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Cheek Mountain Thief

Interview publiée par Mélissa Blanche le 13 août 2012

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Après avoir vécu plusieurs mois en Islande, c’est l’accent toujours aussi anglais et la barbe toujours aussi affûtée que Mike Lindsay a répondu à nos questions dans le sous-sol d’un café parisien du neuvième arrondissement. Le frontman du groupe de folk expérimental Tunng revient sur le side-project qu’il a entrepris dans le petit village de Húsavík et nous en dit un peu plus sur son premier album à venir le 20 août prochain.

Rappelle-nous un peu ce qui t'a amené en Islande pour démarrer ce side-project ?

A l'origine, je suppose que c'était à cause d'une fille que j'avais rencontrée en Islande. Je l'avais rencontrée quatre ans auparavant quand j'étais allé en Islande durant une semaine et j'ai toujours voulu y retourner. Ensuite, Tunng, l'autre groupe dont je fais partie, a joué à l'Airwaves Festival (ndlr : festival qui a lieu à Reykjavik et auquel Tunng a participé en 2010) et je l'ai à nouveau rencontrée. J'ai adoré l'Islande à ce moment-là. Cette fille est géniale et elle m'a parlé de cette ville appelée Húsavík dans le nord. J'y suis allé avec elle pendant une semaine au mois de décembre de cette année-là, juste pour voir la ville et passer du temps avec elle. C'était vraiment un endroit magique alors quand je suis rentré à Londres, le seul truc auquel je pensais, c'était de retourner à Húsavík. Il y avait une cabine là-bas que je pouvais avoir pendant deux mois, en mars et en mai. Alors j'ai saisi cette occasion et j'y suis allé sans aucune idée précise en tête. Je voulais écrire un disque au milieu de nulle part et c'est ce que j'ai fait. Mais ce n'est pas le disque que j'avais l'intention de faire, ça s'est transformé en quelque chose de complètement différent.

Comment as-tu vécu le fait d'être livré à toi-même du point de vue musical ? Tu as dû tout composer tout seul, était-ce un changement important ?

Oui, un gros changement. C'était là toute l'idée. Je voulais faire quelque chose tout seul parce que je n'avais jamais vraiment fait ça avant. C'était le bon moment pour le groupe, nous voulions faire une pause. C'était un challenge, c'est sûr. Mais un super challenge. Si tu veux faire quelque chose par toi-même, je pense qu'il faut te sortir de ta zône de confort. Aller te cacher dans ce genre d'environnement et voir ce qui se passe.

Ce side-project, penses-tu que c'était une bonne chose pour Tunng ? Est-ce que c'est une chose à laquelle tu avais déjà réfléchi ou est-ce que ça s'est juste fait comme ça ?

Eh bien, j'ai toujours voulu faire quelque chose qui serait un peu comme ça. Et je pense que tout ce que l'on entreprend d'un point de vue créatif affecte tout le reste. C'était le seul moment pour faire ça. Je pense que ça va affecter massivement, et ça l'a déjà énormément affecté, le prochain album de Tunng. Ça a également affecté ce que je pense pouvoir accomplir en termes de songwriting mais aussi ma propre mentalité, la façon dont je travaille, en dehors de mon studio en sous-sol à Londres et sans les personnes avec qui je collabore déjà tout le temps. Ça va vraiment aider le nouvel album, ça l'a déjà aidé.

Quand Sam Genders [ndlr : co-fondateur de Tunng] a quitté le groupe en 2007 et pour créer Diagrams, cela t'a-t-il déjà donné envie de faire quelque chose de ton côté aussi ?

Il s'y consacrait déjà depuis un certain temps, mais non, ce n'est pas à cause du projet de Sam. Évidemment, j'adore le projet Diagrams, je le trouve génial et Sam et moi nous nous entendons très bien, donc peut-être qu'inconsciemment ça a été une inspiration mais ce n'est pas certainement pas la raison pour laquelle j'ai enregistré cet album.

Le public ne connait pas encore Cheek Mountain Thief, as-tu eu l'impression de devoir tout recommencer à zéro ? Est-ce que cela a été difficile ?

Tout ne fait que commencer et, pour être honnête, dans mon esprit, quand je suis allé en Islande, je pensais que ça allait juste être un petit projet pour mon propre plaisir. Je n'avais pas prévu que je rencontrerais tous ces musiciens et ces personnes en Islande. L'idée s'est développée, c'est devenu un groupe. Je ne sais pas si ça va se développer au-delà de ce premier album. Je pense que c'est possible, puisque depuis que j'ai enregistré cet album je vis maintenant en Islande. Ce n'était pas prévu non plus. Toute ma vie va radicalement changer. Et bien sûr personne ne connait Cheek Mountain Thief mais ce n'est pas grave. L'important, c'est le projet et sa réalisation. Nous allons donner quelques concerts alors j'adorerais présenter le projet à tous ceux qui le souhaiteront mais je ne cherche pas à créer un nouveau groupe pour conquérir le monde.

