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Jamie T

Interview publiée par Fab le 7 septembre 2009

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C'est avec une certaine confiance en lui-même et son franc-parler habituel que Jamie T nous a reçu à l'occasion de la sortie de son second album, Kings & Queens. Un entretien sans taboo durant lequel tous les aspects de sa carrière ont été abordés...

Avec la sortie de ton second album ce mois-ci, les prochaines semaines s'annoncent cruciales pour toi. Comment le vis-tu ?

J'ai la chance d'être déjà passé par ce genre de choses et je suis beaucoup plus relaxé que la première fois. Je sais plus ou moins à quoi m'attendre et l'excitation prend le dessus... J'essaye tant bien que mal de garder la tête froide et de rester concentré sur ce qu'il faut, même si tout n'est pas simple. Si tout se déroule bien, je vais aussi devoir me forcer à ne pas trop faire la fête (rires) !

Depuis 2007, la sortie de ton premier album et une nomination pour le Mercury Music Prize, dirais-tu que le regard des gens sur toi a changé ?

Bien sûr que des choses ont changé, mais cela ne m'affecte pas... je m'étonne même que l'on me pose cette question si souvent. C'est la perception que le public et la presse ont de moi qui a le plus évolué. Pour être franc, je me fous de ces choses et de ces considérations, je ne savais même pas en quoi consistait le Mercury Music Prize avant que Panic Prevention ne soit nominé. Ce fut au final une belle surprise, mais je n'ai pas changé pour autant, je m'occupe de la musique et je laisse le reste à ma maison de disques.

Tu as donné de multiples concerts au Royaume-Uni durant plus d'un an après la sortie de ton premier album, ce que tu n'avais jamais connu jusque là...

J'ai acquis une expérience que je n'avais pas avant, mais d'un autre côté j'ai le sentiment de m'être un peu institutionnalisé à force d'être en déplacement constamment. Je n'ai pas très bien vécu la période qui a suivi l'arrêt des tournées, il a fallu que je parvienne à mettre de l'ordre dans mes idées et à être à nouveau au calme chez moi. Au bout de quelques mois j'ai recommencé à écrire des chansons mais tout cela me fait penser que je ne suis jamais aussi bien que sur la route avec toutes mes affaires dans un sac.

Tu es donc impatient à l'idée de voyager à nouveau ?

Certains aspects de cette vie m'ont vraiment manqué mais d'autres moins. D'une certaine manière tu es obligé de rompre les ponts avec ta vie durant des mois, mais en compensation tu as la chance de visiter des multitudes de lieux tous aussi impressionnants les uns que les autres. J'adore cet aspect de ma vie, d'autant plus lorsque certains de mes amis sont à mes côtés.

Ton précédent album ne t'avait que rarement donné la possibilité de donner des concerts en Europe. Comment envisages-tu les choses cette fois-ci ?

Je ne suis pas le décideur mais j'ai entendu dire qu'il était possible que je vienne donner quelques concerts à la fin du mois d'octobre...

Comment expliques-tu ton succès au Royaume-Uni et ton anonymat relatif dans les autres pays ?

Je pense qu'il existe des dizaines de raisons... Le premier paramètre est le temps qu'il faut trouver pour organiser des tournées et de la promotion dans plusieurs pays. Ensuite, il faut un certain apport financier pour pouvoir voyager avec un groupe au complet et des techniciens. En y réfléchissant je trouve cela assez paradoxal car je ne coûte que peu d'argent à ma maison de disques lorsque j'enregistre des chansons car je le fais chez moi.

La ville de Wimbledon semble toujours aussi importante à tes yeux...

La plupart des chansons y ont été enregistrées, mais j'ai aussi aussi visité quelques petits studios aux alentours pour découvrir de nouvelles perspectives. Je n'ai pas besoin de beaucoup d'espace, ma chambre ou un studio de 10m² au fond d'un jardin miteux me suffisent. Peut-être qu'un jour j'aurais envie de m'installer dans un grand studio luxueux, qui sait...

L'aspect punk de ta musique ressort beaucoup plus sur scène que sur tes deux albums, comment l'expliques-tu ?

Mes musiciens et moi venons tous de l'univers du punk ou de ses équivalents, et lorsque nous avons commencé à jouer ensemble les chansons de mon premier album, en essayant de rester fidèle au disque, cela nous semblait vraiment peu intéressant. J'aime ce que sont mes deux albums, mais dans des conditions live il est impératif d'investir plus d'énergie. Il faut vivre cela comme une expérience, pas uniquement retranscrire chaque chanson à la note près. Qu'y a-t-il de mieux que de parvenir à faire plaisir au public et de le faire sauter dans toute la salle ? Maintenant encore, c'est toujours ce principe que je veux appliquer en apportant un regain d'énergie à toutes mes chansons.

Ta passion pour le punk hardcore américain prédomine donc d'une certaine manière ?

