logo SOV

alt-J

Interview publiée par Amandine le 25 mai 2012

Bookmark and Share
Première journée de promotion dans la capitale pour les figures montantes que sont Alt-J : à l'occasion de leur passage à la Flèche d'Or il y a quelques semaines, Joe et Gus, les deux chanteurs de la formation, ce sont livrés à nous. Avec la fougue de leur jeune carrière, ils nous ont raconté leurs débuts, ponctuant leur récit d'anecdotes. Les deux jeunes hommes sont également revenus sur la genèse de leur premier album, An Awesome Wave.

Pouvez-vous nous parler un peu du groupe, de votre rencontre et de sa formation ?

Joe : Nous étions tous à l’université. J’étudiais les beaux-arts. Gwil, notre bassiste et Thom, notre batteur, étaient aussi tous les deux en section beaux-arts. Gus, nous l’avons rencontré à la cité universitaire, le premier jour où nous y avons emménagé. J’ai rapidement commencé à jouer à Gwil certaines chansons que j’avais écrites, histoire de lui montrer un peu ce que je faisais. Nous les avons enregistrées, il a commencé à jouer de la basse par-dessus mes mélodies et ça a commencé comme ça, en même temps que nous devenions de plus en plus amis. Au début de la deuxième année je crois, nous nous sommes rapprochés de Gus et de Thom. Nous savions déjà que Thom était batteur.
Gus : Je crois que c’était à la fin de la première année pour être précis. Vous nous avez donné un CD deux titres que vous aviez enregistré.
Joe : Je ne me rappelle pas du tout de cet épisode.
Gus : Moi, je m’en souviens très bien. Tu l’avais posé sur mon bureau, dans ma chambre. En première année, tu m’as joué Hiroshima dans ma chambre et j’ai été très impressionné.
Joe : C’est une chanson que j’avais écrite quelque chose comme un an avant d’entrer à l’université. Ça a commencé à devenir ma carte de visite. Je l’ai jouée à Gwil, il l’a aimée et ensuite, je te l’ai jouée en espérant que ça te plaise et que ça te montre qu’on tenait peut-être quelque chose et que ce serait sympa qu’on essaie de jouer ensemble. Gus : Je me rappelle que tu étais venu me voir en m’amenant une guitare aussi et je riais intérieurement car je n’ai jamais su jouer (rires) ! La tête que tu avais quand je t’ai dit que je n’avais jamais touché une guitare ou presque ! Tu avais l’air tellement embarrassé !
Joe : Heureusement pour moi, tu jouais très bien du clavier. Nous avons commencé en répétant cette très vieille chanson, Portrait, et Thom, Gwil et moi étions face à toi. Tu l’as très rapidement intégrée et tu t’es joint à nous. C’est à ce moment-là que nous avons réalisé que nous n’étions pas seulement des potes qui s’amusaient en jouant de la musique, en faisant des jam sessions mais que nous pouvions vraiment créer quelque chose. Nous avons donc travaillé sur les structures des chansons.
Gus : Ça nous a rapidement dépassés, nous nous améliorions à chaque répétition. Je crois que ce titre, Portrait, a été une véritable chance pour nous car je l’ai aimée, j’y ai ajouté des claviers très rapidement et c’était la première fois que c’était si aisé et naturel pour moi de faire cet exercice.

Gus, tu as une formation classique de piano mais qu’en est-il des autres ? Êtes-vous autodidactes ou avez-vous tous reçu une formation musicale quand vous étiez enfants ?

Joe : Thom est autodidacte, il a tout appris tout seul, ce qui est assez incroyable quand on l’entend jouer d’ailleurs. Il a été dans un groupe très tôt, quand il avait une douzaine d’années ; il jouait pendant l’heure du déjeuner.
Gus : Non seulement il jouait pendant l’heure du déjeuner mais il jouait à la cantine ! Pendant que les élèves mangeaient, eux jouaient.
Joe : C’est vrai ?
Gus : Oui, bien sûr ! Tu ne le savais pas ? Ils avaient treize ou quatorze ans, étaient dans leurs petits uniformes d’écoliers et pour je ne sais quelle raison, ils avaient obtenu l’autorisation de jouer pendant l’heure du déjeuner, probablement pour encourager la créativité artistique, même s’ils ne faisaient que des reprises à l’époque. Quand midi sonnait, ils enlevaient les cravates et les uniformes, mettaient leurs baggys et jouaient devant les autres qui déjeunaient (rires). Ensuite, ils remettaient leurs costumes et repartaient pour les cours de l’après-midi. C’est bizarre mais, en même temps, c’est assez cool. Ça devait être une école assez progressiste.
Joe : Gwil, quant à lui, a appris la basse grâce à son petit frère qui devait avoir douze ou treize ans. Il lui a appris alors que Gwil avait à l’époque dix-sept ans, c’est donc assez tard. Moi, j’ai commencé à prendre des cours quand je devais avoir onze ans. Mais je piquais déjà la guitare de mon père qui donnait des concerts dans les pubs ou ce genre de lieux. Il jouait beaucoup de ballades 60’s, 70’s et 80’s, assez classique somme toute. Il aime aussi le classic rock américain donc j’ai grandi en écoutant les mêmes choses que mon père.

