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Simple Minds

Interview publiée par Adonis Didier le 19 octobre 2022

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De passage à Paris pour la promotion du nouvel album de Simple Minds, Direction Of The Heart (sortie le 21 octobre chez BMG), nous rencontrons Jim Kerr, chanteur historique de la formation écossaise, dans le petit salon d'un luxueux hôtel parisien au nom évocateur. Entre bouteille d'eau pétillante et quelques madeleines, et ce malgré la fin d'une rude journée promotionnelle, l'homme se livre ouvertement sur ce nouvel album, mais aussi plus personnellement sur sa vision de la musique, ses combats sociaux, sans oublier bien sûr son club de cœur, le Celtic FC, qui joue le soir même en Ligue des Champions.

Tu passes un bon séjour à Paris ?

Oui, vraiment bien, les gens sont très sympathiques. Je passe toujours un bon moment à Paris, et mon frère vit ici. Alors, c'est bon de le revoir aussi.

Tu as des souvenirs particuliers, ici à Paris ? J'ai lu que tu avais voyagé en stop, quand tu étais jeune...

C'est vrai. Je revois la scène, on sort du train, en arrivant à la Gare du Nord, en 1975. Moi et Charlie (ndlr : Charlie Burchill, guitariste de Simple Minds depuis les débuts) on est arrivés ici, et on a passé la nuit à dormir dans la gare. Donc oui, je ne l'oublierai jamais. J'ai aussi le souvenir de la première fois de Simple Minds à Paris, en 1979, on jouait au Pavillon Baltard, avec un groupe français, un super groupe, Marquis de Sade. Et je me souviens aussi d'avoir joué à l'Olympia avec Peter Gabriel cinq soirs de suite, et on s'est fait huer tous les soirs ! (rires) Donc oui, beaucoup de souvenirs ici.

Pour parler de votre nouvel album, Direction Of The Heart, je l'ai trouvé moins électronique et « synthétique » que le précédent, Walk Between Worlds. Est-ce que c'était une volonté de votre part de revenir à un son plus épuré ?

La musique, c'est très clairement celle de Charlie, et il arrive avec. Bien sûr que j'influence, et je lance des idées, mais le plus souvent ça tient au matériel qu'il a entre les mains. C'est vraiment un musicien, à dire « oh je veux jouer avec ça ! », « oh c'est mon nouveau jouet préféré ! », ce synthétiseur, ce piano, ou quoi que ce soit ! Donc, non, je ne me souviens pas d'un désir particulier... C‘est juste que les albums peuvent se mélanger, s'influencer un peu les uns les autres, mais ils prennent aussi chacun une direction qui leur est propre.

La direction du cœur ? (ndlr : en VO, Direction Of The Heart, titre de l'album)

Oui, droit au cœur !

Vous avez deux invités sur cet album, Russel Mael (ndlr : chanteur des Sparks, invité sur Human Traffic) et Gary Clark (ndlr : chanteur de Danny Wilson et King L., invité sur Vision Thing, First You Jump et Natural)...

Tu connais Gary ?

Non, pas personnellement, mais je connais un peu ses chansons, oui ! Et donc je me demandais, est-ce que vous êtes toujours influencés par d'autres groupes ou musiciens, anciens ou nouveaux, ou est-ce qu'il y a pour vous une manière dont Simple Minds sonne, et vous vous y tenez ?

Je suis un fan de musique, et clairement, Russel Mael des Sparks, on est fans depuis... oulala, je me souviens que le grand frère de Charlie avait cet album des Sparks, en import des Etats-Unis, et les Sparks sont l'un des premiers groupes à nous avoir influencés. Donc c'est génial, toutes ces années plus tard, de le faire apparaître sur un album. Gary, lui, est un de mes chanteurs préférés, je pouvais l'entendre sur les pistes qu'il nous envoyait, il était vraiment content de le faire. Et tu me parles de nouveaux groupes, bon ce ne sera pas nouveau pour toi, mais il y a deux jours, on a fait un concert pour la BBC, et il y avait aussi Christine And The Queens. Et sa performance était incroyable, fantastique, vraiment.

Vous avez décrit cet album comme de l'électro-rock feelgood, et c'est effectivement très dansant, mais en même temps vous abordez des thèmes qui sont, eux, très sérieux. Ce n'était pas trop dur de réussir à concilier les deux sur les mêmes chansons ?

