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Darkstar

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 2 février 2013

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Difficile de mettre un adjectif sur la musique de Darkstar. Ultra-urbaines et aussi mélancoliques que numériques, les boucles hypnotiques et parfois répétitives de Darkstar prennent leurs sources dans le passé du leader, James Young. DJ et sampler reconnu avant de former Darkstar, il donne dans le dubstep autant que dans la techno, mouvement dont il garde le souvenir le plus indélébile.

Avec un nouvel album atmosphérique et cinématographique, Darkstar intègre, dorénavant James Buttery (qui n’était que de passage sur le premier disque, North) comme membre à part entière et chanteur principal. Avec Aiden Whalley, ils forment, sur plusieurs points, un des groupes les plus cosmiques depuis Sigur Ròs.

Votre second album, New From Nowhere sera dans les bacs le 4 février. On dit que le second album est souvent le plus difficile car le public vous attend au tournant. Vous êtes de cet avis ?

James Buttery : Oui, en partie. Mais, nous avons peut-être réussi à éviter l’écueil de cette difficulté en étant trois maintenant à écrire et composer. Le second James, c’est moi (rires) !

Votre premier album, North a reçu de très bonnes critiques. Lisez-vous les critiques de vos disques ?

James Young : Non (rires).

Pour North, James Buttery ne se sentait pas encore un membre à part entière de Darkstar...

James Buttery : C’est vrai. J’avais seulement prêté ma voix pour le premier album. Je n’écrivais pas encore. Et puis, Aiden et James Young m’ont demandé de les rejoindre définitivement et d’écrire avec eux. On travaille chacun de notre côté, au départ, et on met ensuite nos idées en commun avant de terminer le projet en tant que groupe.
Aiden Whalley : James Young écrit la plus grande partie des textes. Parfois, c’est juste une ligne directrice et on participe à l’écriture du texte final.

Est ce que vous vivez toujours ensemble dans la même maison ?

Aiden Whalley : Non. À la sortie de North, James Young a déménagé mais James Buttery a emménagé immédiatement après lui. Donc, je me suis retrouvé dans la même configuration, ou presque ; je pouvais toujours gueuler : James ! Et quelqu’un me répondait (rires). Ensuite, nous avons déménagé des environs de Londres pour le nord et nous avons loué une autre maison pour enregistrer ce nouvel album. C’est donc une histoire qui se répète, en fait.

Dans ce nouvel album, il y a un titre appelé Bed Music, North View. North View, c’était le nom de votre ancienne maison. Vous avez réellement écrit une chanson au lit ?

James Buttery : En fait, je me suis cassé le dos en avril dernier alors qu’il nous restait encore trois jours d’enregistrement pour News From Nowhere. Je suis tombé bêtement d’un mur, pour faire court. J’aimerais te dire que je me suis cassé les os pendant une bagarre à coup de couteau, mais ce ne serait pas vrai (rires). J’ai donc réellement écrit une partie de ce titre au lit !

Vous aimez jouer d’instruments non-conformistes et expérimenter de nouveaux sons. Vous apportez beaucoup d’effets de distorsions à vos titres. Comment démarrez vous vos compositions ? Pas à l’aide d’un piano ou d’une guitare j’imagine ?

Aiden Whalley : Si. Parfois, tout part d’un accord à la guitare ou au piano... mais, la plupart du temps, c’est le son de notre entourage domestique ou une boucle d’un disque qui nous donnent nos meilleures idées.

Parfois, vos sons sont tellement peu communs qu’on pourrait croire que vous collectionnez les instruments anciens ou iconoclastes. D’où viennent-ils, généralement ?

James Young : Soit ils sont à nous, soit nous les trouvons dans les studios qui nous accueillent. Mais, aujourd’hui ce sont plutôt les logiciels et les synthétiseurs qui nous permettent de recréer n’importe quel son, ou presque. Nous aimons bien expérimenter avec ces outils-là.
James Buttery : Ça nous arrive d’essayer de jouer les percussions avec des meubles à la maison ! Tout ce qui nous tombe sous la main peut donner lieu à des sons qui nous plairont pour nos compositions ; des bouteilles de vin, des chandeliers, des verres en cristal... Ensuite, seulement, nous faisons de la musique (rires) ! Nous avons fini notre album avant d’aller voir notre producteur, Richard Formby. Tout était prêt donc et la première chose qu’il nous a dite c’est : « Il faut maintenant rejouer ces sons avec de vrais instruments. Sinon, cela fera un peu plastique et trop mince pour l’enregistrement ». Nous avons donc retrouvé tous les sons, qu’ils soient logiciels ou mobiliers (rires), avant de passer en studio.