Peux-tu nous parler des musiciens qui ont joué pour toi sur ce disque ?

Oui, ça fait une drôle d'équipe. Il y a sept musiciens dans le groupe live et il y en a encore davantage impliqués dans l'album. Ces sept-là ont tous participé à l'album. J'ai rencontré la plupart d'entre eux à Húsavík. Le premier, c'est le batteur, Gunni (ndlr : Gunni Tynes, du groupe Múm). Je voulais emprunter de l'équipement donc je me disais que ce serait génial de trouver des musiciens qui vivent dans le village, et en particulier quelqu'un pour jouer de la batterie et des percussions. Alors j'ai demandé à ma copine si elle connaissait des batteurs. Elle m'a tout de suite dit « Gunni ! C'est le troisième meilleur batteur d'Islande ! ». Et moi je lui ai répondu « Comment ça le troisième ? C'est qui le premier ? ». Elle m'a répondu « Je n'en sais rien, mais ça doit être quelque chose comme le troisième batteur ! » (rires). Il est génial, il est venu dans la cabine avec sa batterie, son Charleston et il a simplement commencé à jouer de sa manière un peu barrée. Il a vraiment illuminé tout le projet. Il n'est pas connu, il joue toutes les semaines dans des espèces de bals country, avec ces groupes de mecs qui viennent de la campagne et qui jouent pendant six heures à peu près toutes les chansons qui ont jamais été écrites sur terre. Il fait ça tous les samedis, c'est pour ça qu'il est si bon. Lara Soley est la violoniste. Elle est assez connue en Islande, elle vit à Húsavík. Il y a aussi Birki et Oskar, deux meilleurs amis de vingt-et-un ans qui jouent de la guitare noise. Je les ai rencontrés au pub. J'ai rencontré la plupart de ces gens au pub. Durant l'hiver il n'est ouvert que le samedi donc il rassemble vraiment tout le village. Ce sont de brillants musiciens et ils font de la musique un peu barrée avec leurs pédales donc il fallait que je les fasse participer. Il y a aussi Leva qui est de Reykjavik. C'est mon homme de l'intérieur, la seule personne que je connaissais avant d'aller là-bas. Il joue dans plusieurs groupes, c'est un mec très stable, très solide, qui fait du synthé. Nous avions deux trompettistes aussi. Je pourrais continuer ! Je pourrais continuer longtemps comme ça! Il y avait aussi vingt-cinq personnes qui sont venues faire les chœurs pour nous. Et des invités au chant comme Sin Fang, qui est fabuleux, et puis Mugison et Silla qui chante avec Múm. Finalement, au fur et à mesure que le projet se développait, j'ai fait participer de plus en plus de personnes.

Parlons un peu de l'Islande maintenant. Tu as dit que c'était au milieu de nulle part, comment est la vie là-bas ?

Eh bien, c'est l'exact opposé de la vie à Londres. C'était là toute l'idée. Mais je me suis rendu compte que ce n'était pas vraiment le milieu de nulle part. C'était à deux kilomètres de Húsavík où j'habitais. Il y a deux mille personnes qui habitent à Húsavík, ce qui est peu, mais c'est une communauté très vivante. L'endroit, la cabine, où j'ai enregistré l'album, face au Cheek Mountain, ça c'était vraiment le milieu de nulle part. Il n'y avait personne sauf moi. Donc je dois dire que je n'étais pas sûr pendant les dix premiers jours de ce je faisais mais ensuite ça a été une telle aventure ! Au final, ça n'a pas été un mec solitaire dans sa cabine qui fait un album sur la solitude, c'est devenu un million d'amis réunis dans une grande expérience édifiante et c'est ce que la musique représente.

Où as-tu tu enregistré l'album exactement ? Dans cette petite cabine ?

Oui, essentiellement dans cette petite cabine située dans un endroit appelé Kaldbaks, cet endroit à deux kilomètres de Húsavík dont j'ai parlé. J'ai emprunté un mixeur, deux speakers, beaucoup de percussions qui venaient de l'école, une guitare, une basse, un synthé, une guitare électrique, une batterie et j'ai tout installé là-bas. Ensuite, à Reykjavik, j'ai loué un studio pour deux jours pour enregistrer les chœurs parce les choristes vivaient là-bas. Ensuite, nous avons tout enregistré chez Gunni, de Múm, chez lui. Mais la majorité de l'album a été créé dans cette cabine.

