C'est par une belle après-midi ensoleillée de novembre, au bord du canal Saint-Martin à Paris, que l'on retrouve de nouveau Anna B Savage, deux ans après notre première interview pour la sortie de son deuxième album in|FLUX, et un an après sa magnifique date parisienne à la Boule Noire. Des retrouvailles pour évoquer le troisième disque de la compositrice folk et soul, un album de terre et de nature intitulé You and i are Earth, produit par le producteur attitré de Lankum, Spud Murphy, et à paraître le 24 janvier chez City Slang. Une demi-heure de discussion pour une demi-heure de musique, le temps suspendu d'aborder le récent virage musical de l'artiste vers un domaine plus acoustique, en harmonie avec la nature et les paysages de sa nouvelle terre d'adoption : l'Irlande. De quoi parler intégration culturelle, sport, réseaux sociaux, tournée solo ou avec St. Vincent, et forcément, comme on aime bien papoter, avec toujours une question sexo pour la fin.
Deux ans se sont écoulés depuis notre dernière interview, comment vas-tu depuis ?
Ca fait vraiment deux ans ? C'est trop bizarre. Je pensais que ça ne faisait qu'un an, mais tu as raison, c'est deux ! Franchement ça va bien. Bon, le monde est en train d'exploser, mais côté musique ça va bien, merci !
Ce nouvel album, You and i are Earth, le troisième déjà, est complètement différent des deux premiers dans sa musique et dans son ton. Ta vie a tant changé que ça en deux ans ?
Je pense que ma vie était déjà un peu comme ça il y a deux ans, mais je ne me sentais pas encore d'en parler. J'ai toujours planifié mes albums pas mal en avance, donc pendant la promo de in|FLUX j'étais en train de penser à ce que serait le prochain album, en sachant que j'avais des trucs en cours. Mais bon, on était là pour parler d'un autre disque !
Justement, il y a deux ans tu me disais que tu avais l'idée générale du prochain album, quelques chansons... Tout ça s'est passé comme prévu au final ?
Oui ! Ça a été un peu plus long que ce que je pensais, mais oui tout ce que tu vois de l'album, tout ce qu'on entend, tout faisait partie de mon petit plan machiavélique à moi ! J'en suis très heureuse, cela dit je n'ai pas encore de plan pour le prochain album, ce qui est un peu triste... Ou peut-être une bonne chose, qui sait !
Finalement, tu es passée de la fille qui prend cinq ans de pause entre son EP et son premier album, à une artiste qui sort un album tous les un an et demi ou deux ans ?
Oui, la grande pause était assez accidentelle, mais ça m'a fait comprendre à quel point c'était important que je travaille en continu. L'industrie de la musique va vite, et sortir un album tous les deux ans pour moi c'est une bonne durée. Je peux me reposer, ça me fait assez de vacances, mais j'ai aussi le temps de faire de la promo, d'enregistrer, et d'écrire assez pour que tout fonctionne.
Si on compare You and i are Earth à in|FLUX, est-ce qu'on peut résumer ton évolution en disant que tu es devenue une enfant de la nature ?
Je pense que j'ai toujours été une enfant de la nature, mais ça ne matchait pas tellement avec ce que je racontais dans mes anciens disques. Là où sur cet album c'était agréable de pouvoir exprimer cette part de moi, de la montrer, de jouer avec. Donc oui, dans les grandes lignes, je suis maintenant officiellement une enfant de la nature ! (rires)
Et aussi une enfant adoptée de l'Irlande ?
Oui, j'ai déménagé en Irlande récemment, et j'ai vraiment beaucoup de chance de vivre là-bas. En particulier parce qu'en tant que personne anglaise et britannique, après le Brexit il n'y avait plus vraiment d'endroits où on pouvait facilement aller vivre qui soit réellement un tout autre pays. Et je me sens tellement chanceuse d'avoir fini en Irlande, parce que j'adore les paysages, les gens, la mentalité, la culture, tout est incroyable. Mais je suis aussi pleinement consciente d'être une Anglaise qui vit en Irlande, alors je fais attention.
