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Graham Coxon

Interview publiée par Claire le 1er avril 2012

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Alors que Graham Coxon sort ce lundi son nouvel album solo intitulé A&E (ndlr : Accident and Emergency), c'est autour d'un thé et de bonbons suisses que l'éternel guitariste à lunettes de Blur nous a reçu il y a quelques semaines lors de son séjour à Paris.

Ton nouvel album A&E sort ces jours-ci. Peux-tu nous le décrire en quelques mots?

Je dirais que c'est un chaos improvisé. Tenter de trouver un sens et une construction à l'anarchie brute du son que j'avais en tête. L'album raconte une soirée assez typique en Angleterre. Soirée qui commence invariablement quand on dit à ses parents qu'on fait ce qu'on veut et qu'on rentrera à la maison quand on en a envie. Et qui se termine au petit jour quand on rencontre le diable. Et qu'on termine aux Urgences (rires). Ça fait donc plus que quelques mots!

Est-ce pour cela que tu as intitulé cet album A&E (ndlr : Accident and Emergency) ?

Plus ou moins. Quand quelqu'un te parle des Urgences, tu t'imagines quelque chose d'horrible, un accident de voiture ou une chute. Mais maintenant, en Angleterre, les Urgences semblent servir à totalement autre chose. Quand tu vois ce que la télévision nous montre, ces horribles programmes intitulés Binge Britain ou Booze Britain, ils mettent ces caméras dans la rue et filment le comportement totalement erratique de tout un pays les soirs de week-end. Les types se battent, les filles sont vautrées sur les trottoirs, complètement dans les vapes, avec leurs jupes par-dessus la tête. Sérieusement, on fait peur à voir pour n'importe qui de l'extérieur

Tu t'es déjà retrouvé dans ce genre de situation?

En fait non. J'avoue que je crains rapidement les gens complètement bourrés ou drogués. J'aime m'amuser mais je ne suis pas d'une génération pour qui terminer aux Urgences est le but de la soirée. Certes, nous étions loin d'être des êtres angéliques et les années quatre vint-dix avaient leur lot de problèmes aussi, il ne faut pas se voiler la face, mais j'ai l'impression que l'on pousse maintenant tout à l'extrême. On abuse de tout. Et c'est ce que j'ai voulu faire dans cet album : abuser de sons, abuser de la technicité offerte par les studios d'enregistrement, en faire beaucoup, quitte à en faire trop. Abuser d'images sur la couverture de l'album. Être insolent dans la façon de faire ma musique. Être à la fois drôle et sympa et en même temps balancer des titres assez sombres et bruts. Je suppose que j'ai voulu un album à l'image de ce que me renvoie l'Angleterre.

A&E est vraiment très sombre et semble refléter une vie citadine alors que Spinning Top avait ce côté enjoué et presque léger de la campagne, comme si tu avais vécu dans deux mondes différents...

C'est tout à fait ça ! The Spinning Top était aussi un album de jour. Un album écrit et enregistré le matin quand tout semble encore beau et pur, les petites fleurs et les arbres, les oiseaux, tout ça. Un côté folk. Contrairement à The Spinning Top, pour A&E, j'ai écrit la plupart des titres à la basse, pour le son brut justement. La guitare est là pour colorer le tout.

Tout est basé autour des riffs de basse que j'avais en tête, quelque chose de bruyant, qui prend de la place et qui donne une pulsation brute ensuite aux paroles que je peux mettre dessus.

Qu'est-ce qui t'as décidé à approcher différemment l'écriture des chansons ?

Je ne sais pas, une envie d'être moins intellectuel peut-être. Tout est basé autour des riffs de basse que j'avais en tête, quelque chose de bruyant, qui prend de la place et qui donne une pulsation brute ensuite aux paroles que je peux mettre dessus. Je ne parle pas de guerre ou d'épidémies, juste de ce côté apocalyptique et industriel de ce qui nous entoure. Donc évidemment, il fallait que je fasse table rase des jolis sons bien produits à influences sixties.

Était-ce quelque chose de facile à expliquer et ensuite à gérer pour ton producteur Ben Hillier?

Lorsque je lui ai donné les démos, j'avais déjà ce son cru et rude. Et les démos sont bien plus utiles que des paroles. Ben et moi, nous nous complétons assez bien. Ben me pousse justement dans la direction vers laquelle je veux aller.

Sur cet album, c'est toi qui joue tous les instruments. Y a-t-il des avantages ou des inconvénients particuliers à travailler seul?

Ben s'est aussi occupé de pas mal de choses comme la partie synthétiseurs ou boîte à rythmes. Mais tu sais, travailler sa musique seul, c'est un peu comme ce que fait un peintre. Tu ne te concentres que sur ce que tu fais. L'important, c'est l'objectif que tu te donnes et bosser seul permet d'être bien plus concentré sur la finalité. Quand je suis en studio, je peux passer d'un instrument à un autre, tous mes jouets sont au même endroit!

Est-ce que cela signifie que tu as envisagé cet album comme un tableau ?

