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Embrace

Interview publiée par Laetitia Mavrel le 23 août 2022

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En cet été qui touche à sa fin, nous rencontrons à distance Mickey Dale, claviériste du groupe Embrace qui fête ses 24 années d’existence avec son huitième album studio, How To Be A Person Like Other People. Tranquillement installé dans son studio d’enregistrement, Mickey évoque avec nous la carrière et le nouveau disque de ce groupe pionnier de la scène post-britpop anglaise qui persiste à se faire trop discret en France, malgré la motivation incessante de ses membres.

Comment se passe cet été pour le groupe, toujours en vacances ou déjà en préparation de la tournée qui s'annonce au Royaume-Uni ?

Nous avons beaucoup de dates à venir, c'est très excitant alors nous passons beaucoup de temps dans notre studio (NDLR : Mickey nous montre les alentours), c'est en fait un studio localisé dans ma maison, c'est notre QG.

Oui, on vous y a vu en répétition il y a quelques jours sur les réseaux sociaux, nous dévoiler un titre du nouvel album à venir...

C'était aussi l'occasion de demander aux fans les titres qu'ils souhaitent entendre en rappel. Nous avons huit albums aujourd'hui, ça fait un paquet de chansons disponibles. C'est marrant car les fans des premières heures souhaiteraient entendre des trucs super rares mais en général, ce sont les titres que nous aurions choisis nous-même qui ressortent. Alors nous leur demandons d'en choisir d'autres (rires). J'adorerais faire un concert uniquement composé de raretés, mais ça demanderait pas mal de boulot. Aujourd'hui encore je redécouvre certains de nos titres en me demandant si c'est bien moi qui ai joué ça !

Vingt-quatre ans d'Embrace depuis The Good Will Out, paru en 1998. Quel parcours...

Je me souviens parfaitement quand j'ai intégré le groupe en 1996, je cherchais désespérément du boulot, c'était une période de récession au Royaume-Uni. J'avais déjà de l'expérience dans d'autres groupes mais les labels nous avaient tous lâché. Une des premières choses que j'ai faite en emménageant dans ma maison à ce moment-là a été de construire mon propre studio, où évidement il n'y avait que très peu de matériel ! Je n'ai pas l'impression que ça fait vingt-quatre ans. C'est très drôle quand nous participons à des festivals et que nous croisons d'autres groupes de notre époque, comme Supergrass, d'autres survivants ! Ils sont toujours aussi géniaux au passage.

Vous avez toujours enregistré dans votre propre studio ?

Une grande partie de nos albums oui, et aussi dans le studio de Richie (ndlr : Richard McNamara, le guitariste). Ça prend des mois pour faire un album, alors tout faire dans un studio à Londres, tu imagines le prix...

C'est donc le cas pour How To Be A Person Like Other People ?

Danny (ndlr : McNamara, le chanteur), Richie et moi-même nous sommes retrouvés ici pour tout fignoler avec Steve et Mike. Puis dans le studio de Richie. Nous avons été hyper productifs, nous avons réussi à mettre en boîte trois chansons en trois jours, tellement les idées fusaient. À la suite du COVID-19 où nous n'avons pu rien faire ensemble, nous retrouver réunis avec la frousse que cela recommence nous a poussé à vraiment tout donner. Et puis, après toutes ces années, travailler ensemble est devenu facile, nous avons tous nos repères et cela vient avec une réelle fluidité. Nous mettons de côté nos egos individuels et en commun toutes nos idées.

Après plus de deux décennies de présence, est-ce que tu peux reconnaître le son Embrace dans la nouvelle scène indie britannique ? Y‘a-t-il comme un héritage reconnaissable chez les jeunes groupes d'aujourd'hui ?

Oui, tout à fait, j'entends parfois à la radio des nouveaux groupes et je reconnais une touche similaire à ce que nous faisions à nos débuts, ou des harmonies qui me parlent réellement et qui collent avec notre son. Attention, je ne prétends pas que nous sommes une influence majeure chez ces jeunes, mais nous avons toujours fait de la musique pour plaire à une majorité de personnes, très ouverte. Certains groupes comme par exemple Coldplay, et d'ailleurs Chris Martin est aujourd'hui un grand ami de Danny, nous racontaient qu'au début des années 2000 la musicalité d'Embrace les avaient fortement marqués et inspirés. Nous n'avons rien révolutionné, nous nous sommes juste toujours efforcés d'écrire sur des sujets qui touchent tout le monde, sur les émotions qu'on ressent au quotidien. Je nous vois comme le débat sur le Marmite en Angleterre (ndlr : condiment à base de levure très salé, qui plait autant qu'il révulse, d'où l'éternel conflit entre pro et anti-Marmite) : certains nous trouve géniaux, d'autres nous trouvent nuls, nous ne faisons pas l'unanimité et c'est très bien comme ça.

On vous avait laissés en 2018 avec Love Is A Basic Need, qui comme son titre l'indique porte un message fort en émotion, assez mélancolique. Après ces deux années très tourmentées, dans quel état d'esprit avez-vous composé How To Be A Person Like Other People ?