C'est à Donegal que tu vis maintenant, c'est ça ? Comme la chanson de l'album ?
Oui, c'est sur la côté nord-ouest, tout au nord.
Juste à côté de l'Irlande du Nord, non ?
Oui, c'est le seul comté d'Ulster qui ne fasse pas partie de l'Irlande du Nord, donc littéralement à côté.
Et donc, ça fait quoi d'être une Anglaise qui vit en Irlande en ce moment ?
C'est trop bien, les Irlandais sont tous très gentils avec moi. Donc j'imagine que c'est juste dans ma tête, toute l'histoire entre les deux pays, parce que personne ne m'a jamais dit quoi que ce soit là-dessus, et personne ne m'a jamais fait me sentir rejetée ou étrangère. C'est juste moi, comme j'ai conscience de ce passé commun, j'essaye de faire gaffe à ne pas faire de boulette.
Sur l'album, on ne retrouve plus les touches électro-soul qu'il pouvait y avoir sur in|FLUX, tout est complètement acoustique, très folk, très rural. Ça fait notamment penser à des compositrices comme Anna Mienke, qui est aussi sur l'album, Niamh Regan, Rachel Sermanni ou Iona Zajac qui a tourné avec toi l'an dernier. C'est une vraie nouvelle direction musicale, ou c'est juste une phase pour toi ?
Je dirais que chaque album que j'ai fait, j'ai essayé de le faire sonner différemment des autres. Ça ne m'intéresse pas trop de faire deux fois la même chose, donc je pense que chaque disque que j'aurai la chance de faire aura un son et un monde totalement à lui. Et ici je voulais, en quelque sorte, rendre hommage à l'instrumentation irlandaise, parce que je voulais infuser le résultat avec le lieu dont il est issu, et donc forcément de musique irlandaise. Mais je n'allais pas essayer de faire de la musique traditionnelle irlandaise, parce que ça aurait été le malaise, j'aurais fait ça comme de la merde, et ça aurait été inapproprié. Mais les instruments, comme le bouzouki, le violon, ils sont tous acoustiques, ils ont ce son très tactile, et je voulais utiliser cette sensation, essayer de l'exprimer musicalement.
D'ailleurs, un peu comme une suite à in|FLUX, cet album reflète une part beaucoup plus solaire de toi...
J'aime à penser que ça montre une partie plus sympa de moi, c'est sûr. The Orange, à la fin de in|FLUX, était un genre d'exploration du contentement, de se sentir bien et plutôt heureuse, et là c'est l'album tout entier qui pousse l'exploration un peu plus loin. J'ai l'impression que le résultat est à la fois doux, agréable, et subtil, et ça me faisait peur de mettre ça dans un album, mais c'est clair que c'est plus ensoleillé. Et c'est le cas à la fois dans ma vie et dans ma musique, ce qui est plutôt cool.
C'était plus simple d'écrire sur une vie heureuse ? Parce qu'il y a toujours le stéréotype de l'artiste maudit qui doit être dépressif pour pouvoir écrire de bons trucs...
Je déteste ce putain de stéréotype ! J'ai pensé que c'était vrai, et ça m'a façonné d'une certaine manière, même avant que je commence à écrire de la musique. Je pensais « oh je ne peux pas écrire maintenant, je suis trop heureuse là », mais quand j'étais réellement triste, je ne pouvais pas écrire non plus, parce que j'étais triste ! C'est tellement énervant comme stéréotype. Et euh... je ne sais pas si c'est plus ou moins facile d'écrire depuis mon sentiment de bien-être total. Je veux dire, je trouve toujours ça un peu difficile d'écrire, ça semble toujours être beaucoup de boulot, mais je m'amuse aussi beaucoup à chercher à chaque fois un moyen d'exprimer la vérité émotionnelle de ce que je ressens, au moment où j'écris.
