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Breton

Interview publiée par Amandine le 12 avril 2011

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C'est lors de leur concert à la Gaîté Lyrique que Roman Rappak, chanteur de Breton, a répondu à nos questions, en toute simplicité, avec beaucoup de gentillesse et d'humour... et presque exclusivement en français, s'il vous plaît! Il nous livre l'essence du projet Breton, leur récente signature chez FatCat et la nouvelle aventure qui s'annonce.

Tu dois savoir que Breton, c'est tout nouveau en France...

En Angleterre aussi d'ailleurs !

En France, vous êtes presque totalement inconnus. Pourrais-tu nous dire qui vous êtes ?

On est un groupe qui vient de Londres. On joue de l'électro, indie... je ne sais pas trop en fait. On vit dans le centre de Londres, dans un vieil entrepôt où on a tout ce dont on a besoin pour enregistrer, faire nos courts-métrages et nos vidéos.

Comment vous êtes-vous rencontrés ?

A l'université ou au lycée, ça dépend. Moi j'étudiais le cinéma et les films et Adam, qui est batteur dans Breton, étudiait à Goldsmiths (ndlr : université de Londres).

Peux-tu nous parler des influences musicales de Breton ?

J'aime beaucoup les producteurs de hip-hop des années 90, je pense qu'ils étaient, à cette époque, très intéressés par la musique et faisaient donc des choses très ambitieuses au niveau de la production. J'aime aussi beaucoup Nigel Godrich (ndlr : producteur mythique de Radiohead), je pense que c'est un producteur incroyable. Après, j'aime des musiciens pour différents aspects de leur œuvre ; comme David Bowie et des groupes de la fin de l'ère punk comme Talking Heads. J'aime beaucoup ce genre d'artistes car ils étaient très conscients d'eux-mêmes, ils comprenaient ce qui se passait dans la musique à ce moment-là et ils ont essayé de dire quelque chose d'ironique, de post-moderne. Ils ne se prenaient pas trop au sérieux mais ils prenaient au sérieux ce qu'ils faisaient.

Est-ce que l'on peut retrouver toutes ces influences dans votre musique selon toi ?

Je pense qu'on peut les retrouver mais il y a tellement d'influences qu'elles se trouvent un peu perdues. Quand j'écoute quelque chose qu'on a écrit, je me souviens que j'étais excité par des éléments que j'associais à quelqu'un que j'aimais mais je ne peux plus le retrouver parce que cela devient un mix de tellement de choses que ça en forme une nouvelle... L'enregistrement reflète comment on se sentait au moment précis mais aussi l'endroit où on était pour enregistrer les instruments, et tout cela fait que les influences deviennent elles-mêmes une nouvelle chose. Ce n'est pas juste une copie.

Breton, c'est aussi un collectif d'artistes et vous faites beaucoup de choses à côté de la musique. Est-ce que vos courts-métrages, vos documentaires vidéo ou vos clips influencent aussi votre musique ?

Oui, absolument. Je pense que j'aime essayer de combiner toutes ces formes d'expression pour en faire une nouvelle. Donc quand tu écoutes une de nos chansons sur ton iPod, tu peux en avoir une interprétation, mais quand tu entends et vois le groupe la jouer en live, avec un petit film en arrière-plan, avec un point de vue dans la vidéo différent pour chaque section d'instrument pour les mettre en valeur, je pense que tu en as une interprétation, une idée différente. Nous avons d'ailleurs appelé le groupe Breton car il a un côté surréaliste, comme l'avait André Breton, c'est une combinaison de différents sens, différentes interprétations et le côté magique de tout ça, qui rend le tout intéressant, c'est justement cette interprétation personnelle.

Avec toutes ces disciplines artistiques qui gravitent autour de vous, faut-il voir Breton juste comme un groupe de musique ou plutôt comme un collectif d'artistes ?

