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Baxter Dury

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 16 août 2011

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Quel chanteur peut raconter avoir eu son déclic artistique lors des funérailles de son père en compagnie de Madness, de The Blockheads et devant un public composé d’un ministre Anglais, de Lene Lovich ou encore, et c’est plus surprenant, de Robbie Williams ? Baxter Dury, fils de feu Ian Dury mort en 2000, artiste multi-cartes souffrant de poliomyélite, de schizophrénie et de génie, largement sous-estimé.

Élevé entre deux parents – et quelques amantes - artiste peintre, acteur, poète et chanteur, sa nounou, quand ceux-ci étaient absents, se nommait The Sulfate Strangler et n’était rien de moins qu’un ancien roadie des Led Zeppelin ! Après s’être cherché durant des années au travers de dizaines de petits boulots essentiellement artistiques, Baxter s’est rendu à l’évidence suite à la disparition de son père ; il ne pouvait qu’être lui-même – ce qu’il avait renoncé à être du temps de Ian Dury, ne supportant pas l’idée de pouvoir le décevoir sur son propre terrain - et marcher dans les traces de son paternel, sans jamais plagier, copier ou piller ce dernier.

Car la première qualité de Baxter Dury se trouve sans aucun doute dans l’originalité du son qui émane de ses trois albums, pourtant tous de sonorités différentes. Seule sa voix, caverneuse et posée avec un flow très moderne, rappelle les frasques vocales, un peu plus sauvages, de son punk de géniteur. C’est dans le jardin de sa nouvelle maison de disques, EMI, que je rencontre Baxter et Madelaine Hart, sa compagne de scène et de studio pour ce Happy Soup qui, en Angleterre comme en France, reçoit satisfecit sur satisfecit et n’a pas fini de faire des heureux.

Baxter, étant donné ton passé sulfureux, tes dernières interviews en France parlant d’un certain Cocaïne Man, voici une paire de menottes que je me risque à te passer pour cette interview façon descente de Police ! Baxter, tu es né dans le Wingrave, Buckinghamshire, Angleterre le 18 décembre 1971, l’année de la mort de Gene Vincent. Quelles images associes-tu à cette époque ?

Baxter : On ne peut pas dire que je m’en souvienne très bien... les images de mon enfance sont les tableaux de ma maison ; mes deux parents étaient artistes.

 

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À l’age de quatorze ans, tu quittes l’école...

Baxter : Non, c’est l’école qui m’a quitté !

Et tu as comme baby-sitter un musicien de ton père et ex-roadie de Led Zeppelin, The Sulfate Stranglers ! Des problèmes avec l’éducation en particulier et la société en général ?

Baxter : Sûrement, mais ce n’était pas exceptionnel dans mon cas de figure, très inhabituel ! Mais, oui, je dois dire que l’école et la vie ordinaire de mes copains de quartier ne m’allaient pas très bien.

Comment se déroulaient tes journées à cette époque ?

Baxter : Mon père avait un esprit très libertaire et, à cette époque, il jouaitde nombreuses pièces avec sa troupe de théâtre. Quand je ne suis plus allé à l’école, il m’a pris avec lui pour une tournée de six mois en Europe. J’aidais la troupe comme je le pouvais et celle-ci est devenu assez connue. D’ailleurs, nombreux sont les acteurs de cette troupe qui sont devenus des acteurs Anglais populaires.

Comme qui ?

Baxter : Jane Horrocks. Elle jouait dans Absolutely Fabulous, la sitcom. Elle a également joué une pièce de Jim Cartwright, Road, qui a eu un énorme succès en 1986...

Ton premier boulot était dans un magasin de montres auquel tu as mis involontairement le feu puis que tu as inondé...

