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Childhood

Interview publiée par Maxime Canneva le 4 août 2014

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Serions-nous en train de vivre un revival psychédélique ? La question mérite d’être posée étant donné le nombre grandissant de nouveaux groupes venant s’inscrire dans cet esprit très 60's. L’an dernier les australiens de Tame Impala nous avaient envoyé au septième ciel avec leur album Lonerism mais cette année pas besoin de chercher aussi loin pour retrouver cet esprit shoegaze, humant bon le farniente et les soirs d’été.
En effet les anglais de Childhood commencent à envahir l’espace médiatique depuis quelques semaines et cela à juste titre. Alors que leur album sort en ce début de mois d’août, nous sommes allés à leur rencontre pour faire le point sur leurs premières années de carrière, lors de leur concert à l’Alhambra de Paris en juin dernier.
Et c'est dans une ambiance détendue, entre quelques gorgées de bière et morceaux de pizza, que les anglais se sont prêtés au jeu des questions/réponses avec beaucoup de simplicité, de convivialité et d'humilité.

Commençons avec une question assez classique : le nom choisi pour le groupe, Childhood, est-il une référence à une période spécifique de votre vie ? Ou peut-être une métaphore de votre musique désignant une certaine insouciance ?

Ben : En fait on a choisi le nom un peu comme ça lors des tournées parce qu'il nous plaisait, et plus on a avancé, plus on s'est rendus compte que nos chansons collaient bien avec ce qu'il peut s'en dégager. D'une certaine manière cela a permis de le légitimer a posteriori. Ainsi, de façon générale, et un peu grâce à ce nom, on essaye d’écrire des chansons qui sont assez nostalgiques. Et effectivement certains titres sont des références à notre jeunesse.

Avec un nom pareil on pourrait s’attendre justement à un groupe assez insouciant, mais en réalité vous êtes plutôt sérieux. D’après ce que j’ai compris vous avez tous terminé vos études avant de vous lancer dans l’aventure du groupe. Est-ce que vous pensez que c’est quelque chose de nécessaire à l’heure actuelle pour un groupe d’assurer ses arrières au cas où ça ne marcherait pas ?

Ben : Effectivement, si tu es très prudent, plutôt anti-rock’n’roll, tu auras plutôt tendance à raisonner comme cela... Pour nous ça ne s’est pas vraiment passé ainsi, on ne s’est pas dit, « finissons nos études, si ça ne marche pas on pourra toujours retomber sur nos pieds avec notre diplôme. ». On a commencé à jouer ensemble à l’université, c’était plus pour le plaisir qu’autre chose, sans chercher à être un groupe « sérieux ».
Lorsqu’on a fini notre scolarité, on est revenus à Londres et on s’est aperçus qu’on préférait se lancer dans l’aventure plutôt que de trouver un boulot. Rien n’était spécialement calculé, les choses se sont présentées comme ça, et on a profité de l’occasion !

Dans l’immédiat on rêve plus de jouer en tête d’affiche à Glastonbury que de gagner des mille et des cents !

Certains groupes expliquent qu’avec des pratiques comme le téléchargement illégal, il est de plus en plus difficile de gagner sa vie uniquement avec sa musique. Vous faites justement partie de la jeune génération qui a grandi avec ce genre de problématiques, pensez-vous donc que c’est une période peu évidente pour être dans un groupe ?

Dan : C’est effectivement plus dur que par le passé de gagner assez d’argent avec un groupe pour se permettre juste de vivre avec ça. Mais quand tu montes un groupe, comme on le fait actuellement, tu te contentes juste de faire du mieux que tu peux, et de continuer tant que tu le peux. Pour l’instant on ne se projette pas dans une carrière de dix, quinze ans, il s’agit juste de quelque chose que l’on souhaite faire maintenant.
Leo : Ensuite s’il est possible de s’en sortir confortablement juste avec notre musique, c’est certain que ce serait bien. C’est un peu le rêve de tout groupe qui débute.
Dan : Dans l’immédiat on rêve plus de jouer en tête d’affiche à Glastonbury que de gagner des mille et des cents ! (rires)
Ben : Cela dépend un peu de la philosophie générale que tu suis en fait : est-ce que tu cherches à te faire de l’argent immédiatement et avant tout, ou est-ce que tu préfères plutôt te laisser la possibilité de t’exprimer et rester pauvre plus longtemps ? (rires) Pour l’instant c’est cette dernière qu’on a choisie ! (rires)

Je pense vraiment que la musique live et le journalisme de qualité restent des valeurs sûres.