J'ai lu que vous aviez tous des goûts musicaux très différents, à l'exception d'une passion commune pour Radiohead...

Gus et Joe : Radiohead sont au-dessus de tout !

Comment faites-vous pour réunir des idées selon vos influences et pour créer une musique que vous aimez tous les quatre ?

Gus : Nous n'avons jamais changé notre manière de travailler. Joe écrit la base des chansons et nous travaillons ensuite tous dessus, nous y ajoutons notre instrument, nous l'améliorons tous ensemble. Joe écrit la structure de toutes nos chansons et c'est donc assez simple pour nous d'y ajouter nos sections. La question de nos goûts musicaux ne se présente pas vraiment de part notre façon de travailler : nous aimons ce que Joe nous présente ou pas, peu importe ce qui l'a inspiré. Tu vois, par exemple, Thom n'aime pas du tout la même musique que nous.
Joe : Ce n'est même pas qu'il n'aime pas, c'est plutôt qu'il ne comprend pas vraiment cette musique. Mais dès que nous lui faisons écouter de nouvelles idées pour des morceaux, il trouve de suite ce beat exceptionnel qui le caractérise.
Gus : Je pense que la musique que nous aimons se recoupe à un moment, il y a quelques crossovers. Nous aimons tous les groupes basés sur la guitare, mais pas exclusivement...
Joe : Oui, il y a de cela, mais ce qui compte beaucoup, c'est que le groupe apprécie les bons musiciens donc même si ce n'est pas ta tasse de thé, tu sauras reconnaître certains points intéressants. Il est important que nous ayons cette base commune pour créer ensemble. Après, au delà de ça, nous écoutons effectivement tous des choses totalement différentes, je ne peux pas le nier.

La scène britannique connait un sursaut actuellement, je pense notamment à des groupes comme Breton. Vous officiez tous dans des styles totalement différents mais que vous émergez à peu près en même temps. De l'intérieur, êtes-vous conscients de faire partie d'un renouveau de la musique anglaise ?

Joe : Pas vraiment, non...
Gus : Je crois que ça nous dépasse un peu tout ça à vrai dire. Et nous ne sommes pas conscients de ce qui se passe autour de nous.

Contrairement à la britpop ou la période Madchester, les groupes ne sont pas tous dans le même moule, ils piochent dans des univers très éloignés...

Gus : C'est amusant parce que Breton ont fait un remix pour nous et il est fabuleux. Par contre, je n'ai pas encore eu l'occasion d'écouter leurs chansons mais j'en entends tellement de bien que je devrais m'y atteler. Peut-être qu'une des explications de toute cette nouveauté vient du fait que la musique, en ce moment, est très permissive. Tu peux vraiment faire tout ce que tu désires. Par contre, j'ai du mal avec cette idée de « scène »...
Joe : Le problème, ce n'est pas que nous ne désirons pas appartenir à une scène en particulier, c'est simplement que nous ne nous n'avons jamais ressenti d'appartenance à aucune d'entre elles. Nous venons de Leeds et ça a pu jouer un rôle aussi car nous n'avons jamais été impliqués dans quelque scène que ce soit là-bas, d'autant plus que nous étions assez loin de Londres. De plus, là-bas, c'est plus une idée de hype qu'autre chose. Pour faire simple, je ne m'intéresse pas assez à la musique en général pour reconnaître où se rangent les groupes donc c'est un peu pareil pour nous.

Tout se passe extrêmement bien pour vous depuis quelques temps, que ce soit du point de vue des médias que celui du public. Comment vivez-vous tout ça ? Tout le monde attend votre album, ce n'est pas un peu stressant ?

