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The Luka State

Interview publiée par Adonis Didier le 6 mars 2023

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C'est dans un petit hôtel du 15ème arrondissement de Paris, à quelques pas de la statue de la liberté, que nous retrouvons Conrad Ellis, chanteur et guitariste de The Luka State, au milieu d'une journée de promo frénétique pour le nouvel album du groupe, More Than This, et quelques minutes seulement avant de courir prendre son Eurostar pour rentrer à Londres. Une belle rencontre, et l'occasion d'évoquer ce deuxième album, à l'esprit plus méchant, aux convictions affirmées, ainsi que les engagements récents du groupe dans l'associatif alimentaire en Angleterre, sans oublier leur tournée à venir, et un concert parisien au Supersonic qui s'annonce déjà dantesque.

Tu as bien ? Tu passes un bon moment à Paris ?

Oui, fantastique ! J'adore Paris, c'est une de mes villes préférées, et c'est un plaisir d'y passer du temps. J'ai vu la statue de la Liberté, la tour Eiffel, ensuite on est allés dîner, c'était charmant.

C'est pas mal, hein ? C'est français ! (rires) Tu as d'autres bons souvenirs à Paris ?

Oui, beaucoup, et on cherche à en créer d'autres. On revient le 18 avril au Supersonic d'ailleurs, ce sera une super expérience, un concert gratuit, pour que les gens puissent venir et nous découvrir, ce sera fantastique.

Si on commence par ça, pourquoi le Supersonic ? Vous avez joué dans des salles plus grandes auparavant à Paris, aux Etoiles par exemple...

Oui, c'était vraiment une belle salle Les Etoiles, super sympa. Mais là on a pensé, comme on sera en Europe, à faire un plus petit concert, gratuit, pour que les gens puissent entendre le nouvel album, qui sort très bientôt (ndlr : le 10 mars 2023), donc ce sera cool de jouer l'album entier à ce moment-là. Parce qu'on ne jouera pas l'album intégralement pendant la tournée, ce sera un mix des deux premiers, mais au Supersonic on fera More Than This du début à la fin, ça va être fantastique.

Je suis sûr que vous allez remplir le Supersonic, le lieu est souvent blindé ces derniers temps. Si on se concentre un peu sur votre nouvel album, il est beaucoup plus punk et dur que le premier... C'est à ce point la merde en Angleterre ?

Ouais, c'est la déprime. L'album est né des expériences que j'ai vécues pendant et après la pandémie, quand je travaillais comme livreur pour une banque alimentaire, et que j'apportais de la nourriture à des familles moins chanceuses que moi. Une de ces familles, c'était une mère célibataire avec deux garçons, qui devait faire deux boulots pour tenir financièrement. Mais elle a perdu ses deux jobs, l'un après l'autre, et après ça, sa seule manière de nourrir ses gosses c'était la banque alimentaire. Ça m'a brisé le cœur, alors j'ai voulu raconter leur histoire à travers ses yeux (ndlr : le single More Than This), et ça a réveillé quelque chose en moi. Je me suis rendu compte que c'était ok de parler de ce que je ressens dans mes paroles, et dans notre musique. Donc c'est un album hyper honnête, très personnel, presque un concept-album en un sens, à propos de mes soucis de santé mentale, du fait que les hommes ne peuvent plus parler ouvertement de leurs sentiments, le combat social et politique qui existe aujourd'hui au Royaume-Uni, et c'est comme ça que c'est arrivé, c'est pourquoi la musique s'est énervée, et que les paroles sont devenues beaucoup plus profondes.

Parce qu'avant, tu ne te sentais pas autorisé à parler de problèmes sociaux ou politiques ?

Exactement. En fait, je pense qu'on écrit toujours à propos du moment présent. Tu ne peux pas vraiment écrire sur un passé que tu n'as pas vécu, tu ne peux pas vraiment écrire sur le futur, donc il n'y a pas de meilleur moment que le présent, et écrire sur le présent c'est puissant, ça fait remonter des situations et des problèmes qu'il faut résoudre, et vite. Donc parler de santé mentale, des problèmes qu'on rencontre toute la journée, de la crise en Angleterre, avec les banques alimentaires, les pénuries, le coût de la vie qui explose, c'est ça qui nous inspire et il fallait qu'on en parle, c'était une nécessité.

Et pour aller avec cette musique plus énervée, plus profonde, vous avez fait des demandes particulières au moment de l'enregistrement, ou du mix ?

Honnêtement, c'est surtout venu des chansons. J'ai l'impression d'avoir écrit cet album de manière très inconsciente, parce que le process d'écriture était assez différent de celui du premier album. On a tout écrit en partant de rien, et donc parfois on avait absolument rien, et on ne quittait pas la pièce pendant quatre ou cinq heures, jusqu'à avoir un truc qui fonctionne, dont on puisse se servir ensuite. Donc inconsciemment on ne suivait pas d'influences musicales, mais des influences personnelles, on s'inspirait les uns les autres en tant que musiciens, et en tant qu'êtres humains qui vivent des trucs et qui ont besoin de ventiler ça.