Que penses-tu de la scène musicale en Islande ?

Je l'adore. L'Islande est tellement petite. En fait, géographiquement, ce n'est pas petit, mais la population est très faible. Compte-tenu du fait qu'il y a environ 300 000 habitants en Islande et 120 000 à Reykjavik, le niveau musical est terrifiant ! Tu ne peux pas se permettre de faire de la merde en Islande, les gens sont trop bons. Je voulais être à la hauteur. Ça m'a fait un peu peur, je me suis dit que je ne pouvais pas produire quelque chose de mauvais. Donc j'espère que ça n'a pas été le cas. Je pense que c'est une très grande source d'inspiration. La scène musicale elle-même est très difficile à définir. Il y a beaucoup de genres différents, plein de très jeunes musiciens qui font cette espèce de folk tordu ou cette musique électronique un peu dark ou noise complètement folle. La production est très intéressante. Il y a toute une histoire sur les vingt dernières années avec Sigur Rós et Björk par exemple mais pas seulement. Et tout le monde se connait, tout le monde joue dans le groupe de tout le monde. Donc c'est une espèce de grande famille.

Existe-il un groupe islandais qui tu admires particulièrement en ce moment ?

Sin Fang. C'est un musicien qui s'appelle Sindri, il était auparavant dans un groupe qui s'appelait Seabear. Sin Fang, c'est son projet en solo solo, il en est à son troisième album. Si je devais écouter un groupe islandais, c'est lui que j'écouterais avant tout autre.

Quelles sont tes principales influences pour Cheek Mountain Thief ?

Je ne sais pas ! (rires) Je suppose que ce sont les mêmes que depuis un moment avec Tunng. L'electronica des débuts, en particulier un label appelé Expanding Records qui propose une musique électronique glitch que j'adore et un autre label, Static Caravan, qui avait signé Tunng. Tout ce que Geoff Goldman sort via ce label est très excitant. Ça peut être de la musique électronique ou des groupes un peu prog folk. Steve Morse joue cette espèce de prog électronique eighties bizarre, j'adore ce genre de trucs. Et puis, bien sûr, il y a le Led Zeppelin des débuts. Pour ce projet, il y a eu énormément d'autres influences, notamment des œuvres d'art venant d'Islande et évidemment la nature. C'est surtout de rencontrer des gens qui a été une grande source d'inspiration. Et tous ces groupes. Il y a un groupe qui s'appelle Caterpillarmen. Ils ne font pas encore grand-chose, mais ça devrait être le cas bientôt. Ils auraient du jouer en 1972. C'est complètement tordu. Le gars est un albinos avec une coupe afro et il a seulement dix-neuf ans environ. J'aime les gens qui font des trucs tordus.

J'ai lu que lorsque tu es arrivé en Islande, tu n'as utilisé que de l'équipement et des instruments que tu as empruntés à des musiciens du coin. Tunng, comme d'autres groupes de folk, était déjà connu pour utiliser des instruments peu conventionnels. Quel est l'instrument le plus bizarre que tu as utilisé cette fois-ci ?

Les marimbas. Ce qui était fou, c'est que leur école primaire était obsédée par l'Afrique. Le professeur de musique était allé à Marley et était revenu avec dix marimbas, des énormes marimbas basses, et chaque enfant devait apprendre à en jouer. Il y a eu un grand concert avec des djembés, des marimbas et des chants en Africain, dans un tout petit village du Nord de l'Islande. C'était dingue. Alors je les ai fait jouer sur l'album et je les ai enregistrés dans leur gymnase.

Ta musique est souvent qualifiée de folk expérimental. Selon toi, est-ce que la musique, et l'art en général, ne devraient-ils justement pas toujours être des expérimentations ?

Oui, je suppose qu'il le faudrait, il n'y a aucun intérêt à faire quelque chose qui a toujours été fait auparavant. Le terme « expérimental » est compliqué. Je ne crois pas que la musique de Tunng soit particulièrement expérimentale, dans le sens où nous ne jouons pas de noise ou d'ambiant. Oui, tout le monde devrait expérimenter pour produire quelque chose avec une approche nouvelle, si possible, mais tout est aussi emprunté ou inspiré par d'autres créations...

Tu as signé avec le même label, Full Time Hobby, avec lequel tu travaillais pour Tunng. Sam Genders avait fait de même également. Vous devez être contents d'eux ?

