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Blood Red Shoes

Interview publiée par Fab le 14 mars 2012

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Depuis plus de sept ans, Laura-Mary Carter et Steven Ansell officient sous le nom de Blood Red Shoes sans jamais avoir dérogé à leur ligne de conduite. De passage à Paris afin de promouvoir leur nouvel album, In Time To Voices, les deux jeunes anglais nous expliquaient récemment leur évolution artistique et leur confiance dans le rock à guitares souvent décrié ces derniers mois.

La semaine passée vous étiez déjà à Paris pour tourner le vidéo clip de Cold, est-ce que vous pouvez m'en dire plus ?

Steven : Tout est parti d'une vision que Laura-Mary a eu durant son sommeil...
Laura-Mary : Je n'ai pas pensé spécifiquement à Paris au départ, l'idée était simplement de tourner cette vidéo de nuit avec des néons pour éclairage principal. Le point de départ était plus esthétique que narratif.
Steven : Cela peut paraître étrange mais aucun lieu à Londres ne nous semblait adapté pour mettre en œuvre cette idée. C'est là que nous avons pensé à venir à Paris. Notre label a accepté de financer ces deux jours de tournage alors nous en avons profité.

Cold est la première chanson tirée de votre nouvel album que le public a pu entendre, était-ce un choix évident que de choisir une chanson dans la veine de vos précédents disques ?

Steven : C'est principalement pour cette raison que nous l'avons choisie.
Laura-Mary : Je pense qu'elle nous permet de faire une transition en douceur entre nos anciens disques et ce que ce nouvel album a à offrir. Cette chanson ne surprendra par les fans de Blood Red Shoes, mais elle apporte quelques indications par rapport à notre évolution.
Steven : C'est un titre très rock comme nous en avons écrit beaucoup déjà, mais il nous permet d'amener le public en douceur vers ce nouvel album. Nous n'avons pas voulu sortir d'emblée une chanson plus originale, nous gardons cette possibilité pour la suite. Cette stratégie fait partie d'un plan à plus long terme (rires) !

L'accueil réservé à cette nouvelle chanson a été très positif jusqu'à maintenant, c'est une satisfaction ?

Steven : Bien sûr ! Mais c'est aussi un peu effrayant...
Laura-Mary : Nous étions habitués à lire des avis très durs avec nous parfois mais jusqu'à maintenant les retours de la presse ou de nos fans sont extrêmement positifs. C'est un peu étrange...
Steven : En général, le schéma est simple. Durant la période de promotion de l'album, les personnes que nous rencontrons lors d'interviews nous complimentent mais nous lisons beaucoup de commentaires très durs sur Internet par exemple. De manière surprenante, nous avons cherché des avis négatifs d'internautes suite à l'écoute de Cold mais nous n'en avons trouvé que très peu ! Ce n'est pas normal, il y a en général toujours quelqu'un pour dire du mal de Blood Red Shoes !
Laura-Mary : Une personne a quand même qualifié la chanson de « tas de bruit »...
Steven : Mais c'est un compliment pour moi (rires) !

L'écriture et l'enregistrement de ce nouvel album vous ont accaparés durant près d'un an...

Steven : Nous avons effectivement donné peu de concerts durant l'année écoulée mais nous n'avons pas le sentiment d'y avoir consacré une année entière.
Laura-Mary : Nous ne sommes pas partis en tournée mais nous avons donné des concerts de temps à autres, comme au Brésil ou en Indonésie ! Nous prenions par exemple une semaine pour des dates ponctuelles mais rien de plus. Le fait d'être sur les routes en tournée nous a manqué.
Steven : A la fin de l'année 2010, nous avions expliqué à notre manager que nous voulions encore donner des concerts pour promouvoir Fire Like This, mais nous avons au final choisi de nous arrêter car nous ressentions un réel besoin d'entrer en studio pour mettre à plat toutes les idées que nous avions de côté.
Laura-Mary : Jusqu'à maintenant, nous n'avions jamais complètement arrêté de donner des concerts pour enregistrer un album mais nous avons réalisé que c'était un mode de fonctionnement très agréable que de pouvoir prendre du recul.

