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The Divine Comedy

Interview publiée par Emmanuel Stranadica le 5 juin 2019

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Neil Hannon est décidément un personnage bien singulier. Son nouvel album Office Politics est le plus long qu'il ait jamais sorti : seize titres sur la vie du bureau et le monde du travail ! A l'occasion de son passage à Paris en avril lors d'une journée ensoleillée, nous avons eu la chance de rencontrer l'anglais qui ne se prend décidément pas au sérieux. Retour sur cette rencontre avec celui qui est The Divine Comedy.

Si je ne me trompe pas, avant même de démarrer la tournée Foreverland, j'ai lu quelque part que tu avais déjà les démos du prochain album de The Divine Comedy. Pensais-tu déjà à ce moment-là à ton prochain disque et ces démos sont-elles bien les chansons qui figurent sur Office Politics ?

Oui. Je pense que c'est Christophe Conte qui a dit ça et je crois avoir lu quelque part qu'il disait qu'aucune des chansons qu'il avait écoutées ne figure sur ce nouvel album. Mais en fait, il a complétement tort (il rit). Il a dû entendre les toutes premières versions de ces chansons et j'ai réalisé des arrangements incroyablement différents pour les moutures finales, bien évidemment davantage pour certaines que d'autres. Il y a très peu de morceaux qui fonctionnaient dès le début. D'ailleurs c'est quelque chose qui arrive si rarement... Je voulais vraiment m'assurer que je n'avais rien oublié. J'ai cherché à ce que ce soit absolument parfait.

Qu'est ce qui t'a donné envie de sortir un disque sur la déshumanisation du monde du travail?

Ce n'était pas mon intention. Est-ce une bonne réponse? (Rires). Je pense que lorsque tu travailles seul, tes préoccupations te reviennent sans arrêt. Parfois, tu te soucies de quelque chose de bien spécifique lors de l'écriture d'un album. Et pour le disque suivant, ce sont d'autres choses qui te travaillent. Bon nombre des chansons de ce disque ont été écrites en 2012/2013, en même temps qu'une multitude d'autres. Celles-ci ont été divisées en deux camps séparés. Un sur les relations et l'autre sur cette merde (Rires). J'avais besoin de me concentrer sur une seule partie car je ne savais pas quoi faire avec l'autre à cette époque. J'ai donc conçu Foreverland. Ça s'est plutôt bien passé. Puis je suis revenu à cette partie, et j'ai finalement vu une tendance émerger. En particulier sur les gens ordinaires qui font un travail ordinaire. Puis les forces obscures s'en sont mêlées. Elles se sont mises à jouer avec ces personnes. Je pense qu'on peut parler du capitalisme et des technologies en tant que forces obscures. Pourquoi les gens veulent-il vraiment des machines pour faire tout ce qu'on fait ? Au moins, on ne fait pas les avions s'écraser, enfin pas volontairement.

Le premier single Queuejumper est entrainant. C'était important d'apporter cette forme de joie par rapport au sujet que tu abordes dans la chanson ?

J'aime la pop. J'aime les chansons dont le rythme est attirant. Je n'aime pas les chansons de la pop contemporaine avec ce beat qui inlassablement te trotte dans la tête (rires). Queuejumper vient d'une idée très simple. C'est, grosso modo, une personne qui pense être meilleure que les autres parce qu'elle n'a pas à faire toutes les choses que les autres doivent faire. Elle n'a pas besoin de suivre les règles. Je les hais tellement ces gens qui se croient tellement au-dessus de tout (Rires). Avec une idée très simple, tu obtiens une chanson simple. Parfois cela devient un tube parce que c'est tellement simple (Rires).

Qui sont Norman et Norma ?

Ce ne sont pas des personnes réelles. Je leur ai donné ce nom en référence à des Danois. Plus exactement Norman Conquest en référence à The Norman Conquest of England (ndlr : la conquête normande de l'Angleterre par les Danois au 11ème siècle) (Rires). Je me souviens m'être levé du lit un matin et avoir dans la tête « Norman and Norma got married… » (il chantonne le début de la chanson). Et tout est parti de là. J'avais les personnages mais maintenant qu'allais-je faire d'eux ? Au final, ils ont vécu une vie entière ensemble. Dans le second couplet, Ils se sont mariés et ont eu des enfants. La seule raison pour laquelle la chanson se trouve sur Office Politics, c'est parce que Norma était en maternité et son employeur ne l'a pas reprise ensuite (Rires). Dans le troisième couplet, les enfants ont quitté le domicile familial et Norman et Norma se demandent ce qu'ils vont bien pouvoir faire. Dans le refrain ils vivent un moment béni, un peu comme une lune de miel, et puis ils se rappellent leur lune de miel quand ils sont en vacances en famille, alors que tout est horrible, et finissent par se demander que nous est-il arrivé ? Dans le dernier couplet, ils s'ennuient, ils sont presque retraités et rejoignent une société historique où ils finissent en costume d'époque et se battent avec des épées (Rires). Et pour eux, c'est fantastique. Voilà ce qui au final remplace leur lune de miel (Rires). C'est une chanson drôle. Je ne suis pas certain que ce soit une chanson très importante mais je l'aime beaucoup. Parfois, les chansons n'ont pas besoin d'être importantes.

Dans plusieurs chansons, tu utilises le spoken word pour chanter. Est-ce ta manière de te moquer de la musique actuelle ?

