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Suede

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 17 mars 2013

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MTV, Max Headroom ou encore The Haçienda ; c'étaient les années 90s. Des années bien pauvres, pour ne pas dire bien tristes, pour le rock dont les fers de lance, The Clash ou Buzzcocks mourraient à petit feu pour laisser la place au Pump Up The Volume de M/A/R/R/S ou aux stadiums groups tels que Dire Straits. Au même moment, aux Etats-Unis, le grunge tentait de raviver les cendres du punk anglais encore fumantes, en Angleterre, la Techno et la House music faisaient la fortune des dealers. Encore confidentielle, une nouvelle vague rock se formait sur l'océan de sons synthétiques qu'avaient délaissé les New Order et autres Art Of Noise. Une vague plus funk et joyeuse, initiée par The Stone Roses et Happy Mondays : la britpop et son cortège de dandys assez cyniques pour vouloir conquérir le monde entier, le plus rapidement possible, allait naître de l'après Madchester. Suede va surgir, coincé entre la superbe folie exotique des Stone Roses et le génie marketing d'Oasis. Trop provocateurs et pas assez visionnaires pour concurrencer Blur ou les frères Gallagher, Brett Anderson et sa bande étaient à androgénie et à la provocation ce que ZZ Top étaient à la masculinité et au patriotisme.

Bloodsports, sixième album du groupe en vingt-trois ans de carrière, signe un retour aux sources de Suede. Des lignes claires sur une voix à nulle autre pareille, haute perchée et héroïque. En pleine campagne promotionnelle, Brett Anderson et Mat Osman donnent des interviews comme ils donneraient la réplique, avec un peu d'arrogance et beaucoup d'ironie... parfois salvatrice.

Vous avez eu des vies riches d’expériences ces dix dernières années, pourquoi avoir décidé de remonter sur scène, dans un premier temps, puis d'enregistrer un sixième album de Suede ?

Mat : Ce sont vraiment deux motivations séparées. Nous sommes remontés sur scène en 2010 à la demande de Roger Daltrey pour jouer au Teenage Cancer Trust. Premièrement, cela se déroule au Royal Albert Hall que nous adorons. Ensuite, nous avons toujours dit oui aux concerts de charité. Nous n'avions aucune idée du résultat et de ce qui allait en ressortir. Finalement, nous avons adoré rejouer sur scène ! Ce qui est positif quand tu es absent depuis dix ans, c'est que tu prends plaisir à rejouer tes anciens titres dans des lieux que tu as connus, avant. Mais, pour envisager d'aller plus loin ensemble, il nous fallait nous tourner vers l'avenir et partir sur des bases nouvelles. Aucun groupe n'est qu'un groupe de live. Ce sont les disques qui cimentent tes fondations et te mettent en rapport avec tes contemporains.

Pour nous, ce nouveau disque a été un long et difficile travail.

C'est là toute la différence entre se réunir à nouveau sur scène pour un événement et renaître en sortant un nouvel album...

Brett : Il y a une énorme différence entre ces deux actes ! C'est ce que pas mal de groupes ne comprennent pas. Ils pensent que le plus dur est fait en remontant sur scène et en rejouant d'anciens titres. Même avec des chansons qui étaient très bonnes par le passé, ce n'est pas aussi facile que ça... Pour nous, ce nouveau disque a été un long et difficile travail. Faire qu'un album comme Bloodsports soit frais et, en quelque sorte, vital pour notre avenir a demandé beaucoup de courage, dix ans après avoir splitté.

Spécialement après le succès de Suede que l'on connaît, il y a vingt ans ?

Mat : Bien sûr, nous pourrions nous asseoir sur nos lauriers. Nous sommes conscients que certains de nos anciens disques représentent beaucoup pour certaines personnes de par le monde.
Brett : Nous avons beaucoup appris pendant tout ce temps où Suede était absent. Appris à ne pas laisser nos anciens titres appartenir au passé sans pour autant se reposer sur eux.

Dans les années 90, Suede était un des groupes les plus puissants de la britpop, mais également un des plus subversifs ! Avez-vous quelques regrets concernant le titre Animal Nitrate joué aux Brit Awards en 1993, contre toute attente, et qui avait laissé l'audience pantoise ?

