logo SOV

Primal Scream

Interview publiée par Claire le 8 mai 2013

Bookmark and Share
C'est dans la suite d'un grand hôtel parisien que Bobby Gillespie - leader charismatique de Primal Scream - nous a reçus à l'occasion de la sortie du dixième album de son groupe intitulé More Light. Bien plus qu'un simple frontman, Bobby Gillespie a l'aura absolue des rock stars devenues à la fois emblèmes d'une génération et working-class heroes. De Karl Marx à Ken Loach en passant par le mouvement Occupy et les expérimentations sonores du nouvel effort de son groupe, c'est un pilier du rock britannique qui nous a donné une grande leçon à la fois de musique et de culture politique.

Avec More Light, Primal Scream publie son dixième album. Qu'est-ce que cela fait d'atteindre ce nombre fatidique?

Pour être honnête, je n'ai pas l'impression que cela fasse autant. Nous sommes très contents de cet album, très fiers même. A chaque fois que l'on publie un album, nous avons l'impression de recommencer à zéro, car nous avons le même enthousiasme qu'un groupe qui sortirait son premier disque. Nous n'avons pas de lassitude, on ne se dit pas « bon, allez, il faut y retourner... ». Au contraire, nous avons une furieuse envie que les gens entendent ces chansons.

Votre dernier album est sorti il y a de cela cinq ans mais vous avez passé deux années à jouer Screamadelica. Comment s'est passée cette tournée ?

C'était une excellente tournée. On a joué dans presque tous les pays, sauf les Etats-Unis. C'était le côté un peu triste de la chose.

Pourquoi pas les États-Unis ?

C'est le côté financier qui nous a en empêchés. Si nous y avions joué, nous aurions perdu de l'argent. A l'époque, nous n'avions plus de maison de disques, et trouver quelqu'un qui veuille investir à perte dans une tournée d'un groupe de rock, c'est impossible. Mais le reste du monde a adoré, donc on se console avec ça !

Nous avons justement choisi un titre positif pour contrebalancer les titres des chansons.

Ce nouvel album a un titre plutôt positif, More Light. Peux-tu nous en expliquer la raison et pourquoi vous l'avez choisi ?

Oui, nous avons justement choisi un titre positif pour contrebalancer les titres des chansons. Comme tu l'as vu, les titres et les paroles des chansons sont plutôt sombres, c'est un disque assez sombre en général d'ailleurs. Même It's Alright, It's OK qui a l'air, d'apparence, assez joyeuse n'est pas très gaie. On y dit « You can't fix it once it's been broken, you can't come back if you wanna » (ndlr : tu ne peux pas réparer quelque chose qui a été cassé, tu ne peux pas revenir une fois que tu es parti). C'est une chanson qui te donne envie de danser, la musique est faite pour que tu aies envie de bouger mais les paroles parlent plutôt de l'acceptation d'une situation contre laquelle tu ne peux rien faire. J'étais triste et en colère quand j'ai écrit cette chanson.

Pourquoi avoir tourné un vidéo clip aussi entrainant finalement ?

Parce que quand je joue cette chanson, ça me met de bonne humeur. Je peux dire les choses que j'ai sur le cœur, et ça me donne une hargne incroyable. Il fallait que ce clip reflète ça. Et puis, j'adore le fait que je raconte des choses que personne ne comprend. Sauf moi. Nous avons été interviewés pour un magazine en Angleterre et la femme qui nous posait les questions pensait que je disais « you CAN fix it once it's been broken » (ndlr : Tu peux réparer ce qui a été cassé). Quand elle a compris que ce n'était pas ça, elle était très choquée ! Elle croyait que c'était le genre de titre où tout le monde lève les mains en l'air, chante en chœur et fait la fête alors que non, j'étais plutôt déprimé à l'époque où je l'ai écrite. Mais malgré tout, je pense que c'est une bonne chanson pour terminer l'album, la musique te met de bonne humeur.

C'est un peu schizophrène comme raisonnement, non ?

Oui, la contradiction. C'est ça. J'adore ce mot. C'est justement le truc que tu peux faire dans l'art, être deux choses à la fois.

Vous avez publié 2013 comme premier single. Et il fait quand même plus de neuf minutes ! Pourquoi avoir choisi ce titre comme premier représentant de l'album ?

C'est définitivement nous qui l'avons choisi. La maison de disque aurait, je pense, préféré It's Alrignt, It's OK. Mais pour nous, c'était le titre psychédélique de l'album, celui qui signait notre retour. C'était une affirmation de qui nous sommes. Nous ne voulions pas revenir avec une chanson d'amour. Nous étions en colère contre plein de choses et nous voulions que ce soit ça qui transparaisse en premier.

Tu dirais donc que 2013 est une critique de la culture pop et de la jeunesse?

Non, pas une critique de la jeunesse en général. Mais quand tu regardes bien, ce sont les vieux qui sont en colère. Les jeunes ne sont pas en colère, ils sont apathiques. Je me souviens de Patti Smith ou Neil Young en 2005 qui hurlaient contre le gouvernement américain quand il bombardait l'Irak. Tu ne voyais aucun groupe de jeunes faire ça.

