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MONEY

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 24 octobre 2013

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Chaque dossier de presse qui accompagne la sortie d’un albumest une source de mots-clefs qui, tel un nuage de tags sur un blog d’informations, donne la force et la direction du vent qui souffle dans les voiles du groupe proposé. Celui qui accompagne le groupe MONEY insiste particulièrement sur ces hivers sombres et profonds de 2012 et 2013 pendant lesquels s’est effectué l’enregistrement de leur premier album, The Shadow Of Heaven. Gris comme un matin d’automne pluvieux sur un dock Anglais, il donne un aperçu de l’univers embrassé par les quatre garçons dans la tourmente Mancunienne que sont Jamie Lee, Charlie Cocksedge, Billy Byron et Scott Beaman. Ether, idéologie, poétique, froid, ésotérique, Eden, Dieu, Enfer...

On s’attend à rencontrer les enfants maudits nés de la belle union entre Siouxie Sioux et Sid Barret et on se retrouve nez à nez avec des geeks littéraires dont l’intérêt pour leur look est proportionnelle à l’importance qu’ils accordent à la trash TV de leur pays : nulle et grande à la fois. Car ces garçons dont l’aura titille déjà la planète musicale et enchante la presse spécialisée, forts de leurs concerts mystérieux et entiers, ne sont pas à une contradiction prés et usent d’un cynisme au service du bien contre le mal. Ou l’inverse.

À peine un album au compteur et déjà l’Olympia leur ouvre les bras en première partie de Alt-J. Rencontre hautement philosophique dans une loge où Aznavour, Bécaud mais également les Beatles ou les Rolling Stones ont posé leurs empreintes artistiques.

Nous y voilà, vous jouez ce soir dans la prestigieuse salle de l'Olympia. Avez-vous pu ressentir ce que cette salle représentait pour les Français dans l'univers des artistes de music-hall ?

Jamie : Nous sommes passés par la douane en arrivant aujourd'hui et on nous a demandé ce que nous faisions en France, puis où nous devions jouer ce soir. Notre manager a répondu : « A l'Olympia ». Et là le gars a répété : « L'Olympia ! ». Au ton employé par le policier, c'est là que nous avons compris dans quel genre d'endroit nous allions jouer ce soir.

Votre premier album, The Shadow Of Heaven, est sorti le 26 août dernier. D'où vient le nom de votre groupe, très souvent utilisé dans le monde de la musique ?

Jamie : C'est difficile de te donner une bonne réponse. Disons que les gens ont du mal à comprendre la vacuité des choses matérielles... Quand tu croises dans un pub Anglais un vieil homme seul et saoul qui semble ne plus rien posséder en train de fredonner une chanson, tu te rends compte que cet homme n'a plus de repères dans le monde qui nous entoure. Et cette chanson, dans la bouche de cet homme, prend alors une valeur infinie qui ne pourra être ni chiffrée ni exposée dans une galerie d'art, par exemple. En un sens, nous avons voulu atteindre ce niveau de dépouillement dans notre musique et nos chansons. Ce qui n'est pas si facile car nous sommes un groupe pop, quoi qu'il en soit. C'était donc, pour nous une sorte de pied de nez que de nous nommer MONEY car, de toute façon, pour exister en tant que groupe, tu es obligé de te vendre comme un autre produit à un moment donné.

Tu sais que David Guetta a composé un titre qui se nomme, Money ? Tu crois qu'il a fait ça par pure ironie également ?

Jamie : (rires) Tu sais, c'est un terme usuel utilisé par nombres d'artistes...avec plus ou moins d'ironie (rires) !

Que tu sois croyant ou pas, la religion t'entoure dans nos sociétés et dans toutes les sociétés d'ailleurs.

Tu as déclaré : « C'est dommage Dieu soit mort ; mais le paradis, lui est bien réel ». As-tu reçu une éducation religieuse étant jeune ?

