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Graham Coxon

Interview publiée par Anne-Line le 3 juin 2009

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Tandis que le monde de la musique trépigne d'impatience en attendant les concerts de Blur cet été, monsieur Graham Coxon s'autorise une virée pastorale inattendue : The Spinning Top. Une collection de quinze chansons d'inspiration folk et psychédélique, tout droit sorties des années 70. L'occasion rêvée d'aller rencontrer ce musicien accompli, surprenant, et d'une humilité exemplaire.

La dernière fois que l'on t'a vu en France, tu étais en compagnie de Pete Doherty, et maintenant tout le monde se prépare au retour de Blur... Pourquoi sortir un album solo maintenant ?

Je travaillais sur ces chansons depuis trois ans et demi. J'ai terminé de les enregistrer il y a un an, et j'attendais juste le bon moment pour les sortir. Ensuite ce qu'il s'est passé, c'est que j'ai quitté EMI. Alors j'ai décidé de faire une petite tournée avec mes chansons, et puis j'ai passé du temps à faire les peintures pour la pochette, je ne me suis pas pressé. Et puis je me suis dit qu'au printemps, c'était bien. J'avais la tournée avec Pete, puis ma tournée solo, alors oui, ça me fait un planning un peu chargé. Mais ce n'est pas plus mal, parce que je suis d'un naturel assez paresseux (rires).

Ton jeu de guitare est un peu plus complexe et fouillé que sur tes autres disques...

C'est sans doute vrai... mais mon jeu de guitare électrique est déjà assez complexe. J'imagine que là comme je joue en picking à la guitare sèche, ça peut paraître plus compliqué. Je voulais vraiment des arrangements très subtils et pouvoir utiliser des sonorités que je n'avais jamais eu l'occasion d'exploiter avant. Je voulais faire ça vraiment bien et prendre le temps de faire un album sans avoir à me soucier de chiffres de vente. C'est drôle parce que même en agissant ainsi, j'ai réussi à faire plusieurs chansons qui plaisent aux radios. Au départ je voulais faire un album complètement excentrique que personne n'aimerait (rires). Pour moi certaines de ces chansons sont assez groovy et accrocheuses, mais mes goûts personnels sont assez éloignés du grand public en général.

Tu as déjà fait des choses très folk auparavant...

Des trucs acoustiques, oui j'en ai fait pas mal. Sur The Kiss of Morning il y a quelques chansons basées directement sur des chansons folk. Song For The Sick, par exemple, est inspirée d'une très vieille chanson qui s'appelle Which Side Are You On?. Mais sur cet album, ce ne sont que des nouveaux morceaux. En fait j'ai enregistré deux fois plus de chansons qu'il n'en fallait. Il y a quinze morceaux sur l'album, mais j'en ai encore vingt autres que je n'ai pas mis dessus. Ils étaient trop différents. Ils étaient le résultat de mes recherches sur la guitare acoustique, mes expérimentations avec les différentes manières d'accorder... Des choses un peu plus noisy ! C'était nécessaire pour moi de continuer à faire des choses noisy entre les morceaux plus sophistiqués, pour mon équilibre mental! (rires)

Pourquoi avoir choisi de travailler avec Stephen Street, encore et toujours ?

J'aime son environnement, j'aime arriver au studio et voir Stephen, égal à lui-même. Toujours de bonne humeur et toujours prêt. Il est clean, je ne risque pas d'arriver au studio et de le trouver à prendre de la drogue et de boire entouré de plein de filles. Quand j'arrive au studio, Stephen Street est Stephen Street : « Bonjour Graham, je me disais qu'on pourrait travailler sur telle chanson aujourd'hui, qu'en penses-tu ? Au fait, je t'ai fait une tasse de thé. » Et là, peu importe l'humeur dans laquelle j'étais en arrivant... Mais c'était aussi important de continuer à travailler avec Mike Pelanconi comme ingénieur du son. J'ai besoin de sa sorcellerie ! (rires)

Quel public penses-tu toucher avec cet album ? Ne penses-tu pas que tout le monde va s'y intéresser uniquement parce que tu fais partie de Blur ?

Ce n'est pas très encourageant... Je ferais mieux d'abandonner tout de suite! (rires) La plupart des gens sont sans aucun doute intéressés par ce que je fais uniquement parce que j'étais dans Blur, ils ont des préjugés. Il va y avoir beaucoup de monde qui ne va pas aimer cet album, mais c'est fait exprès.

Pourquoi n'as-tu pas tenté de faire des albums comme celui-ci tout de suite après avoir quitté le groupe ?

J'avais beaucoup de choses à régler. Je pense que je n'aurais pas été capable de faire cet album il y a quelques années. Et puis il y avait d'autres choses que je voulais tenter, j'aime beaucoup de musiques différentes. Juste après Happiness In Magazines, je me suis dit : « Allez, il faut refaire un album comme celui-ci et le réussir totalement cette fois ! ». C'est ce qui a engendré Love Travels at Illegal Speeds. Donc ensuite je me suis dit « C'est bon, j'en ai fini avec ça maintenant. ». Je me suis donné le temps de réfléchir à ce que je pourrais faire ensuite, et aussi pour m'entraîner à mieux jouer, tout ça. Je suis assez satisfait maintenant, je joue convenablement (rires).

Quels sont les artistes qui t'ont donné envie d'écrire cet album ?

