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The Fratellis

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 12 octobre 2013

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John Lawler alias Jon Fratelli, Barry Wallace alias Barry Fratelli et Gordon McRory alias Mince Fratelli forment The Fratellis. Une fausse fratrie écossaise qui, depuis 2005, écume le rock de leurs aînés et revisite, à la sauce britpop les envolées de Chuck Berry, l’énergie des Rolling Stones ou la classe innée d’un Elvis Costello dont leur premier disque porte le nom.

Après un premier album auréolé d’un certain succès pour un groupe naissant, The Fratellis entament une énorme tournée mondiale et mettent en route un deuxième opus dans la foulée et sortent, mi 2008, Here We Stand, lequel sera moyennement accueilli par la critique malgré de bonnes ventes et se verra même qualifié de catastrophe par le groupe. Ils ne s’en remettront pas et décideront de se séparer moins d’une année plus tard pour donner libre cours à des projets personnels. En juin 2012, ils annoncent leur retour sur scène à l’occasion d’un concert de charité ; s’en suivront une série de shows joués à guichets fermés à la plus grande surprise des membres du groupe. Leur public est toujours là et un nouvel album sera annoncé début 2013. Sorti le sept octobre dernier, We Need Medecine n’est que le troisième opus du trio écossais et pourtant The Fratellis ont déjà marqué le monde de la musique de leur empreinte notamment grâce à leurs prestations scéniques énergiques et entières. Cet album, du niveau de Costello Music, va relancer, à coup sûr, la carrière du trio de Glasgow.

C’est en solo que Jon nous reçoit avec son accent à couper au couteau et son humour corrosif sorti tout droit sortis du toxique Trainspotting de son compatriote Irvine Welsh.

Votre nom, The Fratellis et vos noms de scène, Barry Fratelli, Mince Fratelli et Jon Fratelli laissent le doute sur vos liens de parenté... D'où vient ce nom, à l'origine ?

Je ne sais plus vraiment. C'est Barry qui l'avait choisi je crois. La première fois que je l'ai rencontré, nous avons passé neuf heures à discuter dans un bar. Au bout de plusieurs bières, nous avions décidé de monter un groupe, de l'appeler The Fratellis et de prendre chacun ce nom de scène ; nous avions même décidé du nom du premier disque s'il devait y en avoir un ! À l'époque, je me foutais du nom que l'on porterait. C'est par la suite que j'ai réalisé que ce nom avait quelque chose d'italien et qu'il était le nom d'une famille dans un film américain, The Goonies.

Votre premier album, Costello Music, fut un énorme succès ; le deuxième un peu moins. Vous voilà de retour avec un troisième disque, We Need Medecine. Est-ce que tu te sens un peu stressé du fait que cinq années sont passées entre votre deuxième disque à l'accueil mitigé et celui-ci ?

Pas du tout. Au contraire même. Il y a cinq ans, j'aurais été angoissé, c'est certain. Mais si j'ai réalisé quelque chose pendant ces cinq années, c'est qu'être angoissé ou non ne change pas grand-chose de toute façon ! Cela ne changera rien au fait que les gens aimeront ou pas notre album. Tout ce qu'il nous faut assurer, c'est de proposer des titres en lesquels nous croyons. Ce que nous n'avons pas assez fait pour le deuxième disque, Here We Stand. Et ça s'est tout de suite vu et entendu ! Là, nous avons vraiment fait quelque chose que nous aimons et en quoi nous croyons ; j'espère que beaucoup d'autres personnes le percevront comme tel. Mais, quel que soit l'accueil, cela ne me rendra pas insomniaque.

Un premier disque est difficile à accoucher, un deuxième peut être angoissant parce qu'un public vous attend au tournant... Qu'en est-il du troisième ? Vous avez ressenti une certaine pression sur les épaules pour votre retour après avoir splitté ?

Au contraire. Nous n'avions plus de label, plus de manager et personne n'attendait un disque de nous puisque nous avions splitté. Ce fut donc comme un nouveau départ et nous y avons pris beaucoup de plaisir car, d'un côté, nous jouissions d'une certaine liberté. À partir de maintenant, ce sera notre façon de travailler et pas une autre. Je pense qu'écrire un premier disque est facile ; tu as toute ta vie pour cela. Le deuxième peut être plus difficile – pour nous cela fut un véritable désastre ! – nous n'aurions jamais du le faire... mais nous n'aurions pu nous rendre compte de nos erreurs sans ce deuxième opus.

