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Breton

Interview publiée par Amandine le 19 mars 2012

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C'est lors de leur dernière venue parisienne que nous avons à nouveau rencontré Roman Rappak, leader charismatique de Breton. Nous avons longuement discuté de tous les changements survenus depuis notre première rencontre en avril dernier. Il nous confie ici sa vision de la musique, ses premières impressions sur leur signature chez FatCat Records et Warp mais il nous dévoile aussi un aperçu de ce qu'est Other People's Problems, premier album très attendu de la formation londonienne.

Souhaites-tu faire cette interview en Français ou en Anglais ?

Comme tu sais que je parle français, je n'ai pas le choix, on la fait en français ! Je changerai peut-être si cela devient trop difficile...

Tu sembles être le préposé aux interviews dans le groupe !

Oui, les autres n'aiment pas parler, ils ne savent pas quoi dire. La dernière fois, nous avons essayé de donner une interview où nous étions tous les quatre et je m'étais dit que j'allais les laisser parler un peu. C'était une catastrophe (rires) ! Nous étions tous les quatre devant une pauvre fille terrifiée qui devait avoir 18 ou 19 ans, c'était sa première interview et elle avait devant elle quatre gars muets... L'enfer ! C'est donc moi qui m'y colle désormais, j'aime bien ça, parler, mais je ne t'apprends rien, tu le sais, tu as eu l'occasion de t'en rendre compte (rires) !

Depuis avril dernier, beaucoup de choses ont changé. Lors de notre première rencontre, FatCat Records vous faisait les yeux doux et vous alliez signer chez eux. Maintenant, il y a Warp quand même qui est venu s'ajouter à la liste. Tu peux m'expliquer tout ça ?

Lors des contacts avec les maisons de disques, quand ils te disent qu'ils te signeront peut-être, la première chose qu'ils te demandent c'est « Où jouez-vous prochainement ? Où pouvons-nous vous voir jouer live pour votre prochain concert ? ». Je trouve que c'est étrange de penser que tu vas passer deux ans à travailler avec ces personnes, qu'ils seront en charge de sortir ton album, de faire passer ce que tu voulais exprimer par la musique et que le premier contact que tu as avec eux, c'est dans un lieu bruyant, où il n'y a pas de lumière, où tout le monde est un peu bourré et tu ne vas rien entendre. Nous nous sommes donc dit que nous allions procéder autrement : nous avons la chance d'avoir le Lab qui nous permet de gérer notre travail comme nous l'entendons. Quand je me réveille chaque matin, je peux envoyer un SMS à Adam qui habite dans une autre chambre et nous pouvons répéter sans nous préoccuper des infrastructures ou des horaires de répétition. C'est génial.

Vous êtes simplement concentrés sur votre musique sans avoir à vous soucier de ce qui se passe autour et vous avez tout ce dont vous avez besoin sous la main...