Aussi, d'avoir ton écriture et ta voix, qui sont assez particulières et reconnaissables, malgré les changements de « direction artistique », chaque album sonne un peu comme un nouveau tome des aventures d'Anna B Savage...
C‘est ce qui est cool dans le fait de faire des albums qui ont chacun leur univers, c'est qu'il y a toujours ce fil conducteur dans ma manière d'écrire, et j'imagine, ma voix aussi. Je n'y ai jamais trop pensé, mais je suis contente que ça ait toujours l'air d'être moi et pas quelqu'un d'autre sur le disque ! (rires)
Autre chose que j'ai remarquée, chaque album dure environ dix minutes de moins que le précédent. A Common Turn durait presque cinquante minutes, in|FLUX plutôt quarante, et là on dépasse à peine les trente. C'est quelque chose qui est arrivé comme ça sans y faire attention ?
Oui, ce n'était pas du tout fait exprès. Juste un heureux accident. Mais j'imagine que ça vient aussi du fait que je me sens plus en confiance maintenant, donc je n'ai plus besoin d'écrire des chansons de sept minutes comme si ça allait prouver quoi que ce soit sur ma légitimité à être musicienne, plus que ce que j'ai déjà prouvé. Je pense qu'il y avait un peu de ça quand j'ai commencé, parce que souvent je me disais « il faudrait que cette chanson continue, et parte dans une nouvelle direction », mais maintenant je suis à la fois plus confiante et plus calme, et ça se reflète dans la durée des chansons.
Comme Agnes, par exemple, qui est une chanson presque enfantine, avec son refrain en yoo-hoo, une chanson très instinctive. Ça ne ressemble pas à quelque chose que t'aurais pu écrire il y a trois ou quatre ans...
Je dirais que mon écriture est une représentation de comment je me sens. Et là c'est OK de faire plus simple, plus calme, tranquille, et de ne pas se lancer dans des signatures de temps improbables, des changements de tonalités et tous ces trucs. Et oui, Agnes est un peu une bizarrerie, parce que ça vient de ma vie, et en même temps pas, parce que c'est plus comme un conte de fée personnel, une histoire inventée avec moi dedans. Mais c'était très marrant à écrire parce que c'était comme écrire sur une autre moi.
D'ailleurs je n'ai pas vu passer l'information, mais Mike Lindsay est encore ton producteur cette fois-ci ?
Nan ! C'était « Spud » Murphy, qui s'appelle John Murphy en vrai. Il a enregistré les albums de Lankum, il est dans un groupe avec Radie Peat (ndlr : chanteuse et multi-instrumentiste de Lankum), il a produit plein de trucs irlandais fantastiques comme Ye Vagabonds ou Junior Brother. Donc après avoir écouté ce qu'il faisait, j'ai tout de suite su que je voulais travailler avec lui, parce qu'il arrive vraiment, en particulier chez Lankum, à faire ressortir tout le bas du spectre, la richesse des graves, la richesse des aigus, et à équilibrer tout ça. Et derrière il parvient à ce que ça sonne bien même sur un téléphone, franchement c'est de la magie. Et comme je savais que je voulais travailler avec des instruments acoustiques, je voulais vraiment quelqu'un qui puisse non seulement produire ça subtilement, délicatement, mais aussi l'enregistrer et le mixer tout aussi bien.
Donc si je fais le compte, ça fait trois albums avec trois producteurs différents. Tu as forcément besoin de changer de producteur à chaque fois pour relancer la machine ?
Je ne pense pas que j'en ai besoin, c'est juste... Je ne sais pas, j'ai pris l'habitude je crois ! Là c'est juste que je savais que Spud serait la meilleure personne pour ce disque, donc ce n'était pas tellement de vouloir un nouveau producteur, c'était surtout de vouloir Spud !
Ça crée du challenge un peu, non ? Je sais que certains artistes aiment bien rester avec le même producteur à chaque fois, pour être en terrain connu, que ça se passe plus facilement...
