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Darkstar

Interview publiée par Cassandre Gouillaud le 15 octobre 2015

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Deux ans après la sortie de News From Nowhere, c'est à la terrasse d'un café parisien que nous retrouvons James Young et Aiden Whalley, les membres fondateurs de Darkstar. L'occasion de revenir avec eux sur leur troisième effort, Foam Island, un album construit à deux sur lequel se fait entendre avec puissance la voix d'une jeunesse du nord de l'Angleterre que les deux artistes connaissent bien.

J'ai entendu dire que l'élaboration de Foam Island avait été influencée par un contexte bien particulier. Est-ce que vous pouvez m'en dire un peu plus ?

James Young : On vient tous les deux du nord de l'Angleterre, où on a passé pas mal temps avant d'enregistrer Foam Island. On avait l'impression qu'il se passait quelque chose là-haut avec la jeunesse, et on s'est lancés dans un projet qui était de comprendre ce que c'était d'être un jeune en 2015 dans cette région. Ce qu'ils voulaient être, ce dont ils rêvaient, à quoi ressemblait leur vie... On a passé des mois à les rencontrer et les interviewer pour établir une sorte de portrait de cette jeunesse, explorer leur quotidien.

L'album est plus épuré, moins texturé que le précédent.

Ce troisième album paraît s'orienter vers des sonorités plus minimalistes que News From Nowhere. Est-ce que c'est ce contexte d'écriture qui a influencé ce choix ?

James Young : Oui, forcément, ça a joué un rôle important. A la fois au niveau des paroles, du concept de l'album, mais aussi musicalement. Comme tu le dis, l'album est plus épuré, moins texturé que le précédent. C'était une décision délibérée de notre part d'évoluer dans ce sens.

Il s'agit du premier album que vous réalisez sans James Buttery (ndlr : ancien chanteur, qui a quitté le groupe l'année dernière). Son départ a-t-il fondamentalement changé votre façon de travailler ?

Aiden Whalley : On ne peut pas dire qu'on ait spécialement changé notre façon d'écrire. James et moi, on travaillait déjà beaucoup ensemble sur la musique avant, pendant que James avançait des idées de son propre côté. Puis on a commencé à s'éloigner, à prendre des chemins différents musicalement parlant. Dans ce contexte, la séparation a paru être une décision assez logique. Ensuite, de mon côté, j'avais déjà une expérience du chant et de l'écriture, mais c'est vrai que lorsque nous nous sommes retrouvés sans chanteur sur l'album, j'ai dû endosser un rôle qui m'était nouveau. C'était une expérience très différente d'essayer de nouvelles techniques vocales, d'enregistrer plusieurs prises et de réussir à me construire une identité avec laquelle j'étais à l'aise.


En parallèle de l'élaboration de Foam Island, vous avez réalisé un nombre important d'interviews avec des jeunes de Huddersfield (West Yorkshire) que vous avez ensuite inclues sur l'album. D'où est venue cette idée de réaliser et d'enregistrer ces entretiens ?

James Young : En fait, on s'est beaucoup inspirés d'un documentaire sur les Sex Pistols, Made In Huddersfield, consacré aux punks et au dernier concert que le groupe y a joué dans les années 1970. On était intéressés par la façon dont ils avaient mené ces interviews et surtout sur la manière dont elles se mêlaient à la musique. Du coup, on a essayé de réutiliser ce procédé sur Foam Island.

D'où est venu cet intérêt particulier pour les jeunes ?

James Young : Au Royaume-Uni, il existe toute une génération qu'on a totalement écartée du débat politique. Comme nous étions dans une année d'élections, on voulait comprendre pourquoi ces personnes se sentaient en marge de tout ce volet politique et des politiciens anglais. Il nous semblait pertinent d'aborder un tel sujet à ce moment, et même encore maintenant d'ailleurs.

Comment les avez-vous rencontrés ?

