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Ex:Re

Interview publiée par Emmanuel Stranadica le 14 mai 2019

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Après un premier rendez-vous raté début mars, nous avons eu droit à une seconde chance avec Ex:Re ou plus exactement Elena Tonra. En effet, la jeune et toujours charmante Londonienne était de passage à Paris à l’occasion d’un concert au Café de la Danse le 8 avril dernier. Si celui-ci affichait complet, cela ne nous a pas empêché de discuter avec elle à l’issue de son soundcheck. Nous avons bien évidemment évoqué ce premier album, mais aussi obtenu quelques nouvelles de Daughter. Retour sur cette belle rencontre.

C'était important pour toi de sortir un album sous un alias ?

Oui, vraiment. Tout est parti d'une suggestion d'amis et même de ma famille. Il fallait que je sorte un disque sous un nom inhabituel. Ce disque concerne un moment très particulier de mon existence. Il me paraissait difficile d' y apposer mon nom sur celui-ci dans la mesure où je raconte des histoires à mon sujet et à celui de quelqu'un dont je me suis séparé. Je trouvais que cela ne représentait pas réellement ce que je suis. C'est pour cela que j'ai eu besoin d'un disque concept. Cela n'avait donc pas besoin d'être représentatif de mon nom. Je tenais vraiment à dissocier ma vie privée de mon nom.

Avant Daughter, tu as sorti quelques chansons sous ton propre nom, Peter par exemple...

Oui, c'est vrai, mais même à cette époque je voulais changer cela et que ce soit sous le nom de Daughter et non sous le mien. Je n'aimais pas utiliser mon propre nom.

Tu parles plusieurs fois du fait d'être saoule dans ce disque. L'alcool était très présent dans ta vie à cette époque ?

Oui. J'étais très vulnérable à ce moment-là. J'avais cette sensation de me sentir mieux lorsque je sortais et que je buvais. Mais c'était juste un leurre car je n'allais pas bien du tout, et bien évidemment encore moins sous l'effet de l'alcool. J'ai toujours aimé boire un verre. Je pense que c'est un phénomène de société. Ce fait de sortir, de retrouver des amis, de célébrer quelque chose. J'aime le côté festif de la chose, ni plus ni moins. J'ai arrêté car j'ai réalisé que j'avais développé une véritable relation avec la boisson et cela ne pouvait pas continuer ainsi. Il me faudra du temps avant de pouvoir boire de l'alcool.

C'était trop personnel de sortir ce disque avec Igor et Rémi ?

Ce n'était pas le bon timing pour ça. Nous étions en vacances de Daughter à cette époque. Nous devions en être en congés pendant six mois et finalement cela faisait bien un an (rires). Nous devions un peu nous éloigner les uns des autres car nous avons été ensemble pendant environ huit ans. Nous avions besoin de vivre nos propres vies (rires). Rémi s'est marié et vient tout juste d'avoir un bébé. Et pendant ce temps j'ai sorti un disque, ce ne sont donc pas vraiment des vacances, tu avoueras. Mais c'était vraiment le moment idéal pour faire cela. Principalement, parce que sinon cela n'aurait jamais pu se faire, par manque de temps. Josephine (ndlr : Stephenson, qui joue notamment du violoncelle) était disponible à cette époque mais plus tard elle n'aurait sans doute pas pu l'être. Et donc ce concept n'aurait jamais pu voir le jour. Elle fait maintenant partie du groupe mais originellement c'était juste moi. Tout est histoire de bon timing.

Tu as dit qu'écrire ce disque était très douloureux mais l'enregistrer fut un réel plaisir. Considères-tu qu'enregistrer ce disque fut une forme de thérapie ?