Baxter : Ce n’était pas volontaire, j’insiste ! J’avais eu ce boulot dans ce magasin d’Oxford Street à Londres, j’ai allumé un joint dans la remise du magasin – il venait juste d’être construit avec tout un complexe de commerces aux alentours – avec mon manager. On faisait ça généralement avant et après l’ouverture. J’ai écrasé le joint par terre, mais il y avait du White Spirit qui s’était répandu sur le sol le jour d’avant. Et là, des flammes énormes sont venues déclencher les sprinklers (ndlr : buses anti-incendie) du plafond. Mais comme il y avait un défaut dans ces sprinklers et qu’ils étaient tous reliés entre eux partout dans le complexe, l’eau s’est mise à gicler des plafonds et à inonder les dizaines de magasins de la rue ! Et cela a duré toute la journée. C’était ma première expérience au boulot, je l’avoue !

 

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Tu as eu des problèmes avec la police pour ça ?

Baxter : Pas trop. J’ai aidé à tout nettoyer jusque tard dans la nuit, mais j’avais ruiné beaucoup de montres, c’est certain ! Du coup, ils m’ont muté dans un autre magasin, quelques rues plus loin. Mais je crois que mon contrat n’a pas duré plus d’une semaine de toute façon.

Après cela et avant de devenir musicien, que faisais-tu dans la vie ?

Baxter : Des millions de trucs sans issue. J’ai été assistant réalisateur pendant un moment, mais je n’étais pas très bon. J’ai fait ça et des tas d’autres trucs...

À l’age de vingt ans, tu t’intéresses à l’art ; musique, cinéma, peinture... Puis tu commences à écrire des chansons. Singulièrement, si je puis dire, ta première interprétation en public fut pour les funérailles de ton père. Chienne de vie ou étourdissant destin ?

Baxter : Tu sais quoi ? C’était inimaginable comme expérience ! Je n’ai jamais été si angoissé de toute ma vie. L’endroit s’appelait le Forum, une ville de campagne, et j’ai chanté une de ses chansons nommée My Old Man – un titre qu’il avait écrit pour son père - devant mille personnes, avec le groupe Madness et le groupe de mon père, The Blockheads. J’ai dû m’y reprendre à plusieurs fois et stopper tout les autres, encore et encore. Mais c’était de l’ordre du cathartique ! Ça peut paraît étrange d’apprécier ça, mais c’était un grand moment.

 

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Il me semble que ton père était proche du groupe Madness...

Baxter : Quand mon père avait déjà quelques albums au compteur, les Madness sont venus le rencontrer. C’était encore une bande de jeunes, déjà totalement obsédés par la musique. Ils étaient connectés par leurs passions et ils se sont entraidés pendant toutes ces années. Madness étaient souvent dans les environs quand j’étais jeune. C’est eux qui ont porté le cercueil de mon père vers sa dernière demeure...

À l’age de trente ans, tu sors ton premier album, Len Parrot’s Memorial Lift. Finalement, tu te retrouves dans les traces de ton père ; comment est-ce arrivé ?

Baxter : Je ne sais pas trop... Inconsciemment, je pense que j’attendais mon heure, qu’une voix s’arrête pour que l’autre prenne le relai. Pas dans le but de prendre sa place bien sûr. Je ne me sentais pas capable de faire cela de son vivant. Avoir un tel père a ses bons et ses mauvais cotés. C’était un aspirateur d’égos tout autour de lui ! Il était un genre de dictateur dans son domaine et on se retrouvait constamment à travailler ou faire quelque chose pour que lui avance dans sa carrière ; ce te qui consume beaucoup de temps. Quand j’ai appris qu’il était malade, je crois que c’est là que j’ai commencé à me dire que la musique était ce que je voulais faire. Je lui devais bien ça parce que tout le reste, je l’ai gâché, incontestablement !

En 2005, ton second album, Floor Show, a reçu un bon accueil du public. Quelques journalistes, cependant, ont écrit que tu étais trop proche de Lou Reed ou du Velvet Underground sur certains titres. Plus que ton père, n’es tu pas fatigué d’être comparé à Lou Reed ?

Baxter : Effectivement, j’ai volé toutes ses chansons (rires) ! Pour le deuxième album, je ne savais pas trop où j’allais. J’ai donc volé tous mes titres à d’autres artistes (rires).

Ce sont des aveux ?

Baxter : Absolument !

