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Eugene McGuinness

Interview publiée par Claire le 20 septembre 2012

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C'est à l'occasion de son concert pour l'Album De La Semaine de Canal+, en marge de la sortie de son troisième opus The Invitation To The Voyage, que nous avons rencontré Eugene McGuinness. Classe anglaise et humour décalé, le Liverpudlien aura réussi à nous parler à la fois de Baudelaire, Liam Gallagher et Liza Minelli. Une prouesse très rock n'roll. Retour sur celui qui est en passe de devenir l'un des artistes les plus convoités de Grande-Bretagne .

Tu es à la veille de la sortie de ton troisième album. Comment te sens-tu ?

C'est très excitant. De plus, j'ai toujours du mal à réaliser qu'il va sortir très bientôt. Je me suis tellement habitué à l'avoir uniquement pour moi, dans mon iPod depuis des mois, que ça me fait très bizarre de pouvoir enfin le présenter au public et aux fans. Donc oui, c'est à la fois excitant et très bizarre.

Comment se fait-il que tu aies attendu si longtemps avant de sortir cet album ?

En fait, nous savions que l'album était prêt donc nous n'avions plus à nous inquiéter de la partie musique. Nous nous sommes donc dit que nous allions mettre l'accent sur les clips, la promotion. Nous nous sommes accordé quelque chose comme deux mois supplémentaires pour être sûrs que tout était bien ficelé. Nous ne voulions surtout pas presser les choses et finir par les bâcler.

Le troisième album est souvent considéré, à tort ou à raison, comme celui de la maturité. Penses-tu être arrivé à un moment de ta carrière où l'on peut dire de toi que tu es un artiste mature ?

The Invitation To The Voyage est un album énergique, donc pas mature dans le sens vieux ou posé, mais c'est un album qui me ressemble parfaitement. Tu sais, pour moi, un artiste mature, ça me fait penser à ces crooners des années cinquante-soixante qui tournaient avec des orchestres complets. Donc je ne pense pas encore être arrivé à ce stade-là. Richard Hawley est mature, pas moi (rires) !

Pourquoi as-tu intitulé cet album The Invitation To The Voyage ?

Ça faisait sens à chaque fois que je réécoutais l'album. Je ne pense pas qu'il y ait un thème principal qui lie toutes les chansons, je pense qu'elles partent vraiment dans tous les sens. Je voulais donc un titre qui symbolise vraiment ce côté éparpillé des titres. Mais chacun des titres faisait référence au voyage, au fait de quitter ou revenir vers quelque chose. Et c'est le titre d'un poème de Baudelaire donc je ne pouvais vraiment pas faire mieux.

Cette référence constante au voyage vient-elle du fait que tu as passé ces deux dernières années presque constamment sur la route ?

Tout à fait. J'étais tout le temps en tournée, que ce soit avec Miles Kane ou pour mon album. Dès que j'avais un moment de liberté, je fonçais au studio bosser sur ce troisième album. Mais je ne me suis pas rendu compte, quand je l'enregistrais, que cette idée de voyage filtrait à travers tous les titres. C'est en l'écoutant à la toute fin où je me suis dit « là, mon gars, tu es obsédé par le voyage ! » (rires). Et puis, pouvoir utiliser ce titre de Baudelaire, ça donne un côté grandiose à l'album, non ?

Tout à fait. Mais au départ, pensais-tu déjà à utiliser le titre d'un poème pour ton album ?

Pas vraiment. Mais je n'aurais jamais trouvé mieux donc ça m'a semblé évident que c'était ce titre-là et pas un autre qu'il fallait que j'utilise. Si j'avais pu, et si j'avais le talent pour, j'aurais certainement ajouté un poème à la liste des chansons de l'album.

Ça pourrait être l'étape suivante dans ta carrière ?

Ça, ce serait vraiment sophistiqué ! Mais non, je me contente de ce que je sais très bien faire. Et je serais incapable de tenir la comparaison avec Baudelaire de toute façon.

Tu parlais du fait que tu avais tourné avec Miles Kane. Qu'as-tu appris de cette expérience ?

J'ai appris des tas de choses en fait. D'abord, j'ai joué dans de nombreuses salles dans lesquelles je n'aurais jamais pu jouer seul. Et bien que c'était vraiment cool et totalement délirant de tourner avec un groupe qui fonctionne aussi bien que celui de Miles, j'ai appris les responsabilités qui en découlent quand tu es un musicien professionnel. Tu es obligé de grandir rapidement en fait. Quand tu fais la première partie du groupe de Liam Gallagher ou que tu ouvres pour les Arctic Monkeys, il faut que tu sois capable de tenir le niveau si tu ne veux pas avoir une honte monumentale ou être grillé et descendu en flamme par les magazines ou Liam ! Nous avons dû rapidement passé du trip « bande de potes qui fait de la musique en studio » à un groupe prêt à monter sur scène et à assurer. Ce que je vais ajouter ne va peut-être pas paraître très rock n'roll, mais quand tu te dis que tu veux et que tu vas faire ce boulot jusqu'à la fin de ta vie, tu te dois de devenir quelqu'un de professionnel, carré, qui sait où il va, qui sait se pointer aux horaires prévus, qui sait rester fier. J'ai l'air d'un type un peu ennuyeux quand je raconte ça !

