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Jungle

Interview publiée par Franck Narquin le 3 octobre 2021

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Après deux premiers albums en 2014 et 2018, Jungle ont récemment effectué leur retour avec Loving In Stereo, publié sur leur propre label Caiola Records. Rencontre avec Tom McFarland.

Vous venez de débuter votre tournée. Avant toute chose, qu'est-ce que ça fait de remonter sur scène après tout ce temps ?

C'est proprement incroyable. On est un peu submergé par tout ça car on ne s'attendait pas à ressentir autant d'émotions fortes après avoir été éloignés de la scène pendant si longtemps. On s'est souvent demandé si on allait pouvoir organiser cette tournée ou non. Donc pouvoir débuter les concerts est vraiment excitant. On est tous super heureux de revoir notre public et de rétablir cette connexion si spéciale avec lui. Pouvoir enfin jouer notre musique sur scène et partager nos chansons est ce qui nous tenait le plus à cœur.

Sur scène, le groupe est toujours composé de sept membres. Comment transposez-vous votre musique enregistrée à deux en studio avec une production relativement complexe en une performance live avec un groupe si large ?

Oui, on est toujours sept sur scène même si certains musiciens de la précédente tournée sont partis développer leur propre projet. Être multi-tâche est un des aspects primordiaux dans la transposition du studio au live. C'est le propre des musiciens, on doit savoir faire plusieurs choses en même temps. Tout est une question d'énergie et cet album est plein d'énergie et de vie. Je crois que c'est un album assez excitant à écouter et quand on le joue sur scène, on communique cette excitation. Le nouveau show pour Loving In Stereo a un style et une vibe très différentes de ce qu'on avait déjà fait auparavant. C'est plus fluide et encore plus festif. Les nouveaux membres apportent également leurs touches personnelles. Ce sont d'excellents musiciens, mais surtout des amis formidables, dont certains de longue date. Ils ont tous joué un rôle important dans l'enregistrement de ce troisième album et comme ce sont des passionnés hyper impliqués, le passage du studio au live s'est fait assez naturellement.

Justement est-ce que cette transposition live avec une composition de groupe très différente de celle du studio est un élément que vous prenez en considération lors de l'écriture ou de l'enregistrement ?

Je crois qu'il faut totalement oublier que tu vas jouer tes chansons sur scène quand tu les écris ou enregistres. Sinon tu te mets trop de contraintes et limite ta créativité. Par exemple, il y a énormément d'orchestrations sur l'album et on prenait en compte le fait qu'il n'est pas possible d'avoir un orchestre symphonique sur notre tournée, ces chansons n'existeraient pas. C'est le cas pour beaucoup d'albums. Par exemple Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band n'a été créé que parce que les Beatles pensaient ne plus jamais jouer sur scène. Ce n'était pas une option viable pour eux de jouer ces morceaux complexes avec des centaines de filles en train de crier devant eux. On ne peut pas laisser toutes les limites inhérentes à un concert venir influer sur notre créativité en studio, qui elle doit être sans limite.

Vos précédents albums étaient sortis sur XL Recordings. Avec ce troisième album signé sur votre propre label Caiola Records et distribué par Awal (ndlr : société de distribution alternative laissant aux groupes une autonomie créative et financière), vous être désormais totalement indépendants. Comment avez-vous pris cette décision et en quoi cela a-t-il influencé votre travail ?

Cela nous a avant tout permis de faire tout ce dont on avait envie sans aucune contrainte et sans avoir à demander l'aval de qui que ce soit. On a tourné une collection de vidéos préalablement à la sortie de l'album et cela aurait été totalement impossible sur n'importe quel autre label sur un simple plan financier. On est maintenant dans une position où on peut créer de manière autonome alors qu'on a pendant longtemps dû demander l'avis et la validation du label. Cela fait perdre pas mal de temps mais surtout ça peut nuire à ta spontanéité et à ta créativité, ce qui peut être assez dangereux à terme. Désormais on ne doit rendre des comptes qu'à nous-mêmes, ce qui nous apporte une plus grande confiance en nos idées et en notre musique. Tout ça est donc très stimulant. Cela dit nous avons fait deux superbes albums avec XL Recordings qui nous ont toujours soutenus à fonds et qui sont pour beaucoup dans notre réussite. Mais pouvoir sortir nos disques sur notre propre label et avoir un contrôle total sur notre musique, c'est ce qu'on a toujours voulu. C'est le cas aujourd'hui et je crois que cette liberté artistique peut s'entendre sur l'album.

