grâce à elle que j'ai rencontré Liam (ndlr : Liam Ogburn, le bassiste) car on travaillait dans le même café.

Que va-t-elle apporter à votre expérience du live ?

Elle joue très bien et chante les chœurs durant les titres, c'est un véritable plus qui s'associe parfaitement avec la voix de Mairead (ndlr : Mairead O'Connor, seconde guitariste et claviériste). Elle a fait ses débuts sur scène avec le groupe justement aux États-Unis en mars dernier.

Fear Fear sort le 15 juillet, mais tu as commencé à l'écrire il y déjà quelques temps : tu avais de quoi le débuter lors de la promotion de votre premier album il y a deux ans de cela maintenant...

Oui, tout à fait, comme la sortie de Working Men's Club a été repoussée à deux reprises, j'avais déjà du matériel. Widow est une chanson jamais finalisée qui était une démo pour le premier album, mais je trouve qu'elle colle mieux à ce second disque. On a commencé à le matérialiser en partie dès la pandémie, il y a eu ce pont entre les vagues et je l'ai terminé lors du second confinement. C'était un travail minutieux, on progressait vraiment chanson par chanson. Certaines sont apparues au tout dernier moment, notamment 19 qui initialement était pour un tout autre projet, et pour les dernières on s'est réfugiés dans la campagne avec Liam pour affiner d'autres démos. 19 vient d'une espèce de bande originale de film imaginaire car je voulais écrire une musique qui se veut tout autant cinématographique, et petit à petit cette chanson s'est révélée parfaite pour ce que devenait l'album. Elle apporte une dimension pensée pour le visuel.

J'aime l'idée de la bande originale imaginaire...

Oui, c'est intéressant d'écrire de la musique mais avec une autre optique, qui permet de créer des environnements différents pour ceux qui l'écoutent. On a tellement de possibilités techniques avec nos moyens de production, c'est génial d'enrichir les perspectives de ce que l'on crée, leur donner un aspect plus visuel. Les gens écoutent de la musique et se figent une image qui va coller à cette musique, moi je trouve qu'il faut élargir leur vision, leur proposer plusieurs façons de la percevoir.

Percevoir au travers de la musique mais aussi des paroles, que je trouve sur ce nouveau disque plus profondes. Elles semblent refléter une réflexion personnelle plus aboutie. C'est un peu plus sombre...

C'est drôle, je trouvais qu'au contraire ce disque est plus joyeux ! Mais en effet, je me suis exprimé de façon plus libre que sur le premier. Précédemment je me suis senti un peu contraint par l'avis des autres et par ce qu'on attendait de précis pour ce premier disque. Avec le nouveau j'ai gagné plus de liberté, bien qu'il y ait toujours des gens pour donner leur avis alors qu'ils ne sont pas impliqués directement dans l'écriture. Le meilleur résultat est obtenu en étant complétement honnête et en puisant dans ce qui nous inspire quotidiennement comme la musique ou les arts. J'ai appris de ma première expérience et j'ai progressé dans ma façon d'exprimer mon ressenti. J'espère que ça se percevra.

Musicalement, l'atmosphère est très électronique, tu as d'ailleurs composé en majorité sur tes nombreux synthétiseurs. Est-ce que définir un son qui lui est propre n'est pas justement le plus grand défi pour un jeune groupe comme Working Men's Club ?

La majorité des groupes passent trop de temps à tenter de capter ce qui se fait, ce que font les autres pour déterminer ce qui est tendance et tenter de le reproduire. Personnellement je ne m'arrête pas sur ce qui se fait autour de moi, si je dois m'intéresser particulièrement à la musique d'autres groupes, c'est parce que je dois jouer avec eux. Je ne dis pas que je n'écoute pas d'autres musiques, mais je ne m'en occupe pas car je veux rester moi-même. Pour ce disque je n'ai pas été inspiré par les tendances autour de moi mais bien par les instruments que j'avais en ma possession pour composer. Capter leurs capacités et en extraire un maximum est ce qui m'a inspiré, bien plus que n'importe quel disque que j'ai pu écouter à ce moment. Puis proposer des choses une fois en studio et les soumettre à Ross (ndlr : Ross Orton, producteur des deux albums) qui leur apportait une toute nouvelle dimension. Le son qu'on tire d'un synthé ou de tout autre équipement apporte toute la clarté nécessaire à ce qu'on veut exprimer. C'est aussi important que la rythmique. Ça doit conceptualiser les émotions, si on veut que ça soit plus joyeux ou plus sombre par exemple. Je me suis senti très à l'aise pour faire ça dans le studio de Ross, avec son équipement et avec le mien. Notre collaboration fonctionne très bien et même si ça n'est pas l'album parfait, si l'album parfait existe, le disque offre de façon honnête et réelle ce que j'ai voulu exprimer. J'ai tiré un maximum du matériel à ma disposition, par exemple le Roland SH 09. Je n'en possède pas mais Ross oui. Personnellement j'ai un Erica bassline DB 01 sur lequel j'ai écrit Money Is Mine, mais je savais que ça n'était pas le son que je voulais obtenir et que j'allais le travailler en studio. Me projeter au travers des capacités techniques mises à ma disposition, voilà ce qui a été une vraie source d'inspiration. Ross a construit son propre « drum synthetiser » utilisé sur l'intégralité de l'album, c'est un élément primordial au son du disque.

Tu es autant technicien que musicien !

Tu peux passer toute une journée en studio mais n'obtenir aucun son. Mon travail avec Ross s'est particulièrement exprimé grâce aux équipements, et c'est en cela que ce disque est en effet plus personnel. D'autres groupes entrent en studio et te disent « on veut tel son, telle atmosphère » mais ils utilisent le même matériel sur toutes les chansons, donc ils reproduisent mécaniquement quelque chose. Sur le disque on a travaillé en mode restreint, ça a consisté en moi et Ross très majoritairement. Ce qui crée une cohérence et n'a pas trahi ce que je voulais exprimer.

On retrouve néanmoins quelques sonorités qui nous renvoient au premier album. Comme cette guitare si particulière sur Heart Attack...

Oui, il y a des similarités, notamment avec John Cooper Clarke, la guitare déformée... J'ai créé ce son de guitare qui n'en est pas un sur le synthétiseur, ça apporte une plus grande dimension au final.

Tu penses évoluer dans le bon sens musicalement parlant ?

Je pense qu'il n'y a pas de bon ni de mauvais sens, personnellement j'essaye de continuer à faire évoluer la musique que j'ai déjà créée, faire fructifier mon travail. Ça prend du temps pour prendre du recul sur ce qu'on a déjà fait. J'essaye toujours de recréer les conditions de stimulation nécessaires à chaque fois que je compose pour obtenir le meilleur résultat.