logo SOV

Låpsley

Interview publiée par Cassandre Gouillaud le 6 mars 2016

Bookmark and Share
Holly Lapsley Fletcher n'a pas vingt ans, mais son électro pop est déjà applaudie de toutes parts de l'autre côté de la Manche. Après deux EPs réussis, Monday et Understudy, c'est à quelques semaines de la sortie de son premier album, Long Way Home, que nous avons rencontré la multi-instrumentaliste qui revient sur un effort largement introspectif, toujours guidé par des sonorités minimalistes.

Tu as mis tes premiers morceaux en ligne sur SoundCloud il y a deux ans, alors que tu n'avais que 17 ans. A quand remontent tes premiers contacts avec la musique ?

Mes parents m'ont inscrit à mes premiers cours de piano lorsque j'avais cinq ans. Je m'en suis lassée, puis j'ai commencé à jouer d'autres instruments, comme la guitare ou le hautbois. Cela dit, on ne peut pas dire que j'ai grandi dans un milieu où la musique était particulièrement importante. Même si mes parents en jouaient un peu eux-mêmes, cela n'avait rien d'exceptionnel par rapport aux autres. Ils avaient surtout de bons goûts musicaux. Ils écoutaient Kate Bush ou Joy Division, un peu comme une famille anglaise typique des années 1980.

Quand as-tu décidé de t'y consacrer à plein temps ?

Il y a probablement un an, quand j'ai eu mon premier contrat avec XL Recordings dans les mains et que je me suis dit « oh merde ». (rires) En fait, j'ai vraiment commencé à produire de la musique il y a deux ans. A l'époque, ce n'était pas vraiment pour faire carrière, mais parce que j'aimais cela. Ce virage est assez récent au final. J'avais publié ces quelques ébauches sur SoundCloud, et lorsque je suis revenue dessus quelques mois plus tard, j'ai vu qu'ils avaient attiré beaucoup d'attention. Tout est parti de là. Je verrai maintenant où cela me mène.

Dans les cours de musique, tu ne joues pas vraiment de la pop.

Tu as eu une formation musicale que l'on pourrait qualifier de classique, comment as-tu été introduite à l'électronique ?

En effet, dans les cours de musique, tu ne joues pas vraiment de la pop. Il y a beaucoup de théorie. Je détestais vraiment la théorie. (rires) Je m'étais fait quelques amis qui étaient plus vieux que moi lorsque j'étais adolescente, avec lesquels j'ai commencé à sortir à Liverpool. J'ai fini par me retrouver dans des raves, des soirées techno, et je crois que c'est parti de là. Mais j'avais aussi ce besoin de faire quelque chose de différent des autres. La musique électronique m'a permis dans un sens de satisfaire ce besoin, car là où j'étais très attirée par ces sonorités, aucun de mes amis ne l'était vraiment. Finalement, je me suis retrouvée dans une position un peu intermédiaire, où je peux combiner à la fois des sonorités électroniques et une écriture qui intègre des éléments de classique. J'ai conservé de mes cours une certaine approche de l'espace, et du travail de composition avec les clés et les accords. Après tout, tout ce que tu fais sur un piano, tu peux le faire sur un synthé. Les deux marchent de la même façon.

Tu as justement composé tes premiers EP à l'aide de GarageBand. Comment qualifierais-tu cette différence entre le travail sur instrument et sur ordinateur ?

Je pense en fait que les ordinateurs sont de nouveaux instruments. Tu peux les utiliser comme des claviers ou comme des synthés, qui fonctionnent eux-mêmes comme des pianos, sauf que tu peux en manipuler le son. Il y a beaucoup de personnes qui voient cela comme étrange, sans doute parce que c'est très nouveau. Je crois que d'ici quinze ans, lorsque l'utilisation des synthés et cette nouvelle logique auront pleinement été intégrés, cela ne le sera plus autant. Les ordinateurs seront juste les nouveaux instruments de notre génération.


