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I Like Trains

Interview publiée par Jean-Christophe Gé le 23 septembre 2020

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Rencontre très détendue avec David Martin (chant, guitare) et Guy Bannister (guitare), tous sourires, à la veille de la sortie numérique de KOMPROMAT, sixième album de I Like Trains après un silence de 8 ans.

Ma première question se devait d’éclaircir ce que le groupe avait fait ces dernières années. En réalité, les cinq anglais ont peu mal d’enfants, David s'y perd, heureusement Guy suit les comptes et m’apprend que l'ensemble du groupe est l'heureux parent de sept enfants. Chacun a aussi voulu se consacrer à sa carrière extra-ferroviaire, tout cela leur a pris huit années.

Qu'avez-vous fait durant votre longue absence ?

David : Nous n'avons pas consciemment fait de pause. Nous avons quand même donné une poignée de concert chaque année. En fait, le thème de l'album est apparu en 2013 quand Edward Snowden a leaké les dossiers de la NSA. J'ai commencé à rechercher plus d'information sur ce sujet, sur comment des pays pouvaient espionner leurs propres citoyens. Les gens se doutaient que ça pouvait arriver, mais c'est intéressant de voir comment c'est arrivé. Et puis il y a eu le Brexit et l'élection de Trump. Cela a été long, au moins pour moi, de digérer toutes ces informations et de faire les recherches pour les chansons.
Guy : Nous n'avons jamais été très rapide en écriture. Nous avons commencé à travailler sur les premiers morceaux en 2014, puis en 2015 on a écrit la bande originale de notre documentaire (A Divorce Before Marriage. Ça nous a pris plusieurs mois pendant lesquels nous n'avons travaillé que sur ça. Nous avons vraiment commencé à enregistrer pour cet album en 2016, sur plusieurs week-ends épars ou quatre ou cinq jours tous les six mois. Il n'y avait pas de pression, pas de planning, nous avons avancé quand nous le pouvions. Et puis plus nous vieillissions, plus nos vies sont devenues compliquées, et c'était plus difficile de trouver du temps pour écrire et enregistrer.

Quelle est la plus vieille chanson de l'album ?

: PRISM, je crois que c'est par celle-là que nous avons commencé. On l'a jouée en concert à Leeds en 2015, c'était une chanson très différente à ce moment-là.
Guy : Oui, c'est ça. Au début le morceau était plus rock'n'roll et nous l'avons bien affiné en studio.

Justement quand j'ai écouté l'album j'ai trouvé que c'était le morceau le plus dans la lignée des morceaux classiques de I Like Trains, qu'il faisait comme un pont entre cet album et le reste de votre discographie. Je trouve le disque très homogène, comment avez-vous fait pour garder une unité de son tout en travaillant dessus pendant tant d'années ?

David : En fait aucune chanson n'était vraiment finie tant que nous n'avions pas terminé le mixage. Et au mixage, une chanson peut encore changer de manière très radicale. C'est comme ça que nous les avons fait coexister. Je suis content que tu trouves que le tout sonne comme un album, c'est dur pour nous d'être objectif car nous sommes tellement investi dedans.
Guy : Pour les premiers albums nous essayions d'écrire les chansons avant d'entrer en studio, pour n'avoir plus qu'à les enregistrer. Pour cet album nous avons eu une autre approche. Nous avons travaillé avec des producteurs que nous connaissions au Greenmount Studio et nous avons apporté des chansons qui n'étaient pas terminées. Tout s'est passé de manière très fluide. A chaque session nous revenions sur des éléments que nous avions déjà mis en place et le tout a évolué de manière très organique. Nous travaillions en permanence sur plusieurs chansons, et tout évoluait tout le temps. Dès que nous touchions a un aspect d'un morceau tout le reste évoluait de manière très naturelle.
David : C'était vraiment chouette de travailler comme ça. Nous ne savions jamais ce qui allait se passer après avoir lancé l'enregistrement. Nous étions à la fois très nerveux et énergisés par cette approche créative. C'est très stimulant de voir des idées se former et évoluer. Je pense que le meilleur exemple de ça est The Truth. Le morceau est né dans les derniers jours de nos sessions. A ce moment-là nous n'avions pas décidé que ce serait la dernière session. J'avais encore pas mal de bribes de notes sur mon téléphone, et je voulais garder les idées de ce morceau pour une prochaine fois, mais le groupe m'a persuadé de me lancer et cette chanson s'est construite très rapidement en six ou sept prises. Je suis content qu'ils m'aient persuadé de la faire.

J'ai l'impression que vous prenez le chemin inverse des groupes post-punk. Beaucoup ont commencé avec des albums très bruts et enragés pour évoluer vers des formes plus policées. Prenez l'évolution de Warsaw à New Order ou même les Clash...

David : Oui, c'est vrai. Sur les premiers albums il y avait quand même pas mal de bruit sur les guitares, mais nous ne savions pas le maîtriser. Et puis nous avons réussi à peaufiner ce que nous faisions, tout était très propre et bien en place. J'avais envie de sortir de ça. Je pense que les sujets que nous traitons sur l'album et l'actualité se prêtaient bien à une approche sans compromis qui reflète notre frustration sur la situation politique. Plus dur, plus en colère.

Les paroles de l'album sont aussi plus directes, avec beaucoup de slogans que l'on pourrait scander dans la rue aujourd'hui, alors que vos précédents albums semblaient raconter des histoires d'un monde passé. Comment s'est faite cette évolution ?

