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Stereophonics

Interview publiée par Claire le 4 mars 2013

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Un jeudi matin fin janvier. C'est dans la suite d'un grand hotel parisien que les Stereophonics nous ont reçu pour évoquer Graffiti On The Train, leur huitième album, mais aussi l'évolution du groupe, icône de la Britpop et idole des jeunes trentenaires. Nouvelle maison de disque, projet cinématographique, Kelly Jones a l'ambition des rock stars qui ont tout prouvé et l'humilité du songwriter en constant questionnement. Retour sur une rencontre édifiante.

Ce nouvel album sort quatre ans après Keep Calm And Carry On. Qu'avez-vous fait entre ce dernier album et Graffiti On The Train?

Kelly : Tu sais, sur le papier ça fait quatre ans mais, en réalité, nous avons sorti Keep Calm And Carry On en 2009 et nous avons tourné avec jusqu'à fin 2010, début 2011. Et ce nouvel album est terminé depuis presque neuf mois, donc ça n'a pas vraiment fait quatre ans pour nous. Entre deux, nous avons tourné ces vidéos pour les premiers singles, monté notre maison de disques. En fait, nous n'avons pris qu'une année de pause et c'était la première année sans concert depuis seize ans ! Nous avons pris pas mal de temps aussi à créer notre propre studio d'enregistrement et nous nous sommes remis à jouer ensemble juste pour le plaisir, sans deadline particulière, sans que ce soit une répétition pour un concert. Et au final, nous avons enregistré une petite trentaine de titres. Graffiti On The Train en regroupe dix, donc nous devrions en sortir de nouvelles dans le courant de l'année.

Vous auriez presque pu publier un double album ?

Kelly : J'avoue que l'idée nous est passée par la tête.
Richard : C'est vrai. Mais en même temps, nous avons réfléchi à la façon dont nous voulions jouer et publier notre musique, à la façon aussi dont le public se procure la musique et nous ne voulions pas donner trop de chansons car cela aurait été un peu comme donner trop d'informations. Tu sais, finalement, les gens trient beaucoup lorsque tu fournis beaucoup de titres. Ils prennent une chanson par-ci par-là et n'envisagent plus l'album en tant que collection de chansons ordonnées, ayant un sens et un lien entre elles.

Qu'est-ce que cela fait d'avoir votre propre maison de disque et votre studio maintenant ? Cela doit être une expérience totalement différente ?

Kelly : Lorsque nous étions chez V2, nous produisions des chansons dont nous savions qu'elles seraient approuvées pour être vendues à Universal - auquel V2 appartient. Ce qui nous convenait, car V2 et Universal, c'est aussi une grosse machine marketing. Nous avons fonctionné comme ça pendant une grande partie de notre carrière mais nous ne nous sentions plus à l'aise dernièrement. Être en compétition avec Metallica, U2 ou Rihanna, c'est bien, je n'ai rien contre eux, mais au final, l'attention offerte à chaque groupe n'est plus la même et clairement, il y a une différence entre Rihanna et nous. Quand tu possèdes ta propre maison de disques, tu choisis les gens avec qui tu veux bosser et tu sais qu'ils seront dans ton camp et qu'ils seront beaucoup plus concentrés sur la réussite du projet. Ce qui est, je pense, le principal. Et notre ambition n'est pas de devenir Def Jam. Nous voulons juste bosser sur nos albums sans chercher à signer d'autres groupes.

Vous avez choisi d'intituler cet album Graffiti On The Train. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

Kelly : Le titre provient d'une des chansons. C'est la première que nous avons écrite pour cet album. Nous tournions encore lorsque nous l'avons écrite. A peu près en même temps que We Share The Same Sun d'ailleurs. Et Graffiti On The Train, je l'ai écrite après quelques incidents chez moi. En fait, des jeunes essayaient constamment d'escalader le toit de ma maison pour atteindre les voies de chemin de fer juste derrière. J'étais persuadé qu'ils essayaient d'entrer pour cambrioler mais non, ils voulaient juste passer pour taguer les trains. Et du coup, l'idée de la chanson m'est venue. je me suis imaginé toute une histoire, celle d'un jeune qui irait taguer le train que prend sa copine tous les jours pour lui laisser un message. La majorité de l'album est basé sur l'histoire de ces deux personnages. Et nous avons décidé de garder le titre car il correspondait bien au thème de l'album.