Oui, et tu sais que c'est quelqu'un avec qui tu travailles bien, je comprends complètement les gens qui marchent comme ça. Et oui ça peut être un challenge de lancer une nouvelle relation artistique, créative, avec quelqu'un, c'est un moment où tu te sens vulnérable, et c'est un process qui peut ne pas marcher avec une nouvelle personne. Mais j'ai vraiment eu de la chance, tous les gens avec qui j'ai travaillé ça a toujours été le rêve, et je n'ai jamais eu aucun problème. Donc peut-être que je deviens un peu cupide, parce que travailler avec une nouvelle personne ça veut dire plus de nouvelles rencontres artistiques, et j'adore !
Sortons du studio maintenant : il y a deux ans tu étais sur le point de commencer une longue tournée, ta première vraie tournée hors Royaume-Uni. Ça s'est passé comment ?
La tournée était trop bien ! Je serai toujours surprise que des gens viennent à mes concerts dans des endroits où je connais personne. Je me sens un peu ridicule de dire ça mais c'est hyper touchant. Le concert à Paris était incroyable, j'ai aussi joué à Copenhague où je ne connaissais personne... Enfin à l'époque je ne connaissais personne là-bas, et la salle était pleine, et je me suis dit « mais c'est fou ! ». La musique est un tel moyen de communication et de diffusion, même vers des endroits que tu n'aurais jamais imaginés. C'est vraiment un privilège de vivre cette vie, et c'était une bonne tournée pour m'aider à réaliser ça.
Et les gens hors Royaume-Uni étaient aussi réceptifs à ta musique que quand tu joues en Angleterre ?
Je m'inquiétais beaucoup que mes chansons, à ce moment-là, aient un point de vue trop anglais, ou soit trop anglaises, pour les gens d'ailleurs, mais tout le monde était fantastique et adorable.
D'ailleurs, maintenant que tu es irlandaise d'adoption, on peut enfin t'accepter en France sans te haïr secrètement d'être anglaise ! Et ce n'est pas contre toi, c'est juste une tradition de détester les anglais, notamment au rugby !
C'est marrant, parce que... Bon, mon compagnon est irlandais, je pense que c'est assez clair, et on parlait de ça, que partout où il va les gens sont là « Oh tu es irlandais, trop bien ! », et partout où je vais les gens sont là « Ah, tu es anglaise... ». (rires) C'est marrant, et vrai, et je me sens un peu pareil ! Les gens adorent les Irlandais partout dans le monde, et... je ne suis pas très sport, mais lors d'un match Irlande-Angleterre je supporterais probablement l'Irlande ! On n'est bizarrement pas habitués à être spécialement fiers de notre héritage anglais, et sans même parler de colonialisme, on dirait que c'est juste embarrassant de base d'être anglais, et ensuite tu apprends ce qu'il y a à savoir sur l'histoire et la colonisation, et ce n'est plus seulement embarrassant d'être anglais, c'est aussi quelque chose qui a fait du mal au monde entier !
Après, peut-être que tu as aussi ce point de vue parce que tu voyages beaucoup. J'ai vu une sorte de camp de musique au Canada sur ton compte Instagram, à Banff c'est ça (ndlr : une très jolie petite ville au milieu des montagnes de l'Alberta, à côté de Calgary) ?
Oui, c'était en 2018 ou 2019, il y a des années. Et je dirais que c'est la raison pour laquelle j'ai une carrière aujourd'hui. Quand je suis partie là-bas, j'avais déjà écrit A Common Turn, mais je savais pas comment aller plus loin que ça. Je ne savais pas contacter des producteurs, contacter des labels, et je suis partie à Banff et j'ai joué certaines de mes chansons à ces musiciens, là-bas, que j'ai appris à connaître et que je respecte tellement, qui m'ont tellement inspirés, et ils avaient l'air de penser que c'étaient des bonnes chansons. Donc je me suis dit « s'ils trouvent que c'est bon, il y a peut-être quelque chose à faire avec ça en fait ! ». Quand je suis rentrée, j'ai appelée Will (ndlr : William Doyle), mon premier producteur, je lui ai filé toutes mes économies, et je lui ai dit « vas-y, on fait un album ! ». Donc oui, je pense que je n'en serais pas là aujourd'hui si je m'étais pas retrouvée un jour à Banff, à jouer mes chansons dans une cabane au milieu du Canada. C'est l'une des meilleures choses que j'ai jamais faites.