Je pense que chaque disque l'est pour moi parce que j'écris des chansons à propos de choses que je ressens. A chaque fois que j'exprime quelque chose, j'apprends sur moi et cela m'aide à comprendre certaines choses. Mais une très grande partie de ce disque concerne surtout la rémission, ainsi que la prise de conscience. Les choses sont telles qu'elles sont. J'étais saoule à New-York, et la thérapie c'est de le comprendre et de l'accepter, car oui c'est la vérité j'étais dans cet état. C'est une forme d'exploration de soi-même. C'était aussi le désir de ne plus donner d'attention à quelqu'un. Je pense que j'ai réussi... un peu. Je ne crois pas que je l'ai fait entièrement (rires). Mais j'ai quand même atteint un point où il m'est possible de le laisser partir et de comprendre pourquoi cette personne et moi nous ne sommes plus ensemble. J'avais vraiment besoin de cela. Pour moi cette une très bonne chose car ce fut une réelle torture pendant un long moment.

Romance est le morceau central du disque mais en même temps il est très atypique du reste. C'était important que ce soit le teaser de l'album, même si le reste du disque est très différent ?

Je pense que l'ensemble des chansons du disque forme un tout, comme une forme de mémoire d'où tout cela provient. Je ne sais pas si ce que je viens de dire est très clair (rires). Mais Romancese passe dans un club, dans un sous-sol et c'est pour cela qu'elle a cette sonorité, pour que l'auditeur ressente parfaitement ce moment, qu'il se sente dans cette espèce de club un peu merdique où je me trouvais (rires). Chaque chanson du disque est supposée refléter l'espace dans lequel j'étais. Par exemple pour 5 A.M., je suis à l'extérieur de mon appartement et je suis entourée de ces bruits provenant de la rue. Il a fallu reproduire cet environnement. En résumé, chaque chanson est davantage une forme d'architecture essayant de reconstruire musicalement les ruines ou l'espace ou les sirènes de New-York, tous ces éléments qui composent ce disque. Le violoncelle se positionne tout autour de ta tête lors de l'écoute de l'album. Cela permet de donner une texture tout à fait particulière aux chansons.

C'est assurément très important pour toi de jouer ces chansons en concert. Tu n'as jamais eu peur que leur interprétation live redevienne douloureuse par moments ?

Non. C'est très étrange car c'est le disque le plus douloureux que j'ai sorti, mais en même temps, et je ne saurai pas expliquer pourquoi, c'est quelque chose de vraiment positif. Il y a cette vibration entre nous sur scène. Il y a une sorte d'amusement. Je ne sais pas d'où cela provient, mais je suis tellement heureuse d'être avec eux. Peut-être que tout cela provoque un équilibre entre le contexte des chansons et ce plaisir d'être avec ces musiciens sur scène. Cette positivité lors de l'enregistrement du disque a beaucoup imprégné et finalement engendré ce résultat final. Si j'avais été seule pour l'enregistrer, cela aurait été un disque tout à fait différent.

Dans Crushing, tu chantes « It's a lesson in humans using machines to show their feelings ». Tu penses qu'on vit dans un monde où les gens manquent de courage, où on préfère se parler, se quitter par éléments interposés plutôt que de se dire les choses face à face ?

(Elle rit) Oui. De toute façon, c'est juste beaucoup plus facile de ne pas avoir à rencontrer la personne. Parfois, c'est un peu faible, c'est vrai et cette phrase est très chargée en coups de poignard. C'est une réaction d'avoir subi cela de la part de quelqu'un. Même si c'est plus simple, peut-être que moi aussi je l'ai fait subir à quelqu'un d'autre, sans vraiment m'en rendre compte. Par exemple à l'occasion d'une invitation de n'importe quelle nature. Il fallait prendre une décision et parfois tu réponds très mécaniquement par un message, mais au final sans t'en rendre compte tu blesses la personne qui le reçoit, bien plus que si tu lui avais dit en face ou au moins par téléphone. Ce n'est pas courageux, je te l'accorde.

C'était important de conclure ton disque avec la phrase « still in your hands, in you hands, my heart » ? Surtout vis-à-vis de quelqu'un qui est incapable de t'aimer ?

Je pense que c'est une manière de réaliser qu'il acceptable d'être amoureux d'une personne avec qui te ne seras plus jamais ou qui ne peux te donner son amour. J'ai eu besoin d'assumer cela. Une partie de ton cœur est partie avec cette personne et en définitive il te faut l'accepter. Mais cela ne veut pas dire que tu n'aimeras plus jamais quelqu'un. C'est une sensation horrible pendant un long moment. J'étais très en colère par ce qu'il possédait cette partie de moi et que j'étais toujours amoureuse de lui. Mais maintenant ça va, même si je l'aime jusqu'à la fin de ma vie. C'est bien mieux ainsi, que nous ne soyons plus ensemble.