Pour le premier album, vous avez écrit quelque chose comme soixante-quinze chansons, ça a pris beaucoup de temps... Vous avez eu besoin d'en écrire autant pour composer le deuxième ?

Ouais, on avait vraiment plein d'idées et de chansons, mais comme on s'est beaucoup immergés dans le présent, dans ce qu'on ressentait, on a juste décidé d'écrire et de sortir tout ça aussi vite que possible. C'est pour ça que l'album arrive aussi vite. Et aussi, je trouve que c'est devenu facile pour les gens de vous oublier de nos jours, donc c'est bien de leur rappeler que vous existez et que vous êtes toujours là, à faire des trucs. Mais oui, on a facilement dû écrire quarante ou cinquante chansons dans la bataille. Certaines étaient vraiment à chier, d'autres étaient vraiment très bonnes. Et on a choisi les douze meilleures.

Tu as mentionné un concept album, vous vous considérez donc encore comme un groupe à singles, ou c'est fini ?

Non, je pense qu'on est toujours un groupe à singles, ne serait-ce que parce qu'on en a sorti beaucoup (ndlr : six singles sur un album de douze chansons). Mais c'est aussi parce que l'attention des gens est de plus en plus courte, le single est un mode de consommation à part entière. Cela dit, ça reste un album qui a été fait pour être écouté du début à la fin, et même en entier il fait seulement Vingt-neuf minutes de long, c'est rapide, on ne parle d'un album de quarante ou cinquante minutes. Donc, pour un trajet en voiture d'une heure, tu peux l'écouter deux fois en fait.

Sur l'album complet, j'ai réalisé que vous aviez mis quasiment tous les singles au début, et beaucoup de groupes font ça en ce moment. C'est une nouvelle mode, ou une vraie bonne idée pour que le public rentre plus facilement dans l'album ?

Tu es le premier à me le dire. Je n'avais pas réalisé ça, ni même pensé à ça en fait... Tu en sais plus que moi là-dessus !

Vous avez aussi placé une ballade à la fin de l'album, comme sur le premier...

Oui, je trouve que c'est une belle façon de finir une écoute. L'album suit la route de mes convictions et de ma santé mentale, et c'est bien de finir comme ça, c'est un genre de happy end, comme marcher vers le soleil couchant à la fin du film. On aime bien écrire des ballades, comme on aime bien écrire des jolies chansons pop. C'est bien, en tant que groupe de rock, de pouvoir faire un peu de tout, donc oui c'est cool d'avoir une jolie ballade à la fin.

Et s'il n'y en a qu'une par album, c'est parce que vous n'en écrivez pas tant que ça, ou vous en avez des tas dans les cartons mais vous ne les montrez à personne ?

Oui, c'est ça, on n'en écrit pas tant que ça... Quoi que, moi si, en fait ! C'est juste que ce n'est pas forcément pour le groupe. Je pourrais sortir un album solo avec uniquement des ballades, mais je sais ce qui va avec la musique du groupe et ce qui n'irait pas. Donc on choisit les meilleures de tout mon tas de ballades, et voilà.

Autre sujet, sur votre Instagram, pour faire la pub du concert au Supersonic, vous avez mentionné Déjà Vega, qui y ont joué le mois dernier (ndlr : lors de la soirée They're Gonna Be Big #9, le 18/01/2023)...

Oui, ce sont certains de mes meilleurs amis ! Tu les as vus ? Ils sont féroces hein ? Vraiment des putains de rocker.

C'est vraiment vos potes ? Vous n'avez jamais voulu faire un groupe ensemble ?

Oui, on se connaît depuis qu'on a dix ans, c'est comme si on se connaissait depuis toujours. Et notre bassiste était le batteur de leur premier groupe, donc ça a presque été le cas !

Vous avez le sentiment de faire partie d'une scène rock en Angleterre, ou vous n'avez pas tant de proximité que ça avec les autres groupes ?

Non pas vraiment, pas encore en tout cas. Mais ce serait cool de ressentir ça. C'est vraiment top que le Supersonic ramène autant de groupes anglais, peut-être qu'ils peuvent lancer un truc sur Paris, créer une émulation anglaise dans la ville. J'adorerais faire partie de ça, et ce sera déjà un peu le cas !

Sujet moins fun, vous n'avez eu aucun problème à planifier la tournée européenne ?

C'est devenu de plus en plus difficile pour ça, oui, de ne pas être en Union Européenne. Personnellement je n'étais pas pour le Brexit, ça n'a causé que des ennuis, et ça a rendu le fait de voyager beaucoup plus compliqué qu'avant. Heureusement, je n'ai pas vraiment à gérer ces aspects de la tournée, je laisse le management, notre tour manager, tous ces gens bien plus compétents que moi faire ce travail. Moi, mon rôle, c'est de jouer de la musique.

