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Blood Orange

Interview publiée par Anne-Line le 17 août 2011

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Devonte Hynes ne tient pas en place. Toujours avec plusieurs projets sur le feu, il sort en ce début de mois d'août l'album Coastal Grooves sous le nom de Blood Orange, projet déjà entamé à l'époque où il officiait en tant que Lightspeed Champion.

Pourtant, ces morceaux n'ont que très peu en commun avec les précédents album du songwriter anglais exilé aux États-Unis. Il nous offre cette fois-ci une pop acidulée et un peu foutraque, aux accents cheap eighties disco, que l'on n'est jamais sûr de devoir prendre au premier, au second, voire au millième degré. Génie pour les uns, bidouilleur pour les autres, Devonte Hynes échappe à toute classification, et est venu rencontrer Sound Of Violence pour présenter son projet OVNI, aussi singulier que la place qu'il occupe dans le paysage de la scène indé anglaise.

Lors de notre rencontre pour la sortie du précédent album de Lightspeed Champion, le projet Blood Orange était déjà entamé. Quand a-t-il vraiment débuté ?

Oh, ça fait longtemps. J'étais très occupé à l'époque, mais malgré tout j'ai commencé à enregistrer de petites mixtapes par-ci, par-là. Sans aucune intention de sortir quoi que ce soit. J'avais des paroles, mais rien de sérieux. Et puis j'ai continué à travailler pour d'autres gens. Au bout d'un moment, j'avais amassé assez de chansons pour faire un album. Alors les gens me demandaient pourquoi je ne les sortais pas. Finalement, début 2010, à Los Angeles où je me trouvais pour travailler sur l'album de quelqu'un d'autre, j'ai commencé à enregistrer des parties instrumentales pour agrémenter ces chansons, des chœurs... Tout était très spontané. J'ai terminé ça l'été dernier, en juin 2010 à peu près. Il était prévu de sortir l'album à la rentrée 2010, mais je ne me sentais pas prêt.

Pourquoi le sortir maintenant ?

Tu sais, je ne me vois pas vraiment comme un artiste. Je n'avais même pas imaginé qu'un jour il sortirait ! J'ai attendu le moment où je ne serais pas occupé à produire l'album de quelqu'un d'autre. C'est assez particulier d'en parler maintenant, puisque ça date de l'année dernière, mais autant le sortir avant que je ne sois lassé de ces chansons. C'est très intéressant, c'est comme la fin d'un voyage, ça fait deux ans que je joue ces chansons en live, et j'ai hâte de voir la réaction des gens quand ils entendront l'album. A priori, les premiers échos sont assez positifs, mais j'ai quand même un peu peur (rires) !

As-tu ressenti une forte demande de la part du public ?

Oui, je suppose que les gens étaient impatients d'écouter de nouvelles choses. Le souci est de savoir si les nouvelles choses sont bonnes ou non... ça m'inquiète beaucoup.

Quelle est la chanson qui a tout déclenché ?

Probablement Sutphin Boulevard et Champagne Coast. Ma chanson préférée sur l’album est sans doute Instantly Blank. J’adore sa mélodie. J’ai même réutilisé des éléments de ce morceau sur d’autres, mais ils sont restés à l’état de démo. C’est celle dont je suis le plus fier sur l’album, avec Champagne Coast. Et Complete Failure aussi ! Je suis très fier du son de guitare que j’ai obtenu sur celle-ci, au risque de passer pour un geek (rires) !

C’est aussi pour ça que je ne voulais pas appeler ça « Lightspeed Champion », parce qu’avec ces morceaux, je joue d’autres personnages. Lightspeed Champion est quelque chose de plus neutre. Paradoxalement, Blood Orange me semble être plus « moi ».

Pourquoi ne pas avoir sorti cet album sous le nom Lightspeed Champion ? Qu'est-ce qui est si différent ?

Déjà, je chante de manière très différente. J'ai été très inspiré par quelqu'un qui s'appelle FR David, et aussi par Cass McCombs... C'est très différent musicalement, même si c'est toujours moi tout seul. J'ai pensé que le message ne passerait pas si j'appellais ça Lightspeed Champion. Il y a trop de connotations sur ce nom. Je ne voulais pas que les gens qui ont entendu mes précédentes chansons soient déçus ou désorientés. Je veux juste qu'ils écoutent la musique sans y penser.

Sortiras-tu un jour de la musique sous le nom Dev Hynes ?

J'y ai pensé figure-toi (rires) ! Quand j'ai terminé l'album l'année dernière, j'ai réfléchi pour savoir si je devais le sortir sous le nom Lightspeed Champion, ou bien mon vrai nom. Qui sait, peut-être que je sortirai mon prochain album sous le nom Dev Hynes ! Enfin, ça c'est ce que je dis aujourd'hui (rires) !

Qui joue sur cet album ? As-tu tout fait tout seul ?