Oui, c'était pervers. C'était comme « mais qu'est-ce que t'es en train de faire, là !? ». Je me souviens de nous, écrivant des chansons très sérieuses, avec de la musique sérieuse, et des mots très sérieux, quand on était plus jeune, mais maintenant... Par exemple, j'aime beaucoup quand Prince, en 1987, a écrit la chanson Sign "☮︎" the Times, et il a pris tous ces sujets graves, mais il en a fait une chanson sur laquelle tu pouvais danser, et même à la fin tu as ce sentiment optimiste que tout va bien se passer. Et je pense que c'est une manière géniale de faire les choses, parce que tu n'es pas vraiment en train de dire « OK ça c‘est le problème, et voici la solution ». Tu prends juste une photo du moment, en disant « Voici le moment, voici le sujet », et ensuite tu laisses aux gens de résoudre ça par eux-mêmes, pour eux-mêmes, tu les laisses décider.

Transition parfaite pour parler de Vision Thing qui d'ailleurs, je trouve, est la meilleure chanson de l'album...

Je l'adore, j'adore cette chanson ! (il lève le poing en signe de victoire)

C'est une chanson que tu avais écrite à propos de ton père (ndlr : le père de Jim Kerr est décédé durant l'année 2019), et tout ce qu'il t'a transmis. Est-ce que tu as toi aussi le besoin de transmettre à présent, notamment à travers la musique ?

On a été très chanceux de l'avoir, mais aussi, et peut-être que je ne le réalisais pas à l'époque, quand j'étais plus jeune, mais nos professeurs, toutes ces personnes avec qui on grandi, c'étaient de bonnes personnes, des personnes fortes, et des personnes sérieuses. Ils ont travaillé très dur, ils n'étaient pas comme nous, ils n'ont pas eu la chance de voyager, ils n'ont pas eu la chance de travailler dans cette industrie folle, et d'être récompensé comme nous l'avons été. Mais fondamentalement, ils nous ont donné toutes ces choses sur lesquelles nous nous reposons aujourd'hui. Donc il était temps d'écrire une chanson pour les louer, les remercier, et aussi dans notre carrière nous avons eu beaucoup de personnes qui nous ont aidés, des producteurs, etc... Donc c‘est une chanson qui a commencé avec mon père, mais c'est aussi grandement une chanson à propos des gens qui nous ont montré la voie. Et si Simple Minds peut montrer la voie à des gens, si on peut inspirer du monde, parce que je sais que Simple Minds a inspiré quelques personnes, alors c‘est une super chose. A ce moment-là, tu fais vraiment partie d'un tout.

Tu aspires toujours à inspirer les gens quand tu fais de la musique ?

Je suis juste la musique, tu sais. J'entends les images dans la musique. Je suis pas vraiment un musicien, je n'écris pas la musique, mais j'aime la comprendre, sentir son atmosphère, et d'une manière ou d'une autre, je pense que c'est ça qui me dit ce que je dois raconter, ce qui doit être écrit. Donc les paroles dépendent beaucoup de ce que sera la prochaine musique. Par exemple quand tu appelles une chanson Who Killed Truth?, c'est un sujet qui touche particulièrement aujourd'hui. Si tu m'avais dit il y a dix ans, « Who Killed Truth? », j'aurais demandé si c'est du Shakespeare (ndlr : il s'exclame « Who Killed Truth? » avec des grands gestes et une voix très grave, théâtrale). Mais maintenant on sait que c'est un sujet dans l'air du temps, et c‘est agréable d'écrire des chansons qui résonnent avec un sujet spécifique et actuel. Parce que certaines chansons et certaines musiques donnent un sentiment un peu rétro/vintage, mais si tu fais coïncider cet effet rétro avec un sujet plus actuel, on arrive à quelque chose de vraiment sympa.

En parlant de sujets très actuels, vous avez donné un concert en août à Édimbourg, dont les bénéfices ont été reversés à l'UNICEF pour les enfants d'Ukraine. Est-ce que vous planifiez déjà de nouveaux événements caritatifs, ou encouragez d'autres groupes à le faire ?

Là-dessus, il n'y a pas vraiment de plan, mais chaque année on fait quelque chose en ce sens. Quelques fois, c'est un événement caritatif assez évident, d'autres fois moins, mais je pense que tout ça à juste à voir avec... l'empathie. Des fois tu te dis « franchement ce monde est flingué ! » et tu te demandes si tu peux faire quelque chose. Pour la crise en Ukraine, en particulier les premiers mois, tout le monde essayait de voir s'il pouvait aider, offrir quelque chose, et nous étions en position de faire quelque chose.

Vous n'avez jamais pensé à faire comme Roger Waters, et envoyer directement un message à Vladimir Poutine sur Twitter ?

Oh là là, Roger Waters, quel bonhomme ! (rires) Je veux dire, il a ses points de vue, et au moins tu dois reconnaître que quand il a quelque chose à dire, il n'a pas trop sa langue dans sa poche. Mais... je n'ai été vraiment fan, pour être honnête.

Je comprends, je préfère aussi Syd Barrett !

Exactement !