In Time To Voices est à la fois le titre de l'album et de la chanson d'ouverture, quelle en est votre interprétation ?

Steven : Nous l'avions choisi dans un premier temps pour l'album avant de l'utiliser également pour la chanson.
Laura-Mary : Il n'existe pas de signification particulière derrière cette expression. Je l'avais utilisée dans la chanson sans y penser spécifiquement.
Steven : In Time To Voices est un nom très cool pour album. Durant des mois nous en avions choisi un autre et je ne me souviens même plus pourquoi nous avons décidé de le changer au final. Jusqu'à récemment il était même prévu que la chanson ait un autre titre, mais étant donné que nous n'avons pas été capables d'en choisir un, nous sommes revenus à In Time To Voices.
Laura-Mary : Beaucoup de groupes font le choix d'utiliser le titre d'une de leurs chansons pour nommer un album et cela nous dérangeait de faire de même. Mais après tout, pourquoi chercher à changer à tout prix un titre lorsque celui-ci colle parfaitement à la chanson et à l'album ?
Steven : Si nous devions changer l'un des deux, ce serait celui de la chanson. In Time To Voices est sûrement le meilleur choix que nous ayons fait jusque-là pour un de nos albums.

Vous avez récemment présenté cet album comme le plus ambitieux de votre discographie. Avez-vous procédé à des changements dans votre processus d'écriture pour y parvenir ?

Steven : Nous avons complètement changé nos habitudes. L'idée était de briser la routine à tous les niveaux. Nous avons expérimenté différentes manières d'écrire les chansons, en changeant par exemple les instruments et même en essayant de travailler sans ces derniers dans un premier temps ! Jusqu'à maintenant, lorsque nous entrions dans un studio, nous poussions le volume des instruments au maximum et nous nous lancions dans des jams pour mettre au point la base des chansons. Sur In Time To Voices, la seule chanson crée de cette manière est Je Me Perds. Pour le reste du disque, tout a été basé sur le chant avec Laura à la guitare. Nous restions assis dans une même pièce en testant des idées : l'idée était d'enregistrer une prise, d'écouter et analyser le résultat, puis tenter de l'améliorer avec un autre instrument par exemple. Nous avons consacré beaucoup plus de temps à l'élaboration du squelette des chansons.

Avec du recul, In Time To Voices a-t-il en conséquence été plus compliqué à enregistrer ?

Steven : Oui ! Mais c'est une bonne chose car nous avons fait les efforts nécessaires pour rendre cet album différents des précédents et lui apporter plus de diversité. Au final la guitare et la batterie sont bien entendu les deux instruments les plus utilisés, mais la manière dont nous l'avons fait a beaucoup évolué. Le fait de changer de batterie, de micro, de guitare ou même de lieu nous a permis de rendre les chansons différentes. Notre besoin de tout changer a rendu tout le processus beaucoup plus long... mais pour une bonne raison. Nous pensions boucler l'enregistrement en moins de cinq semaines mais il nous a fallu deux mois au final.

Mike Crossey vous a accompagnés pour l'enregistrement de l'album, pourquoi l'avoir choisi une nouvelle fois ?

Steven : Étant donné qu'il avait déjà travaillé avec nous sur nos deux premiers albums, nous avions ce qui nous attendait. Le risque de choisir une personne dont le mode de fonctionnement ne nous aurait pas convenu était nul. C'est un avantage d'avoir autant de certitudes avec notre producteur, nous nous connaissons mutuellement. Si un désaccord survient, je sais que nous l'emporterons toujours au final (rires) ! Je ne veux pas être désobligeant, mais en tant que groupe nous utilisons divers outils lorsque nous enregistrons des chansons, et le producteur en fait partie selon moi. Nous utilisons donc Mike de manière à atteindre notre but une fois en studio.
Laura-Mary : La prochaine fois, nous pourrons même nous débrouiller sans lui !
Steven : Nous avons le sentiment d'avoir beaucoup appris sur tous les processus liés à la production ces dernières années. Je pense que nous maîtrisons suffisamment toutes ces techniques pour travailler seuls à l'avenir... Cet album, plus encore que les deux précédents, est une représentation de ce que Laura-Mary et moi-même sommes. Quelques démos enregistrées avant d'entrer en studio étaient déjà de très bonne qualité, je pense que certaines auraient pu être intégrées directement sur l'album.

