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Bloc Party

Interview publiée par Emmanuel Stranadica le 28 janvier 2016

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Bloc Party n'est pas mort! C'est en effet en formation rajeunie que le quatuor est de retour. Leur nouvel album, Hymns, devrait en surprendre plus d'un. A l'occasion d'un concert donné à Paris le premier décembre dernier, nous avons eu la possibilité de rencontrer Kele Okereke. Celui-ci nous a expliqué les événements survenus à l'issue de la tournée Four et nous a parlé des changements intervenus depuis et qui ont permis d'aboutir à la sortie de ce disque.

Je pensais que Bloc Party était reparti pour de bon avec le line-up original lorsque vous avez sorti Four. Mais j'avais tort puisque Matt et Gordon ont depuis quitté le groupe. Que s'est-il passé ?

Rien de bien excitant en fait. Nous n'avons pu que constater que nous étions des personnes relativement différentes. Lorsque nous avons redémarré tous ensemble, la vibration n'avait pas changé. Elle n'était pas super positive. Je pense qu'il était évident que tout cela n'allait pas fonctionner plus loin que la série de lives que nous avions donné. Matt est parti en 2013, et à la fin de la tournée Gordon nous a quittés également. Personnellement, je trouve que c'était une bonne chose que ça passe de la sorte car si ça n'était pas arrivé, nous n'aurions jamais refait un nouvel album. En 2013, j'ai réalisé que je ne voulais plus que ce groupe soit constitué de la sorte. Après que Matt soit parti, les rapports entre nous tous étaient devenus meilleurs. Une de mes amies est venue nous rejoindre pour finir la tournée à sa place. Elle s'appelle Sarah et joue de la batterie avec Hot Chip. Elle a pris beaucoup de plaisir à jouer avec nous. Je me suis alors rendu compte que c'était mieux de jouer avec des personnes que tu apprécies. A la fin de la tournée, nous avons donc dû effectuer des changements et nous séparer également de Gordon.

Tu as donc une nouvelle formation, de surcroit rajeunie. Pourrais-tu nous en dire plus sur les nouveaux membres de Bloc Party ?

Justin est notre nouveau bassiste. Il est américain et a joué avec un groupe de Portland qui s'appelle Menomena. C'est un de mes groupes préférés. Je me souviens l'avoir vu pour la première fois en live en 2009 et j'avais trouvé que c'était un excellent bassiste. Je pense que j'avais en tête de lui demander de nous rejoindre au cas où quelque chose se passerait dans Bloc Party. Au vu de la situation, je lui ai demandé s'il était partant pour nous rejoindre et il a accepté. C'était super qu'il ait pu nous être présent pour enregistrer l'album. Il possède une créativité musicale assez incroyable. J'ai beaucoup travaillé seul sur l'album mais j'ai réalisé que Bloc Party était un groupe et qu'il était nécessaire d'impliquer les autres membres dans la conception du disque. Ce fut donc une totale collaboration. Nous avons rencontré Louise à la fin de l'enregistrement du disque. Je l'ai vue jouer sur scène avec Peaches. Elle est vraiment géniale. Lors de notre rencontre, on a improvisé en studio et cela a parfaitement fonctionné. Elle a donc accepté l'idée de nous rejoindre. Maintenant il faut composer tous ensemble afin de couper définitivement avec le passé et repartir réellement en tant que groupe.

Tous les albums que nous avons sortis constituent une tentative de coupure avec le passé.

Hymns sonne différemment de vos précédents albums. Tu cherchais vraiment à t'éloigner du passé ?

(Il hésite) Je ne sais pas. Je crois que tous les albums que nous avons sortis constituent une tentative de coupure avec le passé. Lorsque nous avons sorti Silent Alarm, les gens se sont plaints qu'il ne sonnait pas suffisamment comme l'EP Banquet. Lorsque nous avons sorti A Weekend In The City, ils ont trouvé que ça ne sonnait pas suffisamment comme Silent Alarm, et ainsi de suite. Je pense qu'à ce moment de notre carrière, nos fans doivent comprendre que nous devons prendre des risques et avoir de la créativité. C'est ce qui nous permet de continuer en ce sens et de faire de la musique. Pour nous ce n'est pas refaire la même musique mais au contraire que ce soit différent. La vie et toutes ces expériences font que nous évoluons et que nous ne pouvons pas nous répéter sans cesse. Nous devons avancer vers des choses nouvelles.

Le disque parait plus serein que Four ne l'était. Notamment avec certaines chansons qui étaient très lourdes musicalement. Est-ce que la tension entre vous était la raison derrière tout ça ?

