logo SOV

Field Music

Interview publiée par Amandine le 19 février 2012

Bookmark and Share
Nous avons rencontré les frères Peter et David Brewis de Field Music dans un hôtel cossu de Pigalle en marge de la sortie de leur nouvel album, Plumb. Une longue discussion s'est alors instaurée, ces derniers abordant leur vision de l'industrie musicale, la chance qu'ils ont de disposer de beaucoup de liberté et leur peur de sombrer dans la facilité.

Vous venez de Sunderland dans le Nord de l’Angleterre et selon les journalistes, ceci apporte quelque chose de très particulier, musicalement parlant, quelque chose de commun à tous les groupes venant de cette région. Qu’en pensez-vous ?

David : (rires) Je pense en effet que ça apporte un « truc » très particulier, que l’on retrouve chez les habitants du Nord de l’Angleterre. Je crois que ça vient du fait que nous soyons très isolés du reste du pays. Il y a autre chose également, toujours selon moi : nous n’avons pas de traditions musicales très marquées.
Peter : Pas d’industrie musicale spécialisée dans la culture pop je dirais plutôt.
David : Oui, voilà. Depuis une cinquantaine, soixantaine d’années, tous ceux venant de chez nous qui sont devenus célèbres sont vite partis vers de plus grandes villes, se sont éloignés aussi loin que possible du Nord de l’Angleterre : Dave Stewart de Eurythmics ou encore Bryan Ferry de Roxy Music. Toutes ces personnes pensaient qu’il fallait couper le cordon avec leur région d’origine et repartir de zéro. Pour nous, c’est totalement différent. Nous avons su tirer les bénéfices de la génération précédente, celle de nos parents. Pour eux, pour être libre, il fallait bouger, alors que nous, tout en restant à Sunderland, nous avons eu la chance d’accéder à la culture, nous sommes allés à l’université et c’est un grand changement, c’est même déterminant. Pour nous en particulier, le fait d’être originaires de cette région industrielle n’a pas été un frein, bien au contraire. Comme il n’y a pas le poids des traditions, nous avons été libres de faire ce que nous voulions.

Le fait d’être aussi loin de Londres vous libère peut-être de toute cette pression autour de la création musicale ?

David : Complètement ! Il est possible de respirer !
Peter : Evoquons également un autre point positif au fait d’habiter là-bas : c’est beaucoup moins cher qu’ailleurs ! Nous n’avons pas à nous préoccuper de louer un studio chaque fois que nous voulons faire de la musique.
David : Oui, c’est vrai. Nous pouvons vraiment être le genre de groupe que nous souhaitons dans ces conditions. Nous avons le temps de bien faire les choses, c’est-à-dire, par exemple, nous ne sommes pas comme beaucoup de groupes qui doivent enregistrer leur album en une semaine. Nous pouvons prendre le temps qu’il nous faut. Le rapport temps/espace/coût est très intéressant là où nous nous trouvons et c’est l’équation primordiale pour pouvoir faire la musique qu’on désire et qu’on aime.
Peter : Je trouve aussi que l’environnement nous inspire beaucoup. J’ai déménagé et je vis à Newcastle mais c’est juste à côté. Même là, même si c’est une assez grande ville, je trouve que le contexte est propice à l’écriture et à la création. Nous pouvons parler de cette sensation d’isolement face au reste du monde. J’exagère un peu mais tu vois ce que je veux dire. Il y a encore beaucoup de choses à découvrir de cette région. Tu peux voyager tout en restant au même endroit... C’est très étrange en fait, surtout quand on verbalise cet état d’esprit.

Vous êtes frères, vous êtes anglais, vous êtes inscrits dans une tradition pop... on ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec les frères Gallagher vu ainsi !