Je crois que ce n'est pas vraiment à nous de dire aux gens qui nous regardent ou qui nous écoutent ce qu'ils doivent penser. Si vous aimez juste nos films, vous pouvez apprécier Breton juste pour ça. Si vous aimez juste nos remixes ou une chanson que vous avez entendu en boîte, c'est aussi possible. Quand on rencontre des gens qui aiment tout ce qu'on fait, ils sont vraiment un peu bizarres je crois (rires) ! Il y a tant de choses et tant d'idées que je pense qu'ils sont aussi malades que nous.

Tous ces éléments sont différents. Il y a des univers visuels et sonores, musicaux qui sont très distincts...

Oui, exactement. Je crois que si tu vivais avec nous pendant deux semaines, et que tu voyais ce qu'on regarde, que tu parlais avec nous de ces films et que tu écoutais la même musique que nous pendant ce laps de temps, tu verrais que tout a un rapport finalement : notre musique, nos visuels... mais ce n'est pas forcément évident quand on ne vit pas avec nous. D'ailleurs, je ne sais pas si c'est une très bonne idée de vivre avec nous (rires) !

Vous êtes musiciens mais aussi réalisateurs et metteurs en scène. Vous faites beaucoup de choses mais, au final, que vous apportent toutes ces disciplines musicalement parlant ?

Je pense que la musique, en grande partie, se suffit à elle-même mais c'est une des expressions de ce qu'on fait et c'est pareil pour les films ou le sound design. Tout part de la même chose mais comme je l'ai dit avant, j'espère qu'on peut prendre une toute petite partie, un tout petit coin de ce qu'on fait et l'apprécier, s'amuser avec ça. Tout ce qu'on fait, c'est plus une identité qu'une œuvre à vrai dire.

Comment travaillez-vous, avez-vous une façon particulière de procéder ou est-ce juste instinctif ?

Oui, je pense que c'est très instinctif parce que quand j'essaie d'avoir une méthode, de faire d'une certaine façon, ça finit toujours mal. Quand quelque chose t'inspire, tu en prends un élément, tu mélanges avec quelque chose d'autre. Ça commence à t'emmerder donc tu passes à autre chose et au final, tu ne te souviens plus comment ça a commencé et ça te donne quelque chose de très organique, qui est vraiment à toi, que personne d'autre ne pouvait faire mais à part moi et ces quatre mecs, dans cet endroit particulier, avec ces instruments en particulier... J'essaie de te dire tout ça sans paraître prétentieux.

Est-ce que tu peux nous parler de BretonLABS ? Est-ce un projet à part du groupe ou Breton en est-il une branche ?

Oui, Breton est une branche de ce qu'on fait. On va enregistrer un album prochainement, on vient de signer chez FatCat Records la semaine dernière, vous tenez le scoop (rires) ! Nous allons donc enregistrer un album qui, je l'espère, incarnera toutes les choses que l'on a faites. Mais BretonLABS est un collectif qui inclut ceux qui le veulent, qu'ils écoutent de la musique ou écrivent des articles comme tu le fais, fassent des films ou soient photographes. Encore une fois, je dis tout ça sans prétention mais on essaie d'étudier des sujets qui nous amusent et c'est la même chose si tu fais de la musique ou si tu prends des photos de groupes, tu cherches pourquoi tu aimes écouter ça et tu essaies de le faire comprendre à travers ce que tu fais. C'est pareil pour toi, quand tu écris un article, tu cherches à décrire tes sentiments sur la musique et à définir quelque chose qui est indescriptible, c'est presque impossible et c'est la même chose avec la musique parce que tu essaies de décrire un truc particulier et si tu réussis, pendant le reste de ta vie, tu tentes de l'expliquer mais tu ne peux pas, tu peux seulement le jouer et espérer que ça va toucher quelqu'un d'autre que toi et qu'il comprendra, que tu seras en connexion avec cette personne à ce moment-là.
Avec BretonLABS, on a trouvé qu'il y avait beaucoup de photographes, de producteurs et d'animateurs qu'on connaît qui étaient à Londres, Paris, Varsovie, un peu partout. On s'est rendus compte ces derniers temps du degré d'attention que les gens nous portaient et on aime beaucoup le travail de ces personnes, on aimerait bosser avec eux alors on s'est dit qu'on pourrait utiliser la petite notoriété de Breton pour les faire connaître. C'est le cas par exemple pour un mec qu'on connaît qui fait de l'animation : il fait un travail formidable mais c'est difficile pour lui de faire connaître son travail. Grâce à BretonLABS, il a pu faire des showcases et commencer à obtenir la reconnaissance qu'il méritait auprès du public.

