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Breton

Interview publiée par Cyril Open Up le 29 janvier 2014

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Après un premier album enregistré dans leur lab londonien et s'étant attiré les éloges d'une grande partie de la presse musicale, Breton étaient quelque peu attendus au tournant pour la suite. Au lendemain de leur ouverture pour Foals au Zénith de Paris - La Villette dans le cadre du Festival les inRocKs, nous retrouvons Roman Rappak, en ce 13 novembre 2013, dans les sous-sols du siège du Parti Communiste Français qui nous en dit plus (toujours dans un français impeccable) sur l'élaboration de War Room Stories, un second opus réussi, différent et qui confirme tout le bien que l'on pense du quintet.

Comment te sens-tu à quelques mois de la sortie du second album ? Il n'y a pas trop de pression ? Tu n'es pas trop tendu ?

Roman : Non, ça va. J'ai vraiment hâte que l'album sorte et que les gens l'écoutent.

La première fois que tu as joué à Paris avec Breton c'était en avril 2011 à La Gaîté Lyrique pour le festival Super! Mon Amour...

Roman : Oui, ça fait bizarre, j'ai l'impression que c'était il y a cinq ans déjà. On passait en second avant Architecture In Helsinki ...

Et avec Clock Opera si ma mémoire est bonne...

Roman : Oui, c'est ça. Je ne sais pas trop pourquoi on a joué là-bas, mais on était content d'y être.

Comme vous n'étiez pas la tête d'affiche à l'époque, il n'y avait pas grand monde. Maintenant, les choses ont bien changé, vous partez en tournée aux quatre coins du monde, peux-tu un peu nous parler de la vie du groupe sur les routes ?

Roman : C'est très intéressant quand tu écris de la musique électronique, pour des films ou que tu es en studio, de prendre les trucs que tu as fait et de les mettre dans un autre contexte et de répéter l'exercice tous les soirs. C'est ça qui est vraiment intéressant avec une tournée pour moi. Si tu tournes un film, tu le construis et te laisse partir dans le monde entier. C'est un peu pareil avec la musique de studio. En live, c'est une renaissance chaque soir d'une même atmosphère avec quelques différences.

Le Lab de Londres dans lequel vous avez enregistré précédemment ne va pas tarder à être détruit...

Roman : Oui, dans deux ou trois mois, mais comme tous les trucs à Londres, c'est mal organisé et tout est en retard. Il est toujours là pour le moment, mais il est complétement fermé. On a essayé de rentrer dedans mais c'était impossible. (ndlr : Depuis cet interview, le Lab a bel et bien été détruit)

Es-tu nostalgique de cet endroit ?

Roman : Oui, un peu, c'était assez dramatique car le moment où l'on a appris qu'il allait être détruit est tombé à la fin de la tournée. On s'est donc demandé comment on allait bien pouvoir enregistrer un second album. En fin de tournée, on s'interrogeait pour savoir si on allait tout réinventer ou refaire la même chose pour le prochain disque et puis on a reçu un mail pour nous dire que le Lab allait être détruit et que l'on devait s'en aller. Des forces extérieures nous ont donc poussé dans notre décision et je suis finalement assez content. Il fallait changer et se réinventer.

Pour ce nouveau disque, vous êtes partis à Berlin dans un ancien bâtiment du parti communiste ...

Roman : Oui, un peu comme ici, en fait (rires). C'était un centre pour la radio et la musique avec un studio dédié à la musique classique, un autre pour la lecture de nouvelles, un autre pour les informations, un autre pour des pièces de théâtre radiodiffusées... c'était vraiment fascinant car tout était complétement abandonné. C'était un lieu qui servait pour la propagande mais une fois que le rideau de fer était tombé, il n'avait plus aucune utilité. Au lieu de trois mille personnes qui travaillaient là-bas, c'est passé à vingt-cinq ! On a loué une énorme chambre pour presque rien, on s'est cachés là-bas pour élaborer notre nouveau son.

Qu'est-ce qui vous a poussé à choisir Berlin ? Qu'est-ce que vous pensiez y trouver ?

Roman : C'est une bonne question mais en fin de compte, ce n'est pas Berlin qu'on a essayé de trouver, c'est plutôt un bâtiment qui avait les mêmes qualités que le Lab. Le Lab, ce n'est pas parce que c'était à Londres, je ne trouve pas qu'on ait un son londonien. C'était un juste un lieu dont on fermait les portes et où on pouvait construire notre propre monde sans que personne ne nous dérange. Quand on a sorti Other People's Problems, c'était tellement détaché des idées de dehors que quelqu'un nous a dit que c'était un peu comme les îles Galápagos, que Darwin a découvert, où des plantes et des animaux ont évolué sans influence extérieure.