Ils sont super. Rien que le fait d'être signé par un label de nos jours, c'est une bonne chose. Je ne pourrais jamais m'en plaindre. Ils ont vraiment été derrière cet album. Ils m'ont aidé à aller là-bas, pas vraiment financièrement, mais de façon plus générale. L'album va aussi sortir sur un label islandais, Kimi Records.

Tu as déjà sorti un vidéo clip pour ton single Cheek Mountain. L'endroit où vous avez filmé le clip, c'est l'endroit où tu as vécu ?

Oui, dans les environs. Le clip a été tourné par le frère de Sindri. Il semble en charge de tous les clips en Islande ! J'aime beaucoup son style. Il n'a pris qu'une petite caméra. Il faisait horriblement froid, environ -15°C. La chanson est en réalité plutôt chaude et positive à propos du fait de recommencer une nouvelle vie. Le vidéo clip est génial, il donne un côté beaucoup plus froid à la chanson.

Selon toi, quelle est la principale différence entre cet album et ceux que tu as enregistrés avec Tunng ?

Il ne sonne pas du tout comme un album de Tunng. Bien sûr il y a des guitares acoustiques et des harmonies, mais je pense que, conceptuellement, c'est très différent. J'aimerais que les gens écoutent l'album en connaissant son histoire parce que ça lui donne de la validité et de l'intégrité, ça rend toutes les chansons beaucoup plus vivantes. Musicalement, ce n'est pas vraiment un album électronique. C'est plus progressif, plus mélodique et surtout il y a beaucoup plus de chant. Mais il y a des similarités.

Tu as donc laissé tomber l'électronique ?

Oui, il n'y en a même pas du tout sur l'album. C'est intéressant parce que quand je suis allé là-bas je ne savais pas que j'allais rencontrer ces gens et emprunter de l'équipement. J'avais un ordinateur portable sur moi, je me disais que je ferais peut-être un album électronique mais ça n'a pas du tout été le cas. Donc oui, en cela, cet album est plus traditionnel.

Je suppose que le cadre et l'environnement ont inspiré ta musique. Mais en quoi exactement ?

Je suppose que quand tu te réveilles tous les matins, que tu regardes par la fenêtre et tu te retrouves en face de cette vue incroyable sur le Cheek Mountain, ça s'infiltre dans tout ce que tu fais. Ensuite, c'est devenu le titre du projet. Certaines des paroles concernent exclusivement la nature. Je parle beaucoup de l'expérience que ça a été. Tout l'album a été écrit en même temps qu'il a été enregistré. C'est un disque qui raconte ce que c'est que d'être là-bas et comment la nature peut affecter une personnalité. Mais en l'écoutant, je ne pense pas qu'il reflète directement la nature. Ce n'est pas un album de Sigur Rós. Ce n'est pas « le son de l'Islande » mais on ne peut pas s'empêcher de s'inspirer de ces paysages. C'est tellement merveilleux.

Quand tu partiras en tournée en tant que Cheek Mountain Thief, ne joueras-tu que des chansons de Cheek Mountain Thief ou aussi certaines de Tunng ?

Définitivement aucune chanson de Tunng. Je pense que ce ne serait pas très correct...

Par rapport aux autres membres du groupe ?

Tunng c'est Tunng et Cheek Mountain Thief c'est Cheek Mountain Thief. Nous tenterons peut-être de jouer quelques chansons islandaises. Ça pourrait être une bonne idée. J'aimerais bien chanter un peu en islandais. J'espère pouvoir apprendre la langue, peut-être.

Penses-tu garder les sept musiciens dont tu as parlé ?

Oui ils vont tous venir. Pour certains d'entre eux, ce sera la première fois en dehors de leur pays donc c'est très excitant !

Quelle est la prochaine étape pour toi ? Tu as dit que tu avais toujours des projets avec Tunng, un nouvel album sortira bientôt ?

Nous l'avons déjà commencé. Nous avons passé un mois à la campagne en Angleterre, en mai. Là, je vis à Londres pour les deux prochains mois pour travailler sur ce disque. Il sortira l'année prochaine.

Et après ces deux mois, tu seras de retour en Islande ?

Oui ! La tournée de Cheek Mountain Thief est en septembre. Donc en octobre, je rentre là-bas. Nous mixerons peut-être même l'album de Tunng là-bas.

Dernière question : pourquoi cette barbe ? Tous les musiciens folk ont une barbe ! C'est indispensable ? (rires)

Oui, carrément indispensable (rires) ! Je l'ai depuis tellement longtemps que je ne sais même plus ce qu'il y a en dessous. En Islande c'est encore plus obligatoire, donc je me fonds assez bien dans la masse !