Non, c'est simplement parce que j'aime Neil Tennant (ndlr : le chanteur des Pet Shop Boys) quand il parle (rires). Cette forme assez drôle de rap de blanc (rires), c'est la seule manière de raper qu'il m'est possible de faire. Parfois, le spoken word peut être très fatigant par-dessus la musique. Ça l'est tellement que j'essaye de ne pas le faire très souvent. La raison pour laquelle je l'ai utilisé dans Psychological Evaluation, avec cette étrange interview par un ordinateur, c'est parce que j'aime beaucoup la musique. Elle sonne comme la bande originale d'un film des années 80. Je ne voulais pas tout gâcher et en faire trop. J'avais une musique charmante, des paroles plaisantes, je voulais garder cet esprit très libre. C'est pourquoi je me suis dit que ce serait sympa si quelqu'un pouvait parler sur cette chanson. Et j'ai finalement décidé de le faire moi-même. J'ai eu l'idée d'un entretien pour un boulot et je trouvais que c'était plus réussi que ce soit une machine qui le fasse. Pour être très honnête, ça en dit beaucoup sur notre monde actuel. Les entreprises finissent par mettre chacun de leurs employés dans le même état, pour que tout le monde se retrouve dans le même moule. Mais leur manière de standardiser les gens n'est pas forcément ce que les gens voudraient devenir. Bref. J'ai écrit une poignée de questions. J'y ai apporté des réponses. J'ai un peu changé des petites choses mais cela ressemble vraiment à la première prise que j'ai faite de ce morceau. Au final, c'est un peu une forme de paysage sonore assez extraordinaire. Et le message qui y figure est raisonnablement important.

Concernant le son de Infernal Machines, cherchais-tu à ce qu'il ressemble au son et au rythme des machines ?

Exactement ! J'ai écrit les paroles d'abord et puis j'y ai ajouté cette forme de « Du du du du du » en boucle. Cela m'a pris beaucoup de temps avant d'arriver au résultat final. Mais j'y suis finalement arrivé. J'aime bien cette chanson même si ça ne ressemble pas du tout à The Divine Comedy.

Il y a plusieurs chansons sur Office Politics qui ne sonnent pas comme The Divine Comedy. Considères-tu que ce soit ton album le plus osé?

C'est difficile pour moi de répondre à cette question. Je me sens de moins en moins concerné par faire ce qu'on attend de moi. J'ai l'impression de parler comme ce type dans le pub pour un parfum : « I'm not going to be the person I'm expected to be anymore » (ndlr : Gaspard Ulliel pour Bleu de Chanel) (Rires). C'était d'ailleurs une très mauvaise publicité ! Quand tu vieillis, tu ne te soucies plus vraiment de ce que les gens pensent de toi. Tu sais à quoi ils ressemblent et ce qu'ils attendent de toi, mais tu n'as plus envie de les respecter (Rires). Les arbitres de ma musique, ce sont les chansons elles-mêmes ainsi que les idées qu'elles contiennent. Aussi longtemps que je serai honnête envers elles, je m'en fous comment elles sonnent (Rires). Je tiens juste à faire quelque chose d'utile. Je ne pense pas qu'un jour, ma musique ressemblera à celle de Nirvana. C'est pourtant une grande partie de mon héritage musical, le noise rock extrême de la fin des années 80. Mais je trouve ça vraiment difficile de prendre une guitare et de jouer des parties avec beaucoup de distorsion. Je ne sais pas pourquoi. J'aimerai ressentir cette sensation et être capable de faire cela mais j'ai du mal à imaginer comment.

A Feather In Your Cap sonne un peu Berlin avec Take My Breath Away. Est-ce que tu l'as fait volontairement ?

Oui, tout à fait (Rires). J'aime ce son. Je voulais que cette chanson sonne comme la dernière chanson d'une soirée. Car The Life And Soul Of The Party est une fête de bureau, la fête de fin d'année. Et bien entendu, c'est du grand n'importe quoi et c'est insupportable. Par exemple, des collègues qui te hurlent dans les oreilles. Et A Feather In Your Cap est le moment où une femme, ou un homme, cela n'a pas d'importance, danse seul(e) cette balade très années 80 en se disant « Espèce d'enfoiré(e) tu m'as laissé comme ça ! » (Rires). C'est la dernière chanson que j'aie composée pour cet album. Le disque était normalement terminé mais je l'ai réécouté, et me suis dit qu'il lui manquait quelque chose qui touche au coeur, un peu d'humanité, que le disque était un peu trop sec pour se terminer ainsi.

Dans 'Opportunity' Knox tu reparles de Billy Bird. Pourquoi avoir réutilisé ce caractère déjà présent dans Come Home Billy Bird ?

Il fallait tuer Billy Bird pour lui voler son boulot. Ce n'est pas officiel qu'il soit mort, mais j'aime beaucoup cette idée de tuer mes propres caractères (Rires). C'est une bonne chanson mais l'enregistrement est bizarre, de ce fait j'ai toujours eu un problème avec Billy Bird (Rires). Quand j'ai fait écouter cette chanson à Natalie, ma manager, elle m'a dit : « Mais as-tu pensé à ce que va devenir Billy Junior. Il est orphelin (Rires) ». Je lui ai répondu : « Oui, mais il doit avoir vingt ans maintenant (Rires). Tout ira bien pour lui ! ».