Quand un groupe dit qu'il part enregistrer son nouvel album à Berlin, c'est pour absorber l'esprit de Berlin. Dans notre cas, le Funkhaus qu'on a trouvé est proche des usines, personne ne va dans ce coin.

Beaucoup d'artistes ont déjà enregistré des disques à Berlin. Qu'est-ce qui vous a plu dans cette ville ? Comme j'imagine que comme vous étiez enfermés dans le bâtiment, vous n'en avez pas vu grand chose au final ?

Roman : C'est vrai que quand un groupe dit qu'il part enregistrer son nouvel album à Berlin, c'est pour absorber l'esprit de Berlin. Dans notre cas, le Funkhaus qu'on a trouvé est proche des usines, personne ne va dans ce coin. Il n'y a pas de hipsters, c'est une banlieue abandonnée. Dans cet endroit, c'est comme si tout était gelé en 1965 mais du côté communiste. Ce n'est pas du tout ce que l'on voulait, on ne voulait pas sortir un album qui sonnait froid, très type Allemagne de l'est comme cela a été fait de nombreuses fois dans le post-punk. Cela ne nous intéressait pas. On voulait juste trouver un bâtiment, enregistrer des sons autour et y construire nos chansons.

Le premier titre du nouvel album s'appelle Envy. Parle-t-il un peu de Breton ? Je n'ai pas décortiqué toutes les paroles mais cela m'a donné l'impression de parler d'un groupe qui part sur les routes et qui se sent un peu touriste. C'est un peu ce qui vous est arrivé lors de cette grande tournée mais je me trompe peut-être...

Roman : Non, c'est un peu cela. Cela parle du fait de se rendre compte, même si tu habites dans une ville ou bien si tu connais quelqu'un, que comme le monde est tellement compliqué, tu n'en auras qu'une compréhension superficielle. Du moment que tu acceptes ce fait, je trouve que le monde apparaît beaucoup plus clair. Si tu parviens à savoir pourquoi tu aimes quelqu'un ou pourquoi tu veux vivre quelque part, à ce moment-là, tu n'as pas besoin de tout connaître et tu n'as plus à avoir peur de ne pas tout savoir. Peut-être que cela parle du fait de devenir plus vieux parce que tu as toujours peur de rater une fête ou de ne pas écouter un groupe dont tout le monde parle. Mais parfois, c'est mieux de ne pas savoir. L'impression qu'il y a quelque chose d'incroyable est souvent mieux qu'être dans un endroit incroyable.

Le vidéo clip du titre Got Well Soon est très scénarisé. Peux-tu nous dire comment cette idée vous est venue ?

Roman : Quasiment toutes nos vidéos se basent sur des faits réels qui nous ont affectés, on les détourne et on crée quelque chose d'hyper réel. Je ne vais pas parler trop de ça car c'est un truc assez personnel mais le premier sujet c'est la façon dont on est emporté par des événements et des personnes en-dehors de notre contrôle et le second c'est le suicide des personnes qui sont assez jeunes. Les deux personnages, le jeune homme et la jeune fille, sont dans des situations qu'ils ne peuvent pas vraiment contrôler même si l'un est plutôt négatif, agressif et violent et l'autre est déprimant et malheureux. A la fin du film, ils se sauvent l'un et l'autre et j'aime bien penser, je suis optimiste, même si la vidéo est un peu dure, que quelqu'un qui vient d'une autre direction qui a les mêmes problèmes et que la rencontre va neutraliser la négativité.

Sur l'album, j'ai été étonné de voir que les cordes et les cuivres sont particulièrement mis en avant. Ils prennent une grande importance surtout sur des titres comme S4, Legs & Arms ou encore Closed Category. Il y a un gros travail sur le son qui m'a un peu fait penser au groupe These New Puritans. J'aurais voulu savoir ce que tu penses de ce groupe ?

Roman : Je pense que c'est un des groupes les plus importants de ces dix dernières années, mais important c'est un peu flou. Important pour moi, ça ne veut pas dire important pour quelqu'un d'autre. Ils sont intéressants et progressifs, parfois un peu trop difficile d'accès. Ils souffrent un peu, je trouve, de ça. J'ai entendu dire que pour tourner, cela coûte tellement cher car ils veulent des musiciens qui jouent des partitions très compliquées. Je trouve que ce qu'ils font est vraiment noble et avec ce genre de groupes la musique continue de se réinventer.

Il y a deux points de vue : est-ce que tu ajoutes des trucs sur un album et tu les manipules en te basant uniquement sur l'esthétique sonore ou alors est-ce que tu les mets parce qu'ils font partie de l'histoire du disque ?

Comment cela s'est-il passé de votre côté ? Vous avez rencontré des musiciens classiques à Berlin ?

