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Clinic

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 20 novembre 2012

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Les années 65/75 ont produit la base de ce qui s’appelle, encore aujourd’hui, le rock progressif ou le rock expérimental. Les sources, tels que le free jazz et le psychédélisme de la Beat Generation ont alimenté des affluents du rock anglais tels que Pink Floyd, The Electric Prunes ou, bien sûr, The Jimmy Hendrix Experience dans une veine plus classique. Parfois noisy, parfois art rock comme avec les maîtres du genre, revendiqués par Clinic, The Residents et Devo, ce genre reste souvent underground et destiné à un public averti.

Clinic, après douze ans d’existence et six albums au compteur, injustement, parmi ces oubliés du grand public. Pourtant, avec une régularité rare, ils enchaînent les disques brillants et les recherches de sonorités qui vont au-delà des simples provocations ou surenchères gratuites de bruits et de dérapages électroniques incontrôlés. Obnubilés par le visuel autant que par les sons – il faut avoir vu certains clips du groupe, avec des musiciens affublés de masques de chirurgiens ou leurs prestations sur scène – Ade Blackburn et ses acolytes sortent cette année Free Reign et, à cette occasion, nous rencontrons leur leader avant que ces derniers n'investissent la scène du Trabendo et la plaine de la Villette.

Vous êtes de vrais métronomes dans les sorties de vos disques, un tous les deux ans depuis l’année 2000 et Internal Wrangler. C’est un choix que vous faites ou est-ce par pur hasard ?

Généralement, nous prenons un an pour écrire un album, mais entre l’enregistrement et la promotion, bizarrement, nous arrivons chaque fois à deux années de manière très précise et régulière.

Jonathan Hartley et toi-même aviez formé un premier groupe qui se nommait Pure Morning et qui s’est séparé en 1997. En 1998, le groupe Placebo sort un hit avec le même titre. Aucune connexion avec eux ?

Non. Nous les connaissons ceci-dit et ils nous avaient demandé de les soutenir à leurs débuts. C’est vrai que leur titre, Pure Morning, est sorti juste après la séparation de notre premier groupe mais nous utilisions déjà le nom de Clinic quand nous les avons connus. Cela semble un peu surréaliste, mais je pense que c’est un pur hasard et sans rapport de leur part. Enfin, je pense. !

Vous êtes signés chez Domino Records depuis votre premier disque, comment les avez-vous rencontrés et quel est le secret d’une si longue collaboration ?

Nous avions déjà sorti quelques singles sur notre propre label. Et, plutôt que de se cantonner à notre ville d’origine, Liverpool, nous sommes allés à Londres pour donner quelques concerts. Là-bas, John Peel nous a découverts et a décidé de passer nos titres dans son émission. Cela a plu à quelques labels qui sont venus nous voir. Domino était celui qui était le plus en phase avec nos attentes. Ils nous ont tout de suite montré que leur volonté n’était pas de vendre le maximum de disques en rognant sur notre créativité. Depuis, nous avons eu la preuve que nous avions vu juste. Ils nous ont toujours laissés faire nos disques comme nous l’entendions.

D’où vient ce nom de groupe, Clinic ? Et cette obsession pour les masques de chirurgien, vient-elle d’un incident d’opération hospitalière quand tu étais plus jeune ?

(rires) C’est vrai que j’ai eu un problème d’opération quand j’étais jeune ! Mais cela n’a pas de rapport... Clinic, ce n’est pas un renvoi au monde médical, mais simplement un mot qui, dans la bouche, sonne bien et fais claquer ta langue deux fois dans le même nom. Les deux C de Clinic et sa tonalité aiguë semblaient bien aller au groupe et à la musique que nous voulions créer. Pour les masques, cela vient de mon admiration pour The Residents ou Devo qui, bien avant nous, ont fait du rock une expérience surréaliste et expérimentale complètement déjantée, en mode théâtre punk. C’est une façon de jouer la comédie rock sans se prendre au sérieux.

Comment êtiez-vous arrivés à la musique tous ensemble ?

Nous sommes tous de Liverpool. C’est une ville qui a toujours été à part du reste de l’Angleterre concernant la musique. Beaucoup plus dans l’avant-garde et le psychédélisme que le reste du pays. J’ai grandi avec ce passé musical. Il était donc logique que nous nous sentions proche de cette musique un peu folle et de ces styles un peu marginaux...

Tu connais cette phrase de John Lennon : « Tout le monde veut quitter Liverpool un jour parce que c’est glauque, ennuyeux et sans avenir ».As-tu ressenti la même chose plus jeune ?

