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Archive

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 26 octobre 2012

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Violently, Damage, Conflict… ces trois titres, issus du nouvel album d'Archive, With Us Until You're Dead, sonnent comme des headlines de chaînes d'informations continues. Nonobstant ces titres radicaux, le groupe qualifie volontiers son neuvième album studio comme un disque sentimental et même un récital dédié à l'amour.

Pour certains, le son trip-hop toxique peroxydé et sans concession des premiers albums du groupe est de retour, pour d'autres, c'est une suite musicale logique après les excellents, Controlling Crowds part IV et V. Il se pourrait qu'il s'agisse, finalement, d'un savante alchimie des nombreuses visions musicales de cette formation, officiant depuis dix-huit ans dans des architectures (é)mouvantes et protéiformes. Pour ce nouvel opus, la formation de base qui excelle dans les extended version et les live hallucinatoires se compose des onze titulaires suivant : les deux piliers de la création, Darius Keeler et Danny Griffiths, le guitariste historique, Steve Harris, les guitaristes chanteurs séducteurs, arrivés en 2006, David Penney et Pollard Berrier, le batteur Steve Barnard dit Smiley, le bassiste Jonathan Noyce, le guitariste chanteur Mike Hurcombe, le rapper Rosko John et la légendaire Maria Q pour les vocalises et le chant et, pour la première fois, d'Holly Martin, jeune auteur compositeur interprète anglaise qui pose sa voix sur les titres les plus emblématiques du disque.

Dans une journée marathon composée de sessions acoustiques données pour diverses radios musicales, alors que Dave et Pollard viennent de sauter dans l'Eurostar, Darius Keeler, Steve Harris et Holly Martin trouvent enfin le temps de déjeuner, en plein milieu d'après midi et de répondre à nos questions entre deux bouchées de cheeseburgers à la Parisienne.

Archive compte quatorze membres ou ex-membres, de nombreux invités sur disque et en live, dont des orchestres philharmoniques, des univers musicaux propres en constante expansion... Dirais-tu, après de nombreux disques et dix-huit ans d’existence, qu’Archive est un groupe d’art conceptuel, une formation protéiforme ou les deux ?

Darius : Je dirais que c'est une expérience progressive, en développement constant, qui ne se pose surtout pas de limites. Nous suivons nos influences liées à nos expériences au cours de ces années passées, sans chercher à impressionner notre public en lui donnant ce qui, à un instant T, serait le son ou le style le plus à la mode ou le plus vendeur. Nos albums sont le fruit de nos humeurs ou de nos envies présentes. Elles dictent nos choix de compositions, d'écritures ou d'orchestrations. Les musiciens, comme les autres, vieillissent et progressent avec le temps. La musique n'est que le reflet de tes émotions et de ton histoire personnelle. Si Archive reflète tout cela, alors nous suivons le bon chemin.

Au début des années 2000, Dan Griffiths et toi-même aviez placé une annonce dans le magazine NME en Angleterre pour rechercher votre nouveau chanteur. Craig Walker y avait répondu avant d'intégrer le groupe à partir de l'album You All Look The Same To Me. Après trois albums, Craig avait quitté le groupe, comme Roya Arab avant lui en 1996. Le turnover d'Archive et ses multiples expériences à travers différents membres ne semblent pas nuire au groupe, mieux, il semble être la clef du succès d'Archive...

Darius : Je suis d'accord. Je crois que, quand un membre quitte un groupe, c'est parce que, musicalement, il a atteint une fin, l'aboutissement de son expérience dans ce collectif. Faire un autre album avec Craig, par exemple, aurait sûrement été une erreur et il n'aurait pas atteint les attentes et la qualité des trois que nous avons enregistrés avec lui comme chanteur. Notre obsession repose sur la qualité de nos albums et le renouvellement de notre musique, même si elle émane exclusivement de nos visions et non d'une opération de séduction du public, le plus large possible. En aucun cas il ne s'agit là d'une affaire de personnes ou de personnalités mais de l'intérêt que nous portons et que nous mettons, en tant que collectif, dans nos compositions.

Dan et toi-même êtes les deux épines dorsales d'Archive, mais vous avez réussi votre parcours en sachant vous entourer de différents et nombreux talents tout au cours de votre carrière. Les choix artistiques du groupe sont-ils ceux des deux fondateurs, présents depuis la fondation du groupe, ou sont-ils constamment collégiaux ?

