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Maxïmo Park

Interview publiée par Emmanuel Stranadica le 1er janvier 2018

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Quatre ans séparent Too Much Information de Risk To Exist. C'est une véritable remise en question que le groupe de Newcastle a effectué à l'occasion de la sortie de son sixième album studio. Décontenançant mais surtout plus groovy, ce nouveau disque se montre plus politique mais aussi organique notamment sur scène. Nous avons eu la chance d'échanger avec Paul Smith et Duncan Lloyd moins d'une heure avant leur montée sur scène à la Maroquinerie à Paris il y a quelques semaines. Malgré un mal de tête, le leader de Maxïmo Park s’est montré très prolixe. Retour sur cette belle rencontre.

Votre nouvel album sonne parfois plus groovy, plus funky même, que vos albums précédents. Est-ce une nouvelle direction musicale pour Maxïmo Park ?

Paul Smith : Après cinq disques, on avait envie de proposer quelque chose de différent. On avait déjà fait pas mal de choses variées sur chacun de nos disques : de la pop alternative, des chansons plus ou moins structurées, des chansons dont on peut reconnaitre rapidement le style et qui sont assez obscures au niveau des textes. On a essayé de nous connecter à notre public, et ce qu'on aime faire on l'a retranscris dans nos chansons. On a toujours aimé le funk, la soul ainsi que le hip-hop, voire même le disco, quelque chose sur lequel on peut danser. Le beat disco est revenu à la mode ces derniers temps, un peu comme par résurrection, chez bon nombre de groupes alternatifs. Mais ce n'est quelque chose qui ne nous intéresse pas du tout. Pour ce disque, on a surtout cherché à ne pas se poser de questions. C'est surtout la politique et le social qui comptaient pour nous sur ce disque. On a juste apporté de nouvelles idées de compositions musicales. Des choses qui peuvent laisser interrogatif l'auditeur : "Est-ce bien Maxïmo Park que nous sommes en train d'écouter?". Et bien sûr, après avoir entendu la chanson entièrement, l'évidence est bien là. Oui, c'est bien nous. On avait déjà essayé de le faire sur notre disque précédent avec Leave This Island ou Brain Cells, quelque chose de plus électronique que d'accoutumée. Au final, on a trouvé une nouvelle manière de travailler en studio, en expérimentant. Le live a beaucoup d'importance pour nous, aussi la structure des compositions ne peut pas se limiter à de l'expérimentation studio, c'est bien plus que cela. Nous sommes allés en studio à Chicago. Le son que tu entends sur le disque est live. On n'a pas du tout retouché Respond To The Feeling. Elle me rappelle Sign 'o' The Times de Prince. On a eu peur de ne jamais réussir à la reproduire de la sorte, on a donc préféré la laisser telle quelle. Le groove a énormément d'importance sur ce disque.

C'est un disque assez enjoué musicalement. Les paroles sont parfois terriblement connectées aux catastrophes économiques mondiales, telles que la crise des réfugiés. C'était important pour vous de vous amuser à jouer des morceaux aux textes si forts ?

Paul Smith : Absolument. Ce disque n'a pas de réponses ou de slogan, mais il était important de se sentir concerné par cette terrible situation. Le discours tenu par les politiques est inquiétant. Parler d'inégalités est trop abstrait, c'est pour cela que cela doit figurer dans nos chansons, pour qu'au moins certaines personnes en prennent conscience. Cela fait partie du marché que nous avons passé entre nous.
Duncan Lloyd : C'est une combinaison de choses entre elles. Forcément, tout cela prend une tournure politique. Mais après s'être interrogé sur la direction à suivre, il est apparu évident de devoir agir de la sorte car c'est devenu trop important. On devait le faire. Mais plutôt qu'uniquement proposer un disque punk ou rock, il nous fallait faire quelque chose d'inhabituel. Quand tu écoutes le disque avec attention, tu ressens toute cette émotion qu'on a laissée dans nos compositions. Nous sommes vraiment concernés par la situation.
Paul Smith : C'est pourquoi ce disque se devait d'être également différent musicalement. Mais toutes ces chansons sont émotionnelles. Il n'y a pas eu de décisions conscientes d'écrire à propos de ces thématiques. Cela s'est fait tout seul. Nous savions juste qu'on devait le faire. La solidarité constitue assurément une grande partie de cet album. Que les gens dansent sur notre disque, que les gens l'écoutent avec leurs écouteurs, qu'ils aiment les mélodies, cela reste aussi important que ce que nous racontons dans ces chansons. On peut un peu comparer ça avec le milieu des années 80, Scritti Politti par exemple qui avaient des paroles très intelligentes, pas forcément complexes, mais très influencées par la situation de l'époque. C'était comme une philosophie très différente, comme un reflet de l'état du monde. Ces chansons ne sont pas forcément réfléchissantes de la situation actuelle. Mais un peu comme Peter Gabriel, toujours dans les années 80, qui pouvait avoir ce discours très politique, cela ne l'empêchait pas de composer des morceaux très pop. Aussi, si les gens aiment autant notre musique que nos paroles, cela a pour nous le même impact.