Four sonne comme s'il y avait de la rage entre nous parce qu'on voulait qu'il sonne ainsi, ni plus ni moins. Cela n'avait rien à voir avec les rapports personnels qu'on pouvait entretenir. Nous nous étions éloignés pendant pas mal de temps, et lorsqu'on s'est retrouvés à New York pour les sessions d'enregistrement du disque, cela faisait sens d'explorer énergétiquement parlant des choses nouvelles et très puissantes. Après deux années de tournée pour ce disque, j'ai compris que je ne voulais plus musicalement sonner de la sorte. Peut-être était-ce à cause des DJ sets que je donnais à la même époque, et que cela a influé sur le son qui me plaisait, celui que je voulais entendre. Aussi, il fallait une nouvelle texture pour cet album. Quelque chose de moins brutal, de moins tranchant.


Comment s'est passée l'écriture des chansons ? Est-ce que c'est toi et Russel uniquement ou est-ce que Julian y a également participé?

C'est principalement Russel et moi qui sommes à l'origine des chansons de l'album. Nous avons présenté la structure des compositions à Justin et à Alex qui joue de la batterie sur le disque. Il nous est paru normal et surtout nécessaire d'apporter des idées extérieures à ce que nous avions déjà écrit sur ces chansons afin de leur apporter une formule plus live.

The Love Within, le premier single, est assez surprenant, notamment avec ce clavier lancinant. Pourquoi avoir choisi ce premier morceau comme extrait de Hymns?

Je pense qu'on a tenu à montrer au public comment l'album sonnerait. C'est marrant que tu mentionnes un synthétiseur pour The Love Within car en fait c'est la guitare de Russell qui donne ce son si particulier à la chanson.

Vraiment ?

Oui. Toutes les chansons de l'album ont des sonorités qui proviennent des guitares même si cela peut s'apparenter à des synthétiseurs. C'est assez fou ce que Russell est capable de faire avec sa guitare. En fait ce morceau nous a permis de nous éloigner de l'endroit où nous étions un peu englués. Ce disque c'est toujours nous, mais en version moderne. C'est pour cela qu'il était important de démarrer avec une bonne chanson.

Il y a moins de tension musicale sur le disque mais il y a toujours beaucoup de mélancolie dans certaines chansons. Êtes-vous un groupe mélancolique ?

Je ne saurais te répondre. On ne se sent pas malheureux, comme certains parfois le laissent entendre. On prend beaucoup de plaisir à rire et à plaisanter.

Tu n'es pas comme Morrissey alors ?

Est-ce que Morrissey au quotidien est vraiment le Morrissey des mauvais jours ou de ses autres jours ? (rires). Je serai curieux de savoir comment est réellement Morrissey dans la vie de tous les jours. Je ne suis pas une personne mélancolique mais musicalement c'est une émotion qui vient à moi assez naturellement. C'est marrant que tu me poses cette question parce qu'un de mes amis m'a demandé : « Pourquoi tu n'écris jamais de chansons joyeuses ? » (rires). Je n'avais pas pensé à cela auparavant. J'ai toujours composé instinctivement. Ça me fait penser que je devrais quand même sérieusement faire attention à ça, surtout si des personnes finissent par penser ça de moi (rires).

Je pense que Hymns est pour moi une opportunité d'exprimer ce que je ressens.

Es-tu quelqu'un de religieux ?

Non, je ne le suis pas. Je n'adhère ni au Christianisme ni au Judaïsme. Mais j'ai une vraie dimension spirituelle. Je pense que Hymns est pour moi une opportunité d'exprimer ce que je ressens par rapport à la vie, à l'humanité, à l'univers. J'ai trouvé une réelle connexion avec la nature en faisant ce disque. Une des choses qui me rend le plus heureux dans la vie c'est de faire une balade en forêt ou de me trouver près d'une rivière ou de la mer, cela m'apaise. J'ai une connexion très forte avec le soleil. Si le soleil ne brille pas, je me sens de mauvaise humeur. C'est d'ailleurs très difficile pour moi de vivre à Londres car le ciel est très souvent gris là-bas. Je suis heureux lorsque je porte un short et un t-shirt et que je sens la chaleur du soleil sur ma peau. Je pense que c'est la raison pour laquelle il y a des références aux rivières, au soleil, à la lune, à la lumière du jour sur le disque.

Je pensais que Only He Can Heal Me était à propos de Jésus.