A la base, tu es chanteur. N'a-t-il pas été frustrant pour toi d'être pendant un temps uniquement guitariste lorsque tu tournais avec Miles Kane ?

Non, pas vraiment. Au contraire, ça m'a donné l'occasion de me mettre un peu en retrait et de voir autre chose. Et je continuais à préparer mon album à côté donc je n'avais pas l'impression de changer de cap. Je pense au contraire que ça m'a offert une expérience essentielle, celle de voir le côté uniquement musicien, et non lead singer, d'un groupe. En plus, lorsque Miles m'a proposé de le rejoindre, j'avais déjà un tiers de mon album qui était terminé et je me suis dit « euh, ça va être dur, je vais être super occupé, comment je vais faire pour terminer cet album ? » et puis soudain j'ai pensé « mais mon gars, tu vas être super occupé, c'est génial, tu as un job ! ». J'adore bosser, je déteste les temps libres où tu n'as rien à faire, où tu ne produis rien, donc j'ai sauté sur l'occasion.

Où as-tu trouvé le temps d'écrire en tournée ?

Le truc, c'est que j'ai surtout écrit pour et avec Miles en tournée (rires). Je n'écris absolument pas de la même façon quand c'est pour moi.

Tu ne t'es jamais dit « ce titre-là est génial, je ne lui montre pas et je le garde pour mon album » ?

Si j'avais tenu LE titre, je l'aurais certainement fait (rires) ! Mais non, j'ai vraiment deux façons différentes d'écrire. Lorsque je le faisais pour moi, il fallait vraiment que ce soit à un moment de pause sur la tournée. En plus, si j'avais écrit les titres entre deux dates sur la tournée de Miles, je pense que nous aurions fini par avoir deux albums vraiment similaires, et nous aurions vraiment eu l'air ridicules.

Tu as joué avec des musiciens différents sur tes trois albums. Peux-tu nous en dire un peu plus sur ceux qui t'accompagnent sur cette tournée ?

Il y a Dominic, mon frère. Un deuxième Dominic, qui est un ami d'enfance avec qui j'étais à l'école. Ils font tous les deux partie de Swanton Bombs qui commence à pas mal marcher au Royaume-Uni. Ce n'est que le début pour eux mais ils sont géniaux. Il y a Malcolm à la basse et John à la batterie. J'ai connu John au moment d'enregistrer mon premier EP. Lorsque j'ai terminé la tournée avec Miles, j'avais passé plus d'un an à jouer avec un groupe live fantastique, rodé et doué, et j'avais un peu peur de ne pas trouver, soit de musiciens à la hauteur, soit de me dire que j'allais vraiment sentir la différence de puissance en live. Mais ce n'est vraiment pas le cas avec ces gars-là.

On dit souvent qu'il est parfois difficile de travailler avec ses amis et, a fortiori, son frère. Ça ne semble pas avoir été le cas pour toi ?

Bien au contraire. Ça a rendu les choses beaucoup plus faciles. Tu t'engueules plus fort mais tu ne restes jamais énervé très longtemps. Quand tu connais des types depuis aussi longtemps, tu sais comment chacun fonctionne et tu sais prendre avec du recul tout ce qui se dit.

Les magazines ont pris l'habitude de te comparer à Morrissey. Est-ce que cela te fait plaisir ? Est-ce une comparaison à laquelle tu t'attendais ?

C'est flatteur. Mais je préférerais ne pas être comparé à qui que ce soit en fait. Si ça aide les gens à visualiser ce que je fais, oui, pourquoi pas. Je peux comprendre que ça facilite la tâche mais je ne me vois pas me promener partout en disant « hé hé, je suis le nouveau Morrissey ! » (rires). Je pourrais aussi bien dire « Regardez-moi, je suis la nouvelle Liza Minelli. Vous avez aimé Liza Minelli ? Eh bien, je suis la même, nouveau modèle ! » (rires). D'ailleurs, j'aurais dû faire ça pour le titre de l'album, faire une blague avec cette comparaison avec Morrissey et l'intituler « D'you like that ? ‘Coz you're gonna love this ! » (rires). Bref, il faut que j'arrête d'être sarcastique.

Le clip de Shotgun avait laissé penser que tu publierais un album très influencé sixties, mais ce n'est pas le cas et, bien au contraire, il sonne vraiment très moderne. Est-ce une façon de brouiller les pistes ?

En quelque sorte. Le truc, c'est que j'adore vraiment tout ce qui touche aux sixties, mais que j'aime aussi tout ce qui a été fait dans les années quatre-vingt. Et quand tu mets toutes ces influences dans le même pot, tu finis par obtenir quelque chose de totalement différent et vraiment indéfinissable. Je ne pourrais pas dire que cet album fait plus sixties ou plus eighties, je pense qu'il a un son bien à lui, bien à moi et au groupe. Je ne dis pas que c'est un son révolutionnaire mais cet album me représente totalement et est aussi cohérent et moderne que possible.