Vous avez vu et beaucoup apprécié le documentaire de Martin Scorsese sur Georges Harrisson, Living In A Material World, et notamment l’approche quasi-mantra de son titre, My Sweet Lord. Votre nouveau disque, sonne presque cinématique en un sens ; avez-vous été inspirés par ce documentaire ?

James Young : Inspirés ? Peut-être pas, mais très intéressés par cette approche, c’est certain.
James Buttery : Les films, en général, nous inspirent.
James Young : Je crois que l’inspiration vient de différents horizons. L’espace et la nature qui nous entouraient dans cette nouvelle maison à la campagne nous ont également beaucoup appris et donné pas mal d’idées pour News From Nowhere.
James Buttery : Il est toujours surprenant de voir l’impact que ton environnement a sur ta musique ou tes textes. Vivant à Londres, nous ne pouvions que produire un disque comme celui-ci. Il reflète la ville et ses bruits, ses peurs, ses gens... Pour revenir au cinéma, nous essayons souvent de créer des albums qui possèdent une atmosphère assez similaire à ce qu’un long-métrage peut produire. Avec une introduction, un sujet principal et une fin. Pour nous, chaque titre est une scène du film que nous enregistrons de manière sonore.

Vous avez toujours en tête de créer, un jour, une bande originale de film ? Si oui, avec qui aimeriez-vous travailler ?

James Young : Absolument. Si un producteur ou un réalisateur lit ta chronique, qu’il prenne contact avec nous au plus vite ! De préférence, Martin Scorses (rires)...
James Buttery : Je ne sais pas vraiment si j’ai une préférence dans les réalisateurs... Mais, il est vrai que News From Nowhere collerait sûrement bien à un projet un peu original, comme un dessin animé de Martin Scorses. Un film très coloré...

Vous avez senti le besoin de rompre avec le premier album, North ?

James Buttery : Il est essentiel d’être conscient de ne pas répéter les mêmes choses au long de sa carrière.
James Young : Nous sommes des expérimentateurs, de toute façon ; difficile de reproduire deux fois les mêmes choses, donc...
James Buttery : Nous avions débuté News From Nowhere sur des bases assez drum & bass et agressives. Nous avons senti que cela ne marchait pas et nous avons choisi une toute nouvelle voie. Alors, nous avons regardé par la fenêtre et la nature et l’espace nous ont inspirés de nouvelles choses... Ça fait un hippie de dire ça, non ? (rires)
Aiden Whalley : Je pense que nous avons été portés par des directions plus optimistes que sur le premier album.

Pour vous, où se situe la rupture de style entre North et News From Nowhere ?

James Young : Le processus de création du disque et les thèmes abordés forment les principales ruptures entre les deux disques.
Aiden Whalley : Peut-être que News From Nowhere a été pensé moins stylisé, dès le départ. Plus brut de décoffrage en ce qui concerne la musique et les paroles. Avec North, nous avions voulu un enchaînement de titres qui formaient une seule histoire. Avec ce second album, c’est plus une compilation de titres, différents les uns des autres.
James Buttery : C’est sûrement une album moins mélancolique et plus positif que North. Pour le premier album, la production était pensée dès le départ alors que pour News From Nowhere, tout à été finalisé à la fin et les voies posées sur la musique.
Aiden Whalley : Avec North, les voix avaient ce ton robotisé alors que cette fois, nous avons voulu un album avec des voix beaucoup plus naturelles. Il était d’ailleurs très difficile de chanter sur la musique de North à cause de ce ton mécanique que nous avions voulu prendre. Sur News From Nowhere, les voix ont été repoussées à la finalisation et cela donne cette approche plus humaine au disque.

Effectivement, vous avez déclaré que cet album était plus positif que North. Et pourtant, c’est un disque assez rêveur et introspectif parfois...

James Young : Il est définitivement plus optimiste que North mais, c’est tout de même un disque d’hiver...

Quelles sont vos bases musicales ? Qu’écoutiez-vous principalement, plus jeunes ?