En effet. C'est aussi un peu une expérimentation. La manière dont j'ai enregistré cet album horrifierait n'importe quel ingénieur du son. Des bruits sortaient de micros qui n'auraient même pas dû se trouver en studio, on ajoutait d'autres sons et bam, on arrivait à une coloration musicale à laquelle on n'avait pas pensé.

Je voulais surtout que cet album n'entre dans aucune case, pas celui d'un revival de la britpop, pas influencé sixties.

A l'écoute de ton album, je l'ai surtout trouvé très moderne, et ce côté urgent des paroles comme de la musique peut plaire à des gamins qui se mettent au rock...

Je dirais qu'il est plutôt post-moderne. Mais oui, j'espère qu'il peut plaire à des gamins de treize ans comme à des quadragénaires comme moi. Je voulais surtout que cet album n'entre dans aucune case, pas celui d'un revival de la britpop, pas influencé sixties. Et j'espère ainsi qu'il peut toucher le plus de gens musicalement curieux.

Tu veux dire que le trio guitare/basse/batterie t'ennuies ?

J'ai fait ça ces vingt dernières années, tu sais. Et cette fois, je voulais quelque chose de neuf. Je me suis rappelé de mon travail sur The Golden D et ce titre My Idea Of Hell. Lorsque je n'avais que les démos, j'avais réussi à obtenir parfaitement un type de son particulier. Et c'est celui-là que je voulais pour A&E. On a donc bossé là-dessus avec Ben Hillier.

Sur ta tournée anglaise, tu a décidé de choisir des groupes locaux qui feraient ta première partie. Est-ce que tu as décidé de devenir une sorte de mécène ?

Je pense qu'il est très important que des artistes dits établis aident des petits groupes à sortir de l'ombre. Sans compter que, pour moi, comme pour le public, c'est motivant d'avoir un groupe différent chaque soir et surtout, un groupe avec un style différent. Il y aura de la pop, mais aussi de l'électro et j'espère que j'aurai des groupes de rap qui m'enverront leurs démos. Ces groupes amènent leurs amis et ça veut dire une ambiance beaucoup plus conviviale dans le public. C'est important. Et ça donne une sorte d'instabilité à la tournée. Quand tu as le même groupe, tous les soirs, dans toutes les villes, tu entres dans une sorte de routine que je ne voulais surtout pas pour A&E. Si je pouvais avoir quelqu'un qui fasse harpe et voix, le lendemain un groupe de métal, puis un groupe de synthétiseurs, ça me plairait pas mal !

Est-ce que dans cette optique de constante évolution, tu aimerais collaborer avec d'autres artistes, comme tu as déjà pu le faire avec Pete Doherty ?

J'aimerais avant tout pousser cet album, et le travail effectué dessus, plus loin. Non pas que j'ai expérimenté pour le simple fait d'expérimenter mais il est vrai que je n'ai pas écrit cet album avec un public précis en tête. Je l'ai avant tout fait de façon assez égoïste, je le reconnais. C'était un peu ma façon de devenir un meilleur musicien, un meilleur artiste, quelqu'un de plus complet. Je rêve de travailler avec un producteur de dance, c'est pour dire !

The Spinning Top est sorti il y a trois ans, tout comme l'album qui l'avait précédé. C'est un délai qui te convient ?

Oui, tout à fait. Mais j'ai conscience que trois ans, c'est tout de même très long et j'aimerais être capable de travailler plus vite. L'enregistrement s'est fini il y a presque dix-huit mois mais je n'étais plus signé et je reconnais que je n'étais pas très pressé de trouver quelqu'un pour me promouvoir. Donc, j'ai décidé de laisser le choses se mettre en place d'elles-mêmes.

Le groupe, c'est un peu nos vacances maintenant ! Nos carrières solo sont nos jobs à plein temps.

Certaines rumeurs disent que tu travailles sur un nouvel album de Blur...

C'est faux... pour l'instant.

Avoir un groupe avec toi en studio ne te manque pas?

Tu sais, un groupe, c'est un démocratie. Tout le monde donne son avis. Je préfère fonctionner différemment.

Vous allez recevoir, avec Blur, le fameux trophée d'Outstanding Contribution To Music lors des Brit Awards. Qu'en penses-tu ?

A mon âge, on n'est plus cynique. A une époque, j'aurais certainement été... gêné de cette récompense. Maintenant, je suis juste flatté et content. (prenant une voix de personne âgée) « A mon âge, je ne m'y attendais plus. Merci, merci ! » (rires). En fait, c'est un encouragement à dépasser ce que l'on a fait avant, à prouver que l'on n'est pas fini. C'est difficile de se dire que 2012 est l'année particulière où on mérite cette récompense. Pourquoi maintenant et pas l'année prochaine ? Ou l'année dernière ? Notre contribution à la musique a été... raisonnable, je pense. Exceptionnelle ? Je ne peux vraiment pas en juger. Il m'est difficile d'accepter cette finalité que donne cette récompense. J'espère qu'il y a et aura plus que ça encore avec Blur.

Quelle place tient Blur maintenant dans ta vie ?

Le groupe, c'est un peu nos vacances maintenant ! Nos carrières solo sont nos jobs à plein temps. Et c'est un peu comme le pub aussi : on s'y retrouve, on boit des verres, on fait de la musique, on discute et on se marre.