Oui. Je dirais que, de toute façon, dans le nord de l’Angleterre, le temps et souvent dégueulasse et il pleut presque constamment. Cela a obligatoirement un impact sur ton mental. Si en plus de cela, tu es pauvre – comme souvent dans cette ville – et que tu joues de la musique, tu as effectivement intérêt à t’en échapper ! (rires)

Dans votre nouvel album, la musique de Clinic explore à nouveau les contrées défrichées par Suicide ou Spacemen 3, avec même un soupçon de cold wave façon Tones On Tail. Avez-vous senti le besoin de revenir à vos racines après l’inattendu et précédent album, Bubblegum ?

Bubblegum était une tentative dans la chanson acoustique et les compositions plus pop acide. Il est vrai que pour Free Reign nous avons voulu reprendre les sons de guitare que nous apprécions, les claviers avec beaucoup de distorsions... Mais dans un esprit nouveau, sans répéter ce que nous avions déjà fait avec les albums précédents.

Par quoi vos choix ont-ils été motivés lors de la préparation de ce nouvel album et les précédents ?

Beaucoup de choses ! Nos influences passées, sûrement. Et en ce qui concerne Free Reign, une ambiance peut-être un peu plus free jazz que d’habitude. Je crois que la direction première que nous avons voulu nous imposer pour cet album, c’est le Do It Yourself. Nous avons volontairement laissé les petites erreurs ou les petits défauts de nos titres pour rendre le tout plus intimiste et plus personnel. L’enregistrement se poursuivait parfois même après la fin du titre et nous avons pu monter quelques uns de ces moments off dans nos bandes finales, ce qui a rendu le tout très amateur ou home studio, en quelque sorte. Des groupes comme Swell Maps ou The Fall ont également eu une grande influence dans le style de ce nouvel album...

Pour toi, quel est le sens du titre de l’album, Free Reign ?

C’est une expression qui pourrait définir le Do It Yourself. Ne pas être enchaîné ou vassal d’une radio ou d’un média en particulier. Mais c’était également un titre ironique pour dénoncer les difficultés des artistes à exister aujourd’hui avec le téléchargement illégal ou les problèmes financiers des labels pour produire des groupes talentueux et qui ne vendent peut-être pas assez à leurs yeux...

Cosmic Radiation, Sun And The Moon, Misty : ces titres de chansons tirées de Free Reign semblent être l’émanation du mouvement No Wave avec des titres sans phrases et des sujets souvent inquiétants...

C’est vrai que la No Wave ou les styles littéraires comme celui de William S. Burroughs de la Beat Generation m’ont toujours inspiré. Les mots et la poésie qu’ils peuvent former ont aussi un rythme.

Vous avez choisi de produire ce nouvel album vous-mêmes. Pourquoi ? Aviez-vous du mal à trouver un producteur qui comprenne votre vision ?

Nous avons toujours trouvé difficile de rencontrer un producteur qui aille vraiment dans notre sens. C’est pour cela que nous avons produit nous-mêmes nos derniers disques et même enregistré nous-mêmes parfois. Ce qui nous laisse des libertés bien plus importantes que quand tu es tenu à un horaire de fin de studio, par exemple.

Ce disque est sûrement un peu plus axé sur le free jazz que les précédents. Avez-vous déjà expérimenté vos nouveaux titres sur scène ?

De façon inattendue, nous avons tourné avec le groupe américain The Shins en avril denier. Généralement, le public s’attend à ce que tu joues tes titres les plus connus mais là, nous nous sommes dit « Merde, jouons notre nouvel album !» et c’est ce que nous avons fait, avant même qu’il ne soit sorti !

Vous avez des fans prestigieux comme Radiohead, Arcade Fire, The Flaming Lips... de grands groupes avec lesquels vous avez même joué parfois. De quoi aurait besoin Clinic pour être plus populaire ?

Une des raisons, à mon avis, tient au fait qu’il nous manque ce single qui aurait pu nous propulser ailleurs que dans le cercle des amateurs éclairés et de tous ceux qui suivent, généralement, la droite ligne du premier (rires) ! Mais ce n’est pas comme ça que nous voulions travailler. Il est illusoire de vouloir cibler un public car il change trop vite de nos jours.

Miss You, le premier single de l’album, a déjà son vidéo clip, en plein trip kaléidoscope hallucinatoire comme savaient en imaginer The Residents. Qui l'a réalisé ?

Le collectif vidéaste qui se fait appeler The 3 Sisters (Andy Knowles, Josh McCartney & James Hicks). C’est une petite production Londonienne qui évolue dans des créations psychédéliques. Nous avons vu leur travail et avons conclu qu’ils étaient en accord avec notre style et nos visions.

