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The Murder Capital

Interview publiée par Lena Inti le 19 janvier 2023

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A l'occasion de la sortie de leur tant attendu deuxième album, Gigi's Recovery, nous avons échangé sur Zoom avec les très sympathiques Diarmuid Brennan et Cathal Roper, respectivement batteur et guitariste de The Murder Capital. Nous avons ainsi pu aborder le processus d'écriture quasi spirituel de ce nouveau disque, son titre mystérieux, et l'influence du surréalisme.
Diarmuid : [En français] Salut, ça va ?

Salut, oui et toi ? Tu parles un peu français, Diarmuid ?

Diarmuid : [En français] Hum, oui, un peu... J'habite ici depuis janvier ou février. J'habite ici dans un appartement à Paris. J'ai déménagé ici parce que je voulais essayer de vivre dans un pays européen, apprendre la langue.

D'accord ! On peut continuer en anglais maintenant si tu préfères. Vous avez donné quelques concerts récemment ?

Diarmuid : Oui, on a fait des shows acoustiques durant l'été pour se remettre en selle. On a joué dans des festivals.
Cathal : On a joué dans des festivals où l'on n'était jamais allés. On s'est éclatés en Suisse (ndlr : Paléo Festival) et au Portugal (ndlr : Paredes de Coura).

Votre premier album, When We Have Fears, était intense, et celui-ci, Gigi's Recovery, également, mais d'une autre manière. Les chansons sont dissonantes, anxiogènes, mais certaines sons sont rassurantes. Comment vous faites ça ?

Cathal : Une grande partie du processus partait des textures. Et j'étais obsédé par la dance, ou avec des matériaux ou bien certains ressentis. Je pouvais juste tirer le fil d'une chanson, comme lorsqu'un parfum est mis dans une pièce, ou un sentiment, une odeur ; cela reste suspendu dans la pièce. Et c'était l'idée de départ, d'expérimenter. Lorsque l'on travaille avec le son de l'eau, vers quelle direction cela va nous mener. Avec cela en tête, il est devenu clair que l'on devait conserver cette immédiateté présente sur le premier album, ce type d'énergie qui fait que les chansons fonctionnent. Cette fois on voulait qu'il soit plus dense, plus riche émotionnellement et « texturé ».
Diarmuid : Ça nous a pris du temps pour en arriver là parce que ces approches étaient nouvelles pour nous, donc on a en quelque sorte avancé à tâtons, dans le noir, pendant un temps.

Vous avez travaillé « à l'envers », en commençant à écrire à partir d'un sentiment plutôt que d'une idée de son ? Comment ?

Diarmuid : La texture, le son ou ce qui est joué dans la pièce crée un sentiment à partir duquel tu commences à travailler. Par exemple, sur le deuxième titre, Crying, c'est parti d'une boucle, une boucle sur laquelle Damien (ndlr : Damien Tuit, guitariste) travaillait. Cathal et Damien ont travaillé dessus pendant un moment, juste tous les deux. Ça a créé un état d'esprit, une atmosphère. On voulait une sorte de texture, alors lorsqu'ils ont quitté la pièce je m'y suis assis, je me suis retrouvé au sein de cette atmosphère : « Qu'est-ce que cela me fait ressentir à cet instant précis ? ». Je ne voulais pas jouer, je ne voulais pas « démolir » la batterie, alors j'ai juste pris une paire de pinceaux pour ajouter une texture supplémentaire. Je crois que c'est cette réaction que l'on avait les uns envers les autres ; essayer de comprendre un ressenti. On a moins besoin de discuter dans des moments comme ceux-là.
Cathal : Quand tu es inspiré par quelque chose, il y a un sentiment qui s'accompagne, et je pense que la priorité pour nous pendant une période c'était de poursuivre ce sentiment.

Faire cet album vous a pris deux ans. Vous avez travaillé à partir de petits morceaux de chansons, puis cela a grandi ?

Cathal : Tout à fait, oui. Les chansons étaient là, au niveau de la structure, mais les arrangements et la structure ont finalement beaucoup changé au cours de ces deux années d'écriture. Il a été difficile d'arriver au bout de certaines chansons, même si tous les ingrédients étaient là. Il a suffi de déplacer quelques pièces du puzzle. Tu sais, quand tout le monde entend, perçoit la chanson, mais elle n'est pas encore audible dans la pièce. John (ndlr : John Congleton, producteur) a été d'une grande aide pour cela ! Il était au top pour trouver ce « truc » pour de nombreuses chansons que l'on pouvait percevoir, entendre, cette immédiateté qui se dégageait. Il y a eu des moments où l'on avait les démos et on les envoyait, on entendait l'énergie et l'optimisme qui s'en dégageaient, mais ils ne ressortaient pas du tout. John a été capable de les mettre sur papier, et c'était génial d'enfin pouvoir visualiser le travail que tu entendais.

Pour quelles chansons le processus et la finalisation ont été les plus longs ?