Ce qui m'a quand même le plus marqué récemment, c'est que les gens ne disent plus rien, ils restent silencieux.

A ton avis, quelle en est la raison ?

Je pense que les jeunes ont été dépolitisés. En France, vous avez eu Guy Debord qui a superbement bien parlé de cette société du spectacle, celle qui émerveille, séduit, distrait les gens de ce qui devrait être central. Depuis ces trente dernières années, tout a été fait pour détourner les gens de la politique. Dans les années soixante, soixante-dix, les jeunes étaient militants, même si ce n'était que pendant deux ou trois années à la fac. Toutes ces manifestations défendaient des causes importantes : le féminisme, les droits des noirs, les droits des gays, l'émancipation de la classe ouvrière. Il a fallu cent cinquante ans pour arriver à ça et les années soixante ont été le point culminant, l'achèvement de ces combats. Et puis, à la fin des années soixante-dix, début des années quatre-vingt, la droite et les organismes financiers ont repris le contrôle et ça a été fini. Le pouvoir a été repris au peuple. Ce qui m'a quand même le plus marqué récemment, c'est que les gens ne disent plus rien, ils restent silencieux, il n'y a plus aucune chanson qui parlent de colère au sens politique. Dans les années quatre-vingt en Grande-Bretagne, tu avais The Specials qui chantaient Ghost Town, il y avait des émeutes partout, les gens essayaient de se battre contre ce chômage de masse.

Il y a quand même eu le mouvement Occupy. Les gens sont restés des semaines entières, à camper devant la Cathédrale Sanit-Paul...

C'est vrai. Ça a permis de mettre en avant cet écart immense entre les richesses possédées par une toute petite minorité et celles que 99 pour cent du monde doit se diviser. Mais ce dont je te parle dans les années quatre-vingt, ce sont réellement des émeutes, des gens qui auraient voulu tuer Margaret Thatcher et ceux qui avaient voté pour elle car c'était de l’égoïsme pur et simple envers la classe ouvrière qui se mourrait.

Que penses-tu des gens qui pleurent sa mort dans les journaux ?

C'est une bande de foutus idiots. Cette femme, c'est une meurtrière de masse ! A cause d'elle, des centaines de milliers de vies ont été changées à jamais. On a perdu toutes nos usines, notre métallurgie, nos mines à cause d'elle. En tout cas, je suis content qu'elle ait passé l'arme à gauche. Tu sais, j'ai vu Ken Loach l'autre soir à la télé qui disait que nous devrions faire jouer la concurrence pour l'organisation de ses funérailles et choisir le prix le plus bas. Elle aurait adoré ça.

Pour en revenir aux chansons, il y a un titre que vous avez écrit aux États-Unis, Culturecide, peux-tu nous en dire davantage ?

Une partie a été écrite aux États-Unis mais nous l'avons finie en Angleterre. J'ai écrit le début dans l'avion qui nous ramenait du Chili pendant la tournée sud-américaine en fait. Être en tournée te donne toujours des tas d'idées et il s'est trouvé qu'on était là-bas pour l'écrire mais elle n' pas de rapport particulier avec les États-Unis.

Ça parle de tous ces gens détruits, écrasés par le libéralisme économique. On en revient toujours à la politique.

Quel est le sens de ce titre ?

Je voulais parler de cette génération de gamins, aux États-Unis notamment, qui va être la première génération de toute l'Histoire du pays à vivre moins bien que ses ainés. Et ça me révolte. Ça parle de tous ces gens détruits, écrasés par le libéralisme économique. On en revient toujours à la politique, hein. Ça parle aussi de ces favelas qu'on a pu voir en Amérique du Sud quand on quitte les aéroports, tous ces gens qui ont quitté leurs campagnes car ils ne pouvaient plus cultiver leurs terres. Tu sais, quand les États-Unis font du commerce avec un « état-client », ils instaurent toutes ces règles qui disent que le pays doit acheter certains produits américains et, du coup, le fermier brésilien ou argentin n'a plus d'intérêt à produire ses propres fruits ou légumes, et il atterrit dans une favela car il n'a pas assez d'argent pour vivre dans le centre-ville. Et de là, en découlent tous ces gangs, armés jusqu'aux dents, qui font régner la violence.

Est-ce pour cela que vous avez choisi d'adapter un poème de David Meltzer en chanson sur cet album ?

Tout à fait. C'est un écrivain des années cinquante-soixante, et j'avais lu un extrait d'un de ses poèmes il y a deux ou trois ans. J'avais trouvé ça très musical. Nous en avons pris quelques passages et les avons réarrangés pour en faire une chanson qui tienne la route. On lui a envoyé le titre fini et il a adoré. Il nous a remerciés pour avoir donné vie à ses mots et les avoir remis au goût du jour. Il a dit que maintenant, il ennuie tous ses visiteurs parce qu'à chaque fois que quelqu'un vient le voir, il leur passe la chanson. Je savais que c'était un type cool à la base car il avait écrit des choses hyper belles sur un autre poète des années soixante; c'est ensuite que j'ai découvert qu'il était lui-même poète. Mais surtout, j'adore tous ces écrivains de la Beat Generation car c'étaient de vrais anarchistes.

