logo SOV

Stereophonics

Interview publiée par Laetitia Mavrel le 28 février 2022

Bookmark and Share
A l'occasion de la sortie de Oochya!, douzième album des Gallois de Stereophonics, nous retrouvons Kelly Jones qui accompagne nos pérégrinations rock depuis maintenant vingt-cinq ans. Et quoi de mieux pour célébrer un quart de siècle de travail accompli qu'un nouvel album en lieu et place d'une compilation ? C'est ce que pense le leader des « Phonics » qui a, de façon généreuse, évoqué avec nous ce choix et cette carrière couronnée de succès qui n'a en rien entamé sa gentillesse et sa simplicité.

La sortie de ce nouvel album Oochya! constitue une surprise, nous nous attendions plutôt initialement à une compilation venant célébrer les vingt-cinq ans de Stereophonics. Pourquoi ce choix ?

Lorsque nous nous sommes réunis en cherchant un peu dans notre répertoire, nous avons retrouvé beaucoup de morceaux écrits pour les derniers albums mais absents des versions finales. Par exemple Hanging On Your Hinges date des sessions d'enregistrement de Kind, et à ce moment là elle ne trouvait pas sa place dans le cadre général de l'album. Forever est une chanson sur laquelle j'ai travaillé il y a déjà quelques années et que je n'ai jamais sortie. Elle prend tout son sens aujourd'hui. Enfin, pour résumer, plutôt que de sélectionner tel ou tel morceau déjà connu, il s'est passé ce qu'il se passe quand des musiciens se réunissent dans un studio : ils produisent du nouveau son et nous nous sommes donc retrouvés avec un nouvel album. En fait, ce disque sonne comme une compilation car il est très éclectique, il y a beaucoup de styles différents.

En effet, cet album est très riche : l'atmosphère générale qui s'en dégage est plutôt enthousiaste, elle s'éloigne du côté plus intimiste des derniers disques (Kind en 2019 et Don't Let The Devil Take Another Day, en solo, en 2020). Peux-tu expliquer ce choix ?

Le contraste entre les albums est très important. Don't Let The Devil Take Another Day réunit des chansons à propos de vulnérabilité, d'adversité que j'ai ressenties dans ma vie privée, c'était un grand moment que de partager cela sur vingt concerts avec des choristes et d'autres musiciens. Kind était lui aussi dans cet état d'esprit. Quand le monde s'arrête de tourner, ce qui est arrivé, on a envie de sortir de cela avec une toute nouvelle perspective. Des chansons comme Leave The Light On ou All I Have Is You portent un message positif, encourageant, une volonté de célébration. C'est ce que signifie Oochya!, en fait ça ne veut rien dire réellement mais c'est un cri de ralliement qui incite à la joie, qui motive.

J'ai premièrement pensé à une expression familière galloise...

Oui, c'est ce que beaucoup pensent ! Mais non, c'est juste une expression toute inventée qui exprime notre envie de sortir de cette merde et de passer à autre chose, c'est très marrant à dire.

Tout comme l'artwork de l'album, le design pop illustre vraiment ce message enthousiaste. Tu l'as choisi ?

Oui, je suis toujours très impliqué dans le choix des pochettes, j'ai fait cinq ans d'école d'art donc, fatalement, ça ressort. J'ai visité pas mal de galeries d'art pour trouver l'inspiration d'ailleurs.

Tu as de nouveau travaillé avec Jim Lowe et George Drakoulias pour la production, ce sont des collaborateurs de longue date maintenant. Tu pourrais considérer un nouveau partenariat pour les prochains albums ?

George est arrivé avec Kind, car je voulais donner une véritable sensation de live avec celui-ci et George est le parfait technicien pour cela. Je travaille avec Jim Lowe depuis 2003, c'est un excellent ingénieur et il est pour beaucoup dans le son du groupe. Mais oui, dans le futur, pourquoi pas travailler avec de nouvelles personnes si elles collent avec l'état d'esprit qui sera le notre à ce moment-là bien sûr.

Tu es toi-même producteur de tes albums...

Oui, je me suis dès le départ impliqué dans la production, mais je suis moins derrière les consoles, c'est assez difficile de gérer les deux aspects, jouer et contrôler, en même temps !