Pour en venir à Long Way Home, j'ai vu que tu avais à la fois écrit, enregistré, et produit cet album. Est-ce que tu t'es tout de même entourée d'une équipe en studio ?

Bien sûr. Lorsque j'ai commencé à travailler sur Long Way Home il y a un peu plus d'un an, j'ai eu besoin d'un peu d'aide supplémentaire pour passer d'une production faite-maison à un studio professionnel. J'avais surtout des lacunes techniques, beaucoup de choses que je ne comprenais pas et entre autres les nouveaux équipements. J'ai beaucoup travaillé avec Rodaidh McDonald de XL Recordings, qui a aussi produit les XX. Il m'a aidé à concrétiser mes idées et a produit cet album avec moi. J'ai aussi collaboré avec Paul O'Duffy. J'aime beaucoup ce qu'il fait. Sa musique n'est pas très commerciale, elle est très inspirée des années 1960, d'une genre d'avant-garde. Elle me faisait penser à la musique de James Bond. (rires) Il a stimulé ma pensée, m'a apporté un nouveau regard sur la composition et sur ma façon d'approcher chaque chanson. J'ai beaucoup appris de cette collaboration.

Il y a sur cet album beaucoup de chansons qui font écho aux relations amoureuses, et la plupart d'entre font même allusion à une rupture. Est-ce que ce Long Way Home est celui qui suit la fin d'une relation, comme un processus de reconstruction ?

J'ai appelé cet album Long Way Home pour deux raisons. La première renvoie au fait de déménager à Londres, et la façon dont cette longue-distance, qui est physique, exerce une pression sur les relations de couple. L'autre, c'est le fait de toujours vouloir passer le plus de temps possible avec quelqu'un. Tu sais, c'est comme quand tu rentres de l'école, tu es avec ton meilleur-ami, et tu vas emprunter le plus long chemin possible pour rentrer chez toi, de façon à pouvoir prolonger ce moment jusqu'à dire au-revoir. C'est comme vouloir étendre au maximum ce laps de temps avec la personne que tu aimes, tout en sachant que cela se terminera un jour. C'est un thème que j'exploite beaucoup dans l'album, et qui a aussi à voir avec la fin de ces relations amoureuses.

Je pense que les gens peuvent essayer d'établir une connexion avec la musique.

Est-ce que les histoires desquelles tu t'inspires te sont personnelles ?

Oui, ces histoires sont toujours celles de quelqu'un, bien que j'utilise beaucoup de métaphores. Je suis quelqu'un de très visuel. Je peux utiliser des falaises, des lacs, même la météo, et beaucoup de choses fictives pour expliquer ce que je ressens. Je pense que les gens peuvent essayer d'établir une connexion avec la musique, et réutiliser ces métaphores à leur façon pour essayer d'en tirer quelque chose de nouveau, qui leur soit personnel. Je suppose que c'est assez ouvert à l'interprétation.

Une grande partie de Long Way Home est animée par une démarche qui paraît très introspective. Dirais-tu que la musique est une forme d'exutoire ?

C'est certain ! Elle l'est même de multiples façons, simplement parce que je ne suis pas heureuse quand je ne fais pas de musique. Lorsque j'étais encore au lycée, j'étais assez déprimée. J'adorais ce que je faisais, mais je ressentais aussi beaucoup de pression et j'avais justement besoin de cet exutoire. Pour certaines personnes, c'était aller promener le chien ou faire de la peinture. Pour moi, c'était l'écriture. Je me sentais bien plus libérée après.

Ton premier album n'est pas encore sorti que tu as déjà été nominée pour un certain nombre de prix, notamment pour le Sound Of 2015 de la BBC et pour la catégorie Best New Artist des NME Awards. Qu'est-ce que ces nominations représentent pour toi ?

En fait, je n'ai plus tellement de respect pour ce genre de prix. Je pense qu'ils ne sont plus vraiment représentatifs de ce qu'il se fait actuellement en terme de musique. Ils sont devenus très commerciaux, et j'ai l'impression que les gens qui sont derrière cela n'ont pas forcément de bonnes intentions. Certains sont encore prestigieux, comme le Mercury Prize, mais les NME Awards, par exemple, ne sont plus aussi bons qu'ils ont pu l'être. Mais c'est quand même toujours un compliment d'être nominée. A vrai dire, je suis toujours très étonnée qu'il y ait des personnes qui me trouvent autant d'intérêt avant mon premier album.


