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The Coral

Interview publiée par Yann Guillo le 9 septembre 2023

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Leader d'un des groupes anglais les plus originaux des années 2000, songwriter révéré par Alex Turner, poète des rivages mélancoliques du nord de l'Angleterre, James Skelly, quarante-trois ans, s'illustre à nouveau en ce mois de septembre 2023 avec la sortie du somptueux Sea Of Mirrors et de son petit frère country, Holy Joe's Coral Island Medecine Show. Il se confie en détails sur l'origine de ces deux albums mais aussi sur la carrière impeccable du goupe de Wirral.

Tout d'abord, peux-tu nous nous parler de la genèse de ces deux albums ? Comment vous est venue cette idée un peu folle de sortir deux nouveaux disques en même temps, et ce deux ans à peine après le double album Coral Island ?

En fait, tout a commencé lorsque Chris Taylor, le propriétaire des studios de Parr Street à Liverpool, m'a appelé pour me dire « Hé James, Parr Street va fermer, ça te dirait d'enregistrer le dernier album jamais produit au studio ? Vous avez des chansons ? ». Nous lui avons répondu « Pas vraiment, mais on va en trouver ! ». Nous avons alors commencé à écrire et à enregistrer des démos, chaque jour nous écrivions une chanson. Quand Parr Street a finalement fermé, nous avons emporté toutes les bandes. En réécoutant le tout, nous nous sommes rendus compte que nous avions finalement non pas un album, mais la moitié de deux albums différents...

Comment avez-vous procédé ensuite ?

Nous avons commencé à déterminer quelles chansons appartenaient à quel projet : celles avec une histoire narrative et celles qui étaient plus existentielles, déroulées comme un flux de conscience. Puis, nous avons pris un peu de recul et nous nous sommes dit « Qu'est-ce que nous n'avons pas encore fait à ce stade ? Nous n'avons jamais fait de bande-son, ni d'album country ! ». Comme c'étaient les seules options qui nous restaient, c'est ce que nous avons décidé de faire pour nos 11ème et 12ème albums !

Comment avez-vous fait pour compléter ces moitiés d'albums ?

Nous avons avancé petit à petit en suivant les directions que nous nous étions fixées. J'appelais par exemple Paul Molloy pour lui dire « J'ai besoin d'une chanson sur un hors-la-loi ou un braqueur de banque » ou alors « J'ai besoin de quelque chose qui ressemble à Carlos Jobim où nous pourrions ajouter des cordes, un truc un peu flamenco ». Et il revenait avec des chansons comme Child Of The Moon et Baby Face Nelson. L'histoire d'Holy Joe est venue quand nous avons eu les premières chansons en mains.

Sea Of Mirrors est très instrumental, très riche en timbres, avec plein de breaks musicaux où les cordes se déploient. Comment avez-vous travaillé ces arrangements ?

La plupart du temps, à l'origine, c'était juste une guitare acoustique, une voix témoin, quelques percussions et parfois de la basse. Puis nous avons développé ces versions squelettiques. Quand nous avons commencé à parler de cordes, nous nous sommes dits : « Il n'y a qu'un homme pour le job ! ». J'ai alors contacté Sean O'Hagan, avec qui je n'avais pas parlé depuis un moment. Il a reçu la piste de Cycle Of The Seasons et il a fait un arrangement superbe, un peu comme The Windmills Of Your Mind, avec une ambiance psychédélique sixties. C'était parfait pour nous. Ca nous a ouvert de nouveaux horizons pour l'ensemble de l'album. Nous avons toujours voulu faire quelque chose comme ça, mais nous ne nous étions jamais vraiment engagés dans cette direction.

Comment faites-vous pour rester assez inspirés pour écrire deux nouveaux albums ?

Nous avons commencé à travailler sur les deux projets pendant le confinement. Le fait d'être dans ce moment particulier nous a donné le temps que nous n'aurions jamais eu dans la vie normale ! Nous nous sentions presque comme des adolescents, avec tout ce temps à notre disposition. Nous pouvions nous dire « Allons-y, je vais écrire cette section instrumentale dingue » quand auparavant nous nous contentions de composer quelques mélodies entre deux évènements de la vie. Je savais que nous n'aurions plus jamais cette chance de faire quelque chose d'aussi ambitieux que Sea Of Mirrors.