David : J’espère quand même que nous n’avons pas trop en commun avec eux... (rires). En fait, nous sommes un peu les deux versants de ce que peut être l’inspiration et l’aspiration aussi. Oasis, c’est un peu l’aspect insulaire qui ressort chez eux : la fratrie mise en avant, la famille, le fait de se serrer les coudes. Ils sont la représentation du voisinage avant tout. Personnellement, je pense que les choses qui se passent près de chez nous sont toutes aussi importantes que celles qui ont lieu à l’autre bout du monde. Le fait que nous ayons choisi de rester vivre là-bas ne veut pas dire que nous partagions ce point de vue sur l’insularité. Oasis prennent tout cet héritage de Manchester où qu’ils aillent.
Peter : Je ne suis pas un grand fan d’Oasis mais ce que je ne comprendrai jamais chez eux, c’est ce besoin de montrer sans cesse entre les frères qu’ils ne sont d’accord sur rien ou presque. Ce n’est pas du tout notre cas, n’est-ce pas David (rires) ? On ne peut pas nier le fait qu’ils soient extrêmement populaires et qu’ils rencontrent beaucoup de succès et je pense que c’est dû au fait qu’ils ont toujours été honnêtes sur qui ils étaient et d’où ils venaient, c’est une grande force pour eux. Pour nous, ce serait source de confusion que de revendiquer haut et fort tout ça car je pense que les gens ne comprendraient pas forcément de quoi nous parlons.
David : En fait, nous intellectualisons beaucoup notre démarche artistique et si nous nous focalisions sur le fait de l’expliquer, les auditeurs seraient perdus et ce n’est en plus pas tellement le but. Nous essayons de faire de la musique que nous semblons presque atteindre sans jamais vraiment y parvenir.

Vous vous êtes tous les deux adonnés aux expériences solo ; pensez-vous que ça ait apporté quelque chose de particulier et de spécifique à Field Music ?

David : Je crois que nos expériences ont toutes les deux été très intenses et nous ont appris beaucoup. Nous avons eu la chance de nous enrichir de nouvelles choses en tant que producteurs, performers et musiciens. Ce qui était intéressant, c’est que le contexte était éloigné de Field Music mais au final, ça nous a servi pour le groupe également.

Vous songez à renouveler l’expérience ?

Peter : Oui, nous nous essayons à différentes choses et le fait de monter un projet solo ne veut pas dire que nous abandonnons Field Music. Ce sont pour nous deux choses à part. Nous faisons beaucoup de choses à côté de Field Music.
David : Mais je suis tout de même convaincu que lorsque nous travaillons tous les deux, nous sommes meilleurs, peut-être parce que nous nous portons l’un l’autre vers le haut.

Vous n’avez pas enregistré Plumb, votre nouvel album, dans votre studio habituel. Cela vous a-t-il contraints à changer voter manière de travailler et par conséquent, cela a-t-il affecté votre musique ?

Peter : Oui, c’est indéniable. Déjà, ce nouveau studio est au rez-de-chaussée, ce qui est très agréable. Nous n’avons pas eu à monter tout le matériel, toutes les guitares, nos instruments... C’était bien (rires) ! Nous ne partageons pas ce studio, nous sommes devenus égoïstes. C’est notre propre studio et nous n’avons donc pas à nous organiser avec d’autres groupes et les emplois du temps pour les répétitions, les enregistrements. Nous y allons quand nous voulons, à n’importe quelle heure. Tu peux te lever le matin et te dire « Qu’est-ce qu’on va faire aujourd’hui ? Ah ! Tiens ! On pourrait aller au studio quelques heures ! » et voilà, c’est aussi simple. Je mens un peu car je suis plus loin que ne peut l’être David.
David : En fait, le lieu où nous faisons et où nous enregistrons notre musique est très important dans notre façon de travailler. Nous n’aimons pas partitionner les choses, c’est-à-dire que nous ne séparons pas la partie enregistrement de l’endroit où nous répétons. Nous avons besoin de tout avoir sous la main. Nous passons sans cesse du clavier à l’ordinateur à la guitare puis à la batterie et là, nous avons tout sous la main, c’est super !
Peter : Ce nouveau studio est plus grand et nous permet donc de pouvoir laisser branchés plusieurs claviers en même temps.
David : Oui, auparavant, il fallait les ranger et les ressortir au fur et à mesure, ce n’était pas pratique. On peut donc dire que les conditions étaient parfaites pour cet album.

Selon vous, Plumb est-il différent de vos albums précédents ?

David : J’aime à me dire qu’il est à la fois un peu différent et un peu identique. Je crois que nous essayons toujours de progresser mais qu’en même temps, nous reprenons toujours là où nous étions restés la fois précédente. Notre dernier album était long, comportait beaucoup de chansons aux structures peu conventionnelles ; ici, nous avons voulu un album beaucoup plus court, avec des structures différentes et nouvelles.
Peter : Avec Plumb, ce que j’aimerais entendre dire, et ça paraîtra peut-être arrogant et je m’en excuse, ce serait que ça ne sonne comme aucun autre artiste, qu’on reconnaîtrait là la « patte » Field Music.

J’ai lu que lorsque vous commencez à plancher sur un nouvel album, il y a toujours un concept derrière, une idée directrice. Laquelle était-ce pour Plumb ?