En grande partie, oui. Sur certains morceaux, il y a un bassiste en plus, qui s'appelle Justin Meldal-Johnson. Il était dans Nine Inch Nails (rires) ! Il y a aussi Garrett qui joue de la batterie. C'est tout.

Cette musique eighties, assez kitsch finalement, dont tu t'es inspiré pour cet album, c'est ce que tu écoutais étant petit, ou bien est-ce quelque chose que tu as découvert récemment ?

C'est ce qui arrive quand on creuse de plus en plus profond dans les influences et les anciens catalogues des artistes qu'on admire. C'est arrivé un peu par hasard. Un jour, je suis tombé dessus, et ça ne m'a plus quitté, donc j'ai dû faire avec (rires) ! Selon les humeurs, je pouvais passer de FR David à Chris Isaak, à la musique japonaise, comme je ne travaillais pas dans l’optique d’un album, j’ai mis tout ce qui me passait par la tête.

Pendant l'aventure Lightspeed Champion, tu avais eu des problèmes avec ta voix et avais du te faire opérer et effectuer une rééducation complète. Cette fois-ci, as-tu fait un travail sur ta voix ?

C'est vrai que la dernière fois, j'avais commencé à enregistrer un mois à peine après avoir réappris à parler. Au final, c'était très positif. J'ai dû redécouvrir à quoi ressemble ma vraie voix quand je chante. Avant je n'avais pas la patience de rechercher le ton juste. Dans ces cas-là, ce qu'on fait en général, c'est qu'on demande à une fille de chanter à sa place. J'ai donc osé commencer à chanter avec ma voix de tête parce que je n'avais pas le choix. FR David a un peu une voix de pédophile (rires) !

Cet album n’est-il pas plutôt orienté vers la scène ? Certains morceaux semblent faits pour être « performés » avec des costumes de scène...

Oui, complètement. Avant, avec Lightspeed Champion, je faisais tout en studio, tandis que cette fois, j’ai écrit les morceaux en jouant sur scène, dans les bars, avec mon laptop. Donc c’est le son qu’on entend. Je me suis vraiment fait plaisir. C’est aussi pour ça que je ne voulais pas appeler ça « Lightspeed Champion », parce qu’avec ces morceaux, je joue d’autres personnages. Lightspeed Champion est quelque chose de plus neutre. Paradoxalement, Blood Orange me semble être plus « moi ». Je peux y mettre toutes les images que je veux.

Je me vois plus comme un producteur, un auteur, un musicien, plutôt qu’un artiste.

A quoi ressemble un concert-type de Blood Orange?

C’est juste moi, mon laptop, un controller MIDI, une guitare, un clavier et ma voix. Parfois, je peux être amené à utiliser un projecteur. Je me rends compte qu’il y a beaucoup plus de solos de guitare sur cet album que n’importe lequel de mes autres enregistrements (rires) !

Sur quels projets travailles-tu en ce moment ?

Je suis en train de travailler avec un groupe australien, les Bleeding Knees Club. C’est un groupe assez punk, de grosses guitares, très surf, et des chansons qui parlent de la plage... C’est un peu le stéréotype du groupe australien mais ils sont géniaux (rires) ! Je suis en train de mixer pour eux. Et puis je vais travailler sur le prochain album de Cassie. Quoi d’autre... (il réfléchit). Le projet solo de Chris Taylor de Grizzly Bear. Je suis censé jouer dans son groupe. Et je vais écrire une Bande Originale de film aussi !

Te considères-tu plus comme un artiste ou un producteur ?

Je me vois plus comme un producteur, un auteur, un musicien, plutôt qu’un artiste.

Pourtant on te retrouve souvent sur le devant de la scène.

Oui... Alors que je fais tout ce que je peux pour éviter ça (rires) ! Je ne comprends pas. Pour moi, tout ce qui compte vraiment, c’est faire de la musique. Je suis quand même très chanceux.

As-tu fait des études d’ingénieur-son ou de musique ?

Non, pas du tout. J’ai tout appris sur le tas. Je me considère toujours comme assez mauvais.

Y aura-t-il une tournée pour cet album de Blood Orange ?

C’est en discussion. Il va bientôt y avoir une tournée de Chris Taylor, donc je vais sans doute partir avec lui. Mais je suis un peu obligé de faire une tournée Blood Orange. Je n’aime partir en tournée qu’avec des gens que j’apprécie vraiment, qui sont mes amis proches.

Tu habites toujours aux États-Unis ?

Oui ! Je suis arrivé hier soir puis je vais devoir repartir demain matin pour Londres, et après j'irais aux États-Unis... Je suis un jet-setter (rires) ! J’aime Londres, mais je n’aime pas trop y vivre. Tout est si cher. Ça fait trois ans maintenant que j’habite New York, et il n’y a pas eu un seul moment où je me suis ennuyé. C’est vraiment chez moi. J’ai le mal du pays quand je ne suis pas à New York !