logo SOV

Foals

Interview publiée par Emmanuel Stranadica le 10 février 2013

Bookmark and Share
Réaliser une interview avec un groupe sans avoir eu la chance d’écouter son nouvel album auparavant n’est jamais une chose très facile. C’est pourtant le pari que nous avons relevé en rencontrant Yannis Philippakis (chanteur et guitariste) et Jimmy Smith (guitariste) du groupe Foals quelques heures avant leur concert événement à la Maroquinerie de Paris en décembre dernier.

Comment se sont déroulées la conception et l'écriture de l'album ? Vous n'avez pas connu ce fameux syndrome du difficile troisième album ?

Jimmy Smith : Je ne pense pas. Nous n'avons jamais rencontré de problème avec l'écriture pour ce disque. En fait, nous avons éprouvé des difficultés avec le second album. Et il est probable que le quatrième sera bien plus compliqué à accoucher (rires). Pour ce disque nous avons passé énormément de temps en tournée au moment de Total Life Forever. De ce fait, nous avions emmagasiné une gigantesque masse d'énergie, et cela nous a permis d'écrire très rapidement des chansons. Nous nous sommes sentis si bien tout au long de cette tournée que tout s'est avéré très facile. Le passage le plus compliqué fut la finalisation du disque en lui-même. Il a fallu éliminer certaines chansons, trouver l'ordre dans lequel nous allions les répartir sur le disque. Mais la conception, l'écriture en elle-même, fut incroyablement simple.

Je viens de découvrir Prelude, il y a quelques minutes. C'est un instrumental assez incroyable ! Vous n'avez jamais débuté un album avec un morceau instrumental. Est-ce que celui-ci donne la tendance de l'album ?

Yannis Philippakis : En fait, le son de l'album se trouve à l'intérieur de Prelude. C'est un peu comme si tous les éléments du disque étaient concentrés à l'intérieur de ce morceau. Au départ, tout est parti d'un jam et le reste s'est concentré petit à petit autour. Le premier morceau d'un disque influence la saveur d'un album. Du coup, si tu retrouves une chanson pop en termes de démarrage, tu t'attends à un disque résolument pop. Nous ne savions pas avec quoi nous allions démarrer Holy Fire jusqu'au jour où il a fallu composer le tracklisting de cet opus. Prelude est assurément le morceau le plus expérimental de ce disque et le positionner en plage d'ouverture était la meilleure mais aussi la plus mauvaise des meilleures décisions qu'on ait prises (rires).
Jimmy Smith : Nous étions tous d'accord sur le fait que le son de Holy Fire est présent dans ce morceau.

Le fait d'entendre Prelude suffit-il à savoir à quoi ressemble votre disque ?

Yannis Philippakis : Peut-être bien, même si celui-ci ne contient pas la partie plus pop du disque.
Jimmy Smith : Prelude ne représente pas juste le côté musical de l'album, mais bien son esprit.

Vous avez présenté Inhaler comme premier extrait de l'album. Un morceau très rock, lourd, très loin de Spanish Sahara, qui fut le premier titre annonciateur de Total Life Forever. Pourquoi avoir fait ce choix ?

Yannis Philippakis : Pourquoi pas ? Nous sommes un peu multi-facettes. Nous n'écrivons pas des chansons qui sont des copies conformes les unes des autres. Nous ne voulions pas dupliquer Spanish Sahara. Inhaler est très certainement la chanson la plus lourde du disque. Spanish Sahara provenait d'une atmosphère introvertie, issue de la nuit sans aucune lumière. Nous éprouvions une immense envie de faire quelque chose de très différent, quelque chose qui contiendrait un espace immense et beaucoup de puissance. Nous désirions quelque chose de plus viscéral, mais aussi de plus primaire. Un peu comme un courant alternatif. Ça a toujours été quelque chose de présent dans le groupe, mais ce fut assez difficile à exprimer. Maintenant cela parait pourtant comme une totale évidence d'avoir composé un morceau comme Inhaler. Sur scène, nous jouons par exemple Blue Blood, mais aussi Inhaler et cela nous permet de prendre une dimension plus grande, de ne pas stagner dans l'esprit musical dans lequel nous gravitions jusqu'à présent. Et ça c'est très important pour nous.

La vidéo de Inhaler m'a fait penser à Gus Van Sant, notamment avec les adolescents et skateurs. Ça a un côté Paranoid Park non ?

Jimmy Smith : Il faudrait poser la question à Dave Ma.
Yannis Philippakis : Dave a utilisé des éléments très classiques : la jeunesse, les skateurs, la contre culture, la rébellion. C'est lui qui a réalisé la plupart de nos vidéos. Pour celle-ci, il a voulu qu'elle reflète l'énergie présente dans la chanson. Cette vidéo a été tournée à Oxford. Tous les jeunes figurants qui en font partie et qui font du BMX se connaissent. Et l'objectif était de montrer ces jeunes à l'esprit à la fois insouciant et agressif. Dave a très certainement voulu créer quelque chose de davantage conceptuel que ce que je te raconte mais grosso modo l'idée était de mélanger l'énergie de la chanson avec la jeunesse des acteurs du clip. Mais je sais qu'il aime Gus Van Sant et nous aussi, alors peut-être y a-t-il un peu de ça également.

C'est la première fois que vous travaillez avec Flood à la production. Quelle fut la différence avec les autres producteurs avec lesquels vous avez travaillé auparavant ?