David Holmes assure la production de More Light. Est-ce que vous l'avez choisi parce qu'il est aussi DJ ?

David est avant tout un gars que l'on connaît très bien. C'est un type en qui nous avons une totale confiance et qui a des goûts musicaux que nous apprécions. Nous avions déjà collaboré avec lui dans les années quatre-vingt-dix et il a toujours été un fervent supporter de Primal Scream. A l'époque, nous avions déjà songé à le prendre comme producteur mais la chance ne s'était pas présentée. Et puis, il est très difficile de trouver un producteur qui comprenne les exigences et les souhaits du groupe. Un producteur de rock, ça dit bien ce que ça veut dire, c'est un type qui veut produire un album rock. Point barre. Or, là, nous avions besoin de quelqu'un qui puisse penser en termes abstraits, en termes de concept. Nous avons d'abord fait un essai : on a passé cinq jours dans le studio de David à Belfast, pour voir si ça pouvait coller. Et nous sommes revenus avec des tas d'idées. Puis lui est venu à Londres, nous avons continué à bosser et c'est là que nous avons eu le déclic, que l'on s'est dit : « ça va marcher ».

Est-ce que c'est lui qui vous a donné l'idée d'utiliser tous ces instruments à vent ?

Ça s'est vraiment décidé ensemble. Nous avons fait pas mal d'enregistrements à Londres puis David a dû partir à Los Angeles. Nous l'y avons rejoint, et il connaît tous les bons musiciens là-bas. Il nous a proposé des types pour les percussions, la trompette, la basse... Tous d'excellents musiciens et des types vraiment cools.

Plein de types, plus vieux, connus, se disaient que ça pourrait faire pas mal sur leur CV de bosser avec nous mais nous voulions justement quelqu'un qui soit vraiment content de travailler avec nous.

Justement, il me semble que c'est une jeune bassiste qui joue avec vous maintenant et qui apparaît notamment dans le clip d'It's Alright, It's OK. Peux-tu nous raconter comment vous l'avez rencontrée, car il ne semble exister que peu d'informations sur elle. En ligne, on ne trouve qu'une homonyme astrologue !

C'est l'idée, elle reste un mystère complet. Sérieusement, je ne sais rien d'elle ! Je sais juste qu'elle s'appelle Simone Butler. Quelqu'un nous a dit qu'elle savait jouer de la basse et nous l'avions déjà croisée car elle bosse dans un magasin de guitares sur Denmark Street. On s'est dit qu'on allait lui donner sa chance car, tu sais, plein de types, plus vieux, connus, se disaient que ça pourrait faire pas mal sur leur CV de bosser avec nous mais nous voulions justement quelqu'un qui soit vraiment content de bosser avec nous, quelqu'un qui ait une certaine hargne et qui ne prenne pas ça comme un autre boulot.

Vous avez invité pas mal d'autres musiciens sur cet album. Peux-tu nous en dire davantage sur ces collaborations ?

Le plus connu certainement, c'est Robert Plant, mais aussi David Henderson, Mark Stewart de The Pop Group. Rien n'était prévu et ce sont avant tout des potes qui ont voulu se joindre au projet. Tu sais, faire un album, c'est un peu comme réaliser un film. Tu es le réalisateur et tu cherches les bons acteurs pour chacun des rôles. C'est réellement comme ça que cela s'est fait. On ne veut pas inclure des types connus juste pour faire genre, mais vraiment parce que certains d'entre eux sont parfaits pour l'album.

Vous avez lancé votre propre maison de disques, 1st International. Un clin d'oeil à Marx ?

Tout à fait! Tu sais, nous n'avions plus de contrat avec une maison de disques et en janvier dernier, alors que j'assistais au concert de Paul Weller, je suis tombé sur Noel Gallagher. Il m'a demandé ce que devenait Primal Scream et je lui ai dit que nous étions en train de boucler l'album. Il m'a alors demandé chez qui nous avions signé. Quand je lui ai répondu que nous n'avions pas de contrat, il m'a alors raconté qu'il avait monté sa propre maison de disques et qu'il fallait revenir le voir une fois que l'album était fini. Du coup, nous avons décidé de créer 1st International, sous contrat avec la boîte de Noel pour le management notamment. L'avantage, c'est qu'il n'y a que des gens motivés qui bossent avec nous. Si nous étions restés dans un grand label, nous nous serions sentis comme des petits poissons au milieu de tous ces gens qui bossent pour mettre en avant Rihanna ou autres. Certains voulaient nous signer pour donner un coté cool ou indie à leur label mais, honnêtement, nous n'avons pas besoin de ça.

Pour conclure, si tu devais décrire cet album en trois mots, que dirais-tu ?

Psychic soul damage. Ça le fait, non ?