Cet album est assez dansant. Était-ce quelque chose que tu voulais absolument avoir et retrouver dans The Invitation To The Voyage ? ?

Tout à fait. Tu sais, quand tu écoutes un Best Of des Beatles ou des Kinks, pendant la première moitié de l'album, tu n'as que des titres qui te donnent envie de bouger. Ça n'arrête pas ! Je voulais absolument avoir ça sur mon album, ce sentiment d'euphorie que peut te donner la musique. Après, il y a plein de façon d'apprécier la musique sans être obligé de danser ou sauter partout, mais je voulais vraiment que sur The Invitation To The Voyage ?, les gens aient envie de bouger comme moi j'ai envie de bouger quand j'écoute un disque de pop.

Tu as offert Shotgun et Lion en téléchargement gratuit. Est-ce une façon pour toi de toucher un public plus large ? Penses-tu que les groupes en général doivent dorénavant offrir des titres pour se promouvoir ?

Honnêtement, je ne m'y connais absolument pas en téléchargement et tous ces trucs pour récupérer de la musique sur internet. Je sais que plein de jeunes en Angleterre n'ont pas beaucoup d'argent et je pense que c'est bien de leur offrir de la musique mais, en même temps, je pense que ça fait perdre sa valeur à la musique. C'est peut-être un peu ringard de dire ça, mais quand tu offres un truc que les gens n'ont pas eu le mal de découvrir, de chercher, d'explorer ou d'attendre, tu leur mâches le processus d'appréciation de la musique. Et du coup, ils perdent l'envie de suivre un groupe et passent rapidement à un autre.

Tu travailles avec Domino Records depuis cinq ans maintenant. Est-ce important pour toi d'être dans une maison de disques à la fois importante et indépendante ?

Lorsque j'ai signé avec eux, je ne me rendais pas compte de l'importance que pouvait avoir une maison de disque ou son rôle dans l'évolution de la carrière d'un musicien. En tout cas, je sais qu'avoir signé chez Domino Records m'a laissé la place d'évoluer comme j'en avais envie. Ils savent te laisser bosser dans ton coin si tu le souhaites, ils te laissent la liberté d'écrire les chansons dont tu as envie sans te mettre de pression sur des détails techniques. En plus, les gens qui bossent pour ce label sont aussi des créatifs et ils sont donc à même de comprendre les musiciens qu'ils ont signés. J'étais très jeune quand ils m'ont recruté, et ils m'ont à la fois protégé, soutenu et encouragé dans la voie que je voulais prendre. Et je sais que ce n'est pas forcément la même chose partout. Quand j'ai commencé à jouer, il y avait ce soi-disant nouveau son londonien que je n'aimais pas du tout et je sais que si j'avais été dans une autre maison de disques, ils m'auraient mis une casquette de baseball sur la tête et m'auraient forcé à chanter des chansons sur, je ne sais pas, McDonald's par exemple ! Le truc qui fait rêver, non ? J'aurais pu être emo (rires) !

Ton nouvel album a été produit par Clive Langer et Dan Carey. Que t'ont-ils apporté ?

Ils sont tous les deux très différents et géniaux. Au départ, j'ai dit à Clive « Voilà, je veux faire un album pop et novateur ». Il était un peu dubitatif et m'a demandé ce que j'entendais par pop. Je lui ai répondu « Tu vois, un mélange de David Bowie et d'Iggy Pop ». Clive est brillant, il a bossé avec Bowie notamment, et même si je partais d'une idée très vague de ce que je voulais comme son, il a tout de suite compris où je voulais en venir. Et c'est un bosseur acharné. J'écrivais des tonnes de chansons, j'arrivais avec, et tout ce qu'il me disait, c'était : « J'en veux plus, écris-en plus ! » (rires). Dan, quant à lui, m'a beaucoup aidé du côté de l'écriture des titres. Il a bossé avec les Kills et M.I.A et il a su me guider, guider tout le groupe vers des horizons nouveaux.

En conséquence, combien de chansons as-tu, cachées quelque part ? Et comment as-tu choisi celles que tu allais garder pour The Invitation To The Voyage ?

J'en ai des dizaines ! Il faut voir mon iPod, j'ai de quoi bosser pour les deux prochains albums ! Non, je rigole, je suis sûr que je voudrai faire quelque chose de neuf pour le prochain donc tous ces titres en plus vont passer à la poubelle, je pense. Pour ce qui est du choix, dans ce cas-là, il faut être hyper rapide et instinctif. Tu ne peux pas passer des jours à te demander si tu vas garder cette chanson-là ou bien une chanson.

Tu as enregistré une reprise de Dolphins Were Monkeys de Ian Brown. Est-ce quelque chose que tu vas poursuivre sur cette tournée ?

C'est quelque chose que l'on fait souvent en répétition. J'ai un titre en tête, ou Dominic en a un, et nous décidons d'essayer de montrer aux autres ce que ça donne. Et quand nous réussissons à trouver une chanson que nous aimons tous, nous la gardons sur la setlist du concert.

Ton album va paraitre, ta tournée débute, que peut-on donc te souhaiter ?

Plus d'albums, plus de tournée et encore plus d'albums !