Cathal : Gigi's Recovery et Crying. Il existe tellement de versions de Gigi's Recovery qu'il est complètement dingue que nous ayons pu la terminer. On y est finalement parvenus grâce aux approches les plus simples travaillées durant son écriture. Ça nous a pris un moment pour que la porte ne s'ouvre. Et ça a ouvert toutes les autres portes de la maison.
Diarmuid : La manière utilisée pour ouvrir cette porte, en essayant de la démolir, n'est pas toujours la bonne. Tu ne peux pas simplement détruire la porte pour l'ouvrir, tu y vas doucement, tu tournes la poignée et ça s'ouvre. J'étais tellement content quand c'est arrivé. La musique pouvait traduire les émotions des paroles, ce qui n'était pas le cas avant cela.

D'accord, je vois ! Et qui est Gigi ?

Cathal : C'est un personnage, ou plutôt une antenne utilisée pour essayer de communiquer. Ça peut être nous, ou l'auditeur. Gigi peut être ce que tu veux. Et on veut utiliser le terme « recovery » (ndlr : rétablissement, guérison) dans le sens d'un processus en cours, d'un lieu « de force » auquel retourner.
Diarmuid : Tu ne retrouves jamais la pleine santé après avoir guéri. Après la guérison, tu viens juste de guérir. Tu as changé. Le résultat, c'est que tu as grandi. Tu ne reviens pas en arrière.

Donc c'est un peu comme le processus d'écriture des chansons, finalement ?

Cathal : Oui ! (rit) Je n'en reviens pas que tu sois la première personne à dire ça.
Diarmuid : Absolument, c'est très vrai parce que parfois Gigi représente en quelque sorte notre groupe comme étant une seule et unique personne, mais c'est aussi un symbole, un état d'esprit, ou un lieu où se rend cette personne.

Sur cet album il y a beaucoup plus de sons électroniques. C'était naturel ou bien une volonté d'expérimenter ainsi ?

Cathal : Avec le confinement, on a acheté de nombreux instruments. Ça a été très inspirant. A la fin du premier album on allait déjà dans cette direction de toute façon, parce qu'on aime beaucoup jouer avec les pédales, et créer des sons différents. Tu peux jouer la même mélodie, et y ajouter ces textures grâce aux sons électroniques et aux samples. Cela rend la mélodie spéciale. C'est une autre manière de travailler et finaliser une idée.

Sur cet album il y a aussi beaucoup de questions existentielles...

Diarmuid : Les paroles présentent une réflexion sur la nature de l'existence, le fait d'être... Ou j'imagine la réflexion sur soi !

Que représente la pochette du disque ?

Cathal : Je ne sais pas. Le tableau a été peint par notre ami Peter (ndlr : Peter Doyle). Il a écouté quelques-unes de nos chansons avant qu'on ne les enregistre. Le symbole de l'homme sans visage, cette sorte d'introspection, nous a parlé. On ressent ce que l'album est censé communiquer. Le tableau nous a frappés, émotionnellement parlant. Et les symboles comme la chaussure, l'orange, les étoiles et le vase, sont pour certains simplement tirés des paroles.

Comment avez-vous travaillé ensemble, guitare et batterie, sur cet album ?

Cathal : La plupart du temps, soit les musiciens ont une idée et travaillent à partir de celle-ci, ou bien ils font un bœuf et la musique apparaît, dans le studio. Pour le titre Only Good Things, elle est juste apparue, un jour. Elle était là. Mais une grande partie a été écrite le premier jour. Je crois qu'à la fin de la semaine, elle était terminée. C'est ce phénomène : tu entends ce qui est dans le studio et soit tu t'en inspires, soit tu joues à contre-courant.
Diarmuid : Je crois que le plus important, c'est de réagir. Réagir par rapport à ce qui t'est présenté. Le mettre en valeur, ou « jouer contre ». Ce qui peut aussi le mettre en valeur... Tu ne sais pas jusqu'à ce que tu réagisses à ce que tu entends. On a réagi les uns par rapport aux autres musicalement et personnellement.

Est-ce que certains groupes vous ont influencés ?

Cathal : Musicalement je ne crois pas que quiconque ait apporté quoique ce soit. On cherche une approche naturelle. J'ai été beaucoup inspiré par le surréalisme. J'ai regardé beaucoup de David Lynch. Tout comme le tout début de l'album, il s'agissait d'introduire un sentiment, comme cette scène dans Blue Velvet, où Jeffrey entre dans la chambre et regarde cet homme sans savoir s'il est vivant ou mort. C'est juste tellement frappant, émotionnellement, et il n'y a aucun besoin d'explication. Ça fonctionne, c'est du surréalisme, c'est frappant. Je souhaitais me plonger dans cet univers, où on te présente quelque chose qui t'évoque un ressenti.

Je comprends. Et, c'est difficile à expliquer, mais il y a cette sorte de contraste entre l'ombre et la lumière...

Diarmuid : On aime cet équilibre entre la lumière et l'ombre, et le contraste qui en ressort. C'est déjà ce que l'on voulait sur le premier album. Je pense que s'il y a un élément qui connecte les deux, c'est cette idée, ce spectre, la lumière et l'ombre, que ce soit au niveau du son, des textures, etc. Musicalement, il y a toujours cet équilibre entre les deux.