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Ulrika Spacek

Interview publiée par Emmanuel Stranadica le 23 mars 2023

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Ulrika Spacek nous ont toujours séduits depuis la sortie de leur premier disque, The Album Paranoïa. Compact Trauma est leur troisième effort paru il y a peu et il faut bien reconnaitre que pour ce dernier ils ont réussi un coup de maître. Rhys Edwards, leader du groupe, et Syd Kemp, bassiste, étaient de passage à Paris début mars. Nous avons eu la chance de les rencontrer.

Rhys, depuis la dernière sortie d'Ulrika Spacek (ndlr : l'EP Suggestive Listening paru à l'occasion du Record Store Day en 2018), tu as eu deux projets parallèles (ndlr : Astrel K et FORMIKA). Peux-tu nous en parler ?

Rhys Edwards : En fait, il y a trois projets. Haha Sounds en est un autre. Pour FORMIKA, tout a été enregistré pendant le confinement. Je jouais au football avec un de mes amis et il m'envoyait des passages électroniques que je lui renvoyais ensuite avec d'autres arrangements, d'autres idées. Ce fut vraiment un disque amusant à réaliser. Mais cela s'est fait sur une période courte. Astrel K fut également conçu pendant le confinement. Haha Sounds, ce fut l'année précédant cela. Tous ces projets parallèles étaient déjà là lorsque le COVID-19 est arrivé. Nous avions écrit la plupart des chansons du nouveau disque d'Ulrika Spacek avant que le confinement n'arrive. Ce n'était pas terminé et nous avions besoin de temps pour explorer d'autres idées pour pouvoir terminer ce disque. Quand nous l'avons enfin repris, nous l'avons terminé assez rapidement.
Syd Kemp : Nous avions besoin de ce break avant de nous replonger dans Compact Trauma.

Est-ce que le disque a vraiment changé entre ce que vous aviez déjà écrit et le résultat final après la reprise de la conception de l'album ?

Rhys Edwards : Oui, cela a changé pas mal de choses. Il était devenu très clair d'éliminer ce que nous ne voulions pas garder. Nous avons conservé tout le reste et avons réalisé ce disque uniquement sur la base de ce que nous aimons. Ce break fut une bonne chose car cela nous a vraiment évité la pression de partir en tournée et de rester sur un disque qui, au final, n'aurait pas vraiment correspondu à ce que nous voulions. Je pense que c'est pour nous le moment idéal pour sortir ce disque, d'autant que les groupes à guitares sont devenus ennuyeux de nos jours. J'espère que Compact Trauma apportera de la fraîcheur.

La lettre K semble avoir pas mal d'importance pour vous. On la retrouve dans Ulrika Spacek, FORMIKA et Astrel K. C'est une coïncidence ou pas?

Rhys Edwards : J'aime cette idée que cette lettre soit présente dans le nom de mes groupes. Quand tu as des projets parallèles, tu cherches à être retrouvé par ceux qui aiment la musique que tu composes avec ton groupe habituel. Astrel K semble venir du même mot qu'Ulrika Spacek même si c'est finalement un nom complètement différent. J'aime bien le côté kool de la lettre K (Rires).

Tu savais donc que ce nouveau disque d'Ulrika Spacek sortirait. Vous n'avez donc pas connu le syndrome du difficile troisième album ?

Rhys Edwards : Je pense que nous l'avons eu. Tu souhaites toujours que ton disque soit meilleur que le précédent. On connait l'histoire des groupes que nous aimons et leurs difficultés à sortir un nouveau disque, leurs échecs. Nous ne voulions surtout pas sortir un disque qui n'était pas très bon. C'est pour cela que nous avons vraiment pris notre temps. Mais je pense que le quatrième et le cinquième seront également très difficiles à écrire (Rires). Nous essayons toujours d'innover et finalement de nous impressionner en produisant des choses excitantes. Nous sommes vraiment très fiers d'avoir terminé cet album.

The Sheer Drop, qui ouvre l'album, démarre très bizarrement. On ne sait pas si on écoute FORMIKA ou Ulrika Spacek. Vous avez cherché à brouiller les pistes et désorienter la personne qui découvre ce morceau ?

Rhys Edwards : Complétement. C'est une blague. Est-ce qu'on écoute un disque pop ? Nous avons appelé le début du morceau « faux départ ». Nous nous sommes amusés à partir d'un côté et finalement changer de direction. C'est assez espiègle, je l'avoue.