En tant que jeune groupe, vous avez également grandi avec des nouveaux moyens de communication : internet, les réseaux sociaux, le streaming... Cela vous pose-t-il problème ou voyez-vous cela comme un avantage que le fait d’utiliser ces nouvelles technologies soit une étape quasi-obligatoire pour gagner en notoriété ?

Ben : Oui, c’est vrai, ce n’est pas toujours évident, étant donné qu’avec internet il y a un certain manque de respect... Enfin, respect n’est pas vraiment le mot adapté, mais c’est devenu un élément tellement incontournable quand un groupe se lance, qu’il est facile de perdre trop de temps avec, que cela devienne une trop grande source de distraction.
Je préfère de loin les magazines et la musique live, puisque quand j’étais plus jeune je n’allais pas spécialement regarder ce que faisaient les autres groupes sur internet... Maintenant avec le web c’est à celui qui montrera qu’il est le plus populaire, et ça n’a plus vraiment de sens... Je pense donc vraiment que la musique live et le journalisme de qualité restent des valeurs sûres.
Dan : C’est devenu quelque chose de relativement négatif avec internet. Maintenant, à moins que tu ne rentres dans certains moules, que tu aies le bon « profil », on ne va pas te programmer à la radio par exemple, et les gens ne t’écouteront pas. Cela donne une vision beaucoup plus étroite, beaucoup plus ennuyeuse de ce qui se fait réellement ! Bien entendu il y a aussi énormément d’avantages, tu peux voir tout ce qui se passe au jour le jour, suivre l’actualité au plus près...

Parlons un peu de vous : vous avez commencé à jouer en 2012...

Ben : En fait on n’a été au complet qu’à partir de 2012, mais on écrivait des titres déjà un peu avant en 2010. Tout ne s’est concrétisé qu’en 2012 quand on a commencé à un peu gagner en notoriété.

Vous avez donc publié quelques singles durant ces deux ou trois dernières années, avant la sortie de votre album Lacuna en août prochain, mais dans l’absolu avez-vous essayé de prendre votre temps, de ne pas vous imposer trop de pression avec cet album ?

Tous : Oui !
Leo : C’est également parce qu’à l’époque on était à l’université, donc on ne pouvait pas consacrer 100% de notre temps au groupe. L’année passée par contre nous a permis de nous concentrer sur le groupe et sur l’album.


Et justement, après l’étape du premier album, beaucoup de groupes dénoncent un rythme effréné où les tournées s’enchaînent, sans beaucoup de temps pour se reposer ni composer les futurs morceaux dans de bonnes conditions... Pensez-vous, sans vouloir être pessimiste, que vous devrez faire face à des conditions comme celles-ci ?

Ben : On n’a peut-être pas une vision à assez long terme pour vouloir jouer dans un groupe toute notre vie, mais dans l’immédiat on est plus excités qu’anxieux face à l’opportunité de pouvoir faire beaucoup de choses !
C’est aussi super d’avoir une part d’inconnu à venir plutôt que de savoir qu’on va faire la même chose tous les jours, toute sa vie. La plupart du temps on ne sait pas ce qui va nous arriver la semaine suivante, et vu que je ne suis vraiment pas le genre de personne à être coincé dans ma routine, je trouve cela vraiment stimulant !

Parlons un peu de votre musique à présent : de mon point de vue votre son est très psychédélique, et me fait penser à ce que des groupes comme Tame Impala ou Temples sortent actuellement. Vous ont-ils plus ou moins inspiré ?