Que penses-tu qu'un groupe de rock peut faire, concernant ces sujets assez sensibles et socio-politiques ?

Tout le monde est différent, et quand nous avons fait des choses à l'époque, le monde était un endroit différent. La politique semblait beaucoup plus simple. Droite, gauche. Le mur de Berlin. De quel côté tu te situes ? Apartheid ou anti-Apartheid ? Margaret Thatcher ou Ronald Reagan ? Mais maintenant la politique est pleine de recoins, et parfois, les gens peuvent s'exprimer politiquement à travers le café qu'ils boivent, ou le t-shirt qu'ils portent, ou l'endroit où ils partent en vacances. Les gens font ces choix en se basant sur leurs valeurs profondes... Je pense que c'est une bonne chose. Mais c'est dur d'être certain sur ces questions. Même quand on faisait toutes ces choses (ndlr : le Live-Aid 1985 en aide à la famine éthiopienne et à la lutte contre le SIDA, le concert hommage des 70 ans de Nelson Mandela en 1988, etc), il y avait une voix dans ma tête qui me disait « ok, c'est quoi le but ? ». Mais, quand Mandela a été libéré, et qu'il est venu à Londres, c'était un grand honneur, et je me souviens qu'il a réuni la plupart des artistes de la pièce, et il a dit : « quand il n'y avait plus de voix pour parler, nous avions toujours les voix des artistes, et des écrivains, et des poètes, et des réalisateurs », et il a ajouté que ça leur avait donné de l'oxygène, de quoi tenir. Si Mandela dit ça, alors l'art peut vraiment être très important, et il doit être utilisé en tant que tel. Donc je ne pense pas en termes de « un groupe de rock fait ci » ou « un groupe de rock fais ça », mais plutôt d'art en général, et l'art peut être vraiment important.

Tu dis que les temps étaient différents, et pourtant vous avez choisi de reprendre The Walls Came Down de The Call, qui date de 1983, sur votre nouvel album...

Eh bien, il y a une histoire avec The Call. Je crois que c'est la troisième chanson du groupe que l'on reprend. On a tourné avec The Call pendant les années 80, et on est devenu très bons amis. Ils faisaient notre première partie, mais Michael (ndlr : Michael Been, chanteur/guitariste de The Call) était plus vieux que nous, il était un peu comme un gourou, il connaissait les Etats-Unis, il connaissait tous les endroits cools, les bonnes librairies, et il était aussi un peu comme un grand frère. Je me souviens spécifiquement de lui qui vient et me dit « oh j'ai une chanson que je veux te jouer, c'est un peu du Simple Minds », et il a joué la chanson The Walls Came Down. Bien sûr, le truc qui m'a attiré, ce soint les paroles, parce que c'était avant la chute du mur de Berlin, et il écrivait à propos de toutes ces choses... Ces choses qui malheureusement ont de nouveau trouvé « leur temps ». Les Russes, et les murs, c'est vraiment redevenu d'actualité, et comme on adore la chanson, qu'il nous a dit que ça ressemblait à une chanson de Simple Minds, et on tenait à garder les chansons de Michael, et la musique de Michael, vivantes. Et puis la chanson est fun. C'est très puissant, et le refrain fait l'effet d'une descente de bière, donc c'est une très bonne chanson contestataire ! Mais pas contestataire comme... (il mime un guitariste folk triste et peu dynamique). Tu veux tout le temps sauter sur cette chanson. C'était fantastique, et le reste, c'est le mystère de comment les chansons peuvent revenir à la mode et résonner avec l'actualité.

Un autre sujet que vous abordez dans l'album, c'est l'écologie. Est-ce que c'est un vrai sujet pour toi dans les futures tournées ou les futures productions ?

Je pense que tout le monde doit penser, et pensera, à ces choses. Les gens y pensent, même les méthodes de production, ça revient tout le temps, c'est en train de devenir un sujet de conscience populaire, mainstream. Mais ça, c'est vraiment les jeunes générations qui pourront faire changer les choses, parce que ma génération, on ne sera plus là !

Tu as aussi déclaré que cet album a été amusant à faire, malgré le COVID-19, et tous les problèmes associés (ndlr : les membres du groupe ainsi que les invités étaient confinés et enregistraient à Londres, excepté Jim et Charlie qui vivent en Sicile, à Taormine). Comment vous avez réussi à garder le moral ?