Vous avez fait beaucoup de remixes, entre autre pour Local Natives et Is Tropical. Avez-vous choisi les groupes pour lesquels vous avez travaillé ?

De temps en temps on choisit et on leur demande. Après, on en a fait deux ou trois, particulièrement pour Local Natives et Tricky, où ce sont les artistes qui nous ont demandé de remixer leur musique. Tu vois, je ne sais pas si c'est un des problèmes d'être si isolés dans ce qu'on fait, mais on a fait trois remixes pour lesquels on s'est rendus compte que tout le monde faisait des remixes pour des clubs. Certaines chansons sont juste remixées pour des boîtes, voire un club en particulier. Par exemple, on te dit « Là, c'est un remix pour un club de 2 000 personnes » ou « Là, plutôt pour un petit club, genre 500 personnes ». C'est extrêmement précis et pour nous... ce n'était pas du tout le cas pour ce qu'on a produit, ce n'était pas délibéré. Quelqu'un nous a fait remarquer que ces remixes, c'était une vieille technique de l'industrie musicale pour donner une exposition médiatique à certains groupes : tu fais passer le remix par un DJ dans un club. Maintenant, les remixes, on les trouve plus sur les blogs ou les sites des artistes. Nous, ce qu'on aime dans ce travail de remix, c'est que ce n'est pas juste un copier/coller du titre original mais une réinterprétation personnelle.

Vous aimez particulièrement ce genre de travail de remix ?

Oui ! D'une certaine manière, c'est différent du travail que nous faisons pour Breton avec notre propre musique, mais d'une autre manière, c'est pareil car dans les deux cas tu prends une idée et tu essaies trois ou quatre trucs différents, tu continues dans un chemin et tu poursuis l'exploration dont j'ai parlé avant. Tu prends une idée et tu la mets dans un nouveau contexte. C'est presque une autopsie : tu prends ça et tu vas voir si ça fonctionne avec ça. Le remix de Tricky qu'on a fait était intéressant : sur les programmes de musique, sur les ordinateurs, tu as les différentes plages pour les différents instruments mais quand tu écoutes le titre, tu ne peux pas vraiment entendre tout ce qu'il se passe. Là, il y avait le chant, la basse, la batterie, la guitare et il y avait une dernière ligne appelée « Trucs » et on a seulement écouté ce « Trucs »... et c'était incroyable, très abstrait, comme une musique cachée. Quand tu écoutes la chanson, tu n'entends pas tout ça et j'aime bien découvrir des petites choses comme ça quand je remixe un titre.

Pourquoi avoir choisi de faire une trilogie d'EPs plutôt que de sortir un album ?

On avait un peu peur de montrer tout ce qu'on fait à tout le monde parce qu'on touche à énormément de choses : chanson hip-hop, punk, indie ou électro. Il y a ces différents aspects dans notre musique et je pense qu'il était important de catégoriser. Le point positif avec un EP, c'est que tu choisis de mettre un nombre limité de titres. Ce n'est pas comme un album où tu as plus de chansons et dont le but est de le vendre le plus possible alors que l'EP, c'est un moyen de montrer et d'exprimer ce que l'on fait. On a donc tenté d'obtenir, le plus disparate possible, une collection de musiques que l'on aime et que l'on produit, dans différents styles. Parmi la cinquantaine de titres que nous avons déjà, nous avons tenté dans chaque EP de choisir ceux qui permettraient de donner un narratif à l'ensemble tout en montrant toute la palette de notre travail... et en trouvant une relation entre tout ça. Mais peut-être qu'il n'y en a aucune finalement !

