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The Coral

Interview publiée par Anne-Line le 2 septembre 2010

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Perdre un guitariste est une expérience traumatisante pour un groupe. Pas pour les Coral, qui malgré le départ de Bill Ryder-Jones, ont enregistré leur nouvel album, Butterfly House, et prouvé que leur sens inné de la mélodie est toujours aussi aiguisé. Encadrés par le producteur John Leckie, ils sont allés chercher leur inspiration du côté de l'americana seventies. Rencontre avec James Skelly (chant) et Nick Power (claviers) pour évoquer cette expérience, et apprendre comment le groupe en est sorti plus soudé que jamais.

Vous avez mis à peu près trois ans à enregistrer cet album, c'est assez long pour vous, qui à une certaine époque pouviez sortir deux disques par an...

James : Quand on est jeune, on a tendance à bâcler les choses. On veut toujours aller vite, au détriment de la qualité parfois.
Nick : En fait, notre premier album nous a pris cinq ans ! Ça nous a permis de pouvoir choisir nos meilleures chansons sur une période assez longue. Là, nous avons donc pu sélectionner notre meilleur travail sur une période de trois ans.
James : C'est vrai qu'à une certaine époque, nous nous sommes un peu précipités. Nous étions pressés d'arriver là où nous sommes aujourd'hui. Être un groupe établi. Avoir de l'expérience, l'expérience du studio, de la scène... Alors nous n'arrêtions jamais. Maintenant, nous avons retrouvé l'enthousiasme de jouer, il n'y a plus cette précipitation. C'est la première fois que nous sortons un disque et que tout le monde est unanime sur le fait qu'il ne faut rien changer. Auparavant, il y avait toujours des moments où nous pensions « On aurait pu arranger ceci ou cela » ou « On aurait pu faire mieux... ». Pour cet album-ci, je crois que non, nous n'aurions vraiment pas pu faire mieux. Bien sûr, dans l'absolu on peut toujours faire mieux et s'améliorer, mais l'album représente ce que nous pouvons faire en ce moment-même.

L'album est très compact et très homogène, quelles sont pour vous les morceaux qui se détachent ?

James : Nos morceaux préférés ? J'adore More Than A Lover. Dans l'absolu, je les aime tous, mais surtout More Than A Lover et Walking In The Winter aussi... Et puis Coney Island, Butterfly House et Falling All Around You... Mais s'il ne fallait en choisir qu'un seul, je dirais Walking In The Winter.

Pourquoi celui-ci ?

James : Pour moi, c'est l'alchimie parfaite entre mes deux genres de musique préférés. D'une part, le côté Townes Van Zandt, Kris Kristofferson, narrateur de chansons. Et d'autre part, les Beach Boys, les Beatles. Tous ces éléments combinés, avec une petite touche de Phil Spector.

Il semble aussi que l'accent a été mis sur les voix cette fois-ci, et moins sur les instrumentations...

Nick : Oui, c'est vrai.
James : Les Beach Boys font vraiment partie de mes groupes préférés. Nous voulions vraiment obtenir cet effet de voix « en bloc » comme chez eux. Et puis aussi, créer un album de « groupe » et non d'individualités.

Est-ce dû au départ de Bill [Ryder-Jones] ? Vouliez-vous montrer que vous restiez unis malgré tout ?

James : Quand un membre d'un groupe s'en va, ça laisse beaucoup moins d'options quand on travaille. Mais quelque part, ça nous a fait du bien.
Nick: Parfois, avoir trop d'options, ça pouvait nous bloquer.
James : Bill et Lee [Southall] sont tellement prolifiques à la guitare... Ça pouvait finir par nous détourner de la chanson en elle-même. Par fierté, personne ne veut qu'on efface son bout de chanson et au final le morceau n'est pas aussi bon qu'il aurait pu l'être. Maintenant, nous arrivons beaucoup mieux à nous concentrer sur l'essentiel. Tout le groupe était motivé pour faire cet album. Nous sommes beaucoup plus unis maintenant.