Vingt-cinq ans se sont donc écoulés depuis la sortie de Word Gets Around. Rétrospectivement, pensais-tu depuis ton Pays de Galles natal que le groupe aurait une telle longévité et, surtout, un tel succès au travers le monde ?

Pas du tout ! Je suis passé de jouer dans des pubs à jouer dans des stades. Honnêtement je pensais que ce truc n'arrivait qu'à des mecs comme les Rolling Stones ou les Red Hot Chili Peppers.

Je pense que ce qui explique en partie cette longévité est que la musique de Stereophonics est le reflet de ton évolution musicale et personnelle durant ces années, tu n'as apparemment jamais souhaité coller à un style ou à un son particulier...

Oui, ce qui définit en premier lieu ma musique est l'honnêteté. Et aussi le courage de partager des sentiments qui souvent expriment une certaine vulnérabilité. Je n'ai jamais voulu appartenir à un groupe qui se contente de se reposer sur les lauriers des années 90, j'ai toujours voulu me challenger moi-même en écrivant toujours mieux. Mais pas en étant assis chez moi en me disant « je dois écrire un hit ». Non, il faut que ça vienne de façon instinctive. Si ça vient et que les gens arrivent à se lier à ce que je j'écris, ça sera de toute façon un succès. Le truc, c'est que nous sommes un groupe qui maitrise le sens des mélodies, il y a donc sur chaque album deux ou trois gros titres qui passent aisément sur les radios et ce depuis vingt-cinq ans. Tout ça s'est fait naturellement. J'essaye d'être le plus honnête possible avec ce que je ressens tout en cherchant la mélodie parfaite. C'est ce qui fait que c'est accessible à beaucoup de gens et que ça passe facilement sur les grandes ondes. Ça doit être ça notre recette de la longévité.

Il y a certains fans de Stereophonics qui pensent qu'être un groupe de stade est dû au fait de devenir trop grand public, trop populaire, d'où le terme « mainstream » pour définir ce qui passe sur les radios de grande écoute. Est-ce que devenir grand signifie obligatoirement devenir « mainstream » selon toi ?

Pour nous, c'est allé très vite, on remplissait déjà des arénas après Performance And Cocktails (ndlr : 2ème album sorti en 1999) grâce à des titres comme Have A Nice Day, qui d'ailleurs est mal interprété, ça n'est pas une chanson joyeuse ! C'est comme Born In The USA de Bruce Springsteen, que les présidents utilisent à tout va alors que c'est en total contre-sens. Il y a ceux qui écoutent en surface à la radio et ceux qui en font une écoute plus en profondeur. Nous n'avons jamais planifié d'écrire des gros tubes, nous avons perdu des fans tout du long mais c'est le prix à payer pour ton honnêteté. Les derniers disques ont particulièrement reflété nos personnalités et nos sentiments.

Revenons à Oochya! où l'on retrouve beaucoup de références musicales : certaines plutôt indie comme Hanging On Your Fringe, d'autres plus classiques rock telle Running Round My Brain. Il y a des très belles balades et aussi des surprises comme Jack In The Box et son banjo très country...

Oui, celle-là c'est un peu mon Octopu's Garden... (rires)

Selon toi quelle partie du disque peut s'adresser en particulier aux fans des Stereophonics et quelle autre peut plus se tourner vers un nouvel auditoire ?

Je pense que nous avons 50% d'hommes et 50% de femmes parmi les fans, et pas mal ont découvert le groupe il y a de cela deux trois albums seulement. Les autres nous suivent depuis le premier jour. Et ceux là nous connaissent vraiment bien. Prends par exemple Running Round My Brain, c'est tout simplement ma déclaration d'amour à AC/DC et là je m'en contre fous de plaire ou pas ! Après deux ans d'enfermement, j'ai envie de m'amuser et de me faire plaisir en m'inspirant d'Iggy Pop, des Stooges, de ZZ Top... Et tu as Leave The Light On qui transcende les genres, tu ne sais pas vraiment d'où ça vient mais c'est tout ce qu'il y a de plus honnête. Je pense que c'est un album pour les fans car ça recouvre tellement d'influences sans que nous n'ayons cherché ce résultat. C'est comme une compilation, mais avec des nouvelles chansons. Pour moi ce disque est un cadeau après une période vraiment merdique.