Darius : Généralement, j'arrive avec des idées de mélodies que je propose aux autres membres. Ils me disent s'ils les aiment ou non et nous partons de nos mondes respectifs pour construire autour. Pollard, Dave et les autres écrivent et composent autour d'une idée qui part souvent de Dan ou de moi.

Avec l'arrivée de David Penney et Pollard Berrier en 2005, il s'est dit qu'à ce point, Archive n'était plus un groupe à proprement parlé mais bien un collectif d'artistes. Est-ce plus difficile de conduire un groupe de forme classique avec un leader identifié ou des individualités formant un groupe ?

Darius : Pour moi, il est plus facile de faire partie de ce collectif aux personnalités propres. Je n'aurais pas aimé qu'Archive soit la représentation d'une seule personnalité – son chanteur par exemple – qui oublie un peu les autres à l'arrière scène. Bien sûr, tout groupe ou collectif à ses moments difficiles à passer et, pour revenir à Craig, c'est ce qui était en train d'arriver lors de nos dernières collaborations. Il tendait et se dirigeait vers la forme de groupe que je cherchais à éviter...

Comment expliques-tu qu'Archive ait un succès si important dans les pays d'Europe comme la France, la Grèce et d'autres, comparativement à l'accueil, souvent froid, que vous réserve votre pays d'origine, l'Angleterre ?

Darius : Il y a plusieurs raisons. Nous n'avons pas joué là-bas depuis longtemps et nous avons eu pas mal de déboires avec notre label et notre management à une époque. Une autre raison tient au fait que notre musique apparaît prétentieuse pour les Anglais. Trop spirituelle à leurs yeux et à leurs oreilles ! Je suis Anglais pourtant, mais je déteste cet état d'esprit, parfois.
Steve : « Je suis totalement d'accord. Les Anglais sont parfois ce que l'on appelle « stiff upper lip » (ndlr : littéralement : « lèvres du haut rigide ») que l'on pourrait traduire par « émotivement rigides » ! Ce coté imperturbable, maître de soi, qui fait parfois la réputation des Anglais, les empêche, souvent, de laisser aller leurs émotions et de réagir à des musiques trop portées sur la spiritualité.

Darius, tu as dit que ce nouvel album, With Us Until You're Dead, est plus intimiste et plus personnel que les précédents. Tout en restant un condensé d'explosivité et de découvertes sonores...

Darius : C'est vrai qu'il parle plus d'expériences personnelles et moins de sujets globaux, voire politiques, comme les précédents, à l'image de ce qu'était Controlling Crowds.

Quelle est la genèse de ce nouvel opus ?

Darius : Textuellement parlant, je voulais faire un album de chansons sentimentales. Je me suis assis avec Danny un jour et je lui ai dit, « Écrivons un album qui s'appellera Love Songs. Créons dix titres qui parlent d'amour mais avec noirceur et sans compassion ! ». Ceci dit, même quand tu entends le titre Fuck You sur l'album Noise, il s'agit également d'une chanson d'amour (rires) !

Holly, tu es déjà une chanteuse réputée en Angleterre, mais peux-tu nous raconter ta rencontre avec Archive ?

Holly : J'ai rencontré Darius il y a deux ans environ. Son side-project SAF était édité par mon ancien éditeur à Londres et ce dernier est un fan inconditionnel d'Archive. Il nous a mis en relation et nous nous sommes fréquentés pendant une année environ. Il m'a ensuite proposé de lui soumettre des textes et de poser ma voix sur certaines de leurs compositions du nouvel album. Cela fait déjà cinq ans que j'écris et compose ma propre musique et que je tourne, confidentiellement, en Angleterre, mais plutôt dans des styles pop folk jusqu'alors. J'avais cinq ans quand le premier album d'Archive est sorti, je te laisse donc deviner quel âge j'ai aujourd'hui (rires) !

Darius, tu as expliqué que cet album serait la moins anxiogène et la moins tourmentée de tes œuvres. Pourtant, le monde qui nous entoure n'a jamais été aussi sombre et inquiétant, voulais-tu prendre un contre-pied à toutes ces ambiances moroses ?