Dans cette lignée, le voyage, c'est une inspiration pour toi ?
Parfois, oui. C'est bizarre et en même temps ça arrive à plein de gens, mais souvent je me sens malheureuse chez moi et je pars en voyage, et ensuite je réalise à quel point mon chez moi est important. C'est une bataille constante entre être loin et être à la maison. Mais oui, voyager c'est inspirant, parce que tu apprends à te connaître, et il y a ce truc de trouver ton chez toi à l'intérieur de toi plutôt qu'à un endroit géographique précis. Ce qui est un truc que je ne pensais jamais pouvoir faire jusqu'à ce que finalement ça arrive, lentement.
En revenant à la tournée, récemment, tu as ouvert pour St. Vincent sur cinq dates : Dublin, Manchester, Barcelone, Madrid, et Milan. Comment ça fait d'être sur une grande scène avec autant de personnes devant toi, des personnes qui sont pas vraiment venues pour toi ?
C'était incroyablement cool, mais aussi parce que ses fans sont tellement passionnés, que chaque soir tout le monde était là à l'ouverture, et donc tout le monde était là pour me regarder jouer, ce qui donne de grosses responsabilités mais qui est en même temps adorable. Et il y a plein de concerts où les gens se pointent pour voir le groupe qu'ils viennent voir mais ne vont pas forcément regarder la première partie, ce que je comprends, tout le monde a des trucs à faire, les gens doivent manger avant, etc. Mais c'était un vrai privilège de jouer devant une salle pleine tous les soirs, et de pouvoir essayer de convaincre les gens qu'ils ne perdaient pas leur temps à être là ! (rires) Avec un peu de chance, j'ai réussi !
Ta musique est plutôt intime, cosy, donc est-ce que ça fait vraiment la même chose dans une grande salle avec beaucoup de public ?
Ça va être un peu bête ce que je vais dire, mais si les gens sont tous calmes et se taisent, ce sera aussi intime dans une grande salle que dans une petite. Mais c'est sûr que si la foule parle fort, au moins dans une petite salle il y a une limite au bruit que ça peut faire, alors que dans une grande salle si tout le monde parle et crie... Tu vois, quoi. C'était aussi ça que j'ai adoré dans les concerts pour St. Vincent, c'est que tout le monde était très silencieux, et ça laissait la place à cette proximité, cette intimité, ce qui était incroyable et inattendu. Et parfois c'est plus simple de se produire devant plein de gens, parce que tu n'es pas là à voir chaque personne indépendamment et à te dire « oh ils n'ont pas l'air d'aimer cette chanson, oh celle-là ça a l'air mieux, OK cool ! ». C'est plus comme une mer de gens indéfinis devant toi, donc c'était une expérience très fun, des salles beaucoup plus grosses que ce dont j'ai l'habitude, mais j'ai adoré.
C'est cool alors ! Parce que quand tout le monde se hurle sa journée pendant la première partie... J'ai connu ça pour Wunderhorse avant Fontaines D.C. y a deux semaines...
Oui, c'est dur si tu sens que tu as déjà perdu le public avant même d'être monté sur scène, que tu n'as jamais eu l'opportunité de pouvoir prouver ce que tu vaux avant qu'ils se mettent à parler, parce que les gens sont juste venus pour parler. Ce que je comprends aussi, plein de gens vont en concert pour le côté social, donc quand est-ce que tu vas parler sinon ? Mais je trouve ça incroyablement chiant ! (rires) Quand je vais voir un concert, si j'ai une pote qui essaye de me parler je suis là « Non ! Pourquoi tu penses que j'ai envie de te parler maintenant !? ».