Tu mentionnes Peter Gabriel, tu ne voulais pas faire de duo avec Kate Bush, juste avec Mimi Parker de Low ? Plus sérieusement, comment cette collaboration a pu survenir ?

Paul Smith : (Rires) Nous sommes tous fans de Low depuis très longtemps. Nous savions en allant à Chicago que Tom Schick qui a produit Risk To Exist avait déjà travaillé avec Low en tant qu'ingénieur du son sur The Invisible Way. A partir de là, tout s'est fait très facilement. Nous voulions travailler avec quelqu'un avec qui nous n'avions jamais collaboré auparavant. Mimi Parker avait la possibilité de venir uniquement une journée. J'avais enregistré des parties vocales tel un fausset sur les versions démos, cela sonnait pas mal, mais cela ne suffisait pas. On ne voulait pas qu'au final le résultat soit aussi évident pour l'auditeur. Sur la démo de I'll Be Around ma voix sonne un peu comme celle de Mimi. Au cours de ma vie, j'ai écouté énormément de disques, et quelque part dans mon esprit, lorsque je réalise des démos, des choses viennent naturellement et évoluent avec le temps. Mais cette fois, on a décidé de demander s'il était possible de réaliser cette collaboration avec elle. Elle a aimé les thèmes abordés dans le disque. Je lui avais adressé un e-mail lui expliquant ce qu'on était en train de faire. On lui a présenté quelques-unes de nos chansons. Au final, elle a participé à cinq titres, ce qui pour nous était comme si un rêve qui se réalisait.

Y-a-t-il une histoire derrière Get High (No I Don't) ?

Paul Smith : C'est une bonne question! Comme tu peux l'entendre dans la chanson, elle relève de l'intoxication. Elle t'emmène vers un endroit où de nombreux dommages sont présents et tout cela en trois minutes. Il y a une recherche d'excitation mais la chanson en elle-même est purement ironique. Constamment, on nous rabâche les oreilles avec des choses qui ne sont pas nécessairement vraies. Tu devrais faire ci, tu devrais faire ça. Il y a une véritable pression derrière tout ça. Si quelqu'un te dit : "Oh c'est un bon disque, tu devrais peut-être écouter ça" plutôt qu'il faut que tu écoutes ça, tout serait plus simple. Cela pourrait être à propos d'une multitude d'autres choses. Originellement, la chanson a été inspirée par le gouvernement Cameron. Il y avait un spin doctor qui s'appelle Lynton Crosby. Il a été fait chevalier et faisait partie de la maison du parlement, et il prenait des décisions pour notre pays, ce qui est étrange puisqu'à la base c'est juste une personne qui faisait du marketing. Mais c'est ainsi que notre pays fonctionne ! Cet homme est derrière les artifices des choses qu'il faut faire : un nouveau référendum, des décisions sur les économies à réaliser pour qu'elles soient utilisées dans notre système de santé. Ce qui pourrait être absolument génial, si toutefois cela servait vraiment à ça. Mais bien évidemment ce n'est pas du tout le cas. Cette chanson a été écrite il y a presque trois ans maintenant. C'est peut-être démodé ou sans rapport avec le sujet de la chanson, mais pendant la dernière campagne électorale de David Cameron, ils n'ont fait que répéter les mêmes choses inlassablement. Ce qui me laissait totalement dubitatif. C'est donc une chanson sur le refus. Plutôt que de répondre oui sans arrêt à tout, il est bon de répondre non parfois. L'idée c'est de continuer d'avoir des principes mais de ne pas faire n'importe quoi.