Cet album marque aussi les vingt ans du groupe. Comment avez-vous célébré cela ?

Richard : Nous avons fait ça l'année dernière en studio en fait. Nous nous sommes contentés d'un petit signe de tête en nous disant « la vache, il y a vingt ans, on faisait notre premier concert ! ». (rires) Nous ne regardons pas vraiment vers le passé. Nous préférons aller de l'avant et nous demander sur quoi nous allons bosser après. Ça a été vingt années géniales, à être avec le groupe, enregistrer, tourner dans des tas de villes fantastiques.

Comment parvenez-vous à garder le même plaisir à jouer ensemble après vingt ans ?

Kelly : Tu sais, Richard et moi, nous nous connaissons depuis notre première année de maternelle. Nous devions avoir trois ans. Donc nous nous connaissions déjà bien avant même de se décider à monter Stereophonics. Le fait de bien se connaître, c'est déjà plus de la moitié du boulot fait. Tu sais comment l'autre réagit, tout est facile. Beaucoup de musiciens maintenant se trouvent sur petites annonces et le temps qu'ils composent, se croisent aux répétitions, ils n'ont pas le temps de se connaître et... se découvrent en tournée. Ce qui est franchement loin d'être l'idéal pour apprécier quelqu'un, je t'assure. Nous savons laisser de l'espace quand nous en avons besoin et chacun fait son boulot sans intervenir dans le champ de l'autre. Moi, j'écris les chansons, Richard joue la basse et s'occupe du site et gère pas mal de trucs concernant la promo du groupe. Nous ne nous marchons pas sur les pieds.
Richard : Notre but principal est de faire ce qu'il y a de mieux pour le groupe. Garder ça dans un coin de sa tête est primordial. Nous sommes une équipe et nous avançons ensemble pour le bien du groupe.

Kelly, tu parlais des vidéos précédemment, et c'est toi qui a fait la mise en scène et dirigé le tournage. Comme d'avoir votre maison de disques, est-ce une façon de garder une certaine indépendance ?

Kelly : Ce que je sais, c'est que nous n'aurions pas eu les moyens de sortir ces singles là sur Universal. Ce que veut une grosse maison de disques, c'est un premier single qui soit le meilleur titre de l'album avec une vidéo commerciale et un package vendable sur les grandes radios. Ce n'était pas ce que nous voulions pour Graffiti On The Train. Nous avons publié Violins And Tambourines en premier car nous voulions montrer au gens la nouvelle direction que nous avions décidé de prendre. Quand tu vas sur Youtube, les titres sont toujours accompagnés d'un visuel et il nous semblait important que ce soit nous qui choisissions ce qu'on voulait montrer. Les vidéos, comme l'artwork de l'album ou des T-Shirts ont toujours été très importants pour nous. Diriger toute la vidéo a été une expérience vraiment enrichissante et j'ai adoré cela. J'ai suivi des cours en école de cinéma il y a une douzaine d'années. Euh non, quinze, non dix-huit, presque vingt en fait ! (rires) Le temps avance trop vite ! Comme quoi, il faut toujours utiliser ce qu'on a appris dans le passé pour avancer. En somme, il faut y aller pour mieux en revenir ! (ndlr : « You gotta go there to come back », titre du quatrième album du groupe).

Qui a eu l'idée de ces vidéos un peu sombres pour les deux premiers singles ?

Kelly : C'est moi. Mais comme à l'habitude, j'envoie tout à Richard, Dan et à ceux qui bossent avec nous sur le projet une fois l'idée bien mûrie. Certains m'ont en effet dit que c'était un peu sombre, un peu triste pour des premiers singles, d'autres ont adoré l'idée. Ensuite, il a fallu rallier tout le monde à la cause, convaincre les bonnes personnes que j'étais capable de diriger les vidéos et une fois le premier single filmé, nous nous sommes dit : « et pourquoi pas un deuxième ? ».
Richard : En fait, l'idée était en gestation avant même l'enregistrement des chansons. Nous voulions vraiment aborder cet album de façon totalement différente, de l'enregistrement à la publication en passant par les vidéos. Je crois que c'est indispensable à l'époque actuelle où les moyens de communication évoluent tellement rapidement et où les gens consomment la musique comme n'importe quel autre bien.
Kelly : Nous allons continuer à bosser sur les vidéos. Apparemment, Graffiti On The Train serait le prochain single. Je ne sais pas comment nous allons faire rentrer ça dans l'emploi du temps, mais nous allons trouver.