Vous avez fait pour Sharing Notes une édition limitée avec des composants et un circuit imprimé, comme on le voit dans le vidéo clip de 15X, qui permettent, une fois assemblés, de construire son propre petit synthétiseur. Est-ce une façon pour vous de faire revenir le public vers l'objet CD ou était-ce plutôt le moyen de faire quelque chose d'original pour vos premières sorties ?

Beaucoup de personnes pensent que le produit physique n'existe plus dans la musique et que c'est triste. Ce sont principalement les gens de l'industrie qui te parlent de ça parce que ça leur fait perdre de l'argent et on les entend parler de façon nostalgique. C'est vrai que c'est dommage et qu'il n'y a plus tellement cette culture du disque ou du vinyle, le fait de tenir l'objet entre ses mains, de le mettre dans la platine et de l'écouter, de te dire que tu as ta propre copie. Mais en fait, la musique, c'est intangible, on ne peut pas la tenir. Les objets et les supports ne sont qu'un symbole de la musique qu'ils contiennent. Ce n'est pas l'objet que l'on achète mais l'idée qui est dedans. Je pense que quand tu parles avec quelqu'un qui a quatorze ou quinze ans, qui n'a jamais acheté de la musique physique, c'est très excitant pour lui de trouver la musique sur un blog ou un site, de découvrir des remixes, de faire ses propres titres et de les mettre sur Youtube. Du coup, l'idée du circuit imprimé, ce n'était pas d'en faire un nombre inconsidéré pour que chacun ait sa propre copie chez lui, l'idée, c'était plutôt de se dire que ça existait quelque part dans le monde . Moi, je n'en ai même pas un exemplaire à la maison ! On a eu l'idée de faire ce synthétiseur qu'on utilise dans nos enregistrements car même si tu es comme moi et que tu ne connais rien à ce genre de technologies, tu vas sur Google ou sur Youtube et ils te montrent comment fabriquer cet objet toi-même et tu achètes les composants en ligne, tu te fais livrer chez toi. C'était un peu une blague parce que on voulait dire « C'est comme ça qu'on crée ce que tu écoutes et tu peux tenir un objet physique qui est une représentation de la musique que tu entends ». C'était aussi une invitation à créer soi-même, ou juste montrer qu'il est facile de le faire et que l'expression de quelqu'un d'autre est tout aussi importante que notre expression et que ce n'est pas parce qu'on a beaucoup d'argent et qu'on va acheter un synthétiseur très cher que ce sera mieux. On peut aussi aller sur Internet et acheter les composants et le rendu peut être tout aussi intéressant. D'ailleurs, il y a quelqu'un qui a fait une chanson avec ce petit synthé et il nous l'a envoyée. C'était très cool, difficile à écouter mais cool. C'était comme un remix analogue.

Une dernière question : vous avez des projets pour cette année 2011 ?

Déjà, une très bonne nouvelle, car comme je te le disais tout à l'heure on vient de signer avec FatCat. Depuis quelque temps, on a parlé avec beaucoup de gens et beaucoup de labels car ils ont aimé nos EPs et nos remixes et ce qu'on a aimé avec FatCat c'est que c'est une assez grosse maison de disques mais c'est toujours indie ; ils veulent qu'on fasse ce qu'on veut et c'était important pour nous. On leur a dit « On va jouer à Paris et aussi ici et là prochainement, on n'a pas beaucoup de temps » et le mec nous a dit « Mais je peux venir chez vous alors ? ». On lui a dit oui, il est venu chez nous et on a joué un set, on a mangé ensemble et écouté de la musique et pour tout ça, on s'est dit que c'était le label qui était fait pour nous car ils viennent vraiment du milieu indie mais ils ont assez de ressources pour qu'on puisse faire des choses vraiment intéressantes. Pour eux, c'est plus important que l'on fasse trois albums très très intéressants qu'un seul album qui aurait un gros single et c'est tout. Donc le plan c'est d'enregistrer l'album ; j'ai à peu près cinquante chansons de prêtes, il faut qu'on en mette de côté et qu'on en choisisse une dizaine avec un narratif comme j'en parlais tout à l'heure.