Brett : Mon dieu, non ! C'était génial ! Quand il m'arrive de retomber là-dessus sur Internet ou à la TV, je trouve que notre prestation était du pur punk ! C'était un doigt levé contre l'industrie musicale. Quand tu vois ce que sont devenus les Brit Awards aujourd'hui, tu peux être certain qu'un groupe comme Suede ne serait même plus admis sur scène dans ce show ! Pour être honnête, je pense que ce fut un des moments les plus excitants de l'histoire des Brit Awards.

Quelques semaines plus tard, le magazine Select sortait un numéro dont la couverture affichait une photo de Brett avec l'Union Jack en arrière-plan. Cela vous a mis très en colère à l'époque je crois. Avez-vous toujours un peu de rancœur envers certains journalistes ?

Brett : Les impératifs des journalistes ont toujours été différents de ceux des groupes, de toute façon.
Mat : C'était un acte hors-limites de leur part. Je veux bien que chaque journaliste ait sa propre idée du groupe. Et dans chaque article sur Suede, nous trouverons quelque chose qui ne nous plaira pas, mais dans le cas de Select et de sa couverture, ils nous ont imposé un rôle et une charge qui n'étaient pas les nôtres ! Nous devenions un groupe politisé, que nous ne voulions pas être. En Angleterre, l'Union Jack est très lourd de symboles. Cela doit être la même chose en France, être représenté avec le drapeau national symbolise beaucoup pour les citoyens. Bien sûr, ils l'ont fait sans nous le demander, parce qu'ils savaient parfaitement que nous aurions refusé.
Brett : Jamais en mille ans je n'aurais donné mon accord pour cette couverture ! Pour moi, être représenté devant l'Union Jack a un côté nationaliste que je ne cautionne pas. Mais, à l'époque, il leur fallait trouver le fer de lance de la britpop et ils nous ont trouvés, nous...

Ces dernières années, nous avons vu beaucoup de groupes des 80's et 90's se reformer, c'est une bonne chose ?

Mat : Je te dirais que cela dépend s'ils sont bons ou pas ! La plupart du temps, cela tourne un peu au fiasco… Si tu prends l'exemple d'Echo And The Bunnymen, ils ont fait un album superbe en 2009 et ont donné de nombreux et excellents concerts. Généralement, c'est un exercice difficile que de se reformer.

En quoi l'industrie musicale a-t-elle changé en dix ans, depuis New Morning en 2002 ? Ces changements ont-ils affecté votre travail pour Bloodsports ?

Mat : Pas du tout. Le business a bien sûr évolué, mais cela reste le business de la musique...
Brett : Nous travaillons toujours de la même façon qu'avant. D'un point de vue médias, l'industrie a totalement changé. Mais d'un point de vue artistique, cela n'a rien changé dans ma manière d'aborder l'écriture. Ni les nouvelles technologies ni le business. La seule chose qui a changé, c'est la possibilité de faire des démos bien plus facilement qu'avant. Sans aller jusqu'aux stupidités que l'on voit parfois, du type « J'ai tout mon nouvel album dans mon Iphone ! ». Faire un album reste un challenge avec toi-même ; le besoin d'aller chercher la vérité enfouie au plus profond de toi pour écrire des chansons, trouver la bonne mélodie, la bonne note... C'est toujours un combat mené avec soi-même !

Nous sommes conscients que même avec une envie de faire un album différent, notre public attend que Suede fasse du Suede.

Pour vous, Bloodsport est une suite logique aux derniers disques de Suede ou un tout nouveau départ ?

Mat : Ce n'est pas un tout nouveau départ... Même si nous avons essayé de créer un disque aussi différent que possible de nos anciens albums. Comme je te le disais, d'avoir été absents si longtemps nous a permis d'avoir un regard posé sur nos premiers albums et les titres qui ont compté. De ce fait, nous sommes conscients que même avec une envie de faire un album différent, notre public attend que Suede fasse du Suede. C'est donc également une suite à ce que nous avons fait par le passé... Je viens de faire une réponse de langue de bois là, non (rires) ?

Où avez-vous enregistré Bloodsports et qui l'a produit ?