Jimmy Smith : L'expérience !
Yannis Philippakis : Son côté positif. Il a compris exactement ce que nous désirions. Et ce qui est génial, c'est qu'il n'a pas essayé de réinventer quoi que ce soit avec la production des chansons. La plupart des morceaux sont restés très fidèles à ce qu'ils étaient originellement lorsqu'ils ont été écrits à Oxford. Il y a assurément une puissance sonique supérieure grâce au travail de Flood. C'est très différent de ce que nous avons pu connaitre avec David Sitek. Le modèle qu'utilise Flood est transparent. Il nous a conseillés sur certains points de plutôt faire ceci ou de ne pas faire cela. C'est quelqu'un qui propose beaucoup, qui encourage, mais qui en définitive nous a laissés obtenir ce que nous désirions. Lorsque le disque fut terminé, nous nous sommes demandés ce qu'il nous avait amené en termes de production ? Beaucoup d'humanité. Tout est immédiat dans le son du disque, il est très pur. Ce fut un véritable honneur de travailler avec lui.
Jimmy Smith : La plus belle des choses de cette rencontre a été son côté humain. Tu sais, lorsque tu travailles avec un producteur célèbre, ce n'est pas toujours simple. Il y a parfois de gros problèmes d'égo qui peuvent surgir et qui vont empêcher le groupe de fonctionner comme celui-ci le souhaiterait. Un peu comme une forme de réorganisation. Nous avons tous travaillé très dur pendant les sessions d'enregistrement. Et chacun a laissé son égo à la porte. En définitive tout fut très simple et surtout un incroyable plaisir de travailler de la sorte.

Yannis tu as déclaré que certains grooves sur le disque sont assez sales. C'est le cas sur Inhaler. Est-ce que c'est quelque chose de récurrent sur le disque ?

Yannis Philippakis : Pas sur tous les titres, non. Mais les fans qui connaissent bien nos disques précédents pourraient être assez surpris par ce côté. C'est l'élément novateur de l'album, à mon sens. On retrouve parfois une basse très lourde, un tempo plus lent. Mais je répète ce n'est pas le cas pour tous les morceaux. Certains sont plus tendres, d'autres plus ambiants, et d'autres sont dans une veine très nouvelle pour nous. C'est pourquoi il est assez difficile d'employer certains termes ou qualificatifs pour décrire notre musique.

Tom Vek a remixé Inhaler. Par le passé, vous avez sorti de nombreux remixes. Est-ce que ce sera de nouveau le cas avec ce disque ?

Yannis Philippakis : Oui, tout à fait. Hot Chip ont remixé My Number par exemple, tout comme Totally Enormous Extinct Dinosaurs ainsi que Friendly Fires. Ensuite je ne sais pas encore, mais il y en aura d'autres assurément.

Peut-on en savoir un peu plus sur la pochette de l'album ?

Yannis Philippakis : La photo est issue d'un numéro de National Geographic des années 60. Nous étions tous d'accord pour utiliser cette photographie pour la pochette du disque. Elle est magnifique, mystérieuse, un peu mystique même. Il y a cette forme de progression par rapport à notre album précédent. La photo était bleue et sous l'eau mais cette fois la couleur est jaune et les personnes sont au-dessus de l'eau. Tim Head nous a aidés pour le disque, tout comme l'artiste Leif Podhajsky qui est connu pour avoir réalisé des pochettes d'albums pour d'autres groupes. Il nous a permis d'étendre nos limites, par rapport à ce que nous avions sorti jusque là. Nous avons enfin, je pense, atteint une certaine maturité.

Existe-il une connexion entre Total Life Forever et Holy Fire. Dans Alabaster, tu chantes « She's up in the sky and the sky is on fire ». Y a-t-il un lien ?

Yannis Philippakis : C'est intéressant ce que tu dis là. Il n'y a pas de référence consciente entre les deux disques. Le feu est une image primaire en soi. Holy Fire, c'est vraiment l'intensité que tu peux ressentir à l'écoute de l'album. Nous aimons les titres qui marquent. Total Life Forever était à mon avis un excellent titre pour un disque. Il y a une image religieuse qui est associée à Holy Fire. Alabaster contient également une ligne sur la religion. Dans ce disque, il y a aussi pas mal de références à ce domaine, mais plutôt dans un esprit spirituel. Il y a des rapports au gospel mais aussi à des enregistrements de prisonniers des années 40 par Alan Lomax, ce qu'on appelle des chain gang. Il y a quelque chose de très spirituel derrière tout ça, car on dirait des voix de disparus qui chantent. Le blues que l'on peut retrouver notamment dans Prelude a aussi une connotation spirituelle. Il y a vraiment énormément de références au spirituel dans le disque.

Avant de vous laisser, j'aimerai savoir une chose : la reprise que vous aviez enregistrée de Everybody Wants To Rule The World de Tears For Fears, c'était pour vous amuser ou parce que vous aimez vraiment cette chanson ?

Jimmy Smith : Lorsque nous avons enregistré Total Life Forever, nous avions uniquement la possibilité d'écouter des vinyles dans notre living room. Il n'y avait pas de télévision, juste une platine vinyle. Chacun de nous avait ramené sa collection de disques. Quelqu'un était venu avec Songs From The Big Chair et nous avions pris énormément de plaisir à réécouter ce disque. Ça nous renvoyé des années en arrière. Tears For Fears a écrit d'excellentes pop song. Certains trouveront que notre reprise est moche mais nous avons pris beaucoup de plaisir à l'enregistrer. Emmanuel STRANADICA