Tu parles de rôle, mais tu as donc travaillé comme livreur pour vivre, ou seulement pour aider ?

Non, seulement parce que je voulais avoir un impact et changer des choses. Essayer d'aider, faire ma part là-dedans. C'est important qu'en tant qu'humains on s'entraide, et qu'on fasse attention les uns aux autres.

Si vous pouvais changer une seule chose en Angleterre, là, tout de suite ?

Je trouve le système des banques alimentaires, et le fait que les gens en dépendent en 2023, absolument déprimant. Il y a des familles qui en ont besoin, mais aussi des gens célibataires avec un travail à plein temps, tu n'as même plus besoin d'être sans emploi pour avoir besoin des banques alimentaires au Royaume-Uni en ce moment, on en est là. On essaye d'aider en lançant notre propre initiative là tout de suite, créer du changement à travers la pub pour l'album, et à travers la musique (ndlr : pack associatif qui vend une rencontre visio avec le groupe en plus de l'album et dont les gains sont reversés, etc.). Donc on s'est associés à une association qui s'appelle The Trussell Trust, c'est la plus grande banque alimentaire du Royaume-Uni, et pour chaque ticket de concert vendu, il y aura de l'argent qui leur sera reversé et qui aidera à nourrir des gens et des familles en difficulté. Pour essayer de changer les choses avec de la musique, parce que la musique c'est le pouvoir. D'ailleurs, tout ça ça vient du footballer Marcus Rashford (ndlr : Conrad est fan de Manchester United), qui en a appelé au gouvernement pour nourrir les enfants à l'école gratuitement, et le gouvernement était contre ça, ce qui est dingue, mais ça se passe tellement mal en ce moment au Royaume-Uni qu'ils ont dit non, et il a pris sur lui de le faire avec seulement son argent, et quelque part de battre le gouvernement. Ça nous a énormément inspirés, parce que ça signifie que quelqu'un dans une position d'artiste ou de sportif peut vraiment changer les choses en s'y mettant. Et donc on essaye de faire la même chose, à notre échelle, mais au moins on tente d'initier du changement. Donc si j'avais un vœu, je souhaiterais qu'on ait plus besoin des banques alimentaires, mais à mon avis ça va mettre beaucoup beaucoup de temps avant que ça arrive. J'ai l'impression de vivre dans les années 70, c'est vraiment pourri à ce point.

J'ai eu l'occasion de discuter avec Jim Kerr de Simple Minds il y a quelques mois, et il avait cette même vision que la musique peut aider moralement, mais aussi à travers des évènements et des collectes de fond...

Oui, et je trouve qu'en ce moment, il n'y a pas assez de musique rock qui parle de ce qu'on vit tous les jours, de ces graves problèmes, donc c'est important qu'on le fasse.

Honnêtement, je n'aurais jamais pensé à vous comme un groupe engagé socialement et politiquement, au vu de votre premier album très teenage rock...

Je pense que c'est important d'évoluer en tant que groupe. Ça, c'est notre évolution sur le deuxième album, de parler des vrais sujets, des choses dont il faut parler, qui mène à des discussions compliquées, mais importantes, et c'est vraiment ce qui nous différencie de qui on était au moment du premier album. On est un groupe différent maintenant.

Et c'est un enfant particulier que vous avez pris pour la pochette de l'album ?

Oui, oui, effectivement. On voulait utiliser une photo d'un gosse des années 70 en Angleterre, prise devant une maison complètement délabrée, en plongée sur lui, avec ce regard qui voulait tout dire de ce qu'était l'Angleterre à ce moment-là. Malheureusement l'artiste est décédé depuis, et c'était trop compliqué d'avoir les droits pour la photo, et tout ça, donc on a en quelque sorte recréé la photo avec Franky, le neveu de Sam (ndlr : Sam Bell, bassiste du groupe). C'était important de montrer le visage de cette Angleterre qu'on vit actuellement, à quel point c'est la merde, le désespoir, l'impuissance, tout ça, et quand tu jettes un œil à son petit visage, tu vois à quel point c'est la merde.

Dernière question, avant que tu partes prendre l'Eurostar, parce que je n'ai trouvé l'info nulle part... Qui est Luka ?

Luka c'est un mec qu'on a rencontré à Toronto pendant un voyage, quand on avait la vingtaine. C'est quelqu'un avec une vision toujours très positive sur la vie. Donc le nom, c'est Luka, et l'état d'esprit est positif, du coup The Luka State c'est un état d'esprit qu'on devrait tous avoir, qui va vers une attitude mentale positive. D'ailleurs on devrait revoir Luka en septembre, on va sans doute passer un peu par Toronto !