Roman : Ce que j'ai essayé de faire sur cet album, je ne sais pas si c'est un bon ou un mauvais choix, mais je pense que c'est plutôt une bonne idée en y repensant, si j'ai mis les cordes en avant ce n'est pas pour l'esthétique mais à cause d'une histoire qui m'est arrivé pour les enregistrer. Il y a deux points de vue : est-ce que tu ajoutes des trucs sur un album et tu les manipules en te basant uniquement sur l'esthétique sonore ou alors est-ce que tu les mets parce qu'ils font partie de l'histoire du disque. Ici, il s'agit du second cas, j'ai rencontré un français, Laurent, avec un vécu incroyable. Il a commencé dans la musique à Paris et il est tombé amoureux d'une femme qui a déménagé en Macédoine parce que tout est bon marché là-bas. Lui connaissait tout le monde dans le milieu de la musique classique à Paris et il a trouvé en Macédoine un endroit avec d'anciens studios, un peu comme le Lab ou le Funkhaus, et il a formé un orchestre avec des musiciens macédoniens. Ça ne coûte presque rien, pour des petits projets, des petits films ... C'est un orchestre classique avec des joueurs incroyables totalement indépendant, qu'il a constitué lui-même. Je lui ai envoyé la musique le matin et je suis allé en Macédoine en avion. A l'arrivée à l'aéroport, Laurent m'a dit complétement par hasard "mais tu joues dans Breton ?". Il était déjà fan du groupe, il connaissait déjà notre univers. On est allé dans le vieux bâtiment et j'ai vu l'orchestre classique avec les musiciens en jean et t-shirt et quarante cinq musiciens hyper talentueux ont joué l'album de Breton pendant quatre heures. On a tout enregistré, j'ai tout mis sur le disque dur et je suis ensuite retourné à Londres.

Peux-tu nous en dire plus sur le choix du titre de l'album ?

Roman : War Room Stories a un rapport avec Winston Churchill. A London Bridge, il y a un endroit qui s'appelle War Room. Pendant la guerre, Churchill devait continuer à opérer tout en se protégeant. Pour le premier album, c'est un peu ce qu'on a fait, on a fermé les portes et construit quelque chose tout seuls mais il y avait un problème de claustrophobie, de perte de vue et de perte de perspective. Ce qu'on aimait avec War Room Stories c'était l'idée d'être protégés mais d'avoir accès à l'extérieur. Les histoires de l'extérieur sont alors romancées, ce n'est jamais honnête, jamais très exact, les chansons proviennent de toutes ces petites histoires qui se passent dehors. Tiens, c'est Dan notre bassiste.

(Dan passe rapidement et va s'allonger sur une banquette à quelques mètres de nous)

Pour le premier album, vous aviez une cinquantaine de démos...

Roman : On en avait même cent soixante, c'est pour celui-ci qu'on en avait cinquante, soixante. On a été un peu plus efficaces, on avait moins de temps également.

Pour le premier album, les chansons n'ont pas beaucoup évolué finalement entre les démos et les versions finales. Maintenant, on est un groupe différent, on a beaucoup tourné, on a beaucoup plus joué tous ensemble et on a vu comment une chanson peut se développer et faire des trucs incroyables qu'il n'y avait pas sur les démos.

Le choix a-t-il été difficile pour savoir quels morceaux allaient figurer sur l'album ?

Roman : Oui, surtout que les morceaux sont beaucoup plus développés que pour le premier disque. Pour le premier album, les chansons n'ont pas beaucoup évolué finalement entre les démos et les versions finales. Maintenant, on est un groupe différent, on a beaucoup tourné, on a beaucoup plus joué tous ensemble et on a vu comment une chanson peut se développer et faire des trucs incroyables qu'il n'y avait pas sur les démos. On a simulé la tournée en se levant à neuf heures du matin, on prenait nos vélos pour aller à notre nouveau Lab et jouer jusqu'à minuit les morceaux en boucle, essayer trois mille trucs, mettre un piano, une basse... Pendant un mois et demi, c'est comme si on avait tourné sans que personne n'ait entendu un seul morceau et c'est à ce moment-là qu'on a enregistré.

Les visuels pour le nouveau disque me font un peu penser aux oeuvres de Jeff Koons pour le côté un peu clinquant ou à celles d'Anish Kapoor pour le côté dégoulinant, es-tu d'accord avec mon impression ?

Roman : Merci, ce sont de très bonnes références. Je suis très flatté. Pour moi, les images pour l'artwork de l'album sont de très simples réflexions de ce qu'on a essayé de faire avec notre musique. Il faut que cela soit très beau mais cela doit aussi avoir la capacité d'être très moche et dégoûtant. Ça doit être effrayant mais aussi épique et victorieux. C'est pas seulement un papillon, qui est quelque chose de beau, qui est mort et mais aussi dégoulinant d'un liquide très joli et texturé.