Oui, exactement. Quand nous travaillons sur un morceau, nous n'avons pas une deadline pour le terminer : nous pouvons creuser les sonorités et les explorer jusqu'à en tirer le son exact que nous cherchions. nous expérimentons beaucoup notre musique et donc, pour nous, ça tombait sous le sens que nous ne pouvions pas nous présenter et dévoiler notre travail aux maisons de disques pendant un concert. Nous leur avons tous dit : « Venez nous écouter, mais venez au Lab, là où nous sommes dans notre élément et où nous pouvons vraiment vous montrer de quoi nous sommes capables. Nous n'allons pas donner de concerts pendant un moment, nous travaillons sur de nouveaux morceaux, donc c'est à vous de venir à nous. » Nous les avons tous fait venir au moment du déjeuner, au milieu de la journée. Il n'y avait ni les stroboscopes, ni l'alcool, c'était un environnement normal, en pleine journée. Là, ils pouvaient nous regarder dans les yeux pendant que nous jouions. Ils pouvaient nous parler, nous poser des questions. Je déteste me dire que quand les labels démarchent des groupes, ils pensent qu'ils ont un ticket et qu'un artiste peut leur rapporter. Et les groupes cherchent ce ticket en se disant « Ça va me changer la vie parce que je vais signer chez Universal ». Pour moi, cette façon de faire enlève l'amour de la musique, ce n'est plus la même vision des choses. Nous étions en contact avec cinq ou six maisons de disques et nous leur avons donc demandées de venir chez nous, au Lab. C'est dans le Sud-Est de Londres, dans un quartier très pauvre, avec de vieux hangars désaffectés. Sur les six maisons de disques, quatre ont osé s'aventurer jusque là-bas. C'était déjà un premier tri. Sur les quatre, deux sont arrivés dans de grosses voitures, ils étaient habillés en costume, ça nous a beaucoup fait rire. Nous leur avons fait du café, ils osaient à peine poser leurs lèvres sur les tasses et donc, nous avons commencé à jouer devant eux, en prenant soin de nous accompagner avec une projection vidéo comme nous en avons l'habitude. A la fin, il restait donc deux maisons de disques parce que les autres nous ont dit qu'ils ne savaient pas ce qu'ils auraient pu faire de nous, que nous avions une vision bien trop personnelle de notre travail. Il restait FatCat et un autre que je ne nommerai pas et nous avons choisi FatCat parce qu'Alex (ndlr : Alex Knight, le responsable) a une culture musicale impressionnante et que dès le départ, il avait cerné notre musique ; c'est le seul qui soit resté après notre petite démonstration. Il m'a dit « Il faut que tu écoutes ça et ça, ça pourrait te plaire, ils font un peu ce que tu fais ». Ce mec a une culture des raves incroyable, il connaît tout le monde dans la sphère l'électronique. Mais il a aussi une sensibilité folle. C'est lui qui a signé Sigur Rós et qui a réussi à être autant ému par un mec qui chantait en islandais, avec une voix si particulière, jouant de la guitare... Bref, il était fait pour nous. Nous nous sommes réunis autour d'un café pour discuter de tout et de rien. Il m'a expliqué tout ce que le label pourrait faire pour nous, tout ce qu'il aimait dans le groupe et qu'il ne voulait absolument pas changer. L'autre maison de disques que nous avions aussi retenu m'a surtout parlé de ce qu'elle pouvait faire pour moi, pour ma petite personne. Alex, lui, a mis l'accent sur ce qu'il ne voulait pas changer, c'était le seul. En plus, ce qui n'enlève rien, il était très cool et sympa.

Il ne voulait pas formater votre musique...

Oui, voilà, il ne voulait pas faire de notre musique un truc précis, il voulait simplement que nous sortions un album. Il m'a tout bêtement dit « Moi, j'aime ce groupe, et si je l'aime, ce sera aussi le cas pour les autres, c'est aussi simple que ça ! »

Ça semble assez simple mais, pour Warp, ça a aussi été le cas ?

Warp, c'était comme un rêve. Ils sont ma Motown à moi, le label que je mets au-dessus de tout, un modèle de création. Quand j'étais dans mon école d'art, je disais toujours qu'ils étaient l'équilibre parfait entre la créativité, l'artistique, l'audace et l'intelligence. C'était étrange parce qu'ils pouvaient avoir des vidéos qui étaient très simples, qui faisaient presque peur... Je pense par exemple à Aphex Twin qui compose généralement une musique très complexe mais qui peut aussi sortir des pop songs un peu stupides. Aphex Twin est une bonne illustration du label, de la complexité mêlée aux choses plus immédiates. Chris Cunningham (ndlr : vidéaste star de Warp) est aussi dans ce mélange : parfois ses vidéos vont faire référence à des films d'horreur complètement débiles mais tu peux aussi trouver chez lui des vidéos d'une abstraction incroyable.

La grande force de Warp, c'est à la fois de signer des artistes complètement différents mais aussi des artistes qui peuvent, d'une sortie à l'autre, faire des choses qui n'ont rien à voir les unes avec les autres, ce qui est surprenant et innovant...

Oui, exactement, c'est tout à fait ça. C'est pour ça que c'est excitant de travailler pour et avec eux car ce que j'aime le plus chez eux, c'est qu'ils utilisent la musique des artistes d'une manière toujours très intelligente. Jamais ils ne te diront « McDonald's voudrait utiliser ta chanson, ça t'intéresse ? ». Ils ne détourneront jamais des compositions pour une image qui ne colle pas aux artistes qu'ils ont signés.

Concrètement, en quoi ces signatures ont-elles changé la vie du groupe ?

Disons que cela nous permet de nous libérer l'esprit de certaines contraintes et de nous focaliser sur l'essentiel. Je n'ai pas énormément de famille, pas de copine, pas de voiture, peu de choses nous appartiennent sauf les instruments, les ordinateurs et tout notre matériel. Grâce à Warp et à FatCat, nous pouvons faire une tournée en Amérique. Avant, quand nous voulions réaliser une vidéo, nous avions toujours une connaissance qui nous disait « J'ai un ami, d'un ami... Il n'est pas super doué mais il pourra vous aider ». C'était toujours les plans B, nous n'avions pas beaucoup de moyens. Aujourd'hui, nous pouvons dire à notre label « Nous aimerions shooter une vidéo, ça coûtera 20 000£ » et comme ils nous font confiance, les 20 000£, ils nous les donnent. L'argent, ce n'est pas le plus important pour nous : ça ne l'a jamais été et ça ne le sera jamais mais maintenant que nous n'avons plus à nous préoccuper de ça, ça libère notre créativité.