Qu'est-ce qui t'inspire pour l'écriture des chansons ?

Kelly : Là, tout est parti vraiment de ces deux garçons sur le toit de ma maison. J'ai mis ça en chansons, puis dans un scénario sur lequel je travaille toujours. Ça parle de deux garçons qui viennent d'une petite ville de province et qui vont explorer l'Europe et découvrent qu'il y a plus dans ce monde que leur petite vie tranquille dans cette petite ville. Et ils apprennent beaucoup sur eux-mêmes. Tout l'album tourne vraiment autour de ça. Dans un sens, ça parle aussi de nous car nous avons quitté une toute petite ville, avons parcouru le monde et avons beaucoup appris sur nous. La plupart des paroles sont venues spontanément, presque du subconscient. Je n'avais pas prévu d'écrire un album qui reflète autant de notre histoire. Il faut que j'arrête d'analyser autant, non ? (rires)

Tu parlais d'un scénario. Vous voudriez faire des idées développées dans vos chansons un film ?

Kelly : Oui, nous espérons vraiment que ce projet aboutira. Nous tentons de trouver de l'argent pour l'instant. C'est vraiment le nerf de la guerre.

Qui verriez-vous jouer dans ce film ? Vous ?

Richard : Ah non, certainement pas moi! Hors de question que tu me pousses là-dedans, Kelly ! (rires) Non, je laisse le travail d'acteur aux acteurs. Quand tu vois un acteur qui veut être musicien, c'est toujours mauvais. Alors un musicien qui veut être acteur, ce sera juste... Kelly : Pire !

Sans vouloir trop analyser tous les titres, tu as dit que In A Moment est une chanson spirituelle pour toi et comme Violins And Tambourines , elle parle de rédemption. Était-ce quelque chose dont tu avais à cœur de parler?

Kelly : Tu sais, pour Violons And Tambourines, j'étais arrivé en studio sans aucunes paroles et c'est ce qui est sorti devant le micro. Quand j'y pense, c'est vrai que c'est une chanson assez bizarre. Les paroles me font penser un peu à du Johnny Cash. En plus de la rédemption, il y a un côté espoir, et éclaircissement. Et quand je me retrouve devant le micro maintenant en répétition, je me demande vraiment pourquoi de telles paroles me sont venues.

Votre façon d'écrire semble avoir changé puisque tu n'arrives plus en studio avec des démos. Comment fonctionnez-vous donc maintenant ?

Kelly : J'arrive en studio avec des idées de paroles ou quelques riffs et Richard ou d'autres en studio avec nous à ce moment-là ajoutent des bribes au fur et à mesure. Ce fut vraiment une sorte de jam géant où chacun a apporté des idées. C'est un disque vraiment libre et libéré. Chacun a apporté ce qu'il voulait apporter. Ce qui est resté à la fin est ce qui convenait le mieux à chaque chanson.

Les chansons sont assez longues sur cet album. Était-ce quelque chose que vous vouliez au départ?

Richard : Tu sais, chaque chanson dicte son propre rythme. Ce n'est que si on sent que la chanson perd de son intérêt à cause de sa longueur qu'on essaie de voir comment on peut la modifier, ce qu'on peut retirer et ce qu'on veut vraiment garder. Violins And Tambourines est un titre typique auquel il faut laisser de l'espace pour exister.

Indian Summer est votre dernier single et en plus d'être joyeux, il sonne un peu comme un titre folk-rock américain, un titre classique à la Bruce Springsteen. Est-ce que je me trompe ?

Kelly : Non, j'ai été très influencé par le rock classique américain même si je dirais que cette chanson a été plutôt inspirée par Tom Petty. Tu sais, à l'origine, ce titre n'était pas sur l'album et ce sont les gens avec qui on bosse qui nous ont dit que nous devrions remplacer l'un des titres par celui-là. C'est la même histoire pour In A Moment en fait. Au départ, elle n'était pas prévue sur l'album. Mais pour revenir à Indian Sumer, oui, il y a un peu de Petty, de Springsteen, des Eagles.

Tous ces musiciens restent donc vos influences principales ?

Kelly : Leur musique coule dans nos veines, c'est certain.
Richard : Ce sont vraiment nos héros de jeunesse, et parfois, ces influences ressortent plus visiblement sur certains titres. C'est pour ça aussi que cet album est très diversifié. Tu as des titres très sombres comme In A Moment ou très joyeux comme Indian Summer ou encore blues comme Been Caught Cheating.