Quel a été le déclencheur pour la reformation de The Fratellis ?

J'écrit quelques disques de mon côté pendant ces années-là... et j'ai réalisé combien il était difficile de repartir à zéro. Je me suis dit que j'étais fou et qu'à moins que les deux autres soient morts, il me fallait les retrouver et leur proposer de recommencer l'aventure Fratellis. Nous avions eu un sacré public et il devait bien être quelque part encore. Nous nous sommes donc remis en selle et avons programmé quelques concerts. À ma grande surprise, le public a répondu plus que présent ! Cela a été une révélation que de voir autant de personnes encore en phase avec notre musique. Après ça, il nous était impossible de ne pas travailler un nouveau disque car tu veux qu'il y ait une vie après la mort ! Ce n'était pas une question d'argent ou d'ego, nous en avions encore (rires).

Qu'est-ce que tu as fait pendant ces cinq années ? Est-ce que tu es resté en contact avec Barry et Mince ?

Non. Nous avions besoin de prendre de la distance, chacun d'entre nous. Nous venions de passer quatre années à nous fréquenter quasiment chaque jour et cela devenait nécessaire de ne plus nous parler du tout pendant quelques temps. Et cela a été bénéfique. Aujourd'hui, nous pouvons à nouveau passer beaucoup de temps ensemble et l'ambiance est même meilleure que par le passé.

Est-ce que cet interlude a changé votre façon d'écrire ou d'enregistrer pour We Need Medecine ?

Si quelque chose a changé, c'est qu'il est devenu plus facile pour nous d'accoucher de ce disque que cela ne l'a été pour les deux précédents. De toute façon, nous ne sommes pas du style à passer des mois entiers en studio. Cela ne m'intéresse même pas. Pour We Need Medecine, nous avons passé plus ou moins trois semaines à enregistrer, ce qui est la durée parfaite pour nous ! Le but était de faire un disque qui sonne bien en live car c'est là que nous les meilleurs. Et des titres que nous pourrions jouer des années durant et qui continueraient à bien sonner. Cela implique un certain type de chansons et un certain type de musique. C'était vraiment l'idée maîtresse qui nous habitait quand nous avons commencé à penser à ce nouvel album.

Où s'est déroulé l'enregistrement ?

Dans la maison d'un ami à Glasgow. Aujourd'hui, le home-studio te permet de faire presque tout et n'importe quoi depuis n'importe où. De plus, il ne reste plus beaucoup de studios professionnels en Écosse et à Glasgow particulièrement. Là-bas, la plupart des studios ont fermé leurs portes. Je crois qu'il se passe à peu prés la même chose à Londres ; et de toute façon, je n'aimerais pas avoir à passer un mois à Londres pour enregistrer ! L'avantage du home-studio à Glasgow, c'est que tu peux rentrer chez toi chaque nuit...

Qui a produit We Need Medecine ?

Je l'ai produit moi-même. Ce qui ne fait pas de moi un producteur, bien sûr. C'était surtout la voie la plus facile pour moi pour obtenir ce que je voulais.

Et pourquoi ce titre ambigu, We Need Medecine ?

C'était le nom d'un des titres de l'album. Cela ne veut pas dire que nous sommes en manque de médicaments ou de drogues ! Cela a plus à voir avec l'absurdité de la vie d'aujourd'hui et la surconsommation dans différents domaines. Nous avons besoin de pilules pour vivre jusqu'à la fin des temps ; quelle absurdité !

We Need Medecine marque vraiment le retour de The Fratellis ; c'est un album qui contient tous les styles que le rock abrite : du garage au blues en passant par la pop et la country. Où avez-vous péché vos influences pour cet opus ?