On était en Sicile, moi et Charlie, et c'était une de ces choses, un moment vraiment très profond, sans aucun doute. Quand on regarde en arrière, ça peut sembler ridicule, mais soyons honnête, c'était vraiment profond, c'était fou. Et nous avons été très chanceux, nous étions dans cette magnifique ville italienne, en haut d'une colline, et même si je n'étais pas supposé le faire, je pouvais toujours prendre mon scooter, aller me balader dans la campagne, et c'était le printemps. Et là, j'ai réalisé à quel point j'étais chanceux. Et aussi, nous sommes naturellement optimistes. En plus de ça, la vue depuis la chambre où nous travaillions donnait sur le volcan (ndlr : l'Etna, en Sicile). Tu sais, le volcan, il a tout vu. Des pandémies, des tremblements de terre, des guerres, et il est toujours beau, il est toujours vivant, et il m'a dit, ne t'inquiète pas, les choses vont se passer, tout ça va passer. C'est un moment assez symbolique. Donc peut-être qu'il s'est dégagé un sentiment optimiste de cette chose extrêmement dangereuse qui était face à nous. Ça diminuait l'importance, la gravité de la situation, c'est la manière dont je perçois les choses.

Et tu n'es pas inquiet que les gens viennent massivement en Sicile, à Taormine, après avoir vu les images magnifiques de vos derniers vidéo clips ? (ndlr : les vidéo clips de Vision Thing et First You Jump ont été tournés au Teatro Antico di Taormina, le premier en concert, le second à vide)

Les gens viennent à Taormine depuis... depuis toujours en fait. C'est un endroit touristique, nous avons eu la chance de le voir, et c'est comme ça que je suis. Je suis un passionné, je suis hyper enthousiaste à propos de tout, et j'ai envie de le partager. Donc, c‘est quoi l'alternative ? « Est-ce que tu vis en Sicile ? Non ! Est-ce que tu vis à Taormine ? Non ! » Arrête, ça n'a pas l'air réel... « Est-ce que c'est sympa à vivre ? Non, c'est de la merde ! » Tu ne vas pas dire ça !

Qu'est-ce qui vous a décidé à tourner ces vidéo clips, en plus de faire ce concert, à Taormine ?

Je vis à Taormine depuis vingt ans, on y a joué déjà quatre fois, j'ai été à beaucoup de concerts ici, et nous avons écrit et réalisé l'album ici, donc ça avait du sens de relier tout ça avec les vidéo clips.

Dernière, mais non moins importante, question, vous allez regarder le match ce soir (ndlr : Celtic Glasgow vs RB Leipzig en Ligue des Champions de football, que le Celtic perdra malheureusement 0-2) ?

Oh que oui, je vais le regarder avec mon frère ! Et toi, c'est quoi ton équipe ?

Je suis très fan de l'Olympique Lyonnais...

Ah Lyon, bien sûr, une grande équipe ! Ils ont battu le Celtic une paire de fois à la grande époque !

Oui mais le Celtic, ils sont toujours au top eux, ils sont premiers en Premiership (ndlr : le championnat de football écossais), non ?

Oui, le Celtic, c'est un grand club, et il a eu des débuts très politiques. Le Celtic, c'était l'équipe des immigrants irlandais, assez pauvres. Bien sûr, maintenant c'est une énorme entreprise et tout, mais il y a toujours de bonnes valeurs dans le club. Chez moi, on peut retracer ça jusqu'à... les oncles de mon père allaient au match, ce qui veut dire qu'on est plus ou moins là depuis le tout début. Donc à chaque fois que les filets tremblent (il lève les bras), et chaque fois qu'on se fait battre (il fait une tête triste). Mais ce soir, je regarde avec mon frère, et c'est super parce que j'ai un neveu ici, un Parisien. Mais à chaque fois qu'on regarde du foot, il recommence à parler avec l'argot de Glasgow. Il redevient complètement Écossais, et c'est vraiment marrant. Mais l'avoir ici ça veut aussi dire qu'à chaque fois que je regarde la Coupe du Monde, je dois être supporter de la France avec lui !

Ça me rappelle l'ambiance dans les rues lorsque la France a gagné la Coupe du Monde en 2018...

Je vais te raconter une histoire ! Quand j'avais huit ans, le Celtic a gagné la Coupe des Clubs Champions, et c'était incroyable, les gens étaient tous dans les rues. Mon père venait juste de recevoir sa paie, et ma mère est devenue folle parce qu'il a dépensé deux semaines de salaire en seulement une nuit. Mais attends, il y a mieux ! Deux jours plus tard, après la grande fête, parce qu'après le match mon père est allé au pub avec ses amis, il y avait une odeur étrange dans la maison, et tout le monde se demandait, mais c'est quoi cette odeur dégueulasse !? Ma mère va voir dans la penderie, elle regarde dans la veste de mon père (il montre la poche), et là... elle trouve du fish & chips ! Toujours dans sa poche, il était ivre, il a mis le fish & chips dedans, et il a pendu sa veste comme ça ! (rires) Ce sont de très bons souvenirs ! Et toujours très sympa à raconter !