Plusieurs chansons de l'album dégagent une atmosphère plus acoustique qu'à l'accoutumée, comment expliquez-vous qu'il vous ait fallu attendre trois albums pour vous essayer à ce genre de chose ?

Laura-Mary : Je pense que nous n'étions pas prêts. Notre évolution et les choix que nous avons faits pour cet album nous ont naturellement permis d'y parvenir cette fois-ci. Nous aurions sans doute pu essayer plus tôt, mais le résultat aurait sûrement été catastrophique et sans intérêt. Nous n'avons jamais cessé d'explorer de nouvelles voies depuis notre début et c'est encore le cas pour In Time To Voices.
Steven : Nous avons aussi acquis suffisamment de confiance pour nous essayer à l'acoustique. Si nous avions voulu jouer It's Getting Boring By The Sea de cette manière, le résultat aurait été complètement nul. Désormais, nous avons des chansons qui peuvent s'adapter à un tel contexte. Nous sommes en train de passer un nouveau cap.

La plupart des groupes actuels finissent un jour ou l'autre par se tourner vers les sonorités électroniques. L'avez-vous envisagé ?

Steven : Pour être honnête, dès lors qu'un groupe commence à intégrer l'électronique dans ses chansons, je considère qu'il est en panne d'inspiration. Ces mêmes groupes pensent devenir modernes ou originaux ou faisant ce choix mais je pense que c'est l'inverse qui se produit.
Laura-Mary : Faut-il encore que ce choix apporte une réelle plus-value aux chansons...
Steven : Peu de groupes en ont été capables dans un passé récent. Le seul exemple qui me vient à l'esprit est celui de Radiohead. Ils ont su transformer leur musique et exploiter l'électronique d'une manière complètement différente. Sur In Time To Voices, même si nous avons utilisé un piano sur une chanson et une boîte à rythme sur une autre, je ne nous imagine pas aller plus loin dans cette voie. Je ne veux pas que Blood Red Shoes devienne un groupe comme les Yeah Yeah Yeahs par exemple. Ils avaient trouvé une vraie alchimie sur leur premier album et ont tout remis en cause pour donner dans de la mauvaise pop électronique. Tu ne peux pas décider d'un jour à l'autre d'utiliser la musique électronique juste pour suivre la mode, tu dois faire ce dont tu es capable.

L'album contient une chanson titrée en français, Je Me Perds. Quelle est son histoire ?

Steven : Cette chanson est très simple et basique, elle ne dure qu'un peu plus de une minute et trente secondes. Après un concert donné à New York, nous avions passé une soirée un peu folle à boire et consommer diverses substances et c'est à cette occasion que nous avons pensé à tout cela. Il existe deux aspects liés au titre de cette chanson. D'une part, le fait de choisir la langue française lui apporte un aspect poétique... qui ne correspond en rien au ton de la chanson ! Deuxièmement, c'est une traduction directe de l'anglais, « I get lost », qui possède un double sens selon la manière dont tu l'interprètes. Nous étions dans un sale état quand nous avons choisi ce titre, il correspondait à l'état d'esprit qui peut être le nôtre parfois lors d'une tournée !

Cette chanson est sans doute la plus agressive que vous ayez jamais enregistrée, c'est une voie que vous pourrez continuer d'explorer à l'avenir ?

Laura-Mary : C'est sûrement la plus violente oui. Nous avons déjà pensé à la possibilité d'enregistrer tout un album avec des chansons dans cette veine...
Steven : Nous pourrions même enregistrer un album très punk et un second carrément acoustique.
Laura-Mary : Je ne pense pas non (rires) !

Un double album ?