Est-ce que cette attente génère une forme de pression supplémentaire vis-à-vis à la sortie de ton album ?

J'attends de voir ce que les gens attendent de moi, s'ils pensent que la direction que je prends est surprenante, ou bien même si elle ne me rend pas justice. C'est difficile de savoir, car je n'ai pas eu beaucoup de retours pour l'instant, à part de la presse ou de l'équipe qui travaille autour de moi. J'espère que ça ira ! (rires) Normalement, ce que les gens pensent n'est pas si important, mais quand tu penses la musique comme une profession, et que tu as quand même un loyer à payer à la fin du mois, cela devient crucial. Ce n'est pas une blague de dire que les artistes ont besoin de vendre des albums pour vivre. Mais je pense que la musique se vend. Elle ne rapporte peut-être pas des millions, mais je crois qu'elle se vend toujours un minimum.

Puisqu'on parlait de la BBC il y a quelques instants, tu avais été invitée à jouer l'un de tes premiers concerts sur la scène BBC Introducing à Glastonbury en 2014, juste après la sortie de ton EP Monday. Quel souvenir en gardes-tu ?

C'était ridicule ! (rires) C'était trop tôt. C'était mon premier vrai concert, mon premier festival. C'était vraiment trop tôt. Mais en même temps, c'était le mieux que je pouvais faire à l'époque. Je n'ai pas de regrets. Je préfère me dire que si je ne l'avais pas fait, je n'aurais peut-être jamais eu d'offres. Je n'aurais peut-être pas signé chez XL Recordings ni obtenu la confiance de mon équipe. Après tout, les gens ont dû voir quelque chose dans ce concert. Ils ont probablement pensé que j'avais quand même quelque chose à prouver.

Tu as peut-être vu que récemment, Amber Coffman de Dirty Projectors a révélé par le biais des réseaux sociaux avoir été harcelée sexuellement par Heathcliff Berru de Life Or Death. Sa série de tweets a entraîné une vague de soutien, ainsi que l'émergence d'autres témoignages de femmes travaillant dans l'industrie. Est-ce que tu as déjà toi-même subi ou été témoin de tels comportements sexistes ?

Ce n'était pas du harcèlement sexuel dans mon cas, mais beaucoup de discriminations liées à l'âge et au sexe. Tu dois définitivement t'imposer bien plus en tant que femme, surtout en tant que compositrice et productrice, car il n'y en a pas tellement que cela. C'est une industrie qui est globalement très dominée par les hommes. En fait, tu vois, je pense que dans le monde de la pop, il y a beaucoup d'artistes masculins comme féminins, mais il n'y a pas tant de productrices justement. Il se trouve que lorsque tu en es une, les gens ont du mal à croire que tu es capable de réaliser un tel travail. Heureusement, il y a de plus en plus de femmes qui remettent cette idée en cause.

Tu sembles parler en connaissance de cause, as-tu déjà fait face à quelqu'un qui remettait ouvertement tes compétences en question ?

Oui, cela m'arrive même dans la presse. Par exemple, la simple mention de Rodaidh McDonald les fait dire « produit par Rodaidh McDonald ». Dès qu'un nom quelconque est mentionné, ils ont tendance à dire « oh, elle n'a pas produit ce morceau » ou « oh, elle n'a pas écrit celui-ci non plus ». Si j'avais été un homme, ils diraient plutôt « il l'a produit lui-même, avec la contribution de Rodaidh McDonald » ou « il collabore avec telle ou telle personne sur cette chanson ». Malheureusement, le simple fait d'être une femme conduit certains médias à te ranger dans une catégorie prédéfinie. Je pense, et j'espère, cela dit que cela va s'améliorer dans le futur.