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The Leisure Society

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 2 juin 2011

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Arrivés le matin même pour une journée de promotion express, The Leisure Society qui, à plein, remplissent un mini car à eux seuls, sont venus à Paris en comité restreint : Nick Hemming, Christian Hardy et Mike Siddell nous reçoivent après un déjeuner avalé rapidement à la Maison Mère, restaurant du neuvième arrondissement de Paris où a lieu cette interview.

Votre histoire est assez ancienne maintenant, pourriez-vous revenir brièvement sur la genèse du groupe et sur votre formation actuelle ?

Christian : Nous avons réalisé notre premier album, Nick et moi, dans notre chambre quand nous étions colocataires. Nous avions alors tous les deux des boulots la journée. Depuis ce premier album, nous sommes devenus des musiciens à plein temps et nous vivons de notre passion. Et surtout, nous avons, depuis, formé un vrai groupe avec Mike et quatre autre personnes jouant d’instruments très divers. À partir de là, le processus est devenu plus précis et nous nous sommes concentrés sur l’osmose entre tous les instruments dont jouent nos autres membres en louant une maison en Angleterre, dans le Kent où nous sommes allés faire des jams et rechercher un son bien à nous. Ce disque est donc issu d’un processus plus long et complexe que le premier. C’est la différence majeure avec nos débuts.

Combien de membres compte exactement The Leisure Society ?

Christian : C’est délicat car nous sommes au maximum huit mais tous ne tournent pas constamment avec nous. Amy, par exemple, n’a pas fait la tournée avec nous car elle joue avec d’autres formations parfois. Je dirais donc que nous sommes sept et parfois huit !
Nick : Sur la photo de presse et sur celle de l’album, nous sommes huit, mais nous jouons à sept sur scène. Amy est une fantastique musicienne, très demandée, et qui joue donc pour beaucoup de formations différentes. Formations qui, en toute sincérité, paient sûrement plus que nous !

Votre musique est souvent décrite comme du folk dans les critiques, Est-ce réducteur pour vous ? Comment décririez-vous votre musique ?

Nick : Je ne sais pas. On nous met souvent dans la case folk mais je ne suis pas vraiment d’accord avec ça. C’est peut-être à cause de nos instrumentations aériennes... Pour moi, je nous verrais plutôt comme un groupe de pop. Je peux comprendre la vision folk rock de notre style, mais je pense que nous sommes plus pop que rock ou folk.

Le nom de votre groupe est un homonyme d’une marque de lunettes solaires de luxe. Est-ce un hasard ou une manière de critiquer la société de consommation et du paraître ?

Christian : Imagine que nous nous sommes rendus compte de cela que très récemment ! Je crois que ça vient des Etats-Unis, non ? En tout cas, nous n’avons jamais reçu de lunettes de soleil gratuites ou quoi que ce soit de leur part (rires) !

Je me suis laissé dire qu’il y aurait comme une critique sous-jacente de la société de consommation derrière ce nom ?

Nick : C’est assez ironique parce que je pense à ce nom de groupe depuis des années, me disant que ce serait un bon nom. Et, à cette époque, j’étais toujours salarié la journée et musicien la nuit ! Donc ma vie était tout sauf une vie de loisirs ! Au contraire, nous travaillions d’arrachepied... et c’est encore pire aujourd’hui. Donc j’aime le nom The Leisure Society qui me rappelle que cette époque de loisirs n’arrivera peut-être jamais !

Vous n’avez jamais eu de problèmes avec les avocats de cette marque de lunettes de soleil ?

Nick : Non. Je ne sais même pas à quoi ressemblent ces lunettes ! Heureusement qu’ils font des lunettes et pas autre chose !
Christian : Je pense qu’ils sont arrivés après la sortie de notre premier disque et, juste après, quand on cherchait notre nom sur Internet, on tombait sur cinquante pour cent d’articles sur nous et cinquante pour cent de publicités pour ces lunettes de soleil !

Les membres actuels du groupe ont vécu de précédentes aventures avec She Talks To Angels, Hope Of The States ou Willkommen Collective mais aussi et surtout des expériences cinématographiques. Pensez-vous que celles-ci vous ont aidés à faire de The Leisure Society un meilleur groupe ?

Nick : Pour moi, avoir été dans d’autres groupes m’a donné le goût du public, un échantillon de bons et mauvais moments également et une expérience première du travail artistique en groupe. Aucun membre du groupe ne se gargarise de ces expériences passées mais chaque session radio que nous jouons, chaque critique positive ou négative que nous lisons nous arrive avec plus de recul et maturité que si nous débutions tous dans le milieu artistique. Ce n’est pas par mégalomanie mais nous aimons sentir que le monde, petit à petit, écoute notre musique.

Toutes ces activités artistiques passées vous ont donc apporté une certaine sagesse, inattendue pour un jeune groupe ?