Tu as toujours l'intention de sortir une compilation ?

Le problème, c'est que l'on n'achète plus de disques. Alors oui, certains collectionnent les vinyles mais ça n'est plus cette époque où on achetait tous les mêmes CDs, comme une compilation des Eagles ou Fletwood Mac que tout le monde possédait alors. Nous avons sorti un greatest hits, Decade In The Sun, mais nous en étions à peine à la moitié de notre carrière. C'est réellement à partir de Graffiti On The Train que le groupe est monté en flèche et que nous avons créé des choses vraiment énormes, tant sur disque qu'en live. J'ai donc dit au management qu'il faudrait essayer de compiler le meilleur de cette dernière période. Ce qui me frustre, c'est par exemple quand tu es en vacances et ta femme discute avec quelqu'un en lui disant que tu es dans un groupe et que ce dernier ne connait pas le nom mais reconnait Have A Nice Day. Tu as envie qu'il connaisse plus qu'un simple titre. Donc à mon avis si nous sortions une compilation, ce mec en saurait enfin plus sur nous. Donc oui, elle sortira mais je ne sais pas quand.

Une compilation ne parle pas forcément de prime abord aux fans qui connaissent parfaitement la discographie mais si celle-ci offre un choix qui pioche aussi dans quelques titres plus rares, l'équilibre est trouvé...

Oui, et c'est très important de comprendre cela. La raison pour laquelle je suis parti en tournée solo (ndlr : le live Don't Let The Devil Take Another Day où Kelly Jones interprétait au piano certains titres de Stereophonics) était de pouvoir piocher dans mon catalogue dans un contexte autre qu'avec le groupe. Et offrir d'autres morceaux que les gros tubes, toutes ces pistes six ou sept sur tel CD qu'on n'entend pas souvent. Et petit à petit nous avons fait cela en tournée avec Stereophonics selon les pays, ce que nous jouons à l'Olympia ici est différent de ce que nous jouons à Londres.

Tu aimes toujours jouer dans des petites salles ?

Oui, et c'est ce que j'essaye de faire ces dernières années en jouant avec d'autres groupes, comme avec Far From Saints qui est un groupe plutôt country. J'aime participer à d'autres projets qui me font grandir et apprendre car quand je reviens à Stereophonics, j'apporte quelque chose de nouveau.

A quel moment exactement as-tu réalisé à quel point les Stereophonics étaient devenus importants ?

A l'époque de Just Enough Education To Perform (ndlr : 2001), c'est ce moment où nous avons joué sur la scène principale de Glastonbury un samedi soir et où on déployait des hélicoptères et des escortes policières autour de nous... Et là tu te demandes : qu'est-ce que c'est que ce délire ?! Et le disque se vend jusqu'à se positionner en tête des charts en six mois. C'était une période de confusion, de fortes émotions, de succès, c'était en même temps sombre et marrant. C'est pour moi le pic de notre carrière et nous avons continué d'évoluer à partir de ce point. C'était surtout super bizarre pour nous ! (rires)

Tu réalises qu'aujourd'hui les Stereophonics sont considérés comme l'un des meilleurs groupes issus du Pays de Galles... Qu'en penses-tu ?

C'est vrai ! (rires) Le pays a plein de super groupes, j'adore les Super Furry Animals, les Manic Street Preachers, et les classiques comme Tom Jones, Shirley Bassey, Catfish And The Bottlemen aussi... Je pense que nous avons apporté une certaine lumière sur le Pays de Galles, ce qui est toujours une bonne chose, et nous avons tous un fort sentiment de fierté par rapport à notre petit village d'origine qui se résumait à une grande rue et c'est tout. C'est quand même super rock and roll d'avoir parcouru tout ce chemin depuis cette rue...

Pour finir, tu peux nous recommander un nouveau groupe gallois ?

Oui, il y a Buzzard Buzzard Buzzard. Nous leur avions proposé d'ouvrir au stade à Cardiff avec nous en décembre mais ça avait alors été annulé (ndlr : reprogrammé depuis avec Catfish and the Bottlemen en juin 2022). C'est parti d'une blague sur Youtube. Ils ont pensé « C'est quoi ce bordel ? » !