James Young : À l'origine, ils étaient juste des gens dans la rue. On a essayé de trouver des personnes qui s'intéressaient au projet, on a récupéré leurs coordonnées et on les a revus plusieurs fois. Puis ils en ont parlé à leurs amis, qui en ont eux-mêmes parlé à leurs amis, et ainsi de suite. On a rencontré tous ces amis, et même leurs familles. A la fin on s'est retrouvés avec un tas de gens qui voulaient s'investir dans le projet, ce qui était vraiment génial.

Donc si je comprends bien, vous avez développé une relation de longue durée avec eux ?

James Young : C'est tout à fait ça, on est restés en contact avec eux même après la fin du projet. On les a revus à Huddersfield la semaine dernière, on leur parle souvent par messages... On ne pensait pas garder contact avec eux, c'était inespéré mais en même temps on en est très contents.

Lorsque vous les avez rencontrés, avez-vous pu facilement les convaincre de s'ouvrir à vous d'une telle façon ?

James Young : Il y en a avec lesquels ça a été plus facile que d'autres. Certains étaient très réservés et avaient du mal à exprimer leurs opinions, pendant que d'autres étaient plus décontractés et honnêtes. C'était très différent d'une personne à une autre je dirais.

Ces générations ne s'impliquent pas politiquement et sont très négligées.

Vous avez tous les deux grandi dans le nord de l'Angleterre, est-ce que vous vous reconnaissez dans ce que ces jeunes ont pu vous dire ? Dans leurs expériences ?

James Young : Oui, certainement, j'ai beaucoup d'empathie pour eux parce que je me revois dans la même position. Ces générations ne s'impliquent pas politiquement et sont très négligées, particulièrement par les conservateurs. Je crois qu'on en est même arrivés au point où ces personnes sont complètement désillusionnées et ne croient plus aux choix qu'on leur demande de faire. Pour moi, c'est vraiment ce qui est en train de se produire, mais on continue d'ignorer la situation.
Aiden Whalley : Je me reconnais aussi en eux parce qu'aujourd'hui le Royaume-Uni tourne toujours beaucoup autour de Londres. Nous qui sommes du nord, pour aller à l'université et pouvoir faire de la musique, nous sommes venus à Londres. Le nord est comme oublié. Ce serait bien que ces personnes aient un peu plus de reconnaissance, c'est pour ça que nous avons interrogé des jeunes qui viennent de là. Il y a toujours une écrasante différence entre le nord et le sud.


Et après avoir réalisé tous ces entretiens, est-ce que vous pensez finalement avoir une idée de la façon dont on pourrait remédier à ce désengagement politique ?

James Young : C'est dur à dire, peut-être qu'il n'y aura jamais de solution... C'est bien le problème. Mais on s'intéresse en ce moment à cette figure émergente du Parti travailliste, Jeremy Corbyn. Il semblerait qu'il ait réussi à remobiliser les jeunes pour qu'ils votent pour lui, en plus d'offrir une réelle perspective à gauche. Réussir à gagner l'intérêt des jeunes, c'est une première étape.

Est-ce que la musique a un rôle, qu'il soit plus ou moins important, à jouer dans un tel contexte social ?

James Young : Je pense qu'à notre petit niveau, je l'espère en tout cas, nous avons incité quelques jeunes à réfléchir sur leur avenir, sur leurs attentes, sur ce qu'ils veulent être. Mais les musiciens, les artistes en général, je ne sais pas... Ça dépend sûrement de ce qu'ils veulent faire de leur art.
Aiden Whalley : Ce qu'on a fait à Huddersfield, et ce qui a été fait dans le documentaire, relève surtout d'une position d'observateur. On voulait faire quelque chose à propos de ces jeunes, et on l'a fait. Après, tout dépendra de la façon dont les gens vont interpréter les faits.

En tant qu'artistes, est-ce que vous pensez personnellement pouvoir être une source d'inspiration pour eux ?

James Young : Ce groupe en particulier, oui. Ces jeunes que nous avons rencontrés, on a la capacité de les inspirer, et d'ailleurs eux aussi nous inspirent. Les relations que nous avons pu construire avec ceux sont très riches. C'est un privilège d'avoir appris à connaître de telles personnes à travers ce projet. C'est une expérience formidable.