J'adore des groupes comme Bad Brains ou DFL mais aussi un peu tout ce que le label Minus Records a pu sortir jusqu'à maintenant. Ce qui me plaît chez ces artistes, c'est leur énergie, leur mentalité, mais aussi la manière dont cette scène a toujours évolué. Les jeunes qui écoutent ces groupes là-bas veulent juste s'amuser et trouver un support pendant qu'ils grandissent... c'est un peu leur truc ! Je me sens proche de cet état d'esprit car durant ma jeunesse j'avais l'impression d'être laissé pour compte. J'étais jeune donc mon avis ne comptait pas et personne ne semblait se soucier de ce que je pensais. Lorsqu'un jeune écoute ces groupes, leurs parents s'inquiètent et se demandent ce qui leur passe par la tête, ça les inquiète d'entendre autant de bruit sans qu'ils y comprennent quoique ce soit. J'aime ça.

C'est un état d'esprit que tu ne parviens pas à trouver auprès des groupes britanniques ou européens ?

Un tel mouvement n'existe pas par ici, et la musique est tellement en mouvement perpétuel désormais que je n'imagine pas un courant identique se créer. Tout est trop éphémère, les scènes se créent et disparaissent immédiatement avec Internet. Je pense que j'ai toujours aimé les groupes de punk américains comme Rancid car je sais qu'ils sont capables de vivre sur la durée... aux Etats-Unis, les scènes ont le temps de vivre. Le système est beaucoup plus pervers en Europe, l'industrie musicale broie des dizaines de groupes par jour en voulant se les approprier. Le résultat est le même avec les nouvelles scènes.

Tu as récemment sorti deux nouveaux EPs alors que la plupart des groupes se contentent maintenant d'une sortie simple sur iTunes. Pourquoi ce choix ?

La raison principale, c'est que je suis fondamentalement contre toutes ces conneries de téléchargements... Tous les gens utilisent Internet comme l'outil ultime mais ne pensent même plus à la musique en elle-même. Twitter est une immense blague pour moi, tu m'imaginerais poster un message du type « Je suis chez moi en train de chier ! » ? Sérieusement, quel est l'intérêt de savoir à la minute près ce que fait une artiste ? Si on s'intéresse à un groupe, ce n'est plus pour sa musique ? Voilà pourquoi j'ai souhaité sortir des EPs, pour montrer qu'il faut s'intéresser avant tout à la musique. Les personnes qui les ont achetés ont pu écouter huit nouvelles chansons au lieu de deux. Mais même avec cette démarche, ma maison de disques me parlait quand même de Twitter. Je ne voyais toujours pas l'intérêt et je ne l'utiliserais jamais. Je comprends l'intérêt promotionnel de la chose, mais ça ne me correspond pas, je n'ai pas envie de devenir un mouton.

L'intérêt de Myspace est plus évident...

Bien sûr ! C'est aussi un site communautaire mais n'importe quelle personne peut venir y déposer ses chansons pour que le public les écoute. Je ne suis pas contre la modernisation des moyens de promotion mais je ne veux pas que cela se fasse au détriment de ma musique et de mon image. Les labels pensent souvent avoir raison alors que ce n'est pas toujours le cas. J'ai d'ailleurs une anecdote à propos des EPs...

Oui ?

Lorsque ma maison de disques a voulu en savoir plus sur l'avancée de l'album, je voulais pouvoir travailler tranquillement j'ai parlé de l'idée des EPs tout en envoyant une cinquantaine de chansons qui ne dépassaient pas la minute ou les trente secondes... tout le monde a eu peur et a voulu que je me consacre à l'album. Et au final, quand j'ai envoyé les chansons terminées, tout le monde semblait surpris du résultat ! Non seulement les chansons pour l'album leur convenaient, mais en plus l'idée des EPs leur paraissait subitement fantastique ! Qui est l'imbécile au final ?

Ta maison de disque semble plutôt compréhensive par rapport à ta manière de travailler...

L'idée des EPs me semblait normale à partir du moment où certaines chansons n'avaient pas été retenues pour l'album. Ce n'était pas nécessairement lié à leur qualité mais plus à l'effet final que je recherchais. Une fois l'idée acceptée par la maison de disques, j'ai vraiment pu faire ce dont j'avais envie, j'étais totalement libre. J'aimerais continuer de la même manière pour les prochaines sorties, il me reste encore quelques chansons non utilisées en stock et je peux toujours trouver du temps pour en écrire des nouvelles.

Ta musique a toujours été très variée car tu n'aimes pas être cantonné dans un style particulier. Penses-tu que c'est une de tes forces ?

Je sais que certaines personnes sont énervées par mon besoin d'explorer toutes les directions possibles, elles me croient prétentieux et pensent que je ne respecte pas la musique. C'est sans doute vrai d'une certaine manière, mais c'est principalement car je veux être complètement libre artistiquement. Si j'ai envie d'écrire une chanson country après avoir écouté un disque de Dolly Parton, je le ferais et personne ne pourra m'en empêcher parce que c'est simplement ce dont j'aurais envie. A écouter certains avis, je perds toute crédibilité en me refusant à choisir une voie toute tracée... mais je ne peux qu'être en désaccord avec ce genre de pensée. L'essence même de la musique est de pouvoir tout tenter avec des instruments, et je me fous que certains décideurs préfère les moutons aux aventuriers.

