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Villagers

Interview publiée par Laetitia Mavrel le 17 août 2021

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Pour entamer la rentrée doucement mais sûrement, rien de tel que le nouvel album de Villagers intitulé Fever Dreams. Ce disque à la mélancolie et à la musicalité très émouvantes permet encore une fois à Conor O'Brien d'illustrer son immense talent dans un registre pop orchestrale de haute volée. Toujours à distance depuis la belle Irlande, Conor a échangé avec nous sur ce dernier disque qui couronne une première partie de carrière bien fournie et qui évidement appelle à plus.

Fever Dreams est ton cinquième album en une décennie, c'est un timing parfait ! Pour débuter, en regardant dix ans en arrière, était-ce ce que tu espérais en termes de carrière et d'évolution musicale ?

Quand j'ai commencé Villagers en 2008, j'avais clairement des plans sur le long terme. Il s'avère que j'ai quasiment sorti un album tous les deux ans, et au final j'ai toujours suivi mon ressenti au moment T, et c'est comme ça que se sont construits les albums.

Y aurait-il un message particulier que tu aurais envie de délivrer à ton toi d'il y a dix ans ?

Probablement un message sur le fait de rester humble et patient, ce que je n'étais absolument pas il y a dix ans. J'étais persuadé d'avoir toutes les clés qui me permettraient de réussir, c'était un sentiment très fort. J'ai depuis rencontré énormément de personnes et de musiciens qui m'ont influencé. Je suis aussi beaucoup moins cynique qu'à l'époque ! Le plus difficile c'est de toujours rester honnête avec soi-même.

Fever Dreams sort en cette fin août et tu as pourtant commencé à le composer il y a déjà deux ans...

Oui mais en fait on a toujours en tête de nouvelles idées, cela étant dit j'ai en effet commencé à le poser sur papier il y a deux ans.

Suite au très bon accueil de The Art Of Pretending To Swim en 2018, quel était ton état d'esprit quand tu as débuté l'écriture de ce nouveau disque ?

Je souhaitais garder les sensations des live qu'on avait vécues avec la précédente tournée, j'ai rapidement réuni le groupe car je ne voulais pas procéder de la même façon. J'ai quasiment tout joué et mixé pour The Art Of Pretending To Swim, alors qu'ici c'est un album réellement collaboratif. J'ai voulu de la chaleur, de l'étrangeté et exprimer la confusion que l'on trouve globalement, notamment à cause de nos usages d'internet.

Le résultat a-t-il été impacté par ton expérience de la pandémie ?

Oui tout à fait, l'album aurait été différent sans la crise sanitaire. Mais je souhaitais dès le départ évoquer le voyage, le fait de s'échapper de la réalité, du coup je l'ai exprimé enfermé dans mon appartement !

Je trouve que Fever Dreams est un album très personnel, l'écriture y est à fleur de peau et la multiplicité des instruments démontre encore tes talents de multi-instrumentaliste. Quel est ton processus de composition, par quoi es-tu principalement guidé dans la construction d'un album ?

Je n'ai pas vraiment de plan, en général et en tout premier lieu, je consulte les mémos que j'enregistre sur mon téléphone, c'est là que je puise une idée que je vais poser sur un piano ou une guitare. Pour cet album, la plupart des titres ont débuté grâce à des improvisations avec les autres musiciens. On jouait tous ensemble avec moi donnant des instructions. Puis j'ai tout compilé de chez moi. La plupart des titres sont les dernières minutes des sessions, sauf Fever Dreams pour lequel j'avais déjà la mélodie et que j'ai construit en y accolant la voix d'une amie lors d'un streaming live durant le confinement. J'ai enregistré avec Pro Tools lorsqu'elle parlait en direct, j'ai utilisé un peu de vocoder... L'expérience de partager mon travail tout du long était plutôt nouvelle, on prend aussi à ce moment-là toutes les réactions à chaud, c'est motivant !