Vous avez toujours eu l'image d'un groupe très soudé, au risque de paraître renfermé sur lui-même... Vous avez conscience de cette image ?

Nick : C'est vrai, nous avons toujours été assez renfermés.
James : Nous avons pourtant tenté au début, de traîner avec les gens...
Nick : Mais ce sont eux qui nous ont rejetés (rires) !
James : Oui, ce n'est pas faute d'avoir essayé ! C'est un choix par défaut (rires) !

Avez-vous pensé à chercher quelqu'un pour remplacer Bill ?

James : Nous y avons pensé un instant...
Nick : Et puis nous avons décidé que nous n'en avions pas besoin. Lee est déjà un guitariste lead fantastique.
James : Les gens pensent que Bill était le guitariste lead, mais Lee l'était tout autant. Ils se partageaient la tâche, même au tout début. Lee a joué en lead sur Don't Think You're The First et Shadows Fall par exemple. Le son « Coral » auquel les gens nous identifient, avec ces petits riffs tortueux, est probablement dû à Lee plus qu'à Bill. Bill était beaucoup plus atmosphérique, ils se complétaient bien.

Pourtant vous n'utilisez plus du tout ce style de guitare...

Nick : . Ça ne sert à rien de se répéter. Nous aurions pu enregistrer cinq fois le même album, mais à quoi bon ?
James : Ce type de sonorités a été tellement copié ! Par les Last Shadow Puppets par exemple...

Lorsque Bill n'a pas pu partir en tournée avec vous en 2005, vous aviez recruté un remplaçant. Comment allez-vous faire cette fois-ci ?

James : La dernière fois, nous n'avions pas eu le temps de nous retourner.
Nick : Il est parti en plein milieu de l'enregistrement de l'album.
James : Cette fois-ci, nous avons structuré les chansons différemment. Même avec une personne en moins, nous pouvons interpréter tous les morceaux de A à Z. John Leckie nous a fait jouer l'album en live dans le studio en entier ! Et quand nous donnons des concerts, notre son est beaucoup plus direct maintenant sans Bill.

Comment s'est passé la collaboration avec John Leckie ?

James : Ç'a été ma meilleure expérience en studio depuis le premier album des Coral. Il arrive à rendre l'enregistrement excitant, ce qui est le principal quand on est dans un groupe. Il a réussi à prendre une photographie très fidèle du groupe que nous sommes. Il nous a laissés beaucoup de liberté, il ne nous a jamais étouffés.

Que vous a-t-il appris ?

James : Il a su apporter des réponses à des questions que je me suis toujours posées, et auxquelles je ne trouvais pas de réponses auparavant. Il y a certaines choses que nous faisions par habitude, juste parce que tout le monde faisait comme ça, et qui ne me satisfaisaient pas. Lui, il enregistre depuis les années soixante-dix, il a connu beaucoup de manières différentes de travailler, il apporte beaucoup d'idées. C'est en ça qu'il a la même mentalité que nous. Il est toujours à la recherche de réponses. Nous avons beaucoup travaillé sur la pré-production, avant même d'arriver au studio. C'est très important.
Nick : Il nous a beaucoup apporté par rapport à la discipline. C'est quelque chose en quoi nous croyons beaucoup.

[Leur tour manager, Steve, se trouve dans la pièce, et entendant la dernière phrase de Nick, se met à rire]