Vous ne menez pas la grande vie, mais vous pouvez désormais voir plus grand ?

Oui, c'est ça. Nous ne fréquentons pas les lieux chics, nous ne dînons pas dans des restaurants luxueux mais nous pouvons faire notre musique comme nous le voulons, sans limite, ou presque.

Justement, comment avez-vous travaillé sur l'album ? Lors de notre première rencontre, tu m'avais dit avoir écrit beaucoup de chansons mais qu'un tri était nécessaire pour trouver le fil conducteur de ce que serait votre premier album...

Nous avons réécouté tout ce que nous avions enregistré, tout ce que nous avions composé, parce que je voyais ça comme un journal de bord de ce qu'avait été notre vie ces derniers mois et je me suis dit que ça allait nous aider à nous diriger. Je peux écouter chacune de nos chansons et me souvenir ce qui se passait dans ma vie, comment je me sentais à ce moment précis. Il me semble que c'est important ! Ce ne sont pas que des notes et des mots enregistrés, ce sont beaucoup d'autres choses autour, une atmosphère. Il est évident que quand quelqu'un écoute la même chose, il ne ressentira pas ce que moi je peux ressentir, mais mes chansons, ce sont des « time catchers », des attrapeurs de temps, de moments. Je ne sais pas si le mot existe en français mais tu vois ce que je veux dire. Nous avons donc choisi des genèses de titres en faisant très attention car, pour un premier album, il est très dangereux de dire « Pour la première chanson, nous avons essayé de dire ça et dans la seconde, c'était la même chose mais exprimé autrement ». Il faut faire attention à la répétition. Je ne veux surtout pas que nous nous isolions, que nous nous figions dans quelque chose en nous focalisant sur un point précis. Il faut se laisser ouvertes toutes les possibilités qui nous entourent. Peut-être qu'à certains moments, ça sonnera immature et naïf, je ne sais pas du tout, mais après tout, c'est peut-être ce que nous sommes en un sens. Pour un premier album, tu te sens capable de faire plein de choses différentes, et c'est ce que nous avons voulu tester. C'est comme quand tu vas à l'école pour la première fois, tu te dis que tu voudrais être astronaute, joueur de baseball, vétérinaire ou archéologue. Tout te semble possible. Là, nous nous sommes dit que nous pouvions écrire une chanson romantique, puis une chanson agressive, une qui fasse peur, une autre pour danser...

Vos trois premiers EPs explorent des univers assez différents, ce que tu expliquais à l'époque par votre volonté de tester votre potentiel. Pour l'album, avez-vous fonctionné de la même manière ou existe-il unité autour de laquelle vous gravitez ?

Il est certain qu'il existe une unité dans la création, dans l'esthétique. Depuis vingt ou trente ans, nous sommes exposés à tellement d'informations, nous avons tellement de stimuli extérieurs. Il y a encore quelques années, tu devais rencontrer un ami dans un pub et tu arrivais, tu ne le voyais pas, tu n'avais pas la possibilité de l'appeler pour lui demander où il était. Tu étais toujours limité, et maintenant, les limites ont été repoussées jusqu'à un point tel quec l'on se demande si elles existent encore. On a l'impression qu'on peut tout faire. Avant, l'information était moins accessible et moi, je me dis que quand je fais de la musique, je dois garder en tête que désormais, tout le monde a connaissance du rock, du hip-hop ou du dubstep et que je me dois de créer quelque chose de nouveau et d'intéressant pour que ceux qui m'écoutent n'aient pas l'impression que je fais du réchauffé. Avant, c'était une petite partie de la population à Harlem qui écoutait un genre de musique qui leur appartenait vraiment mais, maintenant, c'est fini. Tout le monde a accès à tout au niveau culturel. Maintenant, il est rare de trouver quelqu'un qui n'écoute, par exemple, que du hardcore ou du punk, la culture se mélange assez naturellement et c'est ce qui transparaît, je pense, dans notre album... tout en gardant un point commun : l'esthétique.

Comment définirais-tu cet album ?