En France, la radio Nova a joué ton titre, Cocaine Man (Floor Show) pendant des mois. Quel titre pour t’introduire dans un pays ! Était-ce une réponse au Sex And Drugs And Rock & Roll de ton père ou un texte autobiographique ?

Baxter : C’est une combinaison de choses. Ça peut refléter un peu de ma propre vie mais c’est surtout une critique ouverte d’un certain mode de vie. Pendant trois minutes, on entend un personnage défoncé dire n’importe quoi et tout cela lui apprend que cette situation ne peut plus durer. C’est très post-modern (rires) ! Mais en aucun cas je n’ai voulu violer l’intellect de mon père. Celui de Lou Reed, pas de problème, mais pas celui de mon père, cela aurait été vraiment trop cheap (rires) !

 

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Happy Soup, ton dernier disque est sur le point de sortir en France. Dis-nous en plus...

Baxter : C’est un disque dans lequel j’ai mis beaucoup de moi-même et d’honnêteté. Il m’a pris très longtemps. Tous les titres reflètent du vécu, une part de mon histoire depuis plus de vingt ans au travers de détails très précis. J’en ai dessiné l’architecture. Conceptuellement, c’est assez fort pour moi.
Madelaine : Cet album a également un son tout à fait unique...
Baxter : C’est vrai. On a travaillé ensemble avec Madelaine et elle m’a beaucoup apporté. Sa voix, qui prend une direction très différente de la mienne, a conduit l’album dans des contrées musicales encore inexplorées. Elle a développé ses idées de son côté, sans me consulter et, musicalement, elle m’a impressionné. On a travaillé comme si nous étions toujours sur un label indépendant, avec beaucoup de liberté créative. Pouvoir faire l’album que tu veux, comme tu le veux, tout en étant signé dans une grosse major comme EMI, c’est un opportunité vraiment motivante.

Tu as dit que Happy Soup sonnait à des années-lumière de tes précédents albums, plus sombres. Certains titres où l’apport de Madelaine est très présent, comme The Sun, pourraient être la bande sonore d’un été méditerranéen passé sous le signe de la farniente... Qui es-tu Madelaine ? Comment as-tu rencontré Baxter ?

Madelaine : Quelqu’un m’a vu chanter sur scène et a demandé à son petit ami de venir à mon concert, le lendemain. Et il se trouve que ce petit ami était un vieil ami de Baxter qui travaille pour EMI. Il est venu à ma rencontre et m’a conseillé de le rencontrer pour me faire avancer dans ma carrière... mais finalement c’est moi qui l’ai aidé avec la sienne !
Baxter : Oui, tout tourne autour de moi (rires) !
Madelaine : On s’est assis dans le sous-sol aménagé de Baxter et, en partageant nos expériences, nos musiques et nos envies, on s’est vite rendus compte que tout cela collait bien et qu’on devait peut-être faire tout ça ensemble.
Baxter : Pour moi, Madelaine a une manière unique de chanter. Elle ne correspond à aucun cliché, spécialement dans l’indie rock anglais. C’est ce que j’ai apprécié le plus. Elle a ce ton de voix à la fois très charbonneux, dans un sens positif et très excentrique. C’était sans précédent dans ma mémoire. Elle peut aller dans des colorations de voix et de mélodies exceptionnelles qui en font une musicienne à part entière dans le processus d’enregistrement. C’est une aptitude quasi scientifique !
Madelaine : Je n’avais jamais participé à un projet comme celui-là avant. Pour moi, c’était donc une expérimentation pour laquelle Baxter a su me mettre en confiance.
Baxter : Nous avons travaillé avec beaucoup d’honnêteté et de naïveté, au sens candide du terme.

 

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Madelaine, tu es née en Australie. Est ce que tu chantais déjà dans ton pays natal ?

Madelaine : Non. J’ai déménagé de Melbourne à l’âge de dix-neuf ans et je quittais tout juste le lycée. J’ai commencé à m’intéresser à la musique quand je suis arrivée en Europe mais je n’avais pas encore vraiment d’idée sur la direction que cela pourrait prendre. Je crois que c’est en rencontrant Baxter que j’ai su vers où je voulais aller musicalement.