Aiden Whalley : Beaucoup de choses... J’ai démarré avec des disques de guitare classique et puis j’ai évolué vers des musiques plus électroniques. Un mix entre de très bons compositeurs et de la musique pop, plus légère. J’ai toujours voulu expérimenter des sons tout en gardant le sens de la mélodie. Je n’aime pas faire du name dropping parce que les lecteurs seraient alors tentés de nous cataloguer. J’ai écouté tellement de musiques différentes étant jeune...
James Buttery : Mon père joue de la musique. Du piano et de la guitare. Il m’a éduqué avec The Beatles ou Pink Floyd. Tous les classiques des sixties et des seventies. Et puis, je me suis mis dans le heavy metal et le punk à l’adolescence. C’était ma période rebelle. Quand je suis arrivé à Londres, j’ai adopté la musique électronique comme The Prodigy. Un mec comme Aphex Twin m’a beaucoup marqué, je crois. Tout ce qui pouvait avoir un son unique et nouveau, en fait. Mais, je n’ai jamais été le mec cool qui écoute les trucs les plus branchés du moment...
James Young : Moi, je me souviens surtout de la musique techno et trance. J’ai toujours été très adepte de l’électronique et des sons synthétiques. Des musiques assez minimalistes, en fait.

James Young a déclaré en 2011 « Je ne me vois pas attaché à Hyperdub pour toute ma vie ». Tu as vu juste puisque ce deuxième album est signé chez Warp. Comment avez-vous rencontré votre nouveau label ?

James Young : Je n’ai pas souvenir d’avoir dit cela... Warp nous ont rencontrés lors d’un concert que nous donnions sur la dernière tournée. Ils ont montré un intérêt certain pour notre musique et ils sont revenus plusieurs fois nous voir jouer. C’est donc naturellement que nous avons commencé à parler de travailler ensemble.
James Buttery : Ils sont venus souvent nous voir. Et cela nous a vraiment touchés. Leur intérêt pour notre musique n’était pas feint.

Est-il vrai que les Pet Shop Boys vous ont poussés à trouver un producteur pour ce nouvel album ?

James Buttery : Comment as-tu découvert cela ? L’histoire, c’est que nous jouions au Club Berghain, à Berlin et ils voulaient venir nous voir jouer mais ils sont arrivés trop tard et ont raté le set. Nous avons bu une bière ensemble au bar après le concert et c’est vrai que Neil Tennant nous a dit : « Si je n’ai qu’un conseil à vous donner, prenez un producteur ». Mais de là à dire que ce sont les Pet Shop boys qui nous ont influencés pour prendre un producteur... En fait, c’est plutôt notre producteur qui nous a trouvés. Nous étions partis pour produire cet album nous-mêmes mais Aiden et moi connaissions déjà Richard Formby. Il est venu nous voir chez nous un soir et nous avons tout de suite senti qu’il y avait une compréhension entre nos attentes et les visions de Richard sur notre musique. Nous avons de la chance d’avoir pu travailler avec Richard qui nous a ouvert certaines portes et certains horizons, encore inexplorés par Darkstar. Mais il est important de comprendre que quand nous avons commencé à travailler avec Richard, 90% du matériel était déjà terminé. Richard a apporté les 10% restant et la touche finale dans le remplacement de certains sons ou le processus des voix.

Où a eu lieu l’enregistrement ?

James Young : Dans beaucoup d’endroits. Leeds, dans le studio de Richard et pas mal dans notre maison...

Vous avez dit, lors de la sortie de North, être souvent sujets à la fainéantise. Vous aimez boire, fumer et cocooner chez vous. Est ce toujours le cas et, finalement, n’est-ce pas là une part du processus de création de Darkstar ?

James Young : C’est fort possible... et nous fonctionnons encore de la sorte.
James Buttery : Mais nous ne sommes accrocs à rien. Encore que cela dépend de quel alcool et de quelle substance tu parles ! Nous vivions et vivons dans des maisons assez isolées et avec très peu d’amis. Nous avons besoin d’échappatoires, de temps en temps... Veux-tu une autre bière (rires) ?

Votre style est assez unique, mais vous sentez-vous proches de certains autres groupes, musicalement parlant ?