Cela vous a pris beaucoup de temps pour tout finir ?

Oui, énormément ! Nous pensions que c'était une excellente idée pendant le confinement : « Génial, on va faire ces deux albums, un avec des cordes et un qui sera une émission de radio ! ». Et puis le confinement a pris fin et on nous nous sommes dits « Oh, ouais, maintenant on doit aller jusqu'au bout... Mais je dois recommencer à emmener les enfants à l'école, on doit donner des concerts... ». C'était exténuant sur la fin, probablement l'un des albums les plus difficiles à faire... Difficile n'est peut-être pas le meilleur mot pour en parler, car il y a des gens qui font des métiers beaucoup plus difficiles, mais mentalement, ce n'était pas évident... Je pense que je suis un peu à la retraite maintenant !

Le processus a-t-il vraiment été aussi difficile ?

Le processus a été morcelé. Une grande partie de l'album a été faite à Parr Street, avant de devoir partir du studio qui fermait. Nous avons trouvé un nouvel endroit pour continuer : c'était une toute petite pièce, comme une simple salle de de répétition, avec d'autres groupes à côté. Du coup, il y avait parfois ce groupe de heavy metal qui jouait très fort et nous, juste à côté en train d'enregistrer un truc calme avec une guitare acoustique, nous devions nous arrêter et prendre un café... Mais j'aime beaucoup faire les choses comme ça, des grands concepts avec des limitations.

Qu'est-ce qui te plaît dans cette approche ?

Penses à Phil Spector : il avait cette ambition démesurée, avec toutes ces idées d'arrangements. Mais il avait un enregistreur quatre pistes. C'est ce qui fait que c'était génial ! Comme il devait tout compiler sur une seule piste, ça a donné cette saturation de la bande, avec une certaine rage dans ses productions, comme La Chevauchée des Walkyries. Mais lui avec un million de pistes, c'est Céline Dion !

Est-ce que je me trompe si je te dis que, sur ces deux albums, on entend beaucoup l'influence de Townes Van Zandt ?

Oh, Townes Van Zandt, c'est l'un de mes artistes préférés. Tu sais quoi ? J'ai des phases quand j'écoute de la musique, mais au final j'en reviens toujours aux mêmes : Lee Hazelwood, les premiers disques Bob Marley, les Ronettes et les girl bands, les années 60... Et puis Townes Van Zandt, oui. J'adore son album Our Mother The Mountain, ce genre de romance sombre.

Si tu regardes en arrière ta carrière, de quelle façon as-tu évolué dans ta façon de vivre la musique ?

La première incarnation du groupe, c'était quand même un peu la folie. Nous n'avions pas vraiment de manager, nous avions un label qui n'en était pas vraiment un... C'est vite devenu beaucoup plus grand que ce à quoi tout le monde s'attendait. Et nous, nous étions au cœur de la tempête. Quand tu es jeune, tu es moins sûr de toi, cela ajoute pas mal de tension. Et ce n'est pas forcément un mal d'ailleurs. A toi d'essayer de capturer ce que tu es à ce moment-là.

Et maintenant ?

Nous sommes différents. Déjà, tout le monde ne tient pas à jouer sur toutes les chansons ! C'est un peu comme : « Tu as enregistré ça ? Tu tiens vraiment à ce que je le rejoue ? Ca sonne super bien pourtant ! » (rires). Peu importe qui fait quoi, l'important désormais c'est simplement ce qui est le mieux pour la chanson.

Tu travailles aussi comme producteur, pour Blossoms ou pour le dernier album de Miles Kane par exemple. Cela a-t-il changé ton approche en tant qu'artiste ?

Cela m'a permis de prendre conscience que je faisais des trucs insupportables pour les producteurs ! Comme être obsédé par des détails qui n'ont pas aucune importance, voire qui sont pire pour le morceau si tu essaies de les modifier ! J'ai appris aussi à aimer organiser le chaos. C'est ma philosophie : être entouré de personnes un peu folles et essayer de transformer ça en quelque chose de semi-cohérent.