Il y a plusieurs parties dans la chanson. Est-ce que vous avez cherché à suivre un chemin, comme un passage par l'enfer ou le purgatoire avant de retrouver la lumière, la délivrance ?

Rhys Edwards : C'est exactement ça que nous avons cherché à recréer. Lorsque nous nous sommes arrêtés, cette chanson n'avait pas ce final. Elle se terminait et c'est tout. Après pas mal de réflexions, nous nous sommes dit qu'il lui manquait vraiment quelque chose. Nous avons mis du temps à nous en rendre compte. Et pourtant cette chanson n'aurait pas été aboutie si elle n'était pas dans ce format, s'il n'y avait pas cette délivrance finale. L'album possède déjà la production de l'EP Suggestive Listening. Des éléments de ce dernier ont été apportés dans Compact Trauma. La chanson contient tous les éléments qu'elle devait contenir. Ce fut la première que nous avons écrite pour cet album. Elle résume assez bien l'ambiance du disque. La première phrase des paroles est également très importante : « Homertons caving in ». Nous venions de perdre la maison où nous vivions. The Sheer Drop fait référence au fait de regarder presque par-dessus le bord de la falaise et cette peur de tomber de si haut, comme si notre vie s'effondrait littéralement. C'est vraiment une chanson importante.

Qu'avez-vous cherché à exprimer avec ce son particulièrement brut, notamment avec la batterie qui est souvent très directe mais aussi très percutante ?

Syd Kemp : Nous avons vraiment cherché à opposer la lumière et les ténèbres. Je pense que la lumière revient souvent au moment où la batterie se fait particulièrement intense. Nous avons utilisé des batteries avec un son très prononcé. Cela apporte un côté très narratif aux compositions et à la libération de la tension. Nous avons beaucoup travaillé consciemment sur le son de la batterie, ainsi que les instruments acoustiques dont nous disposions. Nous leur avons donné une dimension différente et le son de la production a eu énormément d'importance sur ce disque. Cela nous a permis de raconter des histoires différentes.
Rhys Edwards : Par exemple, pour notre EP, le son de la batterie enregistré dans un bon studio a permis d'obtenir beaucoup de clarté ainsi que de la puissance, même si les guitares sont toujours très présentes. Finalement nous avons obtenu un mix entre la production studio et le son lo-fi.
Syd Kemp : Nous avons plusieurs batteries et, par exemple pour la chanson Compact Trauma, nous avons utilisé trois kits différents. Ce n'est pas simplement quelque chose de sonique mais c'est vraiment significatif sur notre musique. Cela nous a permis de jouer avec notre son, de l'ouvrir davantage.
Rhys Edwards : Il y a différentes sections dans plusieurs de nos morceaux et il nous fallait changer le son de la batterie, parfois même jusqu'à l'exagérer en passant d'un son très bas à quelque chose de très puissant. Cela a donné une réelle valeur créative. Ce n'est pas être fan du travail en studio mais bien pouvoir donner une vision plus expressive de ce que nous voulions vraiment faire.

Est-ce que les changements de direction souvent inattendus dans vos chansons ont pour but de permettre à ceux qui ont réécoutent votre album de découvrir de nouvelles choses, de nouveaux sons non perçus dans les écoutes précédentes ?

Rhys Edwards : Je pense que nous toujours cherché ça, mais cette fois il y a davantage de clarté et donc davantage de choses à découvrir.
Syd Kemp : Ce qui fut intéressant pour ce disque, c'était de disposer de davantage de temps et de travailler les morceaux. Tout le monde pouvait apporter même de petites choses grâce à ce temps pris. Nous n'avons pas cherché cela au début mais finalement je pense que nous ne pourrons plus faire sans.
Rhys Edwards : C'est un peu comme si nous avions des petits fantômes dans le disque. Cela ne changeait pas immédiatement mais avec le temps nous avons constaté ces évolutions apportées aux compositions. Et ce n'est vraiment pas pour le rendre de plus en plus gros mais bien pour que les chansons soient enfin comme elles devaient être et exprimer pleinement ce que nous ressentions, ni plus, ni moins.

To France With Snow ressemble à un interlude. Est-ce l'annonce que quelque chose de différent va figurer sur le reste de l'album ?