Des gens comme Davy Graham, John Renbourn, Bert Jansch, Pentangle... Tous ces songwriters un peu jazzy, un peu bluesy, un peu folky... un peu troubadour-y (rires)! J'adore cette époque, la musique folk de la fin des années 60. Quand la musique folk était ré-inventée par des gens comme Martin Carthy et Shirley Collins, et puis aussi le Albion Country Band, et des trucs assez psychédéliques comme The Incredible String Band. J'aime tous ces trucs-là, et je voulais rassembler toute ma passion et mon amour pour cette scène en un gros big-bang de quinze chansons. Mais comme je l'ai dit, il me reste encore du boulot, j'ai encore à explorer le côté space-groove.

C'est important pour toi, au bout de vingt ans de carrière, de continuer à explorer ?

Oui. Bien sûr c'est important, sinon on s'ennuierait vite ! C'est important de se chercher, même lorsqu'on est un artiste établi. Même ceux qui deviennent très grands et très riches, ils ressentent le besoin de jouer aux petits explorateurs. Tous les Coldplay, ils ont leur propre chemin créatif. Même s'ils ont des grandes maisons, de gros comptes en banque... Ils ont un voyage créatif à faire. Moi c'est pareil. Sauf que moi je vais faire mon voyage dans un vaisseau spatial. Je vais aller dans l'espace et voir comment ça sonne là-haut. Il paraît qu'on n'entend aucun son. (Il cite Alien) « Dans l'espace, personne ne vous entend crier... ni chanter » (rires).

De quels autres instruments joues-tu sur l'album ?

Sur Caspian Sea, je joue d'un instrument indonésien je crois... dont j'ai oublié le nom. Ça se présente comme une calebasse dans laquelle on souffle, il y a des tubes qui dépassent et des trous pour les doigts... Le nom sera sûrement écrit sur la pochette. Je joue aussi du thérémine, de l'accordéon, un peu de tambourin et des maracas. De la basse, de la batterie. Mais il y a des chansons que j'ai voulu garder assez dépouillées, que je n'ai enregistrées qu'avec Graham Fox (batteur) et Danny Thompson (bassiste). Stephen Street aurait bien voulu jouer quelque chose, mais il ne l'a pas fait.

Est-ce facile pour toi d'écrire des paroles ?

Parfois ça peut être très dur. Quand j'écris un morceau, j'invente des paroles au fur et à mesure, en espérant que ça donne des sons humains, un peu comme « (Chante en yaourt) » et parfois ça donne des vrais mots ! C'est assez bizarre, parfois ça donne juste des sortes de borborygmes (rires). Mais au moins ça donne une idée de départ.

Penses-tu avoir encore des choses à dire ?

Je ne pense pas avoir quelque chose à dire en particulier. Les gens qui parlent trop pour ne rien dire, on devrait les mettre en prison. Tous ces politiciens par exemple. Il faudrait les enfermer. Moi je parle trop, mais seulement quand on me pose plein de questions. Sinon, je ne suis pas du genre à parler beaucoup.

Qu'en est-il de ta peinture ? Serais-tu tenté par une carrière à la John Squire ?

Tu veux dire comme Captain Beefheart ? Je les trouve très courageux... Mais non, je suis un musicien avant tout. Je me définis avant tout à travers la musique. Avec la peinture je n'ai pas encore parcouru le même chemin qu'avec la musique. Je dois encore y travailler, pour en arriver au même point en peinture qu'en musique. Maintenant que je suis établi, ça ne devrait pas me poser de problème, parce que je pense me connaître assez bien, et je sais que j'ai fait le bon choix. Il faut s'accepter tel que l'on est. (Il imite un moine bouddhiste en méditation) Ommmm...

Combien vas-tu toucher pour la réunion de Blur ?

Je ne sais pas! Ça va sûrement me rapporter pas mal d'ennuis (rires). Je plaisante. Ma mère aimait bien l'idée. Et puis je pourrais acheter des beaux cadeaux de Noël.

Qu'est-ce qui a changé dans le groupe depuis 2002 ?

À un moment donné, être dans Blur était devenu trop bizarre... Je me suis mis à boire beaucoup. Lorsque tu as la vingtaine tu dois faire attention à toi, mais c'est le moment où tu fais toutes les grosses bêtises. C'est le moment où tu fais l'idiot. C'est ce qui m'est arrivé, et à 31 ans je me suis retrouvé dans une clinique à prendre tout plein de pilules... Il y a des musiciens qui sont très timides et qui ont du mal à s'exprimer en public. Ils veulent juste créer de l'art et apprendre à jouer de la guitare dans leur chambre, et puis quand ils doivent sortir jouer des concerts ils se sentent maladroits. Alors ils se mettent à boire pour pouvoir fonctionner socialement. Quand ils sont en coulisses d'un concert, il y a toujours de l'alcool gratuit à disposition, alors ils en prennent toutes les nuits, et puis quand la trentaine arrive... Ce qui a changé maintenant c'est qu'il n'y a plus de pression. On est juste là pour le fun, on s'est dit qu'on irait juste pour s'amuser. Comme au tout début, avant qu'il n'y ait la pression de se maintenir à un certain niveau de succès. Cette époque-là a vraiment été très dure pour nous tous, et Damon avait pour obligation d'écrire des chansons. C'était très difficile. Et je n'ai pas eu la force de supporter tout ça. On a tous un peu pété les plombs. Mais aujourd'hui ça fait du bien de se retrouver et de jouer ensemble, maintenant qu'on a tous un peu grandi.

Y a-t-il une hiérarchie dans tes différents projets ? Te considères-tu comme un artiste solo avant tout ?

Ce que j'ai fait avec Pete, je l'ai fait parce que j'avais le temps. Oui, je suis un artiste solo, j'imagine. Il faut savoir s'affirmer. Mais maintenant que Blur est là, je vais m'y investir à 100%, donner toute mon énergie, le temps de cette tournée. Et ensuite on verra ce qui peut se passer...