James Young : Je suis d’accord avec toi sur notre style unique, mais il est difficile de se comparer à d’autres groupes. Tu devrais éviter de poser ce genre de questions...
James Buttery : Nous ne sommes pas un groupe de rock. Notre approche est plus artistique que cela. C’est une aventure collective, un processus artistique que nous défendons. Cela n’a rien à voir avec trois musiciens qui se regroupent dans un endroit pour faire un bœuf. Cela n’arrivera jamais ! Tout ce qui me vient à l’idée, c’est une certaine empathie avec un groupe comme Animal Collective. Mais seulement dans leur approche de la création musicale. Pas sûr que mes collègues soient d’accord avec moi sur ce point !
Aiden Whalley : « Non. Effectivement (rires) !

Certains qualificatifs de votre musique vont du Spleen Pop à la l’Electro Noire. Qu’en pensez vous ?

James Young : Je n’ai aucune idée que ce que cela veut dire !
James Buttery : Moi non plus. Peut-être jouons nous une pop musique étrange... ou peut-être notre musique est-elle tout simplement indéfinissable !

Darkstar est également un titre des Grateful Dead de 1967. Est-ce là l’origine de votre nom ?

James Young : Non. J’évoluais dans le milieu des DJ et des samplers avant de jouer dans Darkstar. Et Darkstar était le nom d’un titre de l’époque.
James Buttery : Quelqu’un en Suisse nous a dit : « Darkstar ; cela sonne comme le nom d’un premier groupe de lycéens ! ».

Un autre groupe anglais, de Londres, portait ce nom à la fin des années 90...

James Buttery : Absolument. Et il y a également un groupe de heavy métal américain qui s’appelle Darkstar. Cela semble être un nom assez populaire en musique en fait (rires) !

Vous jouez au Trabendo ce soir, une tournée est-elle prévue en 2013 ?

James Young : En fait je fais juste un set de DJ après New Model Army ce soir... Pour la tournée du groupe, tu peux aller sur www.darkstar.ws. Toutes nos dates sont sur le site.
James Buttery : Nous jouerons en France au Point Ephémère le 18 février prochain. Et d’autres dates comme Strasbourg le 13 février, je crois...

Vous qui évoluez dans la technologique numérique et les réseaux connectés, pensez vous qu’Internet et le téléchargement illégal puissent tuer certains groupes dans l’œuf ? Notamment ceux qui n’ont pas de gros moyens derrière eux ?

James Young : Il y a évidemment autant de raisons d’être pour que de raisons d’être contre. Internet et les technologies numériques sont des outils très puissants pour faire de la musique et la faire connaître en la rendant téléchargeable, gratuitement. Mais, d’un autre coté, il y a un risque financier pour les groupes, c’est certain. Ceci dit, tu crées l’intérêt en mettant en ligne ta musique, même gratuitement. Il existe une voie pour manager les deux faces d’Internet et des réseaux.
James Buttery : Un artiste devrait s’adapter à ces nouvelles technologies et faire avec plutôt que de se plaindre d’utiliser, d’un côté ses avantages et d’un autre coté, rejeter ses inconvénients.
James Young : C’est intéressant que tu parles de cela parce que nous en avons beaucoup discuté juste avant le lancement de ce nouveau disque, quelle approche nous allions adopter pour les réseaux...
James Buttery : Cela peut également être un révélateur de qualité pour les nouveaux groupes. Si cela devient plus difficile pour les artistes, on s’accrochera mieux à ceux qui y parviennent malgré tout. Cela permettra peut-être de ne pas entendre constamment les mêmes merdes, encore et encore... Ce qui est un peu trop le cas !

Qu’est-ce qui vous plait en France ? Et qu’est-ce que vous n’aimez pas dans ce pays ?

James Young : Le trafic routier et les automobilistes sont terribles ici ! Je hais le taxi qui nous a amenés ici. Et, hier soir, j’ai mangé un super steak (rires).
Aiden Whalley : On peut dire que la Tour Effel est toujours aussi stupéfiante ! Surtout de prés. De même que l’architecture, en général.
James Buttery : Je connais plus la Provence que Paris, pour être honnête. C’est un endroit merveilleux. J’ai beaucoup d’amis là-bas. Je fais beaucoup de snowboard dans les Alpes.

Quand vous serez parents, quel est le disque que vous jouerez en premier à vos enfants ?

Aiden Whalley : Difficile, mais intéressante question. Sûrement du reggae.
James Buttery : J’ai été élevé au son des Beach Boys, notamment Pet Sounds. Je pense que je leur jouerais ce disque, également. Ou alors, si je veux les entrainer dès le plus jeune age, Rage Against The Machine (rires) !