Tu vis toujours dans la région de Liverpool. Est-ce que tu penses que cela a une influence sur ta musique ?

Je vis toujours dans les environs de Wirral, tout près de Liverpool oui. Déjà, parce que je ne pourrais pas me permettre de vivre à Londres ! Et puis, j'ai toujours aimé être près de ma famille, de mes proches. Parfois, j'ai envie de m'évader bien sûr. Et une fois que je suis parti, je veux rentrer chez moi... Au final, avec l'expérience, je pense que je suis probablement le plus heureux quand j'imagine aller quelque part dans mon imagination.

Qu'est-ce qui fait que The Coral est un groupe unique selon toi ?

Nous aimons prendre quelque chose qui n'est pas à la mode et essayer d'en faire quelque chose d'artistique. Prendre un endroit comme Blackpool, qui est probablement l'endroit le moins à la mode du pays, et d'essayer d'en faire une œuvre d'art. Avec Sea Of Mirrors, nous avons imaginé un western spaghetti. J'aime ce défi de trouver un nouveau point de vue qui pousse les gens à aimer quelque chose qu'ils n'aimeraient pas en temps normal. Parfois tu y arrives, parfois non : c'est toute la beauté de la démarche !

Quelle est la chose la plus importante que tu aies apprise depuis tes débuts en termes de songwriting ?

N'écris pas juste pour écrire. Si ça vient, ça vient, sinon inutile de forcer. Et je pense aussi que j'ai développé de meilleures compétences quand j'ai besoin d'écrire quelque chose pour finir un album. Quand j'étais plus jeune, j'avais l'impression que je ne pouvais pas écrire sur quelque chose que je n'avais pas vécu, que ce n'était pas assez réel. Maintenant je sais que tout ce que tu peux imaginer dans ton esprit peut sonner vrai. Plus jeune, je cherchais aussi à être un peu comme un fou flamboyant sur tout un album. Et c'est vrai que ce sont souvent ces moments de folie qui font les grands moments de musique. Aujourd'hui, je suis plus instruit, plus patient, plus sûr de moi. Je peux attendre six, huit ans pour finir un morceau. Avant je me serais dit : « Si je n'arrive pas à la finir, c'est que je ne suis pas assez bon ». Ce manque de confiance, c'est ce souvent ce qui fait passer les jeunes musiciens à côté du meilleur d'eux-mêmes.

Quels sont tes albums préférés de The Coral ?

Ce sont ceux où nous avons trouvé une sorte de bannière collective, où nous tirions tous dans la même direction. Notre premier album, Butterfly House, qui a bien vieilli, Distance Inbetween aussi, quand Paul Malloy nous a rejoints, avec ce truc psyché qui nous a revigorés. Et puis Coral Island, ce nouveau disque... Mais Coral Island et le premier occupent vraiment une place spéciale pour moi.

Quel regard portes-tu sur la carrière du groupe ?

Je suis très heureux parce que, depuis Coral Island, nous sommes acceptés comme un groupe plus musical. Jusque-là, nous avons été un peu enfermés dans une image de groupe de rock indé. Quand tu es jeune, tu es dans un nouveau groupe, tu es excitant. Et puis tu te retrouves en quelque sorte dans un désert. Et puis si tu tiens bon, comme nous pendant vingt ans, tu entres dans une prochaine phase où tout le monde te regarde en se disant, « OK ils ont tenu bon », et tu deviens une sorte de groupe culte, une influence... Tu obtiens le respect pour être resté actif si longtemps. Tu peux voir que beaucoup de groupes sont perdus à un certain moment de leur carrière, et je pense que nous l'étions aussi sans doute un peu...

Pensais-tu, lors des débuts du groupe dans les années 2000, que The Coral serait toujours là et créatif en 2023 ? Et comment expliques-tu cette longévité ?

Oui, oui, oui, absolument ! Je n'ai jamais vu le groupe comme quelque chose d'éphémère. J'aime l'idée de vieillir avec un groupe, d'avancer dans la vie et de les voir évoluer aussi. Et pour notre longévité, notre capacité à rester ensemble, c'est peut-être simplement que nous n'avions pas beaucoup d'autres options ! (rires)