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Johnny Borrell

Interview publiée par Xavier Ridel le 24 avril 2014

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Adulé par les uns, détesté par les autres, Johnny Borrell laisse peu de gens indifférents. Nous retrouvons le chanteur anglais au Truskel à Paris, entouré de ses acolytes de Zazou. Arrivé avec une heure de retard pour cause de douche, le leader de Razorlight, qui s’exprime dans un français parfait, n’a même pas pris le temps de se raser et arbore une barbe bien fournie. On pardonnera bien aisément cet écart à ce musicien au débit fiévreux et aux multiples références culturelles.

En premier lieu, tu mènes désormais deux carrières en parallèle. Préfères-tu enregistrer sous ton nom avec Zazou ou sous celui de Razorlight ?

À vrai dire, ni l'un ni l'autre. J'adore Razorlight tout comme j'adore ce projet avec Zazou, mais si je pouvais enregistrer sous aucun nom ce serait parfait. Je préfèrerais intituler chacun de mes albums 1, 2, 3 et ainsi de suite sans leur donner de nom, et ce afin que l'auditeur ne puisse que se focaliser sur la musique sans idée préconçue.

Je comprends. Mais pourquoi avoir intitulé le premier album enregistré avec Zazou « Borrel 1 » ? C'est un peu en contradiction avec ce que tu viens de dire...

Non, pas du tout ! C'est même exactement ce que je viens de te dire. Je l'ai appelé par un numéro, je n'ai fait qu'ajouter le nom Borrell dessus. Certains journalistes ont dit que c'était du narcissisme et de la prétention. C'est faux. (Il montre la marque de sa guitare) Regarde, il y a marqué Martin & co sur la tête de ma guitare. Penserait-on à blâmer le fondateur de cette marque pour lui avoir donné son nom ?

Je pense qu'il est de toute manière vain de vouloir définir l'art qui reste un mystère.

Tu marques un point. Mais d'un autre coté, ne penses-tu pas qu'un artiste est, par définition, narcissique et parfois un peu vaniteux ?

Je ne pense pas qu'un artiste soit par définition narcissique. L'histoire, c'est que Narcisse se regarde dans l'eau et tombe, c'est bien ça ? A ce moment là, on pourrait faire le rapprochement avec certains artistes, c'est vrai. Mais je pense qu'il est de toute manière vain de vouloir définir l'art qui reste un mystère. Faire de l'art, c'est s'exprimer et exposer ses tripes à la foule, ni plus ni moins.

Je suis d'accord. Je suppose que tu ne prêtes que peu d'attention à ce que peuvent dire les journalistes sur toi, non ?

Je n'y prête pas une grande attention, c'est vrai !

Comment as-tu rencontré les membres de Zazou ?

Et bien, à un moment de ma vie où toute l'industrie musicale commençait à me... taper sur le système, je suis descendu au Pays Basque et me suis acheté une maison là-bas. Une fois installé, j'ai appelé Freddie (ndlr : Freddie Stitz, bassiste de Razorlight) en lui proposant de me rejoindre, ce qu'il a fait. En nous baladant un jour dans la rue, nous avons croisé Joao qui jouait du saxophone et ça a été une grosse claque. Nous nous sommes regardés en nous disant « Putain, il est bon ! ». Nous lui avons proposé de venir enregistrer l'album à la maison et une fois la permission de sa mère accordée, c'était dans la poche. Je connaissais Darren, notre batteur, depuis un bon moment déjà, je n'ai eu qu'à lui passer un coup de téléphone et il est venu. Et pendant quelques semaines, nous n'avons fait que jouer, jouer et encore jouer. Pas de télévision, pas de téléphones portables, pas d'iPod, rien du tout. Seulement nous quatre, nos instruments et le soleil. C'était une expérience très intense.

Et de cette collaboration sont nés un album et un EP aux sonorités jazz et même un peu calypso par moment ?

Tout à fait.

As-tu découvert ces styles de musique récemment ou t'ont-ils toujours influencé ?

En fait, j'ai toujours adoré le jazz, le blues et le calypso mais j'étais simplement techniquement trop mauvais pour en jouer à l'époque. Et puis je suppose que tu connais ça, la fougue de la jeunesse. Avant, ce que j'aimais par dessus tout c'était le punk-rock, les Buzzcocks, les Jam. Je me fais vieux maintenant, j'aime les atmosphères feutrées et le son de la contrebasse (sourire).

Je sais comment créer des tubes pop rock comme je l'ai fait avec Razorlight, mais cela ne m'intéresse plus.

Est-ce que ces influences, qui sont pour le moins originales, ne t'ont pas posé de problème dans la distribution de tes deux disques ?