J'aimerais parler de votre collaboration avec Charlie Di Placido qui réalise tous vos vidéos clips et qui est presque un membre à part entière de Jungle. Vous avez déjà shooté toutes les vidéos des quatorze morceaux l'album. Est-ce qu'il y a une narration entre ces clips ou est-ce juste une compilation de vidéos ?

Nous avons tourné tous les clips avec Charlie en cinq jours seulement. Je crois que le format de diffusion dépend des plateformes. Sur Youtube, tu peux voir tous les vidéo clips comme une compilation mais sur Apple Music par exemple, tu pourras acheter le film Loving In Stereo. Il n'y a pas de scénario en tant que tel mais toutes les vidéos sont liées. Elles ont toutes été tournées en une seule prise, au même endroit, et avec la même troupe de danseurs. Chaque chanson dispose tout de même de son propre décor, son propre casting et sa propre narration mais elles forment un tout homogène qui a autant été pensé pour être vu de manière autonome que d'une traite, un peu comme pour l'écoute de l'album.

Keep On Moving vient d'être remixé par Gaspard Augé. Avez-vous des affinités avec d'autres artistes Français ?

C'est notre toute première collaboration avec un artiste français. On connait aussi bien Myd, dont l'agent anglais est mon ancien colocataire. On est d'ailleurs tombés sur lui par hasard il y a quelques semaines en allant enregistrer une émission de radio à Paris. On adorerait collaborer avec lui, c'est un super artiste et un mec adorable. La French Touch a joué un rôle extrêmement important dans notre éducation musicale. A quinze ans on écoutait en boucle le premier album de Justice et on n'aurait pas pu imaginer une seule seconde que quelques années plus tard on serait assis ici en train de parler avec toi de leur travail sur notre musique. Ce remix de Gaspard est un rêve devenu réalité pour les fans que nous étions alors.

Bien que vos styles soient totalement différents, on note tout de même de nombreuses similitudes entre Jungle et Daft Punk. Comme eux, vous êtes deux amis d'enfance, passionnés de disco et de soul-funk 70's et ne dévoilant au public que très peu de choses de vous-mêmes. Ont-ils été une de vos influences et qu'avez-vous pensez de leur rupture ?

Daft Punk ont clairement été une influence majeure pour nous. Pas tant parce qu'on voulait produire de la musique qui sonne comme la leur, mais plutôt par leur manière de construire leur propre histoire et de créer le mythe Daft Punk. C'est assez rare dans l'histoire de la musique. Aujourd'hui les artistes parlent trop de leur personnalité, de qui ils sont, de ce qu'ils font. Tout le monde peut tout voir à propos de tout le monde et ça ne laisse plus assez de place à l'imagination. Ce qui était formidable avec Daft Punk, mais aussi d'une certaine manière avec Justice ou Air, c'est qu'on ne les connaissait pas vraiment en tant que personnes et ça rendait la musique encore plus poétique et artistique. Leur talent pour créer un univers visuel très fort autour de la musique nous a fasciné. On appartient à une génération qui a grandi en lisant les magazines. Si tu voulais en savoir plus sur Kings Of Leon, il fallait acheter le NME pour entendre ce qu'ils avaient à dire et les voir en photo. Cela contribuait à rendre les mythes autour des artistes encore plus forts et c'est une chose à laquelle on est encore très attachés.

C'est également une des raisons pour lesquelles vous n'avez jamais montré vos visages dans vos clips ?