Pourquoi était-ce important que ton disque soit disponible en digital à la toute fin de l'année dernière, avant qu'une sortie physique survienne seulement en février 2019 ?

C'était ma décision. Je pense que j'ai stressé beaucoup de monde avec ça ! (rires). L'écriture du disque m'a pris beaucoup de temps, probablement un peu plus d'un an, mais l'enregistrement, le mixage, le mastering et la pochette, tout ça s'est fait très rapidement, bien plus que pour Daughter, où nous avons toujours pris notre temps. J'étais impatiente que les gens l'écoutent de suite. Cela faisait encore partie du processus. C'est un disque mais c'est également une lettre adressée à quelqu'un et il était essentiel qu'elle puisse arriver très vite. Pour moi, c'était le bon choix d'agir ainsi et de surprendre.

Tu démarres tes concerts avec My Heart, le dernier morceau de l'album. C'est un peu étonnant...

A mon sens, c'est le moment le plus stressant du concert parce que je suis toute seule pour l'interpréter. Mais en même temps, cela colle très bien avec la setlist. Je trouve qu'ouvrir notre concert avec le dernier morceau de l'album constitue comme une sorte d'introduction à l'album. Cela peut faire l'effet d'une boucle. L'album se termine avec cette chanson pour redémarrer avec le premier morceau du disque. Je trouve que l'effet est bon. Je l'ai écouté chez moi et j'ai vraiment trouvé qu'entendre My Heart puis Where The Time Went constitue une excellente transition, et cela pourrait continuer ainsi à l'infini. Je ne dis pas que quelqu'un voudrait agir de la sorte – Oh mais ça ne va jamais s'arrêter ! - mais tu vois ce que je veux dire (rires). Aussi, je pense que débuter avec ce qui t'effraies le plus te permet d'être plus détendu ensuite. C'est un peu comme se jeter à l'eau.

Tu joues également cette reprise de The Korgis. Pourquoi ce choix pour le rappel ?

J'ai regardé Eternal Sunshine Of The Spotless Mind pendant mes vacances. Je ne l'avais jamais vu auparavant, je ne sais pas pourquoi. C'est vraiment un excellent film. Son concept est très intéressant : Devrais-tu effacer quelqu'un de ton existence ? D'une certaine manière j'ai pensé à cela (rires). Et il y a cette version de Beck avec cette scène magnifique. Je trouve que cette chanson est liée à mon disque et je l'adore. Je trouve que c'est une conclusion parfaite pour mon concert.

Est-il possible d'avoir des nouvelles de Daughter ?

Oui, bien sûr ! Igor vit maintenant à San Diego. Je l'ai vu il n'y a pas très longtemps. Nous avons commencé à travailler sur notre troisième album ; le quatrième si tu inclus la bande originale de Music From Before The Storm. Nous allons vraiment nous y mettre cette année. La seule incertitude, comme toujours, concerne le temps qu'il nous faudra, parce que parfois c'est vrai nous avons besoin de beaucoup de temps pour terminer nos albums (rires). Je pense que nous serons pas mal aux États-Unis. J'adore Londres mais c'est bien que je m'éloigne un peu de cette ville pour le prochain disque de Daughter.

Tu penses que tu vas tourner davantage en solo ? Pour le moment c'est seulement une poignée de concerts que vous allez donner...

Je l'espère. J'aimerai beaucoup, il faut cependant que les musiciens qui m'entourent soient disponibles. Ce n'est pas toujours facile. Ils ont tous d'autres jobs et ne peuvent pas partir comme Igor, Rémi et moi en tournée pendant trois mois. Mais je vais essayer d'ajouter quelques dates à cette mini-tournée. Nous ferons quelques festivals cette année, c'est une certitude, mais je j'aimerai bien que nous puissions également jouer dans des salles.