Comme vous étiez enfermés dans le Lab, je pense que tu n'as donc pas pu voir l'exposition Anish Kapoor qui avait lieu à Berlin pendant que vous y étiez ?

Roman : Non, ça montre bien qu'on était vraiment enfermés. On pensait chaque jour qu'on avait à peine trois semaines pour écrire les morceaux puis un mois pour enregistrer. Mais j'avais vu cette exposition en Angleterre, c'était vraiment très bien.

En parlant justement d'art contemporain, peux-tu nous dire quels sont les artistes qui peuvent influencer le travail de Breton ?

Roman : Gregory Crewdson, c'est un photographe nord américain hyper intéressant. C'est quelqu'un qui travaille avec la réalité dans ses photos, il est exagère la réalité en trichant un peu.

Dans quels endroits de Londres aimes-tu aller pour voir des expositions ? La Serpentine Gallery ?

Roman : Oui, il y a la Serpentine Gallery bien sûr ou aussi la Tate Modern mais il y a aussi d'énormes galeries et lieux. Ce qui est assez intéressant c'est que ce n'est pas un truc de niche, ce n'est pas du tout élitiste, c'est de l'art vraiment pour tout le monde.

Puisque nous avons parlé de vidéo un peu plus tôt, quels sont les réalisateurs que tu apprécies ?

Roman : Jonathan Glazer qui vient de sortir un nouveau film (ndlr : Under The Skin) qui est incroyable. J'aime bien aussi David Fincher. J'ai regardé quelques vieux films qu'il a fait. Quand j'étais plus jeune, j'aimais plutôt les films violents, agressifs et conceptuels. Maintenant, je trouve que les réalisateurs qui parviennent à ne pas faire uniquement cela sont plus intéressants.

As-tu le temps de t'intéresser un peu à la scène musicale anglaise ainsi qu'aux autres scènes ?

Roman : Il y a beaucoup de groupes et de producteurs qui retiennent notre attention. On a trouvé deux producteurs lituaniens, le premier s'appelle Brokencord et (s'adressant à Dan toujours allongé non loin de nous) comment s'appelle déjà l'autre producteur lituanien ?
Dan : 96wrld.
Roman : Oui, c'est bien ça. Heureusement que Dan est là, c'est le responsable des archives.

Sur les morceaux S4 et National Grid on peut entendre des craquements, comme si on écoutait un vinyle ...

Roman : Oui, on a enregistré des sons sur un vieux Waxcraft, on a remixé et essayé de brouiller le son trop clair d'un CD, ça allait bien avec notre matériel, notre batterie qui est très vieille, la basse aussi... J'aimerais bien que les gens pensent en écoutant le disque qu'on a rien rejeté et qu'on a tenté de tout compacter.

C'est de cela dont on parle dans nos albums et nos vidéos, c'est un échange narratif, on fait du storytelling.

Le titre Closed Category m'a pas mal intrigué avec des passages que l'on dirait tirés d'un film, de quel film s'agit-il ?

Roman : C'est une interview avec quelqu'un en fait. Quand le mec parle, c'est vrai que tu as l'impression d'être dans un film parce qu'il est incroyable et raconte des histoires hyper cool et c'est de cela dont on parle dans nos albums et nos vidéos, c'est un échange narratif, on fait du storytelling. Ce mec n'a pas besoin d'album ou de film, il arrive à te transporter avec sa voix et son regard et on a voulu l'ajouter sur l'album.

Les autres membres du groupe veulent toujours rester un peu dans l'ombre ...

Roman : Oui, comme Dan là-bas (le désignant alors que ce dernier est toujours allongé).

Pourrais-tu nous les décrire brièvement ?

Roman : Oui, je commence par les deux plus jeunes, Dan et Ryan. Ryan fait tous les trucs sur internet. Ils s'occupent de tous les outils qui sont très importants pour le groupe. Pour moi, ce n'est pas de la promotion, c'est une version du groupe pour internet. C'est très important que l'on contrôle tout cela nous-mêmes et qu'on ne le laisse pas au Label. Dan et Adam sont aussi DJs, ce sont eux qui assurent les DJ sets du groupe, c'est aussi important pour moi, ils s'occupent également de toute la partie illustration avec les logos, les graphiques, ils s'assurent que tout reste dans le style de ce qu'on aime tous. De mon côté, je commence les chansons et tout le monde les termine.

L'année prochaine (ndlr : 2014) sera placée essentiellement sous le signe des tournées en salles puis dans les festivals, mais as-tu déjà des idées pour ce qu'il se passera ensuite ?

Roman : Non, je ne sais pas encore mais on va continuer à faire ce qu'on aime faire, à trouver des idées qui nous intéressent et à les diffuser.