Si. Les maisons de disques n'ont voulu d'aucun d'eux. Je les leur ai fait écouter, ils m'ont tous dit « Oui, c'est bien, c'est très bien même », avant de me dire que le manque de basse et les influences étaient un gros défaut et qu'aucun titre ne passerait à la radio. Alors voilà, j'ai claqué la porte, métaphoriquement parlant, et ai créé mon propre label, Atlantic Culture Recordings. Je sais comment créer des tubes pop rock comme je l'ai fait avec Razorlight, mais cela ne m'intéresse plus. Je veux faire une musique originale. Une musique avec de l'âme. C'est ce vers quoi je tends aujourd'hui.

Au niveau des paroles, as-tu des influences particulières ?

Pas vraiment. Cela peut venir de tout et n'importe quoi. Ou de rien, en fait. Par exemple, pour The Artificial Night, je lisais un essai de Hélène Cixous dans lequel un passage traitant de la conscience humaine portait ce nom. Cette expression m'est restée en tête et j'ai fini par écrire des paroles dessus. Pour d'autres chansons, les textes sont venus naturellement, sans que j'y réfléchisse. Mais il y a autre chose. Un jour, j'ai vu un documentaire sur Fellini qui disait: « Quand tu chantes, c'est comme si tu murmurais à l'oreille d'un ami ». Cette phrase m'a bouleversé. J'ai découvert que je ne voulais pas parler au nom de tous, ni me faire le porte-parole d'une génération. Je voulais simplement m'exprimer et être honnête avec mon public.

Sur la dernière chanson de ton EP, Man Gave Name To Animals, tu reprends Bob Dylan. Je suppose qu'il est une grande influence pour toi ?

Bien sûr. Mais si elle figure sur l'EP, c'est surtout parce que je la chantais dans des clubs quand j'avais dix-huit ans. Nous nous sommes mis à la chanter lorsque nous étions dans la maison, avec cet esprit gospel. Et nous nous sommes dit qu'il faudrait l'enregistrer. Ce qui a été fait en une seule prise. C'est une chanson bizarre, mais très belle.

Quand tu vois les performances de Bob Dylan aujourd'hui, penses-tu continuer ta carrière jusqu'à l'âge de soixante-quinze ans ?

Oui, bien sûr. J'ai presque hâte ! Je ne serai pas du genre de Mick Jagger, à me trémousser sur scène. Mais je m'assiérai tranquillement, empoignerai ma guitare et dirai ce que j'ai à dire. Je n'ai pas vu jouer Bob Dylan depuis dix ans, il faudrait que je le revois pour juger de ses dernières performances. Il est passé à Paris récemment, non ?

Pour l'instant je veux continuer Zazou, parce que tout ça m'inspire beaucoup.

Oui, au Grand Rex, juste à coté. Les places étaient hors de prix, malheureusement. En parlant de Paris, je suppose que tu sais que Peter Doherty vit ici depuis quelques années. Es-tu toujours en contact avec lui ?

Nous avons toujours des amis en commun mais ça fait un moment que je ne l'ai pas vu. La dernière fois, il y a quatre ans de cela, il sortait d'un taxi que je m'apprêtais à prendre. On s'est embrassés, nous avons rapidement pris de nos nouvelles, mais en sommes restés là puisque le chauffeur m'attendait. Quand on était jeunes, on était très proches, mais c'était une autre époque. Nous vivions complètement hors de la société, il n'y avait ni Facebook ni Internet, évidemment. Si nous nous recroisions, nous nous parlerions sans problème, bien entendu. Néanmoins, quand j'y repense, jamais je n'aurais imaginé ce que nous deviendrions. Peter et Carl ont fondé les Libertines, l'un d'eux est devenu une véritable légende du rock, j'ai monté Razorlight et ai fait de très belles scènes, Mairead Nash est devenue la manager de Florence & The Machine... Si quelqu'un avait lu dans notre avenir, nous n'y aurions jamais cru (rires).

C'est la magie du rock'n'roll ! J'ai beaucoup aimé la pochette de ton EP. Il s'agit d'un cycle lunaire, c'est ça ?

Oui, ça vient de W. B. Yeats et de son attirance pour les sciences occultes. Apparemment, on passerait trois fois ce cycle dans notre vie, et le monde le fait toujours. (Il saisit un exemplaire de son EP) En ce moment, on est là, tout est relatif, il n'y a plus de valeur objective ni rien. Je pourrais déféquer sur scène, personne ne dirait rien (rires).

Pour conclure, à quoi ressemblera le futur pour toi ?

Je n'en ai aucune idée. Pour l'instant je vais continuer avec Zazou, faire quelques dates de concert avec Razorlight cet été sous forme de Best Of, je verrai ce que ça donne. Pour l'instant je veux continuer Zazou, parce que tout ça m'inspire beaucoup. Je vais bientôt écrire un nouveau cycle de chansons, je ne sais pas quand, mais ça va venir. A ce moment là on verra bien...