Nick : Oui. Aujourd’hui, tous ceux qui forment The Leisure Society sont là pour faire de la musique parce que cela veut dire quelque chose pour eux, pas pour leurs ambitions personnelles et pour devenir des stars. C’est la première fois que je joue dans un groupe avec cet état d’esprit.
Mike : J’ai vu et joué dans des formations dont les leaders avaient un certain égo et il est très apaisant de trouver une formation où tout est fait pour le groupe avant les individualités.
Nick : Nous contrôlons ce qu’il dit (rires) !

Lequel d’entre vous était acteur ?

Christian : J’ai créé des bandes originales de film et certains membres passés sont maintenant devenus, l’un acteur et l’autre réalisateur.

Jusqu'à maintenant, vous étiez reconnus pour vos prestations live mais Into The Murky Water a reçu d'excellentes critiques ces dernières semaines. Avez-vous le sentiment d'avoir franchi un palier ?

Nick : Cet album est définitivement plus ambitieux. Jusqu’alors, nous étions quelque peu sous la contrainte de certaines possibilités mais, pour Into The Murky Water, si nous ressentions le besoin ou l’envie d’avoir tel ou tel instrument, nous pouvions l’obtenir. Concrètement, nous pouvions faire ce que nous voulions et donc, c’est ce que nous avons fait ! Donc oui, c’est vraiment une étape de franchie pour nous, que ce soit pour la production, les arrangements et l’enregistrement. Nous avons tout contrôlé et c’était un peu notre obsession à la fin.
Christian : Avec le premier disque, The Sleeper, nous étions plus ou moins à l’écart du monde de la musique live. Puis nous avons commencé à faire quelques concerts et nous nous sommes perfectionnés sur cet aspect. Pour ce nouvel album, nous avions un groupe plus construit et nous avions déjà joué tous nos nouveaux titres sur scène avant d’enregistrer les chansons. Sur The Sleeper par exemple, nous n’avions pas de batteur attitré. Trois ou quatre musiciens différents se sont succédés et même Nick et moi avons joué des percussions. Maintenant, nous avons un batteur et cela fait vraiment une grosse différence car la base de nos compositions, ce sont les percussions. Et c’est vrai que nous sonnons assez live même en studio.

Ce sont donc toutes vos expériences live qui apportent ce son si particulier à vos albums et celuici en particulier ?

Nick : Jouer ensemble sur scène avant même d’entrer en studio nous a apporté cette expérience et ce son, très importants à nos yeux et nos oreilles !
Mike : Nous venions juste de terminer notre tournée en Angleterre pour laquelle nous avons beaucoup répété et cela a été primordial une fois en studio.
Christian : Une fois que la presse et le public s’intéressent à vous, la pression monte et cela crée sûrement une raison supplémentaire pour répéter ensemble souvent. Quel meilleur endroit que la scène pour cela ?!

Jouer à sept ou huit sur scène et même en studio n’est pas très facile comparé à des formations moins nombreuses ?

Christian : C’est un cauchemar !

Est-ce plus difficile sur scène ou en studio ?

Christian : « En live, sans aucun doute ! C’est plus difficile parce que cela coûte plus cher et nécessite beaucoup plus d’organisation mais, comme Nick le dit depuis le départ, il n'y a pas de compromis. Même pour une session radio, nous nous déplaçons à sept ! Et, en toute modestie, je pense que cela paie par le son et l’énergie dégagés.
Nick : Notre label nous a dit un jour : « Pouvez vous faire cette cession à trois ou quatre maximum ? ». Je leur ai répondu que nous sommes un groupe à sept ou huit, mais pas moins. Nous n’acceptons d’être en formation réduite que rarement et seulement si nous ne pouvons pas faire autrement.
Mike : Mais au final, ils sont toujours très heureux et fiers du résultat, même si c’est plus compliqué pour eux.

Vous êtes officiellement sept membres, parfois huit dans le groupe, et votre musique s’en ressent avec des instrumentations et des sonorités multiples. Arcade Fire possède huit membres également... Pensez-vous qu’après la période de rock brut et minimaliste dont nous sortons, la tendance soit à nouveau aux formations étendues et très musicales ?

Christian : Je ne sais pas. Il y a encore de très bonnes formations rock à trois ou quatre membres, mais il y a effectivement de plus en plus de groupes plus étendus en termes de membres et de complexités sonores. Néanmoins, peu importe le nombre quand les chansons sont bonnes. Nous ne suivons pas ce qui se fait ou ce qui ne se fait pas en termes de tendance ou de mode et Nick est de toute façon un très bon songwriter entouré de très bons musiciens.
Nick : Pour revenir à Arcade Fire, c’est quand même très agréable de voir que des compositions impliquant autant de musiciens et si complexes sont aujourd’hui encensées et reconnues dans le monde entier. Ils sont tous impliqués dans le collectif Arcade Fire, ce ne sont pas que des invités qui viennent de temps en temps pour jouer ensemble...

Il y a une corrélation certaine entre vous et Arcade Fire dans la manière de trouver des sons inattendus et de proposer des instruments que l’on n’entend que rarement dans le rock...