Là où nous péchions nos influences par le passé ! Ma collection de disques est quasiment la même depuis que j'ai quinze ans. Et comme c'est une énorme collection de disques, j'imagine que j'ai encore beaucoup de disques à enregistrer avec mon groupe ! Je suis juste un amoureux du rock. Mais c'est vrai que j'aime surtout le rock simple et direct ; parfois classique, même. Joue un titre rock des années cinquante sur scène, et les gens ne pourront pas s'empêcher de remuer même si cela fait un millier de fois qu'ils entendent ce titre. Mes influences n'ont pas changé : The Beatles, The Rolling Stones, Chuck Berry... rien que des valeurs sûres en somme (rires) !

C'est peut-être ce classicisme dans vos influences qui fait que vos titres sont si ensoleillés et remplissent le public d'une terrible envie de remuer en live et sur disque ?

C'est marrant parce que ce que les adjectifs que tu emploies pour notre musique sont à l'opposé de nos caractères ! Mais c'est sûrement parce que nous sommes discrets et réservés que nous avons besoin d'explosivité sur scène et dans nos titres.

Ton inspiration te vient toujours des expériences de vie ?

Je ne pense pas avoir une telle expérience dans ma vie. Bien sûr, j'ai eu la chance de pouvoir beaucoup voyager et de rencontrer pas mal de cultures et de personnes différentes, mais mon inspiration vient plus de mon imagination que de mes expériences car je ne pense pas en avoir assez cumulées pour l'instant. Je ne suis pas un collectionneur de femmes ou d'amis et je ne connais intimement que peu de personnes finalement. Les histoires que j'ai vécues sont assez limitées, il me faut donc les inventer la plupart du temps. Et puis Glasgow, c'est très limité comme terre d'aventures (rires) !

L'artwork de ce nouveau disque est très fort et flashy, une fois de plus ; est-ce un hommage au travail de Roy Lichtenstein ? Au Pop Art en général ?

Je ne suis pas très calé en art... J'ai beaucoup d'œuvres d'art chez moi à Glasgow, mais c'est ma femme qui les achète (rires). Moi, mon intervention se résume au paiement (rires). Pour être franc, tu m'apprends que notre pochette est un hommage à Roy Lichtenstein ou au Pop Art ! Notre graphiste nous a fait trois propositions et nous avons choisi celle-ci. Tu n'as pas énormément de choix pour une pochette de disque : tu peux mettre une photo de nous trois ; ce qui serait un désastre. Tu peux choisir une image très abstraite ; mais nous ne sommes vraiment pas un groupe de musique abstraite. Reste donc le choix d'un graphisme direct et presque criard. Moi, j'ai vu ce design comme quelque chose de très « comic books ». Je n'ai pas réalisé que cela se rapprochait de ce truc que tu as dit...

Vous venez de terminer une tournée Anglaise à guichet fermée ; as-tu été surpris de ce succès ?

Je crois que je suis surpris depuis le départ avec The Fratellis ! Quand je suis parti de mon coté faire des disques en solo, personne ne venait à mes concerts. C'est difficile comme expérience, mais elle m'a au moins donné la capacité d'apprécier notre relatif succès avec The Fratellis et la chance que nous avions de jouer devant un public si nombreux et si communicatif. Avoir un public, c'est une très belle chose et à chaque fois que je le vois, je suis très agréablement surpris. Il y a eu une époque où nous pensions que cela était acquis, comme beaucoup quand tout marche bien. « Bien sûr qu'ils viendront, ils sont toujours venus... » : si nous avons appris une leçon, c'est que rien n'est jamais acquis et nous avons pris un coup de pied au cul qui nous a fait avancer ces dernières années. Tu te dois de donner au public une bonne raison de venir te voir. Si nous ne sommes pas physiquement morts à la fin de chaque concert, c'est que nous n'avons pas donné au public ce qu'il mérite ; le meilleur de nous-mêmes. Il faut réaliser que venir à un concert, ce n'est ni facile ni donné pour le public. Si tu prends en compte le transport, l'alcool, le prix du ticket... cela revient cher !

Vous préparez une tournée américaine pour le mois de novembre ; l'accueil du public et son ressenti changent-ils suivant le pays où vous jouez ?