Steven : C'est le genre de décision qui pourrait ruiner une carrière !
Laura-Mary : Certains groupes ont pourtant réussi à enregistrer des doubles albums de qualité, comme les Smashing Pumpkins avec Mellon Collie And The Infinite Sadness. Mais cela reste rare...

La dernière chanson de In Time To Voices, 7 Years, est-elle liée à la longévité de Blood Red Shoes ?

Laura-Mary : En effet...
Steven : Je ne m'attendais pas à ce qu'autant de personnes fassent le lien entre cette chanson et la durée de notre collaboration à tous les deux.
Laura-Mary : Cette chanson est principalement axée autour de la relation que Steven et moi entretenons depuis que nous avons formé le groupe.
Steven : C'est une chanson nostalgique, romantique et torturée sur notre histoire. C'est la vision d'une chanson d'amour par Blood Red Shoes. Cette chanson est une sorte de romance, mais d'une façon étrange. C'est très dur pour nous de l'expliquer...

J'imagine que vous ne vous attendiez pas à ce que le groupe existe encore aujourd'hui lorsque vous vous êtes rencontrés ?

Steven : Nous ne nous sommes jamais posé de questions sur le groupe. Nous avions, et avons encore aujourd'hui, cette énergie si spéciale alors nous avons fait ce que nous avions à faire et nous voilà encore ensemble en 2012. Cela ne nous aurait rien apporté de trop y réfléchir. Nous nous projetons sans cesse vers la suite. Le prochain concert, le prochain album, la prochaine étape... Nous sommes toujours très excités par ce qui se profile à l'avenir.

Depuis quelques mois, la presse d'outre-Manche évoque régulièrement la mort du rock à guitares. Toi-même, Steven, tu avais écrit un article pour le site Drowned In Sound à ce sujet. Comment vivez-vous cela, notamment par rapport au fait que Blood Red Shoes fait partie intégrante de ce mouvement ?

Steven : Ce sont des conneries bien évidemment, je l'ai dit et je le répète encore aujourd'hui. Il a suffi qu'un idiot produise une analyse des ventes de disques l'année passée et annonce que les ventes de groupes de rock ont fortement chuté pour que tout s'emballe. Est-ce que le problème n'est pas plutôt que trop de mauvais disques ont été soutenus par les labels et médias ?
Laura-Mary : L'intérêt du public pour les groupes de rock à guitares n'a jamais faibli, bien au contraire. Il suffit de regarder ce qu'il se passe depuis un an ou deux, il n'y a jamais eu autant de reformations d'anciens groupes des années 90s !
Steven : Le public a certaines attentes en termes de qualité, et si on ne lui propose que des groupes sans intérêt, pourquoi devrait-il acquiescer ? Quand The Stone Roses ont annoncé leur retour, les réactions ont été complètement dingues. Nous traversons malheureusement une période durant laquelle de nombreux labels essayent d'imposer certains artistes au public alors qu'ils n'ont aucun intérêt. Les amateurs de musique ne sont pas idiots, ils ne se font plus avoir.

Vous serez bientôt en tournée en Europe puis au Royaume-Uni, avez-vous déjà réfléchi à la manière dont certaines de vos nouvelles chansons, plus complexes en termes d'arrangements, seront jouées ?

Laura-Mary : Il n'y aura pas de musicien supplémentaire ni de pistes préenregistrées, nous allons simplement adapter les chansons qui le nécessitent. Si nous parvenons à trouver le bon dosage, nous jouerons sans doute également certaines chansons de façon plus acoustique, à l'image de l'album en quelque sorte. Ce sera un challenge de transposer toutes les chansons pour la scène.
Steven : Certains titres seront probablement laissés de côté car il sera impossible de les jouer à deux sans les dénaturer.
Laura-Mary : Je pense par exemple à Slip Into The Blue qui ne pourrait être jouée qu'avec deux guitares acoustiques.
Steven : Le fait de faire évoluer les chansons pour les concerts n'est pas un problème. Il y a quelques décennies, des groupes comme Led Zeppelin n'hésitaient pas à proposer des versions plus simples qu'en studio et cela convenait à tout le monde !