Steve : Mais c'est vrai ! Il nous disait « Aujourd'hui nous allons travailler sur cette chanson ! » et personne ne sortait avant d'avoir fini ce qui était prévu. Avec lui, ça ne rigolait pas. Il fallait être à l'heure au studio, et finir à l'heure prévue.
James : Mais en même temps, il ne nous forçait en rien, et il ne nous interdisait rien non plus.
Nick : Si l'un de nous avait une idée, il ne la rejetait pas. Il pouvait arriver parfois que celle-ci soit un peu folle, que nous ne sachions pas comment réaliser, et c'est à ce moment-là que le producteur nous sortait de l'impasse en trouvant une solution. Il ne nous a jamais dit « Non » ou bien « Ça, c'est impossible ». Il nous a toujours laissés tenter le coup. Il a un vrai respect pour le processus créatif.
James: Mais en même temps, il n'avait pas peur d'enlever ce qui lui paraissait superflu ! Ce respect de la création fait qu'il est très honnête. C'est une question de confiance. Il faut pouvoir faire confiance à son producteur, et pouvoir être sûr qu'il te donne le meilleur avis sur ton travail. Même si parfois tu te demandes ce qu'il fabrique, c'est pour ton bien. Le contraire est aussi valable, il faut que lui ait confiance en toi. Lorsqu'un problème se présente, si tu ne sais pas le gérer, alors ton groupe n'est pas assez bon. Ça nous convenait très bien comme manière de fonctionner. Ça nous a encouragé à donner le meilleur de nous-mêmes, mais sans que cela devienne un disque de producteur. C'était nous, en mieux.

Il y a sûrement des albums qu'il a produit que vous aimez, quels sont-ils ?

James : Meddle de Pink Floyd, le Plastic Ono Band, les Stone Roses, My Morning Jacket, Bad Finger...
Nick: Dukes Of Stratosphere... Les choses les plus significatives pour nous en tant que groupe sont sans doute les choses qu'il a faites quand il travaillait à Abbey Road.
James : L'album Z de My Morning Jacket est celui qui nous a convaincus qu'il était la bonne personne. Parce qu'avant ça, nous avions l'impression qu'il était un peu trop resté enfermé dans les 90s. En le rencontrant, nous nous sommes rendus compte qu'il avait les mêmes goûts que nous. Il aime le blues, le psyché, Jimi Hendrix... Il a réussi à nous faire exprimer le côté de nous-mêmes que nous préfèrons.

Vous avez oublié de mentionner Green Man de Mark Owen...

Nick : Oh oui ! Mais nous sommes trop modestes pour nous mesurer à Mark Owen (rires) !
James : On ne peut pas imaginer écrire un jour un album aussi bon que Green Man, ce n'est pas possible (rires) !

Vous avez souvent joué en France auparavant, mais la plupart du temps en première partie d'un autre groupe ou bien dans des festivals... et en novembre, vous allez encore faire la tournée des Inrockuptibles. C'est presque comme si vous évitiez de jouer devant votre propre public...

James : Justement, nous sommes habitués maintenant à jouer devant un parterre de visages dubitatifs (rires) ! Nous n'avons plus peur de rien maintenant, nous pouvons jouer devant n'importe qui.

Vous avez toujours eu une approche assez particulière de la promotion. D'un côté vous semblez avoir une foi inébranlable en vos capacités, et de l'autre vous ne jouez absolument pas le jeu des médias. C'est assez peu commun !

James : Tu n'es pas obligé de jouer le jeu des médias si ce que tu proposes est suffisament bon. De nos jours, il est important de ne donner que le meilleur de soi. Quand tu regardes autour de toi, tu peux te dire « Oui, c'est moi qui suis le meilleur dans ce que je fais ». Si l'on ne croit pas à ce que l'on fait, quel est l'intérêt ? Dans ce cas-là, la musique n'est qu'un hobby comme un autre. Il faut avoir la foi en ce que l'on fait. Même si personne d'autre ne l'a (rires) !

[Sur ce, leur tour manager, qui a travaillé pour les Stone Roses, nous montre un SMS qu'il vient de recevoir de la part de Mani (Primal Scream, The Stone Roses) : « Je viens d'entendre 1000 Years, fucking mega, on se croirait en 1967, Summer Of Love ! C'est le truc le plus dingue depuis le premier album des Stone Roses ! Ca donne envie de prendre de l'acide ! »]