Ça aussi c'est une agréable surprise : savoir que nos dates aux USA sont très bien remplies. Je pensais ce public évanoui, lui aussi... Je ne dirais pas que la différence des publics vient du pays où ils se trouvent. Elle vient de la culture de chacun. Tu peux avoir des publics très différents entre deux villes d'Angleterre. Ce qui est surprenant quand tu es en tournée, c'est que les endroits où tu ne pensais pas faire d'étincelles se révèlent souvent être les meilleurs de tes concerts !

Où aimeriez-vous jouer si vous pouviez choisir un pays qui ne vous a pas encore accueillis ?

Nous ne sommes pas encore allés en Amérique du Sud et j'aimerais beaucoup qu'une tournée s'organise là-bas. Mais, sincèrement, nous sommes heureux de jouer où que ce soit dans le monde. Nous sommes un groupe à louer ! Dans un stade, dans votre garage ou dans votre entreprise, nous serons toujours heureux de venir jouer !

Comment expliques-tu que l'Ecosse produise autant de bons groupes de rock depuis dix ans ?

C'est vrai que, depuis un certain temps, les labels de Londres envahissent l'Ecosse à la recherche de groupes à signer ; avant ça, il était obligatoire d'aller à Londres pour démarcher les labels ! Je pense qu'il y a toujours eu des artistes de qualité en Ecosse, mais personne ne faisait l'effort d'aller les chercher. Franz Ferdinand ont été les précurseurs – ils ont démarré une année avant nous – et cela a éveillé l'intérêt des labels Anglais. Nous n'avions encore jamais quitté les pubs et salles de concert de Glasgow que certains labels de Londres nous démarchaient déjà ; c'était une vraie nouveauté pour nous et les groupes écossais. Ce dont je suis certain, c'est qu'avant nous de nombreux bons groupes locaux n'ont pu être découverts à cause de cette centralisation des artistes et des labels à Londres. D'ailleurs, à l'époque où Franz Ferdinand ou The Fratellis ont démarré, de nombreux groupes connus par la suite venaient non pas de Londres mais d'autres villes du nord du Royaume-Uni.

Venez vous de familles où la musique était importante ? Est-ce que vos proches sont amateurs de vos chansons ?

Pas vraiment. Mais je crois savoir qu'ils sont soulagés par contre. Soulagés que, malgré nos choix marginaux, nous arrivons à vivre de nos activités artistiques. Pour eux cela n'a jamais constitué un vrai métier, alors c'est encore plus important pour eux aujourd'hui de réaliser que nous nous en sortons pas trop mal.

Quel est ton premier souvenir de musique ?

Je crois que c'était Michael Jackson avec Thriller. Je devais avoir trois ou quatre ans à l'époque et je demandais à ma mère de mettre ce disque en boucle. Je ne savais même pas encore comment marcher le tourne-disque ! À trois ans, ce qui est plutôt jeune, je connaissais déjà quelques paroles et je dansais sur tous les titres du disque. Mais la première chanson que j'ai vraiment apprise par cœur, c'était You Can Call Me Al de Paul Simon. Il faut savoir que pendant cinq semaines, ce titre a été numéro un au Royaume-Uni !

Je crois que tu viens souvent en France, que ce soit pour jouer ou pour des raisons plus personnelles. Qu'est-ce que tu aimes ici ?

Tout ! J'ai passé ma lune de miel en France, c'est dire ! Je suis toujours impatient de mes vacances car je passe toujours par la France ou alors j'y reste carrément tout mon séjour. New York et Paris sont mes deux villes préférées dans le monde. Si on me le proposait, je quitterais Glasgow immédiatement et je viendrais m'installer à Paris. Les Anglais ont souvent ce stéréotype du serveur Français pas aimable du tout. Mais moi, je n'ai jamais ressenti cela ! Je les trouve plutôt marrants. Quand tu voyages n'importe où d'autre en Europe, souvent les gens parlent Anglais mieux que nous, les Écossais, et il est très facile de commander à manger, par exemple. Mais en France, tous ces menus en Français que je ne comprends pas et tous ces mots débités rapidement par les serveurs que je ne comprends pas plus, j'aime ça ! Pourquoi devrais-je comprendre une langue dans un pays qui n'est pas le mien ? Gardez vos particularités, même si ça en ennuie certains.