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Tindersticks

Interview publiée par Emmanuel Stranadica le 15 novembre 2019

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C'est une interview un peu particulière. Tout simplement parce que celle-ci n’a failli jamais avoir lieu, car bloqué dans les transports en commun et placé en dernier créneau d’une journée promo de promotion. Cette rencontre a finalement a pu se faire avec Stuart Staples, leader du groupe légendaire les Tindersticks. Auteur du fabuleux No Treasure But Hope, l'anglais s'est livré à Sound Of Violence sur l'enregistrement de ce nouvel album studio. Très affecté par la crise migratoire, celui-ci nous a parlé d’osmose, de rapports humains et de fantômes. Retour sur cette discussion courte mais intense comme toujours.

Quand as-tu décidé que le moment était venu pour enregistrer le nouvel album des Tindersticks, en particulier avec les projets solos et les bandes originales qui étaient sortis ces derniers temps ?

Lorsque j'ai commencé à penser à Arrythmia, je me suis dit que c'était le moment de penser au prochain album des Tindersticks. Cela a tout doucement grandi en moi et j'ai réalisé que certaines chansons prenaient forme. C'est le cas pour Memories Of love (ndlr : sur Arrythmia) sur laquelle je m'étais fortement investi, notamment de par sa durée de plus de dix minutes. C'est quelque chose d'assez particulier. Je suis certain que le groupe aurait pu enregistrer cette chanson et la rendre magnifique, mais je ne voulais pas l'inclure dans quelque chose de prédéterminé. Je voulais rester libre. Je tenais à laisser faire les choses seul et voir comment elles évoluent. No Treasure But Hope est un disque très démocratique. Ce sont cinq personnes dans une pièce jouant des morceaux, testant si les choses s'avèrent excitantes, si elles fonctionnent. Travailler de la sorte ne peut que générer de bonnes idées. Je voulais donc être libre de terminer mon disque et laisser la place au bon moment pour le reste du groupe. Nous avons donc commencé à travailler en fin d'année dernière. On s'est rencontrés plusieurs fois les week-ends d'une manière très détendue, autour d'un piano. Et graduellement nous avons répété jusqu'à l'enregistrement.

Le disque s'est donc enregistré dans des conditions très paisibles ?

Oui, le disque est né dans ces conditions, mais je voulais également que celui-ci soit de nature très humaine, et qu'il soit surtout éloigné de la technologie et des ordinateurs. Je crois qu'à la fin de la dernière tournée pour The Waiting Room, la relation au sein du groupe, notre manière de jouer ensemble, a véritablement transcendé les compositions. Je pense que pour la première fois c'est devenu vraiment très spécial entre nous cinq. Nous avons maintenant quelque chose de très fort. C'était en train de grandir mais il a fallu ces cinq dernières années pour finalement émerger lors de cette dernière tournée.

Le premier single, The Amputees, est-ce quelque chose d'ironique ? Je veux dire cette musique presque joyeuse, comme une forme de célébration avec ces personnes qui sont amputées...

(Rires) Je pense que l'ironie est infime. Je ne cherche pas à être ironique dans mes chansons. Je l'ai écrite initialement comme un petit texte, sans musique. Elle concerne une métaphore pour les personnes qui ont perdu quelque chose ou quelqu'un, qui ont été éloignés des autres et se sentent donc amputés de quelque chose. J'ai composé la musique d'une manière très dure, très brute. J'ai pris ma guitare et j'ai joué très rudement. Ce fut très intense. On a ensuite commencé à répéter ensemble et ça s'est bien passé. Dan McKinna, qui joue de la basse et du piano dans les Tindersticks, a eu une autre idée le jour qui suivit notre première répétition. Celle-ci fut contagieuse, pleine d'entrain et attrayante. Je me suis dit que ces deux choses étaient connectées et se devaient de figurer dans la chanson. Mes mots qui composent le texte et cette musique qui avait besoin d'être optimiste. C'est vraiment un parfait exemple du partage musical entre des musiciens qui jouent tous ensemble dans une pièce, échangent des idées. Cependant je n'ai pas du tout cherché à être ironique.

Il n'y a pas de morceau instrumental cette fois. Les textes et ton chant étaient indispensables sur l'album ?