Je crois que l'on sent que sur tous les titres de Other People's Problems, ce sont les mêmes cerveaux qui ont planché sur chacune des compositions. Nous avons tous travaillé à étoffer des sons basiques, à les analyser. Je ne sais pas si les gens vont trouver une consistance à toutes ces compositions mais mon plus grand souhait, c'est qu'à la fin de l'écoute de l'album, ces personnes aient l'impression d'avoir une conversation avec nous et qu'elles nous connaissent un peu plus. Si nous nous asseyons ensemble pour une heure ou deux, et que nous commençons à parler musique, à discuter de nos peurs, de ce que nous aimons, tu vas avoir une idée de ce qu'est mon groupe, de mon caractère et de la personne que je peux être... Eh bien, c'est pareil avec notre album, mais en condensé. Je ne veux pas dire que c'est une révolution musicale que nous avons créée mais en tout cas, cet album est très personnel et reflète parfaitement ce que nous sommes. Qu'il soit bon ou mauvais, personne d'autre n'aurait pu faire cet album parce qu'il est ce que nous sommes.

Tu as conscience que cet album est très attendu. Votre situation n'a plus rien à voir avec celle dans laquelle vous étiez il y a un an ; vous faites la couverture de beaucoup de magazines, le NME vous met dans sa liste d'artistes à voir et à écouter absolument en 2012... Comment vous réagissez face à tout ça ?

Nous n'avons jamais écrit des chansons en ayant dans la tête que nous deviendrions un jour populaires. Nous avons pris le risque de ne pas faire de compromis, nous avons eu foi en l'humanité (rires). Nous nous sommes dit qu'il y avait forcément des personnes comme nous, qui seraient sensibles aux mêmes choses que nous, qui seraient aussi confus et déséquilibrés que nous. Et si nous faisions un mix de ce que nous aimons, de nos influences, de notre personnalité, ça ferait quelque chose de bien. Je n'aime pas du tout l'idée selon laquelle on ne peut pas écrire un article ou une chanson de telle ou telle manière parce que quelqu'un est venu te dire que ton style se rapprochait de celui de quelqu'un d'autre. Tu deviens un journaliste ou un musicien parce que tu as lu ou entendu des choses qui t'ont touchées, que tu as aimées et tu ne peux pas faire abstraction de tout ça. Les influences sont un point de départ duquel tu conçois une chose plus personnelle. Nous n'avons jamais voulu faire de la musique pour devenir populaires car être musicien, ce n'est pas un job comme les autres, que tu le veuilles ou non. Tu ne peux pas concevoir une chanson en te disant qu'elle paiera tes factures. J'ai beaucoup confiance en les personnes qui aiment la musique et qui l'écoutent beaucoup. Je ne pense pas que les gens sont bêtes. Si tu as une bonne idée, c'est organique : tu la postes sur le net, tes amis, les amis de tes amis vont la voir... Tu ne l'as pas fait dans un contexte de création et, pourtant, peut-être que ça plaira et que ça aura du succès. Je crois que c'est en étant honnête qu'on réussit à faire de bonnes choses donc je garde confiance pour nous... mais j'espère quand même que tout le monde ne sera pas déçu ! Je vois la création comme quelque chose de noble. Je rencontre des gens qui souffrent pour faire ce qu'ils aiment. L'industrie de la musique est en train de changer. Tout le monde s'en plaint et pourtant, je suis excité par cette idée, c'est une très bonne chose.

Tu parles de la création au sens large mais, justement, maintenant que vous connaissez un début de succès avec votre musique, avez-vous l'intention de vous focaliser là-dessus ou allez-vous continuer les remixes et les vidéos ?

Nous présentons des idées aux gens, que ce soit des vidéos, des chansons ou des photos. Donc nous voulons continuer de la même façon. Je m'estime très chanceux maintenant car il y a eu une période, dans ma vie, où quand j'avais une idée, je n'avais personne avec qui échanger, personne à qui montrer ce que je faisais pour le faire évoluer. Maintenant, c'est différent, j'ai un contexte pour comparer les idées. Beaucoup de gens m'envoient ce qu'ils font et, parfois, c'est incroyable ! Nous continuerons aussi les remixes parce que c'est un exercice que j'adore. C'est l'expression du surréalisme poussé à son paroxysme : le cadavre de l'esprit. Nous dépouillons une œuvre pour en tirer son essence et lui donner une seconde vie avec une propre âme.

Pour terminer, peux-tu nous parler brièvement de ce qui va se passer dans les prochains mois ?

Une tournée aux États-Unis et en Angleterre. Maintenant, nous allons faire nos premiers concerts en tête d'affiche, le tout premier à New York, ça va être dingue, j'ai encore du mal à me dire que c'est réel.

Et vous jouez avec Plaid à Londres demain ?

Oui ! Je suis comme un gosse, ce sont des héros pour nous. Je crois que je vais rester dans les loges pour essayer de les croiser et de leur parler, histoire de me dire « Je fais la première partie de Plaid » (rires) !