Ben : On est effectivement de grands fans de groupes comme Tame Impala, mais on a découvert Temples plus récemment, et bien qu’on apprécie beaucoup leur style, on s’en éloigne un peu. On essaye de faire beaucoup de musique psychédélique, assez rétro, mais aussi des choses plus contemporaines et électroniques voire également de la soul. Nos influences sont très larges, de la pop alternative à des choses où il y a beaucoup de guitares ou même que ce soit plus électronique, on essaye vraiment de toucher à tout et de ne pas rester figés dans quelque chose de précis.

Le mouvement psychédélique semble de plus en plus revenir, pensez-vous que l’on vit un "revival psychédélique" ?

Ben : D'une certaine façon oui !
Dan : J’ai surtout l’impression que cela dépend des effets de mode véhiculés par les média. Il y a toujours un groupe qui joue quelque chose qui peut potentiellement correspondre à ce qui plait à un instant T, et qui fera irruption au bon moment. Je ne suis donc pas certain que l’on puisse parler de revival, mais c’est cool que ces groupes aient l’occasion de s’exprimer.
Ben : Je suis assez d’accord, mais j’ai aussi l’impression que « psychédélique » est maintenant un terme passé dans le langage courant, assez généraliste, ce qui est une bonne chose car cela veut dire qu’il se passe des choses dans l’univers de la pop indé, que l’on assiste à des choses plus expérimentales. Mais en tout cas ce terme de « revival » désigne bien le côté ambitieux de tous ces jeunes groupes, ce qui est très positif.

D’ailleurs, chez vous, c’est tout un ensemble puisque même l’artwork de votre album évoque ce côté psychédélique...

Ben : On adore juste cet artiste, Robert Beatty, qui a fait certains de nos artworks. On le laissait écouter notre musique pour qu’il ait sa propre perception de notre travail et qu’il décide de ce qui pourrait le représenter au mieux. Comme il est toujours à New York au final on le laissait faire comme il voulait !
Dan : Ce n’est pas toujours évident de représenter graphiquement sa musique, mais on est ravis du résultat et c’était une très bonne chose qu’il puisse travailler avec nous.

On est plutôt du genre touche-à-tout dans notre approche de la musique. On cherche vraiment à ce que chacun de nos titres ait sa propre individualité.

Votre dernier single, Pinballs, est assez différent de vos autres compositions et de votre album en général. Était-ce fait volontaire ?

Dan : Pour ce titre on a enregistré avec notre producteur (Dan Carrey, ndlr) et son label Speedy Wunderground, qui nous a fait écrire et enregistrer ce titre en une journée. Il l'a mixé le lendemain. C'est un processus très rapide ! Effectivement l'album en est assez différent, car normalement Ben arrive avec la trame et la mélodie alors que cela a été assez différent pour Pinballs.
Ben : L'une des choses que l'on s'emploie également à faire avec Childhood, est de mixer différentes mélodies pop, intenses ou plus douces, dans tous les cas des choses qui nous rendent heureux ! Mais on tente vraiment de ne pas s'accrocher à un seul style et de le creuser à fond, on est plutôt du genre touche à tout dans notre approche de la musique. On cherche vraiment à ce que chacun de nos titres ait sa propre individualité.

En parlant de Dan Carey, cela a dû être une énorme opportunité de pouvoir travailler avec lui... Comment s'est déroulée toute la période liée à l'enregistrement ?

Ben : La rencontre s'est faite très rapidement : il est venu me voir chez moi à Londres, on a rapidement sympathisé, on a joué tous ensemble, parlé de nos influences et ainsi de suite. A partir de ce moment on avait une approche beaucoup plus personnelle, et honnête l'un envers l'autres. On ne nous a jamais dit : "Vous vous mettez au travail maintenant, on enregistre immédiatement...". On prenait vraiment le temps de construire le groupe, parler musique, s'accoutumer à lui, traîner ensemble, boire des verres, partager nos idées...
Au final nous étions vraiment sur la même longueur d'onde et nous sommes vraiment devenus amis. On allait chez lui, on mettait des disques... Il est plus devenu un nouveau membre du groupe qu'autre chose !