Que racontent vos paroles ? Des histoires vraies ?

Il y en a beaucoup. De vraies relations, de vraies expériences... Et quand il ne s’agit pas d’expériences vécues, ce sont des expériences que tu aimerais vivre ! C’est une manière déguisée de te livrer et un miroir de ta vie, quoi qu’il en soit.

Vous n'êtes jamais là où on vous attend, est-ce là une des clefs du groupe depuis douze ans ?

Je pense que oui. Pour être créatif, tu te dois de ne pas être prédictible. Si un choix évident s’offre à nous, nous prendrons volontiers le contre-pied de ce dernier (rires).

Il est toujours délicat de qualifier un style musical, mais il y a quelques années, tu as déclaré à Sound Of Violence que tu jouais de la pop musique alors que tous les journalistes qualifient volontiers votre style de punk rock revival ! Tu maintiens ta déclaration ?

Je crois que c’est plutôt accrocheur comme déclaration, non (rires) ? J’aime beaucoup la pop musique issue des 70s ou des 80s. Bien sûr, tu peux y voir la pop musique des Off The Wall de Mickael Jackson mais, bien que ne remettant pas en cause l’artiste, j’ai une toute autre idée de la musique pop. Plus tournée vers celle qui alimentait les bons disquaires à la fin des années 60s...

Vous semblez être un groupe très discret, presque underground. Peu de photos ou de vidéos de Clinic sur Internet. Pourtant, un de vos titres, The Second Line, a illustré une publicité en 2000. Tu le referais aujourd’hui ?

Bien sûr. Un autre titre, une de nos faces B à nos débuts, avait été utilisée dans la publicité Weetabix, une sorte de mini série commerciale à succès en Angleterre. Ça ne me dérange pas de faire ce genre de choix. Tu sais, nous devons survivre et ce n’est pas toujours évident pour un groupe, surtout un peu underground...

Tu as récemment déclaré « Ceci n’est que le début ! » à propos de la version de Free Reign disponible en forme de freesbee. Que proposerez-vous pour le prochain album ?

Je ne sais pas encore... Peut-être une sorte de machine infernale ou un masque de chirurgien (rires) !

Pour le Record Store Day en 2011, vous aviez sorti un EP de reprises de Cilla Black, Audrey Hepburn et Man Parrish & The Seeds. Participerez-vous à la prochaine journée et penses-tu que l’indie rock anglais existe encore après ce que la brit-pop en a fait dans les années 2000 ?

De toute façon, pour moi la brit-pop était, majoritairement, de la merde ! C’était un retour en arrière pour la musique anglaise, notamment avec des groupes comme Oasis. Mais, en un sens, cela a fait bouger les lignes et beaucoup de groupes savent, maintenant, ce vers quoi il faut éviter d’aller. Quant à la journée des disquaires indépendants, j’approuve totalement l’action et je pense que nous ferons à nouveau quelque chose en 2013. À Liverpool, il y a ce disquaire que nous avons tous fréquenté, Probe Records. Et ne serait-ce que pour soutenir cette boutique qui survit depuis tant d’années, nous donnerons à nouveau de notre temps et de notre énergie.

Quel est le dernier disque que tu as acheté ?

Je viens d’acheter un disque de Bill Plummer And The Cosmic Brotherhood. C’est un collectif de freak jazz très spatial datant des années 68/69. Merci Probe Records de Liverpool !

Si tu pouvais choisir la ville de ton prochain concert, quel serait le lieu où tu n’as pas encore joué et où tu rêverais de le faire ?

J’aimerais jouer à la House Of Commons qui est le lieu où siège le Parlement Anglais... mais je doute que cela soit un jour possible (rires) !

Pour finir, qu'aimes-tu ou n'aimes-tu pas en France ?

C’est amusant que tu me poses cette question parce que je suis venu ici passer quelques semaines il n’y a pas longtemps et je me disais que les Parisiens et le Français, j’imagine, ont un sens stylistique, vestimentairement parlant, bien plus fin que les Anglais. J’aime aussi beaucoup que vous défendiez votre culture avec l’aide du gouvernement et que les entreprises culturelles indépendantes soient aidées et encouragées. Le libéralisme débridé anglais a un peu cassé cet élan. Étant végétarien, j’avoue avoir parfois un peu de mal avec l’alimentation et la gastronomie française par contre. Il y a beaucoup trop de viandes ou de produits issus des animaux chez vous. Mais c’est tellement beau à regarder et bon à manger, si j’en crois mes collègues, que je ne me plains pas. Il commence à y avoir pas mal de restaurants végétariens qui se développent à Paris...