Darius : Je crois qu'avec Controlling Crowds, nous avions touché le paroxysme de l'angoisse et des hypocrisies dans le monde. Rappelle toi qu'il y a dix ans à peine, les Bush régnaient et imposaient leurs lois au monde entier avec leur collègue anglais, Tony Blair. Tout cet anti-islamisme de base et ces guerres déclenchées pour rien dans les pays arabes ne pouvaient mener qu'à un album comme Controlling Crowds. C'est pour cela que j'ai voulu diriger le groupe dans une autre direction pour With Us Until You're Dead. Même si ce disque comporte toujours cette rage en-dedans, il convenait de faire un break dans la dénonciation politique.
Steve : Je rajouterais que, depuis que nous répétons pour les tournées à venir pour la sortie de ce nouvel album, force est de constater que l'agressivité est toujours de mise dans notre musique même avec des paroles plus intimistes parlant des sentiments humains. Musicalement, je crois que ce sera une vraie surprise d'entendre ces titres en live car ils dégagent une puissance propre qui est du même niveau, voire au dessus, de celle des albums précédents. C'est un disque qui a une vie dans sa version studio et une autre vie en live.

Je ne vais pas, ici, vous reparler de la filiation musicale que vous et les Pink Floyd, ou vous et le rock progressif avaient en commun, d'autres l'ont déjà fait très souvent, mais il faut reconnaître que vous avez modernisé ce courant musical. Peut-on dire que ces musiques, krautrock et cold wave compris, ont bercé vos adolescences ?

Darius : Pas tant que ça pour le rock progressif. Mais j'écoutais Kraftwerk en boucle et The Who. Mon frère écoutait pas mal de progressif comme King Crimson, que j'aime bien aussi. Mais jamais de conneries comme Yes ou Emerson Lake And Palmer ! Mon frère avait une collection de disques impressionnante et il m'a fait découvrir tellement de groupes comme Stevie Wonder, Gong ou Steve Hillage.
Steve : Idem pour moi. Mon grand frère avait également tellement de disques qu'il m'a fait découvrir des groupes comme T Rex, The Velvet Underground ou Jeff Beck, qui n'est rien de moins qu'un dieu pour moi question guitare ! J'avais également adoré l'opéra rock Jesus Christ Superstar.

En 2010, Danny Griffiths et toi aviez composé trois titres pour l'artiste française Mylène Farmer. Tu assumes ce choix ?

Darius : En fait, je connaissais son ancien petit ami, Laurent, et il m'a dit qu'elle était une grande fan d'Archive. Elle voulait faire quelque chose de différent et nous avons accepté d'écrire ces titres pour elle. Mais, je tiens à dire que je n'avais jamais entendu ses chansons avant ça ! Au départ, elle nous avait demandé de produire un de ses disques et nous avons refusé. Si nos univers sont très différents, c'est quelqu'un de très sympathique et je la considère comme une artiste très créative. Je ne veux pas juger quelqu'un personnellement.

En 2007, Pollard nous avait déclaré lors d'une interview que le groupe serait partant pour composer une Bande Originale de film de science-fiction. Ce genre d'expérience pour le film Michel Vaillant, pas tellement réussi, ne vous a-t-elle pas refroidis dans ce domaine ?

Darius : Il a dit ça (rires) ? Je crois que je préférerais composer pour un film de guerre en fait. Mais, oui, cela pourrait être une expérience très intéressante que nous avons déjà tentée et qui, malgré le peu de succès du film, nous a laissé un bon souvenir.

Darius, je crois savoir que tu vis une partie de l'année à Paris, tout comme Pete Doherty ou Jarvis Cocker. Crois-tu que Paris est devenue l'autre ville importante du Rock après Londres ?

Darius : Ce sont mes potes, tu sais. Mais on ne s'est encore jamais vus à Paris. Par contre, je crois que tu te trompes sur la première ville pour les groupes de rock dans le monde, ce n'est plus Londres mais Berlin ! Oublie Londres. Londres devient merdique. C'est devenu très confus là-bas avec ce capitalisme débridé qui bouffe toute créativité et tout sens commun. Tout est basé sur le gain et l'avidité. Pour être honnête, j'en ai ma claque de l'Angleterre et surtout de Londres. Nous jouons souvent à Berlin et je crois que le public Allemand nous apprécie.

C'est là-bas que tu as rencontré Pollard Berrier ?