En parlant de St. Vincent, je l'ai vue le mois dernier après Porridge Radio au ARTE Concert Festival, et elle a une présence et un charisme impressionnant, à déchaîner toute cette énergie sur scène. En la voyant, tu t'es jamais dit que tu voudrais faire pareil ?
Je ne sais pas, ça dépend d'un soir à l'autre. Des fois j'ai envie d'aller là-dedans, de me sentir puissante et charismatique, et des fois j'aime juste jouer mes chansons ! (rires) Je pense qu'être capable de sortir ça tous les jours, à chaque concert, c'est ultra impressionnant. Ce n'est pas la seule raison, mais je pense que c'est une des principales raisons pour lesquelles c'est une telle superstar, ce pouvoir de faire le show tous les soirs avec autant de présence et d'énergie, d'appuyer sur le bouton et d'activer le mode spectacle à fond, tout le temps.
J'arrive vers la fin de mes questions, on avait pas mal parlé des réseaux sociaux la dernière fois... Tu as réussi à trouver un équilibre entre faire de la promo et garder une distance saine ?
Non ! (rires) J'apprends, et je comprends ce qui marche pour moi et ce qui ne marche pas. J'essaye de trouver un équilibre entre ce qui me va bien, ce qui va à l'industrie, et ce qui va à mon label. Je veux être respectueuse de mon label, et respectueuse de ma carrière tout court, mais je suis ni prête ni préparée à être tout le temps là-dedans, et je suis pas prête à parler une caméra en mode « salut les gens c'est Anna, et voici un nouvel épisode de ma vie et de moi qui fait de la musique ! Alors d'abord je prends mon café, et puis blablabla ». Je ne supporte pas ça. Et s'il y a des gens pour qui c'est facile et naturel, alors c'est super, mais ce n'est pas naturel pour moi, et ce serait cringe si j'essayais. Mais cette fois j'ai trouvé que j'aimais bien faire des petits clips, des vidéos, et je peux juste les mettre dans l'agenda et Instagram ou autre les lance tout seul. Et je me dis que ça je peux le faire ! Mais je ne pense pas être toute seule, je pense que tout le monde a dû repenser son approche des réseaux sociaux ces dernières années, même quand c'est juste un truc perso. Parce qu'à un moment tout le monde pensait que c'était magique, et on pouvait se connecter tellement facilement avec plein de monde, et d'un coup c'est parti en « oh mon dieu ça commence à me bouffer le cerveau, ça me met dans le mal ! ». Donc on est un peu tous dans un moment où on essaye de trouver ce que doit être la place de ce truc dans nos vies.
Dernière question, je n'ai relevé aucune anecdote sexuelle ou histoire d'intimité physique sur cet album comparé aux deux d'avant... Il n'y a vraiment rien, ou alors la forêt n'était qu'une gigantesque métaphore cachée ?
J'imagine que l'Irlande marche comme une métaphore pour mon partenaire, d'une certaine manière. Mais non il n'y a pas autant de trucs explicites ou sexuels là-dedans. Parce que ça me paraît plus privé avec mon partenaire, et c'est une personne très privée aussi, donc je ne voulais pas... Je ne donne aucune info qui permette vraiment de l'identifier, je le mêle en quelque sorte au paysage et au pays, et c'est ça qui ressort au final. Je pense que c'est plus simple quand la personne sur laquelle j'écris ne sait pas que j'écris sur elle, surtout quand ça parle de sexe. Parce que c'est tellement personnel, et à part en ayant la meilleure communication du monde, ça va toujours faire ressortir un truc privé que tu ne vas pas forcément être capable de communiquer totalement à l'autre. Mais voilà, c'est juste que mon compagnon ne veut pas trop être mis en avant, et je ne ressens pas le poids des mêmes sujets qu'à une époque, donc je ne ressens plus forcément le besoin de parler autant de ces choses-là avec la même profondeur. Au final, c'est clairement un album plus chaste, et plus conseillé aux enfants ! (rires)