La liberté artistique est un sujet qui te tient à cœur...

Lorsque tu débutes dans le métier tu es contraint de suivre certains codes. Les maisons de disques, la mienne y compris, ont besoin de conserver le plus grand contrôle possible sur leurs artistes, ce qui me semble logique de leur point de vue. Il faut juste savoir imposer ses propres idées, ne pas avoir peur d'aller parfois au clash dans les discussions pour faire passer son message. Mon label a au final accepté de me le laisser travailler comme je l'entendais et je le remercie pour ça, le résultat est la preuve que cette décision était la bonne. Si je ne suis pas heureux, personne ne sera gagnant au final. Lorsque j'entends certaines histoires racontées par d'autres artistes, je pense que je n'ai pas à me plaindre de ma situation.

La principale différence entre tes deux albums est que tu sembles prendre de plus en plus de plaisir à chanter plutôt que parler. En es-tu conscient ?

Je ne l'ai réalisé que très récemment après avoir donné plusieurs interviews. Sur mon nouvel album je me suis beaucoup inspiré du travail d'Eddie Cochran, et lorsque j'utilisais des effets de reverbs sur ma voix il était nécessaire que je chante plus que je ne parle. Je me suis aussi lassé d'écrire des textes basés sur le rimes, j'ai voulu apporter plus de variété et être plus un songwriter.

Deux des chansons de ce nouvel album s'intitulent Chaka Demus et Earth, Wind And Fire. Doit-on y voir une forme d'hommage à ces deux artistes ?

Earth, Wind And Fire est juste un extrait des paroles de la chanson en question. mais pour Chaka Demus, oui (rires) ! La chanson est basée sur une boucle que j'avais enregistrée il y a longtemps et dont la ressemblance avec Chaka Demus et le reggae des années 90s me semblait évidente, alors j'avais gardé ce nom sur la bande de l'enregistrement. Quand la chanson a été terminée, j'ai voulu conserver ce clin d'œil. Je sais que le reggae de cette période est souvent pointé du doigt, les artistes de l'époque n'étaient pas tous très bons mais je conserve une certaine affection pour eux.

Tu as travaillé avec Stephen Street sur Kings & Queens, que recherchais-tu en collaborant avec lui ?

Je suis très ami avec un ancien assistant de Stephen Street qui devait se charger de mixer mon album. Lorsqu'il a entendu les enregistrements réalisés en studio, il a cru avoir avoir à faire à un « bordel sonique » selon ses propres dires. Pour lui, il était impossible de mixer quoique ce soit, et c'est là que Stephen Street est intervenu. Je n'avais pas la moindre idée de qui il était avant de le rencontrer mais le courant est bien passé lors de notre première discussion. Il nous a rejoints dans le studio et a commencé à changer des détails ci et là pour rendre l'album plus cohérent. Sa touche a fait la différence.

L'album aurait été très différent sans son intervention ?

Pas tant que ça... il aurait juste été plus bordélique (rires) ! Toutes les chansons ont été conservées, mais ce coup de pouce de Stephen Street m'a permis de mieux exploiter mes idées au final. Il a été subtile mais efficace.

Toutes les instrumentations du disque ont été enregistrées par ton ami Ben Bones et toi. Te sens-tu plus à l'aise en duo plutôt qu'avec un vrai groupe à tes côtés ?

J'ai toujours préféré faire les choses par moi-même sans dépendre d'autres personnes. Je sais que l'alchimie avec Ben sera toujours présente, alors qu'avec un groupe entier le processus serait complètement différent. Avec une seule personne à mes côtés je me sens plus libre de réfléchir lorsqu'une idée me vient à l'esprit. C'est peu comme lorsqu'il y a trop de cuisinières pour préparer un plat, c'est compliqué. Un jour j'aurais sans doute envie de travailler avec un vrai groupe en studio, notamment pour voir si je parviens à m'imposer en leader face aux autres.

Le fait que ce soit une personne en qui tu aies une confiance inébranlable joue sans doute un rôle dans tout cela ?

Je suis ouvert d'esprit à l'idée de travailler avec d'autres personnes, mais je sais d'emblée qu'avec Ben tout va bien se passer et cela me suffit. Je préfère bien entendu collaborer avec un ami de longue date mais rien n'est écrit pour le futur, peut-être que je voudrais changer totalement ma méthode de travail pour le prochain album. Avec mes deux premiers albums je me suis prouvé que j'étais capable de réussir ainsi.

Pour en revenir à ton album, pourquoi avoir choisi Kings & Queens comme titre ?

C'est une expression que je rattache au respect d'autrui, peu importe ce qu'il a pu faire ou ce que sont ses croyances. Une personne peut être le roi de son monde tout en passant pour un imbécile dans celui d'un autre, mais il faut malgré tout conserver le respect. Je comprends que chacun puisse avoir des envies et des règles différentes, chaque être humain peut s'illustrer à sa manière.