J'ai passé tellement de temps sur High Life et sur Arrythmia que j'avais besoin de prendre ma guitare acoustique et de chanter, d'en faire une véritable expérience humaine. C'était devenu une sorte de progression très dangereuse au fil des années. Je ne veux pas paraitre démodé, mais il me fallait réagir face à tout ce que la technologie affecte dans le monde musical. Beaucoup de disques récents, que j'aime d'ailleurs, sont entièrement composés avec cette technologie. Mais faire de la musique peut être aussi quelque chose de très cérébral. Les choix technologiques qui s'offrent à toi en studio affectent la manière dont on écoute la musique. High Life, The Waiting Room ont été conçus de la sorte. Ce sont des outils exceptionnels. Mais je trouvais qu'il était davantage excitant de tourner le dos à cela et de laisser ces cinq personnes dans une pièce ressentir les choses en jouant ensemble. C'est vraiment l'histoire de cet album. Revenir à quelque chose de très simple, de très humain.

See My Girls est probablement la chanson la plus atypique de l'album. Elle arrive au milieu de la seconde moitié du disque. Tu cherchais à vraiment surprendre la personne qui écoute l'album et qui ne s'attend pas du tout à entendre une telle chanson ?

Quand on a commencé à mettre toutes ces idées en place, j'ai su dès le début que la première chanson serait For The Beauty et No Treasure But Hope la dernière. Pour les autres chansons, ce fut différent. See My Girls, par exemple, a toujours eu besoin de plus encore et encore. C'est donc différent, mais c'est la même chose pour For The Beauty et The Amputees, ou encore pour Trees Fall, même si nous étions dans la même pièce tous ensembles en train de jouer avec les mêmes instruments. J'aime ces différences de texture et d'approche dans la structure des morceaux. Chaque chanson a sa propre histoire. Certaines sont très pures comme Pinky In The Daylight ou Trees Fall, qui sont très mélodiques. Je pense que l'idée de départ de See My Girls date d'il y a dix ans de cela. Elle a évolué graduellement et est devenue finalement quelque chose d'autre. Et l'étape finale est survenue pendant No Treasure But Hope mais elle aurait également pu ne jamais aboutir. Pas mal de chansons ont subi ce sort.

Dans See My Girls, tu mentionnes bon nombre de villes, de monuments et surtout "The most beautiful island in this world". Où se trouve cette île ?

Peut-être qu'elle se trouve en Grèce, peut-être est-ce la Grande Bretagne. (Rires) Dans cette chanson, il y cette dimension relative aux fermetures de frontières partout dans le monde. La mer qui se trouve autour de l'île est magnifique mais elle est également remplie de ses fantômes et de ses ténèbres. L'île est magnifique mais malheureusement peut-être est-il impossible de s'y rendre.

A la fin de The Old Mans Gait, il y a comme un redémarrage, un chapitre supplémentaire alors qu'on pensait la chanson terminée...

Cette chanson concerne quatre générations de pères et de fils. La fin est identique au début. C'est une chanson découpée en différents chapitres avec des relations différentes entre ces personnes. Cette chanson parle de l'impossibilité de se libérer de son père, que cela te plaise ou non. Tu es obligé de l'accepter, tu n'as pas le choix. Il y a cette lignée : grand-père, père, fils.

Tough Love est une autre illustration ô combien l'amour peut faire souffrir. Est-ce que tu dirais que cet album est dans l'ensemble plutôt triste ?

Je dirai qu'il y a des moments tristes, qu'il y a des moments d'inquiétude, plus que de la tristesse. Toutes les chansons sont rythmées par le fait de se trouver dans un moment bien particulier et d'essayer de réussir à faire face à ces moments, de donner le meilleur de soi. Je ne suis pas certain que ce soit tragique, plutôt de la dissonance et le fait de savoir naviguer à travers ces moments.

L'épitaphe de ce disque, No Treasure But Hope, ressemble à une conclusion, une fin de quelque chose. C'est bien ce que tu recherchais ?

Je pense que c'est une fin en effet. Par contre, je ne pense pas que ce soit une résignation. C'est plutôt une interrogation sur ce qui va se passer ensuite. Je suis par exemple incapable d'écrire des chansons qui décrivent directement mon ressenti à propos de la crise des migrants. C'est malgré tout impossible de ne pas en tenir compte. See My Girls est une sorte de chanson un peu amusante à propos du monde et le fait de ne jamais avoir été nulle part. Et même si tout peut y paraitre magnifique, ce sont bien des fantômes que je vois dans celle-ci en définitive.

Est-ce qu'il y a d'autres disques à venir, comme par exemple la bande originale de Un Beau Soleil Intérieur ou Sans Adieu ?

J'aimerai bien. C'est avant tout une question de temps. Je garde ça à l'esprit car j'y tiens. Ça sortira peut-être sous forme de collector.