Darius : Non, je l'ai rencontré à Vienne. Il était fan d'Archive et, après un concert, il m'a apporté deux disques en me disant : « Écoute ma voix et dis-moi ce que tu en penses ». J'étais à la recherche d'un nouveau chanteur et j'ai trouvé son travail très intéressant.

Qu'aimez-vous en France ? Que n'aimez-vous pas ?

Darius : Celle-là, elle n'est pas facile ! J'aime tout en France ! J'adore la nourriture, l'architecture... mais je n'aime pas les merdes de chiens un peu partout dans les rues.
Steve : Ce que j'aime par-dessus tout ici, c'est que quand quelque chose ne vous plait pas, vous sortez dans la rue et vous protestez contre ça ! Je n'aime pas le trafic et les embouteillages de Paris par contre. À Londres aussi nous avons des problèmes de trafic routier, mais ce n'est rien comparé à Paris !

En 2010, vous avez joué au festival Solidays, à Paris. En plein milieu du titre Finding It So Hard, tout s'est arrêté. Plus de lumières, plus de son, plus rien ! Vous auriez pu être très en colère, mais vous avez eu la grandeur et la gentillesse de revenir sur scène après une dizaine de minutes, une fois le courant rétablit. Que s'est-il passé ? Votre musique était vraiment trop puissante pour la sono de Solidays ?

Darius : J'aimerais que tu aies raison ! Je n'en ai pas la moindre idée, encore aujourd'hui, de ce qu'il s'est passé ce jour-là. Je crois que quelque chose a explosé ou a cassé et tout s'est coupé ensuite. Un petit problème technique qui s'est transformé en gros problème... mais, tu sais, nous avons connu pire en live !

L'année passée, on vous a vus sur scène avec un orchestre classique pour accompagner votre musique à Rock en Seine et au Grand Rex. Est-il difficile de gérer un tel orchestre quand on joue du rock ?

Darius : Pas tant que ça parce que j'ai la chance de travailler avec un chef d'orchestre et un arrangeur très talentueux. C'est beaucoup de travail parce qu'une fois que tu choisis de faire monter un orchestre sur scène avec toi, il faut gérer tout le concert avec ces arrangements spéciaux, mais tu t'y habitues vite et c'est une belle expérience.

Est-ce qu'un jour nous verrons Archive jouer sur des scènes plus classiques, comme celle de la salle Pleyel où viennent de jouer Jeff Mills et Brian Eno, par exemple ?

Darius : Je ne sais pas si nous jouerons un jour dans des salles classiques, mais pourquoi pas ? L'expérience des deux concerts au Grand Rex était vraiment mémorable. Pourquoi ne pas viser l'Opéra bastille, juste derrière-nous ?

Vous avez joué en acoustique dans un lieu et un festival insolite nommé Rock On The Pistes, dans une station de ski française l'hiver dernier...

Darius : Oh ! Oublie cela. C'était une expérience de merde ! Nous avions accepté pour l'argent.
Steve : Nous étions le mauvais groupe pour le mauvais festival. Un mauvais public de mecs en après-ski qui n'en avaient rien à foutre et qui ne pensaient qu'à boire... Un truc merdique et glacial, dans tous les sens du terme, que je ne conseille à aucun groupe d'ailleurs !

Je crois que vous aimez capter tous vos concerts, ou presque. Est-ce que vos prochains passages à Paris en novembre le seront aussi ?

Darius : Je crois que nous avons enregistré tous nos concerts jusque-là. Ceux de novembre le seront aussi. Un jour, nous ferons un film façon saga avec l'histoire d'Archive sur plusieurs années.

Vous qui jouissez d'une renommée internationale, y a-t-il encore un rêve de musiciens que vous n'avez pas encore pu réaliser ?

Darius : J'adorerais jouer au Royal Albert Hall de Londres. Pour moi ce serait vraiment très spécial parce que c'est un lieu légendaire quand tu grandis à Londres. Je suis passé devant des centaines de fois étant jeune et j'y ai vu des affiches légendaires auxquelles je n'ai pas toujours pu me rendre. Ce n'est peut-être pas la meilleure salle de concert d'Angleterre mais c'est un lieu légendaire comme l'Olympia chez vous.

Et toi Steve ?

Steve : Non. Je n'ai pas de rêve à réaliser, chaque jour avec ce groupe je réalise un rêve d'enfant...

Quant à toi Holly ?

Holly : Ma carrière débute à peine, donc j'en ai encore des tas à réaliser (rires) !