L'intro de Work And The Wait me rappelle beaucoup Where Is My Mind? des Pixies. C'est une coïncidence ?

Duncan Lloyd : (Rires) Elle est en effet définitivement influencée par cette chanson des Pixies. Mais c'est davantage quelque chose d'inconscient.
Paul Smith : Duncan nous l'a faite écouter et je lui ai de suite demandé si ce n'était pas une chanson des Pixies. C'est bien le cas, mais il ne s'en était pas du tout rendu compte !
Duncan Lloyd : C'est vrai. C'est un peu comme si tu analysais chacune de nos chansons et que tu essayais de trouver leur origine. Je me souviens d'un festival auquel on participait. On jouait juste avant les Pixies et j'ai vraiment réalisé la similitude avec ce morceau. Le couplet et le refrain sont vraiment différents, mais oui il y a vraiment quelque chose de Where Is My Mind? dans cette chanson.

Risk To Exist est le titre de l'album. A mon sens vivre est un risque, c'est ce que tu as voulu mentionner pour l'album ?

Paul Smith : Oui, tout à fait. Ce titre fait beaucoup référence aux réfugiés. Tout ce qu'ils osent faire pour avoir le droit de vivre. Nous avons tous parfois besoin d'aide, et c'est tellement bizarre de se dire que des gens ignorent complétement cela, pas juste les simples citoyens comme toi et moi, mais surtout les personnes en charge du pays. Mais tu as raison, dès le jour de notre naissance nous sommes confrontés à des problèmes et nous avons besoin d'être protégés. C'est quelque chose de très humain et de très basique. C'est effrayant d'ailleurs quand on y pense, tout ce qui peut arriver, par exemple pendant la grossesse, mais pour les jeunes enfants également. Nous sommes des êtres si fragiles. Même maintenant, il est possible de sortir dans la rue, glisser et se cogner la tête sur le sol, et mourir en un instant. C'est la vie ! Tout peut basculer si rapidement. Cela rend tout si vital, mais en même temps on ne peut pas penser à ça en permanence. La vie est courte, c'est pourquoi il faut écouter de la musique, et prendre plaisir aux joies que la vie peut nous donner.

Vos projets solos ou vos collaborations influencent votre manière de travailler ?

Duncan Lloyd : Je pense qu'avoir de l'espace hors du groupe nous amène à travailler différemment. Ça a beaucoup de bon d'ailleurs, car lorsque tu retrouves le groupe tu es dans d'autres conditions, comme plus fort. C'est rafraichissant. On s'est rendu compte qu'on avait tous besoin de ça. Parfois, on compose des démos qui finalement ne verront jamais la lumière du jour, mais c'est ça aussi la vie d'un musicien. C'est quasiment essentiel d'agir de la sorte, c'est tellement profitable de sortir du système dans lequel on se trouve la plupart du temps.
Paul Smith : Cela permet de gagner en confiance. J'ai réalisé mon premier album solo il y a sept ans de cela déjà, dans une chambre, dans un esprit lo-fi, mais je chantais différemment sur celui-ci, parce que j'étais chez moi et c'était beaucoup plus intime. C'est d'ailleurs pour cela que j'avais appelé mon groupe The Intimations pour le second disque solo. C'était aussi quelque chose de plus intime que Maxïmo Park mais en même temps ça me donne la possibilité de réaliser musicalement quelque chose que je ne peux pas faire avec mon groupe principal. Je pense que sans ces expériences, j'aurai été incapable de chanter une chanson comme Brain Cells, même si je savais que je pouvais le faire, que j'étais capable de la chanter sur scène. Le fait de pouvoir monter beaucoup plus haut constitue une autre partie de moi. Il y a une forme de libération en pouvant agir de la sorte.