Bien sûr, et on voulait aussi faire des vidéos qu'on pourrait revoir sans honte dix ans après. Et si on avait été dedans, je ne suis pas sûr qu'on les aurait revues avec plaisir, ça ressemblerait beaucoup trop à ces films de famille toujours un peu embarrassants.

Votre musique est très cinématographique et vous portez une attention particulière à votre univers visuel. Est-ce que vous seriez tentés de réaliser une BO pour un film et avec quel réalisateur souhaiteriez-vous collaborer ?

Je suis justement en train de travailler sur la BO d'un documentaire. C'est super excitant et ça devrait sortir dans le courant de l'année prochaine. On a toujours été intéressés par le cinéma et la musique de films. J'ai d'ailleurs étudié la composition orchestrale à l'université, c'est une vraie passion. Composer la musique d'un film nous exciterait énormément mais peu importe qui réalise le projet. L'essentiel est que le script soit bon et que l'univers visuel nous plaise. Comme pour nos collaborations musicales, on ne cherche pas le prestige d'un grand réalisateur mais avant tout que le feeling passe et que notre participation au projet fasse sens.

Pour l'instant, un seul concert est prévu en France en janvier 2022 au Zénith de Paris. Est-ce que nous aurons droit à d'autres dates ? Je pense que beaucoup de vous fans français attendent ça avec impatience !

Je vous rassure, il va y avoir d'autres dates en France. On est en train de faire le point avec notre tourneur pour valider les festivals de l'été 2022 et je peux déjà te confirmer qu'on va jouer à nouveau dans les festivals français qu'on a déjà faits auparavant. On a une relation particulièrement forte avec la France. On a joué notre tout premier concert hors d'Angleterre à Rennes à l'Ubu, une expérience inoubliable pour nous. Le public français nous suit depuis le départ et on espère donc pouvoir faire le plus de dates possibles ici.

Vous avez des featurings pour la première fois sur cet album avec Bas et Prya Ragu. Comment les avez-vous choisis ?

Les choix ont été fait très naturellement et se sont imposés d'eux-mêmes. C'est avant tout des gens que nous connaissons et apprécions personnellement. Nous avons rencontré Bas lors d'un festival aux Etats-Unis en 2019 et Prya via notre management. On a passé du temps ensemble et au fur et à mesure de nos échanges, on s'est rendus compte que nous nous influencions mutuellement. Le passage en studio a donc été une évidence. On a enregistré ces deux morceaux qu'on adore. Si ça n'avait pas été le cas, les titres ne figureraient pas sur l'album. On n'a jamais fait de featurings dans un but commercial ou pour épater la presse. Il y a trop d'artistes qui font preuve de cynisme quant à leur positionnement et leurs collaborations. On a besoin que tout cela reste naturel et organique, car c'est ainsi qu'on conçoit la musique. C'est la nature même de Jungle, ça doit venir du cœur et être réel. Avant tout les chansons doivent être bonnes et c'est le cas. Je pense que les deux morceaux sont incroyables et ce sont mes préférés sur l'album car c'est la première fois que nous accordons assez de confiance à quelqu'un pour leur confier les clés de Jungle.

Vous avez invité Biig Piig et Lava Larue en première partie de vos concerts Londoniens à la Brixton Academy. Quelles relations entretenez-vous avec cette nouvelle scène d'artistes émergents ?

Biig Piig et Lava Larue sont deux artistes très prometteuses avec qui nous avons travaillée récemment en studio. On espère qu'il en ressortira quelque chose. Elles sont justes cools et on est déjà des ainés dans l'industrie. On est dans notre trentaine, on a pas mal tourné, sorti trois albums. C'est donc le moment pour nous d'aider des jeunes comme elles à faire leur premier concert sur une grande scène comme la Brixton Academy. On a eu cette chance quand on a débuté et tout ne se serait peut-être pas passé aussi bien et aussi vite si on n'avait pas eu l'aide de nos ainés. C'est un juste retour des choses d'aujourd'hui pourvoir passer le relai.