David : Je crois qu'avec la maturité je suis plus à l'aise avec la politique. Je ne me serais pas vu faire cette album quand j'avais vingt-et-un ans. Je crois aussi qu'en 2006 on parlait moins de politique dans le rock, ça aurait été moins accepté. Gang Of Four, à la fin des années 70s, est le dernier groupe vraiment engagé avec toute une scène opposée à l'effroyable gouvernement Thatcher. Nous n'offrons pas de solutions, c'est juste une observation que nous partageons, nous ne voulons pas dire aux gens quoi penser, mais juste les faire réfléchir. Sur internet on se retrouve vite dans des groupes de même opinion et il n'y a plus trop de place pour des débats. Une grande partie de cet album est centrée sur le rôle des réseaux sociaux dans notre crise politique et comment certains acteurs ont pu l'exploiter.

Avez-vous peur de la technologie en tant qu'artiste et de citoyen ?

David : Hum... C'est une bonne question. Je n'ai pas beaucoup d'espoirs sur l'évolution de la démocratie, à moins qu'il n'y ait un changement en profondeur. Il y a des gens plus intelligents que moi qui y réfléchissent, je ne sais pas s'ils trouveront la solution. Le problème c'est que ceux qui sont arrivés au pouvoir grâce à ces outils ne voudront pas le changer. Les GAFA génèrent tellement d'argent qu'ils ne veulent pas changer non plus, la régulation sera dure à mettre en place. Il me semble que c'est un peu tard maintenant, il aurait fallu prendre des mesures il y a dix ans. Je trouve ça effrayant. Cela étant dit, j'utilise les technologies tous les jours (rires). Ça nous a quand même bien aidés pendant le confinement.
Guy : (rires) Sans ça, ça aurait été l'horreur !
David : On aurait peut-être lu plus de livres.

A condition de pouvoir se les procurer sans internet...

David: Ah oui, je n'y avais pas pensé.

Pour en revenir à l'album, comment se sont faites les vidéos et comment avez-vous travaillé sur l'aspect visuel ?

David : L'aspect visuel a toujours été important pour nous. Nous utilisons des projections en concert et nous avons fait le documentaire A Divorce Before Marriage. Nous avons commencé à travailler avec Michael Connolly pour la tournée des dix ans de PROGRESS, REFORM. Nous le connaissons depuis six ou sept ans maintenant, nous nous entendons bien. Nous lui avons envoyé l'album et il a tout de suite accroché avec le concept. Nous sommes sur la même page concernant la technologie et le message que nous voulions faire passer. Il a commencé à travailler sur la pochette, et il a commencé à parler de vidéos. Il était assez occupé, et puis il y a eu le confinement. Sans avoir trop réfléchi au vidéo clip, il nous a dit qu'il voulait faire un karaoké en deep fake. Nous lui avons demandé s'il avait déjà fait ça. Il nous a dit que non, mais qu'il voulait essayer. Il est brillant, un des types les plus malins que je connaisse. Il s'est lancé pour voir s'il pourrait le faire, un peu comme un manifeste de ce que la technologie pouvait faire. J'adore travailler avec lui, c'est une super collaboration. Oh, excuse-moi, on m'apporte un café...

Tu sais, j'ai longtemps eu une boite de I Like Tea sur mon bureau...

David : Ah oui ? Tu l'as bu ?

Oui !

Il était bon non ?

Oui, carrément. Pensez-vous proposer à nouveau ce genre de merchandising un peu décalé ?

David : Nous avons préparé des mugs « truth is a liquid lunch », Michael Connolly a fait des lithographies...
Guy : Nous continuons de réfléchir à d'autres idées. En fait, c'est quand tu es coincé dans un tour bus pendant sept heures sur les routes de France que tu dis "tiens, et si on faisait du thé ?!" (rires)

Justement, quand prévoyez-vous d'être à nouveau coincés dans un tour bus ?

Guy : Dès que possible ! Mais malheureusement c'est impossible de prévoir quand...
David : Les artistes et tourneurs à qui je parle me disent que tout le monde est un peu optimiste de penser que tout sera rentré dans l'ordre l'an prochain. On verra. J'espère me tromper. Il y a plein de gens malins qui travaillent sur des vaccins, croisons les doigts.

Combien de temps faudra-t-il attendre pour un autre album de votre part ?

Guy : (très spontanément) J'espère que ce ne sera pas sept ans (rires) ! On verra.
David : Nous avons déjà des idées. Je pense que nous irons en studio avant d'aller en tournée. Maintenant, est-ce que ce sera pour un album entier, ça reste à voir...

Pour terminer, qu'est-ce que vous écoutez en ce moment ?

David : J'écoute plein de choses différentes. Laisse-moi regarder mes playlists sur mon téléphone... Ah, il y a le nouveau single de Yard Act, ils sont de Leeds, c'est le nouveau groupe de James qui était dans Post War Glamour Girls. C'est un super songwriter, son single est tranchant avec un côté Mark E Smith (The Fall). J'aime bien le nouvel album de Crack Cloud qui va un peu plus loin que le post-punk. Le dernier disque de Run The Jewels sorti pendant le mouvement Black Live Matters me semble déjà un classique.
Guy : Je n'écoute rien de très récent en ce moment. Il faudrait que je regarde ma liste des derniers albums joués sur Spotify, mais j'utilise mon téléphone pour Skype, je ne peux pas y accéder. J'aime bien le dernier single de Luke Abbott, c'est très prometteur, j'ai hâte d'écouter l'album.
David : Tu nous recommandes quoi venant de France?

Kompromat ! Un super duo electro, ils ont sorti leur premier album l'année dernière.