David : Nous avons pris comme idée de départ l’exact contraire de notre album marathon précédent. Ce que l’on voulait avant tout, c’était un album court. Nous avons gardé en tête l’idée de ne pas nous focaliser sur des structures dites « standard » : nous ne sommes pas beaucoup joués à la radio et nos lives sont toujours très intimistes donc nous n’avons aucune obligation de faire des albums composés de dix titres faisant tous à peu près trois minutes trente et alternant couplet et refrain. Nous pouvons faire ce que nous voulons ! Nous avons quelques chansons qui durent entre quarante secondes et une minute mais c’est très bien ainsi ! C’est tout de même de la musique et ça s’écoute aussi ! Ce ne sera pas joué à la radio mais peu importe, nos compositions n’y passent de toute façon jamais (rires) !

En conséquence, vous en profitez pour faire des chansons éclair...

David : Je suis surpris qu’aucun groupe ne se penche sur ce format de chanson !

Les groupes de punk le font mais cela reste assez rare sorti de ce style...

David et Peter : Wire l’ont beaucoup fait !
David : Le fait que, maintenant, les groupes fassent une douzaine de chansons, presque toutes pareilles, c’est ennuyeux. D'accord, deux ou trois de leurs titres sont taillés pour être des singles, on a bien compris, mais rien ne les empêche de faire, à côté de ça, cinq ou six autres titres différents !
Peter : Je suis certain que l’une des critiques que l’on entendra à propos de Plumb sera « Pouquoi n’avez-vous pas écrit de vraies chansons ? Standardisées ? Qui pourraient enfin passer à la radio ? ».
David : Oui, voilà, tu as raison. Et à tous ceux-là, j’ai envie de leur répondre « C’est quoi un single ? Une chanson qui passe à la radio ? ». Tout cela n’est qu’une histoire de conventions. On comprend que pour des groupes cherchant la notoriété, il leur faille les suivre parfois mais il n'y a aucunement besoin d’en être prisonnier.

Justement, vous disiez tous les deux que les raisons commerciales n’entraient pas en jeu dans l’élaboration de votre musique...

David : Tout à fait, on ne s’en préoccupe pas. On s’en fout !
Peter : Parle pour toi ! Je ne m’en fiche pas totalement (rires) !
David : Non, moi non plus, mais jamais nous ne composerons pour entrer dans les cases de la « commercialisation ». Je ne peux pas dire que nous n'y pensons jamais, nous espérons toujours que notre disque sera bien accueilli et qu’il se vendra, que nous aurons toujours un public, mais jamais nous ne dérogerons à nos valeurs et à notre vision de la musique pour y parvenir.
Peter : J’espère que les gens aimeront Plumb, mais ce n’est pas une raison suffisante pour changer notre pensée originelle pour qu’elle ressemble plus à ce que les auditeurs attendent d’un disque. Ce que j’aimerais, c’est qu’ils se rendent compte des intentions qui sont derrière notre musique, pourquoi il sonne de cette façon et pourquoi il est ce qu’il est. Je pense que nos intentions étaient bonnes en enregistrant l’album.

Je perçois cet album comme une unité, comme une histoire que vous racontez ; les transitions entre les titres sont assez incroyables, elles coulent naturellement, presque sans qu'on s'en rende compte, je pense en particulier à celle entre les deux premières chansons. Avez-vous cherché à créer cet esprit d'unité justement ?

David : Je pense que cela vient du fait que nous avons cette sorte de point de vue narratif : l'album commence le matin, il se termine le soir, c'est l'histoire d'une journée.
Peter : Je ne voulais pas vraiment que cela ressemble à une histoire à proprement parler mais il est évident qu'il existe une unité assez forte. Les paroles font état d'un certain moment de la journée et des sensations qui y sont associées plus que d'une histoire avec un thème propre.
David : Je pense aussi qu'il est important, pour que ces titres s'articulent entre eux, qu'ils fassent partie d'un tout. Nous aurions aimé créer certaines sections, à certains moments, mais nous ne savions pas vraiment comment faire et, finalement, la plupart des transitions se sont faites très naturellement, d'où, peut-être, l'impression que l'on peut avoir en écoutant Plumb. C'est probablement notre façon d'écrire des chansons : nous laissons glisser une chose vers une autre, sans nous forcer. Il faut savoir saisir le changement, même imperceptible et quand tu y parviens, c'est assez simple de réunir les choses ensemble et de les articuler.