J'ai également lu sur internet que vous aviez supprimé vos tout premiers titres de votre YouTube ou Soundcloud. Était-ce volontaire de ne pas vouloir laisser de traces de vos premières compositions ?

Ben : Je pense que c'était vraiment parce qu'on voulait que nos premiers titres soient viables pour notre premier album, et par conséquent on voulait pouvoir les changer un peu comme on le souhaitait sans être bloqués par des premiers jets composées dans ma chambre d'étudiant.
On veut vraiment garder le contrôle sur notre musique, et ces quelques morceaux étaient plus des blagues qu'autre chose. On ne voulait pas que les gens se fassent de fausses idées sur notre musique. C'est très simple de juger à la va vite sur internet, c'est un endroit assez flippant où ta musique peut se retrouver en un instant à l'autre bout du monde. Donc on voulait vraiment garder le contrôle avant la sortie de l'album.


A propos de ce soir : vous jouez en première partie d'Interpol, ce qui est une vraie reconnaissance de votre musique. Comment cela s'est-il passé ? Les avez-vous rencontrés ?

Dan : On ne les a jamais rencontrés en fait...
Ben : Si, j'ai rencontré Paul Banks (le chanteur d'Inteprol, ndlr) à la Brixton Academy à Londres un soir, je lui ai parlé, j'étais complètement bourré, honnêtement je n'étais même pas sûr qu'il s'en souvienne le lendemain... On est tous de grands fans depuis quelque chose comme nos treize ans, on les écoute vraiment depuis des années. Et donc je lui ai parlé, fait écouter ce qu'on faisait, et quelques jours plus tard il nous recontacte et nous demande si on veut partir en tournée avec eux. Ce à quoi on a répondu : "Carrément !". (rires)
Leo : C'est vraiment un honneur de pouvoir partir en tournée avec eux. Surtout qu'il s'agit de plusieurs dates : une en France, une à Londres et deux en Allemagne.
Ben : D'autant plus qu'on est de vrais fanboys ! (rires)

La dernière fois que vous étiez à Paris c'était en compagnie de THUMPERS et de Yuck au Trabendo. Était-ce votre premier passage dans la capitale ?

Leo : C'était la deuxième fois qu'on jouait à Paris, la première c'était avec Fidlar il y a un ou deux ans, lors du Fireworks Festival. Cela a été l'un de nos concerts préférés ! Le public a vraiment réagi positivement.

En général les groupes britanniques disent qu'ils sont mieux accueillis en France qu'au Royaume-Uni, c'est également votre avis ?

Leo : Je crois que globalement les groupes seront mieux reçus dans n'importe quel pays autre pays que le Royaume-Uni ! (rires)

Si tu partages une scène avec des groupes qui font des choses similaires aux tiennes, ça devient vite inintéressant et une sorte de compétition peut s'installer.

J'ai également vu que vous aviez fait une tournée en commun avec Palma Violets il y a peu. Leur musique est pourtant assez éloignée de la vôtre, l'atmosphère n'était pas trop étrange du coup ?

Leo : Ce sont des amis en fait ! Et effectivement notre musique est assez différente de la leur, mais c'est bien entendu génial de pouvoir partir en tournée avec des amis.
Dan : Ils ont toujours été très accommodants et sympas avec nous, donc forcément la tournée s'est vraiment déroulée facilement grâce à eux. Et bien que nos musiques soient différentes, on a la même forme d'énergie et de passion. Même s'ils sont plus punks que nous, on apprécie mutuellement ce que fait l'autre, ce qui facilite les choses.
Ben : C'est aussi une bonne chose de partager la scène entre des groupes qui n'ont pas le même style. Si tu partages une scène avec des groupes qui font des choses similaires aux tiennes, ça devient vite inintéressant et une sorte de compétition peut s'installer.
Dan : Même nos influences sont assez différentes, donc vraiment ça nous permettait de voir autre chose. Au final c'était bien plus un avantage qu'un inconvénient, cela a rendu les choses bien plus intéressantes !

Et le mot de la fin vous revient...

Ben : Stay beautiful Paris !