Gus : Complètement ! Vous qui écrivez les chroniques, nous nous terrifiez parfois ! Je ne plaisante pas.
Joe : Pour le moment, nous sommes surtout excités à l'idée de la sortie mais une fois que ce sera le cas, là, nous allons commencer à être nerveux. Nous allons être collés à internet, à Twitter et autres médias pour lire les réactions fébrilement. Ce qui nous fait très peur, c'est la réaction et les chroniques des grosses institutions car ils peuvent faire et défaire des carrières. Ils sont très influents et je me connais, si je lis une revue complètement négative, je vais être touché au plus haut point. Ça va être stressant mais j'ai hâte (rires) !

Pouvez-vous me parler du clip de Breezeblocks qui est assez incroyable ?

Gus : C'est un mec de Brooklyn qui l'a réalisé. En fait, nous avions posté nos demandes sur Radar Music, un site pour les musiciens ou tu peux faire des propositions selon ton budget, tes goûts ou ta musique et des artistes te proposent leurs idées. Nous en avons reçu énormément, nous en avons retenu vingt-cinq mais son scénario était le seul qui nous convenait parfaitement.

Quel lien faites-vous entre les paroles et la musique de vos chansons ? Comment procédez-vous généralement ?

Joe : Ça dépend des chansons. Chaque titre a sa propre histoire. Généralement je procède de la sorte : je collecte des choses qui me marquent, des choses que j’ai aimées ou qui m’ont interpellées à un certain moment. Donc ça peut être un livre, un personnage dans un film, quelque chose que j’ai vu, une phrase que l'un de mes amis m’a dite, ça peut être tout et n’importe quoi, c’est toujours lié à une émotion particulière en tout cas. Après, je prends ma guitare et j’essaie d’y coller une structure mélodique. Ça peut être un truc que l’émotion m’inspire, et ça fonctionne ou non. D’autre fois, j’essaie de l’associer à une mélodie que j’ai déjà écrite auparavant, sans que je n’y ai apposé de paroles. Je peux donc rester des mois avec une phrase ou une mélodie en tête parce que je n’ai pas réussi à l’associer correctement. Tout ça est donc un jeu de patience.

Tous les titres d’An Awesome Wave n’ont donc pas été écrits à la même période ?

Joe : Non, c’est vrai.

Tessellate est un titre assez ancien il me semble ?

Joe : Oui ! En fait, généralement, j’écris une chanson et je retravaille à sa structure par la suite et à la toute fin, je lui donne un titre. Et là, j'ai choisi Tessellate parce que le texte parle de désolation... et de sexe (rires) !

Le cinéma semble être une forme artistique particulièrement importante pour toi. Peux-tu m’expliquer pourquoi ?

Joe : Regarder des films a toujours été la façon que je préférais pour me relaxer. La première chose que je fais quand je procrastine : je regarde un film. J'en ai donc regardé beaucoup, de beaucoup de périodes différentes, et c’est donc une bonne manière pour moi de démarrer le processus créatif. Pour être absorbé totalement par quelque chose, personnellement, je préfère de loin un bon film à un bon album. Le cinéma est naturel pour moi.

Parlons un peu de vos projets après la sortie de votre premier album. Qu’avez-vous prévu pour l’instant ?

Gus : Nous allons jouer dans des festivals cet été, et tourner avant et après ça. Nous avons prévu une tournée en tête d’affiche en Angleterre, et nous aimerions agrandir l’idée au reste de l’Europe, j’espère que nous y parviendrons !

Mais avant ça, il y a la sortie d’An Awesome Wave. Comment définiriez-vous cet album ?

Joe : Je dirais que si quelqu’un a aimé ce qu’il a entendu de nous jusqu’à maintenant, je suis assez confiant dans le fait qu’il aimera l’album. Nous avons énormément travaillé sur chaque titre et nous n’avons pas voulu agrémenter le disque de chansons pour remplir des vides. J’espère que les gens l’écouteront comme s’ils partaient pour un voyage, une aventure avec nous. Je pense cet album comme un tout, là où ton titre préféré ne cesse de changer parce qu’ils s’imbriquent tous dans une unité.
Gus : Oui, je suis tout à fait d’accord avec cette idée. Je souhaite que les auditeurs le considèrent comme ça, qu’ils voyagent tout au long. Ce n’est pas un album à écouter dans le désordre ou partiellement. Du début à la fin, il raconte quelque chose. Même les silences y sont importants.