L'album a été mixé par le gallois David Wrench, qui est à l'origine de nombreuses et fructueuses collaborations (ndlr : producteur sur les albums de The xx, Hot Chip, Arlo Parks, FKA Twigs, Marika Hartman...) et qui maitrise ce son électro sophistiqué. Pourquoi ce choix ?

J'ai adoré son travail sur l'album Swim de Caribou, le rendu n'aurait pas été le même sans lui. C'est un peu comme les albums des Flaming Lips, l'identité prend forme dans le mixage. Il a également mixé l'album de mon ami Richie Egan (ndlr : connu sous le nom de Jape). Je partais pour faire cela seul mais heureusement j'ai associé David et j'en suis ravi. Personne n'entendra mon mixage de l'album, c'est trop mauvais, on est à des kilomètres de la qualité de son travail (rires).

Tu es utilisateur des réseaux sociaux, tu échanges régulièrement sur ta musique ou sur la littérature et le dessin mais tu n'as jamais twitté sur des sujets politiques ou polémiques. De nombreux hashtags sont partagés sans contexte et il apparait que nombre d'internautes se trouvent influencés sans avoir toutes les clés d'analyse. Que penses-tu de cette tendance à se saisir de sujets et de les partager sans filet ?

Le souci est que tout est extrêmement simplifié sur le net. Ce qui est gênant c'est quand on s'exprime sans avoir soi-même pris connaissance en amont des faits. Le principe est de faire suivre ce que nos contacts diffusent eux-mêmes, dans la précipitation. Cela peut être dangereux. Dénoncer derrière son écran n'est pas échanger ni débattre avec quelqu'un et potentiellement convaincre. En tant que musicien, on a l'opportunité de communiquer au travers notre art et laisser un héritage, une trace. Ce qui n'est absolument pas le cas d'un tweet. Je préfère échanger sur les livres en faisant des suggestions et éviter de rentrer dans les polémiques, ça n'est pas très constructif.

En parlant de littérature, tu recommandes certaines de tes lectures les plus inspirantes. As-tu des auteurs français qui t'ont particulièrement marqué ?

Je me souviens d'avoir lu Jean-Paul Sartre à l'université...

Ce qui n'est pas la façon la plus simple d'aborder la littérature française, même pour nous !

J'aime ce qui est complexe. Qu'est-ce que tu recommanderais ?

Logiquement, tout Simone de Beauvoir, commencer par Le Deuxième Sexe et s'immerger dans le reste de son œuvre en lisant conjointement sa longue autobiographie et ses récits de voyages. (ndlr : à ce moment précis, Conor brandit « Le Deuxième Sexe » qu'il lit en ce moment)

Je lirai tout une fois celui-ci terminé, c'est promis !

Une tournée se profile en fin d'année (ndlr : d'octobre à décembre en Irlande et au Royaume-Uni), en espérant qu'elle puisse avoir lieu selon l'évolution de la crise, comment imagines-tu les retrouvailles avec le public ?

Extraordinaires ! Je suis généralement une personne introvertie mais la connexion avec le public durant un concert, c'est incomparable et je suis impatient de retrouver cela. On vient de terminer une première semaine de répétitions, en ne cessant de mettre et remettre le masque entre deux prises micro... c'était étrange. On commence à préparer les chansons de l'album pour le live, c'est très excitant cette phase.

En attendant de te retrouver en France, quel est ton meilleur souvenir d'un concert chez nous ?

J'ai joué de nombreuses fois à la Maroquinerie à Paris, j'adore cet endroit et j'ai particulièrement aimé la Cigale, la salle en elle-même et l'ambiance. Le public français est très sensible, c'est romantique de jouer à Paris même si c'est un peu cliché de dire ça. Toutes les personnes qu'on a rencontrées en France ont été très accueillantes et les conversations sont toujours fascinantes, il me tarde de revenir.