Je me sens un peu coupable par rapport à cette chanson. Originellement, elle devait faire référence au caractère de Jésus. Mais finalement j'ai trouvé que l'idée d'une personne qu'on aime était plus appropriée. Quelqu'un à qui on est connecté intimement, quelqu'un qui peut nous protéger des tourments de la vie. Cela peut être Jesus, un homme, une femme, cela peut s'apparenter à n'importe qui.


Vous avez changé de label pour la troisième fois. Pourquoi avoir choisi Infectious Music et pourquoi est-ce terminé avec French Kiss Records ?

French Kiss Records nous avaient signé pour un seul album, Four en l'occurrence. Je pense que nous n'avions plus de contrat avec un label aux Etats-Unis. C'est pour cela que nous avions signé chez eux, mais juste pour un disque. Par contre nous étions toujours sous contrat pour le reste du monde. A la fin de la tournée Four nous n'avions plus de contrat pour le monde entier cette fois. C'est pour cela qu'il nous fallait retrouver un label. Voilà pourquoi nous avons signé avec Infectious. Nous adorons son boss, Korda Marshall. C'est quelqu'un qui aime vraiment la musique. Ce milieu est devenu très sauvage, très compliqué. Je ne suis pas certain qu'il faille encore s'engager dans des contrats de longue durée. Nous verrons bien comment cela se passe avec Infectious.

Une chanson comme Biko aurait-elle pu figurer sur Hymns ? Penses-tu qu'il y a une progression naturelle dans votre musique et que celle-ci aurait finalement débouché sur un disque moins rock que les précédents ? Y avait-il déjà des signes dans le passé qui pouvaient laisser sous-entendre cela ?

Je pense que Intimacy était la première étape vers une autre exploration musicale en studio, au niveau sonore. Auparavant on sonnait davantage comme un groupe de studio, on a enfin pu sonner davantage live à partir du troisième album. Tu as raison. Des chansons telles que Biko, Signs ou encore Mercury étaient le signe que notre manière de faire de la musique, de l'enregistrer, deviendrait différente. On a commencé à prendre davantage de libertés en studio et cela nous permis d'avancer progressivement dans la direction vers laquelle nous souhaitions aller. J'ai d'ailleurs enregistré un premier album solo après cet album de Bloc Party, et celui-ci, The Boxer, était connecté à notre dernier album et a servi de transition à la suite que nous allions donner musicalement à Bloc Party. Pourtant j'ai laissé ça de côté pour Four et à la fin de la tournée, j'ai compris que je ne voulais plus du tout jouer cette musique. Mon second disque solo, Trick, était plus relâché, plus détendu et cela a pas mal influencé l'attitude à adopter pour Hymns. Je pense que ce nouveau disque représente ce que Intimacy aurait dû être si nous avions fait les choses comme il le fallait à l'époque. Nous avons énormément travaillé ensemble pour ce disque. Nous avons jammé en studio, expérimenté des sons live. Nous aurions dû faire cela au moment de Intimacy, sauf qu'à cette époque, on ne travaillait pas en tant que groupe avec les chansons. Ce n'était que des idées que nous expérimentions ensemble. Cela ne suffisait pas et ne pouvait pas fonctionner comme cela fonctionne aujourd'hui. Nous avons su trouver et surtout nous donner l'espace nécessaire à notre besoin.

Il y aura une édition limitée de l'album qui inclura quatre inédits supplémentaires. Avez-vous enregistré beaucoup d'autres morceaux ?

Nous avons enregistré cinq chansons en plus de celles qui figurent sur l'album. Le disque japonais aura probablement d'autres bonus. Eden, qui figure sur l'édition limitée de Hymns, est le morceau qui ouvre nos concerts en ce moment. Nous ne l'avions pas retenue pour l'album car on ne trouvait pas la place idéale pour ce titre dans le tracklisting. Son ambiance est différente du reste du disque mais nous avons finalement réalisé qu'elle était parfaite pour débuter nos concerts.

Silent Alarm a maintenant 10 ans. Quel effet ça te fait ?

(Il souffle) Pour être honnête, je n'y pense pas vraiment. J'étais très fier de ce disque lorsqu'il est sorti, mais je ne l'écoute plus du tout. Les dernières fois que je l'ai écouté, je pensais uniquement aux choses que je voulais changer par rapport à ce que j'entendais. Mais c'est un peu la même chose avec les autres albums. On les aime lorsqu'on les fait, et puis tout change. Nous devenons d'autres personnes et notre ressenti devient différent. J'ai pris beaucoup de plaisir à l'enregistrer mais ça s'arrête là.