Justement, Been Caught Cheating est, je l'avoue, mon titre préféré sur cet album. Allez-vous le jouer en live ?

Kelly : Oui, c'est l'un des titres pour lequel nous étions sûr de nous éclater en live. Elle est géniale à jouer sur scène. Pour la petite histoire, le jour où nous l'avons enregistrée, j'avais attendu qu'il soit minuit pour passer certaines démos - celles qui me plaisaient et que je gardais sous le coude depuis longtemps mais pour lesquelles je doutais que les autres accrocheraient - et finalement, tout le monde a aimé. Nous avons bu, jammé et mis tout ça en boite dans la nuit. Tu sais, je voulais donner cette chanson à Amy Winehouse, je lui en avais parlé à l'époque et nous n'avons pas eu le temps d'en rediscuter. Bref, il y a pleins d'histoires autour de ce titre et nous l'avons répété la semaine dernière en live. Et ça rend vraiment pas mal.

Après toutes ces années de concerts, comment fais-tu pour entretenir ta voix si caractéristique qui n'a pas changé depuis le début de ta carrière ?

Kelly : Elle a un peu changé. On sent la différence sur certains titres de l'album qui sont plus exigeants pour mes cordes vocales. Mais bon, c'est vrai, j'aurais pu la perdre mais je dois avoir une certaine... discipline. (rires)
Richard : Et faire attention à certains signes aussi, hein Kelly !
Kelly : (rires) Oui, c'est vrai, à un moment, ton corps te dit stop et il vaut mieux l'écouter.

Vous avez souvent fait des reprises allant du Creedence Clearwater Revival à Rod Stewart en passant par Tom Petty. Est-ce quelque chose que vous aimez faire et en ferez-vous sur cette tournée ?

Richard : Tu sais, nous sommes de tels fans de musique que ça nous semble évident de jouer des reprises, que ce soit en répétitions ou lors de shows télés. Beaucoup de groupes un peu connus n'aiment pas cela car ils ont peur de ne pas savoir leur donner vie correctement mais je pense que nous avons assez confiance en nous pour reprendre les chansons que nous aimons sans craindre les critiques. Nous reprendrons certainement un titre sur cette tournée mais je ne sais pas encore lequel.

Vous êtes maintenant un de ces groupes « classiques » que l'on cite comme exemple ou référence. Vous sentez-vous les parrains d'une nouvelle génération ?

Kelly : Tu sais, nous nous sommes toujours dit que nous voulions être présents sur la scène musicale pour un long moment. Nos héros musicaux étaient des musiciens constants et nous avons toujours voulu une carrière qui ne soit pas météoritique. J'espère qu'avec cet album nous avons été capables de surprendre les gens et c'est un honneur pour nous qu'une nouvelle génération nous cite comme exemple. Pour le côté parrain, si on pouvait encore me laisser une dizaine d'années, ce serait bien. (rires)

Vous parliez plus tôt de l'évolution du mode de consommation de la musique. Que pensez-vous de la situation d'HMV et de son dépôt de bilan ? Pensez-vous que cela aura un impact sur l'industrie musicale britannique ?

Kelly : C'est triste. Tu sais, je me souviens avoir acheté le second album de Pearl Jam le jour de sa sortie chez HMV, tous mes disques d'AC/DC aussi. Nous avons joué dans les magasins partout dans le pays, fait des séances de dédicace. C'est vraiment triste qu'il n'y ai plus un endroit où on peut acheter un disque physique. On a besoin de toucher les albums qu'on achète. Je sonne un peu comme un vieux en disant ça mais je pense qu'on devrait garder un marché pour tous les supports. Mais les disques ne rapportent plus assez et il n'y a plus que ça qui compte.
Richard : C'est triste dans un sens. Mais cela permettra peut-être à des disquaires indépendants, spécialisés, de faire surface. HMV était devenu un magasin qui s'était diversifié dans les jeux vidéos, les T-Shirts et à force de vouloir faire trop et d'être trop généraliste, ça a aussi repoussé certains acheteurs. Donc j'espère vraiment que grâce aux disquaires spécialisés, on reviendra au magasin qui fournit un service précis et de qualité.

Pour terminer, si vous n'aviez que trois mots pour décrire cet album, quels seraient-ils ?

Kelly : A posséder absolument !
Richard : (rires) A écouter avec précaution.