Rhys Edwards : Ce morceau sert à séparer les deux faces. Cela peut s'apparenter à une forme de klaxon d'avertissement, comme un train qui va passer. C'est juste une forme de moment de détente pour l'auditeur avant le prochain morceau. Il y a pas mal de transitions sur le disque et ce morceau ambiant en est un autre. Nous nous baladions en van à ce moment-là. On peut l'entendre.
Syd Kemp : Oui, et c'est le silence de la neige que l'on peut également percevoir. C'est très intense. Il neigeait pas mal dans le coin où nous vivions. Mais nous ne nous associons pas vraiment la neige à la France (Rires).
Rhys Edwards : L'original est plus long mais nous avons dû le raccourcir pour que cela puisse rentrer sur le vinyle. Mais je pense que le morceau fonctionne davantage dans ce format.

Que veut dire « Compact Trauma » ?

Rhys Edwards : Ça fait référence au moment où nous avons perdu notre maison. D'autres choses sont arrivées. Nos petites amies sont parties dans un autre pays. Mais ça ne signifie pas s'apitoyer sur son sort, mais plutôt avoir une photo de cette douleur, de ce moment traumatisant. C'est un peu comme avoir une coupure profonde qui est vraiment très douloureuse, mais en même temps c'est une petite coupure dans une surface très étendue. A ce moment-là, perdre notre maison sonnait comme la fin du monde, et quand tu reviens à toi, tu te dis que tu as vécu un traumatisme compact. Les paroles sur ce disque sont très évocatrices de cette sensation.

Tu ne souhaitais pas créer un disque qui sonne vraiment krautrock avec de longues boucles instrumentales ?

Rhys Edwards : Compact Trauma, la chanson, était à l'origine un très long morceau, comme un jam krautrock. Mais nous nous sommes rendus compte en la réécoutant après quelques temps que ce n'était pas suffisamment innovant. Il y a quelques années, il y avait une véritable innovation musicale et c'était sympa, mais aujourd'hui ce n'est plus le cas. Je pense que pour 2018, c'était plutôt bien d'avoir un morceau conçu de la sorte, mais plus pour aujourd'hui. Si la chanson était restée telle quelle, nous n'aurions pas vraiment aimé notre album. Il y a des moments répétitifs mais nous avons essayé de les rendre inventifs. Parfois quand tu écoutes le brouillon original et tu rends compte que ce que tu voulais dire a besoin d'être condensé en une plus petite section.

Comment décrirais-tu Stuck At The Door qui est un très long morceau ? Est-ce une version non éditée ?

Rhys Edwards : L'ambiant est présente mais la fin originale est plus longue.
Syd Kemp : Nous avons dû l'éditer pour que tout puisse rentrer sur le vinyle. Si nous avions pu, nous l'aurions laissée dans sa version originale.
Rhys Edwards : Mais, au final, nous avons cherché à ce que l'auditeur passe au morceau suivant. Elle est suffisamment longue pour que ce soit le cas (Rires). Et No Design apparait comme une forme de morceau secret avec notamment son côté déconnecté du reste. Stuck At The Door est vraiment très sympa à jouer en live, notamment à cause de ses deux parties totalement différentes. Après tout ce chaos, se retrouver en paix, c'est formidable non ? Nous cherchions à avoir ce moment de tranquillité sur le disque. Et la production est identique à ce que nous cherchions à reproduire. Nous aimons beaucoup cette chanson.

No Design sonne un peu comme Tame Impala et The xx. Mais le final avec ce mouvement de batterie est encore une fois particulièrement inattendu. D'où vous est venue cette idée ?

Rhys Edwards : Nous l'avons trouvée de la même manière que le faux départ de The Sheer Drop (Rires). C'est marrant que tu parles de références car c'est une chanson qui est liée à un groupe que nous aimons et nous voulions sonner comme eux : Air. C'est de la pop de bon goût. Au début, rien n'était prémédité, mais je me souviens de ce son du farfisa, ce son que nous n'avions jamais utilisé auparavant. Je pense que c'est une des chansons les plus importantes du disque. Il y a de l'espoir dans celle-ci, surtout en comparaison du reste de l'album. Il y a beaucoup de mouvements tout au long de celui-ci et le terminer de la sorte était vraiment quelque chose de super, enfin je trouve.

Sur la pochette, il y a ces deux mains qui partent vers l'avant. Sur l'album précédent, on voit quelqu'un qui prend son visage entre ses mains. Les mains ont beaucoup d'importance pour vous ?

Rhys Edwards : Je n'avais pas vraiment associé les deux pochettes, mais tu as raison. Pour ce disque, les mains constituent un mélanger entre le fait de donner et être impuissant. Nous aimions bien cette idée de positionnement pas forcément clair. Nous n'avons pas encore vu le vinyle et nous sommes impatients de découvrir comment cela rend.