Mat : Ed Buller a produit cet album. Il était une condition sine qua non pour que cet album voie le jour. Il a une vision exacte pour Suede ; il sait là où nous excellons et là où nous péchons. Il se permet de nous dire ce qu'il aime ou ce qu'il n'aime pas, mais toujours avec des bonnes explications. À la fin de l'enregistrement, il nous a joué le disque pressé au studio, à peine dix secondes par titre. Et c'est là que nous avons compris l'hétérogénéité de sa vision et pourquoi il avait mis de côté certaines de nos idées que nous trouvions pourtant bonnes. Il a su mettre en avant une logique dans les titres retenus. Une partie de l'album a été enregistrée en Belgique au studio ICP. Et l'autre partie à Portobello, dans l'ouest de Londres.

Quels sont les changements dans votre écriture et votre façon d'enregistrer entre New Morning et Bloodsports ?

Brett : Beaucoup de choses, j'espère ! En tout cas nous avons vraiment essayé de faire cela différemment...
Mat : Je pense que le mixage est plus recherché que par le passé. Nous avons abordé la chose de manière plus carrée. En éliminant le superflu ; en nous demandant si le timing était le bon ou en retouchant ce qui nous paraissait trop faible. Et, finalement, j'aime bien cette idée de devenir de plus en plus professionnel dans ce que nous faisons.

Brett, en quoi ton travail solo diffère du travail avec Suede ?

Brett : Il s'agit de moi uniquement, donc oui, mon projet solo est différent de Suede. Quand j'écris pour Suede, ma cible est totalement différente. Sans savoir si le résultat sera ou non si différent que ça, finalement. Je me sens plus libre avec mon travail solo qui peut être vu comme moins ambitieux que Suede, en un sens. En solo, je me permets d'explorer des espaces bucoliques, voire mélancoliques, avec une seule guitare acoustique et un violoncelle et, parfois, quelques invités prestigieux. C'est une partie de ma carrière qui m'a beaucoup appris et m'a donné une certaine sagesse...

Personne ne savait que nous étions en train de préparer un disque !

Vous avez ressenti une certaine pression pour cet album et ce retour que beaucoup attendaient ?

Brett : Non, Rien. Aucune pression. Sauf de nous-mêmes. Il en a toujours été de la sorte avec Suede.
Mat : Personne ne savait que nous étions en train de préparer un disque ! Nous avons été très clairs là-dessus ; personne ne devait savoir que nous rentrions en studio. Nous n'avions même pas de maison de disques à ce moment-là.

Dans quel état d'esprit faut-il se placer pour écouter Bloodsport ? Allongé dans un lit ? En faisant l'amour ?

Brett : En faisant l'amour ? Ou plutôt, en masturbant mon pénis !
Mat : Je ne sais pas vraiment... mais, je vais te dire comment il ne faut pas l'écouter. Ne l'écoutez pas en faisant un footing ! Ça ne fonctionne pas. Je pense, par contre, que c'est un album à écouter avec un mauvais casque stéréo, en glandant chez toi. Je pense qu'il sera meilleur si le son sature un peu...
Brett : Je pense que la musique rend toujours mieux sur un mauvais matériel. J'ai toujours haï le fait que les gens te parlent de leurs supers systèmes Hi-Fi et autres conneries technologiques.
Mat : Le truc c'est que, de toute façon, personne n'a d'équipement à la hauteur ! Je n'ai jamais rencontré un musicien avec du matériel Hi-Fi décent. Tous les musiciens que je connais savent que pour être bon, un disque se doit d'être bon sur n'importe quel équipement.

Vous lisez les critiques de vos albums ?

Brett : Oui, bien sûr. Ne jamais croire quiconque te dira qu'il ne les lit pas, parce que ce sera un mensonge !
Mat : Oui, mais je ne lis et ne crois que celles qui sont bonnes pour nous (rires).

Brett, à propos de la presse, le NME a annoncé, il y a quelques semaines, que ton ami Mani des Stone Roses t'avait confié qu'ils étaient en train d'écrire un troisième album...

Brett : Mon dieu, que n'ai-je pas dit là ! Ça a pris de sacrées proportions... J'ai vu Mani dans une fête un soir et il m'a dit qu'ils travaillaient sur quelques titres, rien de plus. Je l'ai dit au journaliste du NME parce qu'il me tannait avec ça. Je n'en dirais pas plus... J'adorerais qu'ils le fassent ceci dit, The Stone Roses sont un très bon groupe et j'ai beaucoup d'affection pour eux.