Pour commencer, je vais expliquer d'où vient ce titre. Danny l'a trouvé dans le film Joker. A un moment, le Joker dit « I just want to be a person like other people ». Danny a trouvé cette phrase très marquante, et en résonance avec son histoire. Dans le groupe il est la personne qui a mis beaucoup de temps à trouver une certaine stabilité. Et il y a deux ans, il a rencontré sa femme, et il a aujourd'hui deux magnifiques petites filles. Il a appris à vivre un peu plus comme nous autres, et il est très heureux. Ce qui le rend plus productif ! Il me donne aujourd'hui de très bons conseils comme de prendre des jours de repos entre mes projets musicaux, car sinon les jours de boulots seront mauvais ! (rires). Quand nous nous sommes retrouvés en studio, nous étions excités comme des mômes après les vacances. Lors des confinements, Danny a proposé de travailler sur cet album de façon différente : chacun lui a envoyé ses idées via les enregistrements sur son téléphone, ce qui est très pratique, et de là il a écrit les paroles, et tout a été intégré dans le nouveau disque. Historiquement, Danny et Richard composaient entre eux deux, puis nous étions associés. C'est un grand pas en avant dans le fonctionnement du groupe.

J'ai trouvé cet album plus « équilibré » dans son tracklisting en comparaison avec le précédent : certaines chansons très joyeuses et dynamiques faites pour être chantées avec le public en live, d'autres plus alternatives avec plus de guitares, et de très belles ballades, assez émouvantes. Es-tu d'accord avec cette définition ?

Oui, c'est très vrai. Love Is A Basic Need était un peu unilatéral, versé dans une ambiance mélancolique, introspective. Avec le nouvel album, nous avons eu envie de nous lâcher, de brancher les instruments et de donner tout ce que nous avons. Il est plus spontané, plus joyeux.

Tu as un side-project appelé Experiment 637, et Mike et Steve forment Land Sharks. Deux formations qui se démarquent du son Embrace. Est-ce que ces aventures parallèles sont nécessaires après toutes ces années, et qu'apportent-elles au groupe ?


Oui, c'est différent. Experiment 637 est plus focalisé sur un son electro, avec beaucoup de claviers, c'est plus atmosphérique. L'album sortira après celui d'Embrace d'ailleurs. Land Sharks est plus rock, voire métal à la Faith No More. Richard a créé un duo electro avec sa compagne appelé EEVAH, qui sonne un peu années 80, un peu disco-dance. Danny, curieusement, n'a aucune envie de se lancer là-dedans. Il nous taquine souvent en nous demandant de mettre toute notre énergie dans Embrace, il a besoin de nous ! (rires). Sérieusement, je pense qu'il est sain pour des musiciens de se consacrer à d'autres projets, explorer des styles qui ne correspondent pas à leur groupe initial. J'ai beaucoup écouté de hip-hop alternatif, du label américain Anticon basé à San Francisco lors de nos débuts. Également Bon Iver et son album 22, A Million parce qu'il réinventait alors la musique folk, il l'a complètement transformée ! Inconsciemment, nous ingérons toutes ces influences et nous les réinjectons dans le groupe. J'ai étoffé mon jeu au clavier depuis, acheté de nouveau instruments (ndlr : Mickey nous montre un petit synthétiseur qui ressemble à un jouet mais qui semble des plus sophistiqués), c'est une très bonne discipline pour un musicien au sein d'une formation.

Alors que vous vous produisez devant des milliers de spectateurs au Royaume-Uni, et malgré votre longévité, Embrace reste injustement méconnu en France, encore aujourd'hui...

Tourner en dehors du Royaume-Uni quand on débute est souvent lié aux moyens qu'offrent les maisons de disques. Pour le premier album, nous étions signés chez Hut Recordings, une filiale de Virgin. Et à l'époque, les groupes britanniques vendaient par millions, comme The Verve ou les Spice Girls. La scène pop britannique de la fin des années 90 était à la mode, et les labels n'avaient aucun souci à la promouvoir. Les tournées en Europe étaient programmées facilement. Lorsque nous avons été lâchés par Virgin en 2001, nous avons signé chez Independiente, un petit label qui dépendait de Sony. Sony n'a pas les mêmes moyens que Virgin, et a limité la promotion au niveau international. Nous avons négligé notre public européen du fait de manque de moyens financiers, malheureusement. Et ça ne s'arrange pas avec la situation actuelle. Le post-Brexit est une catastrophe. J'ai connu l'époque où nous embarquions dans un mini-van, nous prenions l'Eurotunnel et nous pouvions nous produire dans des salles ou des festivals très facilement. Je me rappelle de l'époque Talk To Angels (ndlr : formation datant de 2010 et originaire de Bradford comme Mickey) où des amis nous trouvaient des concerts à Paris et où nous venions jouer très rapidement.

Est-ce facile pour un groupe qui a vingt-quatre ans d'âge et autant de fans dans son pays d'aborder un public comme lorsqu'il débutait ?

C'est un vrai défi. Ça me rappelle quand, lors du quatrième ou cinquième album, nous sommes partis aux États-Unis pour la première fois. Nous n'avions pas pu avant car le label Geffen qui nous signait en Amérique nous avait lui-même largués à cause d'un changement de direction ! En 2004 nous avons donc uniquement tourné dans des petits clubs. C'était cool. Je me souviens d'un concert à Sacramento où nous avons joué dans un pub devant douze personnes, dont quatre qui venaient d'Angleterre exprès pour nous voir. C'est ce genre de situation où l'on doit être humble qui te donne encore plus faim de réussite. Si nous avons à nouveau l'opportunité de tourner en France pour le nouveau disque, nous n'hésiterons pas.