Baxter, je crois savoir que tu as passé pas mal de temps en France à la suite de ton premier album ?

Baxter : Non. C’était des années avant cela. Quand je travaillais encore dans le cinéma. Je sortais avec cette Française, rencontrée à New York, et je suis rentré en France pour vivre avec elle. Je crois qu’elle est installée à Los Angeles maintenant. Si elle lit ton interview, elle se reconnaîtra. Elle a été championne pour briser mon cœur ; en fait, elle l’a littéralement mis en pièce (rires) !

En 2010, Mat Whitecross a réalisé un film en l’honneur de ton père et de son parcours d’artiste (ndlr : Sex And Drugs And Rock & Roll). As-tu pris part à l’écriture ? Quel est ton sentiment sur ce film ?

Baxter : J’aime beaucoup ce film. J’en suis ressorti épuisé car nous avons pas mal participé au projet qui était porté par de très bonnes personnes. À force de visualiser le film en court puis, finalisé, tu en ressors usé, fatigué de voir ta vie rendue publique. C’est sûrement la partie du projet qui m’a le plus déplu. Je sais que les intentions étaient bonnes de la part du réalisateur et du scénariste mais c’est quand même une expérience très déroutante, comme un rêve sur ton enfance qui passe sur un écran, encore et encore. Ayant aidé à l’écriture, le film retranscrit avec éclat des faits que j’ai réellement vécus. Ma mère est décédée six ans avant mon père et de les revoir tous les deux sur un écran, même sous les traits d’acteurs, c’était assez délicat pour moi. Encore une expérience intéressante que je ne regrette pas, mais je ne voudrais pas repasser par là ! Je tournerais peut-être la suite, sur mon histoire, moi-même. Et en 3D (rires) !

 

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Tu as participé au casting pour ton propre rôle enfant ?

Baxter : Non. Je ne pouvais pas. Cela aurait été un conflit d’intérêt... mais il fallait que je me rencontre ! Cet enfant de douze ans, ce jeune acteur qui joue mon rôle et qui a déjà fait quelques films, je me devais d’être proche de lui. Je n’arrêtais pas de lui dire des trucs faux à mon sujet, ce qui l’énervait passablement (rires). C’est inquiétant comme expérience, ils reconstruisent entièrement la maison de ton enfance sur un plateau. Tu te ballades à l’intérieur de ce décor et tu te dis – merde. C’est ma maison ! La première projection du film fini m’a vraiment fait flipper. La projection était à onze heure du matin et j’ai vu, pour la première fois et sous les traits d’un acteur, mon grand père que je n’ai jamais connu. Il était exactement comme je l’avais imaginé et j’en ai pleuré !

Dans ce film, on aperçoit une peinture de ton père qui est également la pochette de ton album, Floor Show. Quelle est l’histoire de ce tableau ?

Baxter : Toute ma famille peignait. Mes parents, mes grands parents, ils étaient tous sortis du Royal College of Art. Mon père avait suivi les cours de Peter Blake, un grand nom du Pop Art (ndlr : Sir Peter Thomas Blake co-réalisera la pochette du Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles). Il avait choisi pour surnom, Dunkan Poundcake et était doué pour la peinture mais bien moins que ma mère. Lui était spécialisé dans le Pop Art pornographique ! Quelques uns de ces dessins sont même très hard. Il m’arrive d’ouvrir ses carnets et, même aujourd’hui quand je tombe sur ma mère posant dans des positions très suggestives, je referme aussitôt !

Pour conclure, Baxter, Sex Drugs And Rock & Roll, c’est vraiment tout ce que le cerveau et le corps réclament ?

Baxter : Je ne sais pas…parfois, sans doute. Ça peut faire du bien (rires) !

Baxter, l’interrogatoire s’arrête ici ; tu es déclaré non coupable et nous classons ton dossier, pour le moment.

Baxter : Est-ce que je peux garder les menottes par contre (rires) ?