Nick : Comme nous, ils aiment expérimenter et assument une bonne part de leur production également. Pour l’avant-dernier album, je crois, ils avaient loué un église pour enregistrer à l’intérieur ! En ce sens, nous avons pas mal de choses en commun, c’est vrai.

Nick est à l'origine de la formation du groupe, avez-vous malgré tout le sentiment d'être devenu un véritable groupe plutôt que le projet de Nick au fil du temps ?

Nick : Avec Into The Murky Water, nous sommes définitivement devenus un vrai groupe. Avant cela, les musiciens n’étaient pas tous définitifs et ils étaient plus des invités qui se succédaient selon nos besoins. Aujourd’hui, nous sommes soudés et c’est agréable de partager cet esprit de gang, au sens familial du terme.

En parlant de projet, quels sont les vôtres pour les mois qui viennent étant donné que l’été est déjà là ?

Christian : Nous revenons en France le 27 mai pour un concert à la Flèche d’Or et ce sera la première date de notre tournée en Europe. Ensuite nous tournerons en Allemagne, en Belgique, en Hollande et beaucoup de festivals, surtout en Angleterre. Mais aucun en France ! Il ne nous reste donc que quelques semaines de répétitions avant cette tournée. C’est pour cela que nous ne sommes venus qu’à trois et pour une journée seulement...

Vous semblez vous imposer un rythme plutôt soutenu, vous n'avez presque pas arrêté de tourner entre vos deux albums. Est-ce important pour vous de toujours être en activité ?

Nick : Absolument. Nous avons tous eu des vies avant cela où il nous fallait avoir un job la journée et jouer la nuit et maintenant, nous avons la chance de pouvoir vivre de notre passion. Rater une seule journée nous ferait sentir coupables de ne pas profiter de cette chance ! Nous travaillons donc la plupart du temps sept jours sur sept. Mais ce n’est pas un travail à proprement parlé, c’est une passion.

Vous êtes devenus des musiciens Workaholic en quelque sorte ?

Nick : Oui. Je n’arrête jamais d’écrire ou de jouer...
Christian : On nous demande souvent de faire des reprises pour des disques de charité et nous disons oui à tous car nous adorons nous retrouver en studio. Notre album est à peine fini que nous avons déjà une deadline pour une nouvelle reprise à venir !

Laquelle ?

Christian : Ce sera une reprise des Smiths que Nick a choisie : That Joke Isn’t Funny Anymore.
Nick : C’est pour une compilation d’un label Américain qui ne voulait que des reprises des Smiths. Mais nous avons réalisé que nous sommes toujours en tournée dans les semaines qui viennent et il va falloir trouver du temps pour enregistrer ce titre, d’une manière ou d’une autre ! Et comme nous sommes un peu perfectionnistes et expérimentaux dans nos sessions studio, cela va être difficile de tenir les délais.
Christian : Mais c’est un travail, une passion assez géniale pour que cela ne pose aucun problème à personne dans le groupe.

En 2009, vous avez enregistré une reprise des Beatles, Something, pour le magazine Américain Mojo. Votre musique semble très inspirée des années soixante avec des groupes comme les Kinks ou les Animals. Mais vous étiez encore très jeune à cette époque !

Christian : Oui (rires) ! Quand j’avais dix ou onze ans, j’étais dans la mouvance Mods et j’écoutais The Kinks ou The Small Faces, ce genre de groupes. Je n’étais pas un fan des charts de l’époque et je préférais la musique des années soixante. Ils restent donc une grande influence aujourd’hui je pense... Particulièrement The Kinks ou The Beach Boys.
Nick : Avec les Beatles, indéniablement ! Un de mes modèles fut l’album Sergent Pepper's Lonely Hearts Club avec tout ce qu’il renferme de mystères et d’inspirations prises sur le moment présent. Le moment live, même en studio, c’est une approche qui nous est sans doute commune. Le studio peut être un endroit magique où tout est permis quand on a sept excellents musiciens avec soi.

En 2009, toujours, Brian Eno a fait des critiques élogieuses à votre sujet. Je crois que Nick et Christian l’ont même rencontré dans son studio. Que vous êtes-vous dit ?

Nick : Oui, Christian et moi sommes allés dans son studio tout un après-midi, boire de la bière et manger du fromage et il s’est avéré être quelqu’un de très agréable.
Christian : Quand nous avons lu que Brian Eno lui-même avait dit que notre album était sûrement l’album de l’année, nous avons demandé à notre maison de disque s’il était envisageable de le rencontrer et ils nous ont arrangé ça. Mais, contrairement à ce qui a été dit, il n’avait pas l’intention de produire notre disque. Il nous a conseillé d’avancer par nous-même et, en conséquence, notre relation est devenue très sociale et désintéressée. Nous sommes restés en contact et sommes retournés le voir quelques fois. Nous avons même fait quelques voix avec Coldplay sur un titre qu’il avait écrit... Il est venu à notre concert de Brighton la semaine dernière. Nous avons vu quelqu’un danser en backstage derrière nous pendant que nous jouions et nous nous sommes dit « Tiens, Brian Eno est là ! ».