Pour moi, le terme le plus approprié pour décrire cet album est la cohérence. Aucun son ou un moment ne vient nous agresser durant l'écoute car tout progresse et avance naturellement...

David : Je suis tout à fait d'accord. Avec Field Music (Measure), notre album précédent, tout évoluait, constamment, vers un énorme truc que nous ne maîtrisions pas totalement et le format même de l'album, extrêmement long, ne pouvait pas entrer dans un schéma cohérent et nous ne le voulions d'ailleurs pas. Là, avec Plumb, nous voulions au contraire que les titres s'emboîtent. Peter : Personnellement, je suis content que tu penses que c'est cohérent parce que je suis certain que beaucoup ne partageront pas ton point de vue (rires).

Vous avez abandonné le concept de double album mais, a posteriori, que pensez-vous de cette idée ? Vous ne regrettez pas de l'avoir testée ?

David : Je suis assez fier de l'avoir fait.

Cette fois, le résultat est tout de même très différent avec une quinzaine de chansons en un peu plus de trente minutes...

Peter : Nous nous sommes lancé ce défi, nous l'avons relevé et je pense encore que c'était une bonne idée après tout. David : Allez, il est temps que je te parle d'un projet un peu fou qu'on a ; nous voudrions réussir à écrire un album qui fasse exactement le temps d'une vieille cassette, quarante six minutes et quarante secondes. Nous aimons nous mettre en danger. Ce n'est pas un sentiment agréable que de se sentir à l'aise dans ce que tu fais et d'aller tout le temps vers des chemins déjà balisés. « C'est ce que l'on fait et on fait toujours la même chose » : ce concept n'est vraiment pas fait pour nous. Nous essayons toujours de ne pas être rattrapés par des habitudes. Nous voulions que notre musique ne cesse d'évoluer.

Vous avez fait appel à un nouveau musicien pour la tournée pour vous aider à la basse. Pouvez-vous nous en toucher un mot ?

David : Andrew nous a rejoints récemment. C'est un très jeune et très talentueux musicien. Contrairement aux personnes qui ont déjà collaboré avec nous par le passé, nous ne le connaissions pas très bien avant mais nous avions l'impression qu'il absorbait notre musique. De plus, il a une façon de jouer très caractéristique que nous aimons beaucoup. Il apprend très vite et est très consciencieux. Avec tous les titres qu'il a dû assimiler, il avait des crampes dans les mains à la fin. Nous devrions peut-être penser à faire des exercices physiques de préparation pendant la tournée, c'est tout de même très dur pour le corps. Je ne sais pas comment Bruce Springsteen réussit à jouer pendant trois heures d'affilée comme ça, cela requiert tellement d'énergie !

Pour terminer, pouvez-vous nous expliquer votre secret pour réussir à produire autant d'albums en si peu de temps ?

Peter : Nous pensons qu'il y a toujours quelque chose de nouveau à faire, mais ce qui nous aide à enregistrer autant, c'est aussi le fait que nous ne tournions pas tant que ça.
David : Oui, c'est vrai, mais ce qu'il y a, c'est que lorsque nous sommes en tournée, nous sommes concentrés là-dessus et nous revenons totalement emplis de sentiments très forts qui nous permettent de recommencer à travailler de nouvelles compositions.
Peter : Le fait que nous ayons notre propre studio et que nous travaillions seuls y est pour beaucoup. Contrairement à beaucoup de groupes, nous n'avons pas à écrire des chansons, les montrer à notre maison de disques, les retravailler, attendre le bon moment pour avoir un studio et enregistrer...
David : Pour nous, c'est totalement différent et ce serait plutôt « Nous n'avons pas de concert cette semaine, il faudrait aller au studio le plus souvent possible et même si nous n'avons rien à enregistrer, allons-y quand même et jouons ». Tu vois, ça n'a rien à voir comme démarche artistique, nous sommes totalement libres.
Peter : Quand nous parlons avec nos amis qui sont dans des groupes, nous réalisons à quel point cela est difficile pour eux. Nous avons de la chance ! C'est assez simple, nous n'avons pas à nous plaindre.
David : Oui, finalement, nous n'avons qu'à veiller à ne pas nous enfermer dans des habitudes. Par contre, si nous tournions plus, ce serait différent car nous sommes incapables de composer pendant les tournées. Nous ne sommes jamais seuls alors que c'est à ce moment-là que nous réussissons à travailler. Quand nous rentrons à la maison, le but est de travailler le plus possible, écouter de nouvelles choses, chercher de nouvelles choses excitantes, aller au studio et essayer de toujours faire mieux.