Vous avez choisi d'offrir le titre Barriers aux internautes il y a quelques semaines, que pensez vous du téléchargement illégal de musiques et des lois contre cela ?

Mat : J'adorerais être payé à chaque fois que quelqu'un écoute une de nos chansons ! Mais cela n'arrivera jamais. Néanmoins, nous ne pouvons pas nous plaindre. Nous continuons à jouer sur scène et à faire des tournées. C'est beaucoup plus dur si tu es un tout nouveau groupe aujourd'hui. Ces gars-là sont obligés de bosser dix heures par jour pour finir par faire un set dans un café ou un Pub. Aujourd'hui, les nouveaux groupes sont très dévalués en live, en Angleterre, peut-être à cause d'Internet.
Brett : Beaucoup de groupes sont relayés à la limite du bois de nos jours, et si tu es à la limite, tu ne peux gagner ta vie et tu vas être obligé de faire autre chose pour survivre. Et je ne veux surtout pas d'un futur fait uniquement d'Adele ou de gagnants à The Voice ! C'est pourtant ce que la musique représente souvent, de nos jours. Il faut que nous en soyons conscients. Mais, que pouvons-nous y faire ? Le génie est déjà sorti de sa bouteille, n'est-ce pas ?
Mat : Cela dit, Internet est également un outil merveilleux. L'année dernière, nous avons beaucoup voyagé et notamment dans des endroits du monde où nous n'étions jamais allés. Nous avons vu des milliers de spectateurs à nos concerts dont la plupart n'étaient même pas nés quand nous avons démarré et pourtant, ils connaissaient les paroles de nos chansons ! Internet y est pour beaucoup. Comme je te disais, pour un groupe comme nous, Internet est une bonne chose parce que nous avons une histoire et une passé derrière nous. Mais, si nous étions un groupe en devenir à notre époque, quels seraient nos moyens pour répéter ? Jouer live ? Tourner ? Ce qui m'inquiète en Angleterre aujourd'hui, c'est que beaucoup de groupes font de la musique pour essayer de faire un métier cool, pas parce que c'est le seul moyen d'expression pour eux. Tu comprends la différence ? Et si la musique ne marche pas pour eux, ils essaieront la photographie...

À quoi pensez-vous quand vous jouez sur scène ?

Brett : A rien d'autre que la chanson que je suis en train de chanter ! Je suis habité par ce que je chante. Il ne faut surtout pas penser à ta liste de course ou si tu as laissé ou non le gaz allumé chez toi !
Mat : Je ne pense à rien ! C'est un des rares moments où je peux prendre plaisir à ne penser à rien. Tu es au-delà des pensées, tu es concentré. Moi qui n'ai jamais été un danseur dans les night-clubs, je crois que la scène est ce qui se rapproche le plus de l'état qui peut t'habiter quand tu danses tard dans la nuit dans un état second en ne pensant à rien d'autre.
Brett : C'est un état où ton esprit est si clair que tu es proche de l'orgasme, une sorte d'oubli total au masculin. Une petite mort, bien vivante ! Être sur scène, c'est très physique. L'esprit se déconnecte. C'est pourquoi il y a les répétitions. Elles te permettent de réfléchir à ce dont tu ne penseras pas pendant le concert (rires).

Concernant votre relation avec la France, qu'aimez-vous ici ? Que n'aimez-vous pas ?

Mat : J'aime des millions de trucs en France ! Les lumières de la ville dans Paris. J'aime l'agressivité des Français ! Une certaine agressivité française qui a été totalement anéantie dans le reste du monde. J'aime leur façon d'être si directs, parfois. J'aime aussi la qualité et les quantités de nourriture pas chères à onze heure du soir. Mais, il faut reconnaître qu'il y a un tas de merdes de chiens dans vos rues (rires) !
Brett : Je n'aime pas Claude Monet. J'adore Edouard Manet, mais je hais Claude Monet. Cela veut tout dire pour moi... Claude Monet est le grand artiste que tu retrouves sur tous les calendriers et pourtant sa peinture c'est de la merde. Alors que Edouard Manet est un génie, mais tu ne vois jamais sa peinture s'étaler. Et pour finir sur un gros cliché, j'adore la Provence.