Jamie : Pas du tout. Ma mère est une athée. Elle ne croit pas dans les religions, mais elle reste très ouverte et est très proche de la nature. C'est une poète qui serait plus proche du paganisme qu'autre chose. Que tu sois croyant ou pas, la religion t'entoure dans nos sociétés et dans toutes les sociétés d'ailleurs. Églises, fêtes religieuses, funérailles, sens du bien et du mal... même dans l'art, qu'il soit littéraire, cinématographique ou pictural, la religion est partout ! Elle tente même un retour dans les sciences de nos jours. Et, finalement, même quand tu es athée, cet Eden ou ce paradis sont des lieux que tu tends à toucher, à trouver et où te faire accepter quand ta vie se terminera. Donc, quand tu parles de Dieu, tu parles de toi et de tes actes pour continuellement tendre à mieux, essayer d'être qui tu n'es pas et approcher ce que tu désires le plus dans ta vie.

Est-ce que ceci est une critique ouverte, un avis cynique ou une réelle croyance de ta part ?

Jamie : Il est facile de ne pas croire en ce Dieu issu de la religion judéo-chrétienne. Moi je n'y crois pas du tout. C'est une façon de voir la foi et la croyance de manière assez étriquée je trouve. Si ce Dieu existait, il ne nous remarquerait même pas tellement nous sommes insignifiants. Mais je ne crois pas que l'important soit de savoir si moi je crois ou pas en l'existence d'un Dieu issu de ma culture judéo-chrétienne...

Toujours est-il que cette aura de groupe mystique plane au-dessus de vos têtes depuis vos débuts. Pourrais-tu nous en dire plus sur ce qui a marqué la naissance de MONEY ?

Jamie : Je te préviens, c'est une histoire très peu intéressante ! Comme des dizaines d'autres groupes pop anglais, nous nous sommes rencontrés à l'université. Nous étions tous passionnés par la musique. Ce qui nous a donné cette aura mystérieuse ou cet esprit de confiance en nous dés le départ c'est que nous étions tous déterminés à mettre de côté et même rejeter nos ambitions professionnelles, ou plutôt nos manques d'ambitions professionnelles dans la vie. Nous étions dans cette ambiguïté : nous adorions l'idée de finir notre vie à jouer dans un groupe, mais nous ne voulions surtout pas travailler ! Et pourtant, j'étais parti dans des études d'anthropologie, Charlie étudiait l'Anglais littéraire et le cinéma, Bill l'économie et les affaires... Un sacré mélange d'étudiants.

Où et comment se sont déroulés l'écriture et l'enregistrement de The Shadow Of Heaven ?

Jamie : Nous avons enregistré l'album à Londres, mais il a été écrit un peu de partout en Angleterre. Notamment à Manchester et à Londres. Il faut savoir que les titres présents sur ce premier album viennent parfois de loin : nous les avons écrits entre nos dix-neuf et vingt-quatre ans respectifs. (Charlie Cocksedge arrive en loge)

On a dit que Manchester était un peu comme le cinquième membre du groupe MONEY. Selon toi, quelle place a pris cette ville dans l'écriture et l'existence du groupe ?

Jamie : Il faut toujours juger et sonder une ville au niveau de ses rues. Et à ce niveau-là, Manchester est une ville très poétique. Nous avons passé sept ans dans cette ville et ses aspects absurdes, alcoolisés et paumés continuent de me surprendre. Les gens qui habitent là-bas semblent tous symboliquement morts ! Ils donnent l'air d'avoir abandonné tout espoir de vie. Les valeurs qu'ils partagent semblent loin de celles que partagent les londoniens, par exemple. Ils ont perdu l'illusion et l'espoir d'achever quelque chose dans leur vie. Bien sûr, il y a des exemples contraires, certains Mancuniens ont très bien réussi, mais beaucoup sont très pauvres et la ville reflète plus cette désillusion qu'une confiance en l'avenir.

Tu penses que cela explique la profusion de groupes rock venant de Manchester ?

Jamie : En un sens. Je crois que cela reflète la volonté de célébrer, de fêter cette perte des illusions, et pourquoi pas en musique ! Quand tu n'as aucune obligation de succès parce que ta vie est déjà toute tracée, ou plutôt sans voies définies, alors tu peux obtenir tout ce que tu veux. Cela pour la version « poétique » de la chose, mais sur un plan géographique, c'est une ville qui est assez restreinte pour que tu sois forcé à faire mieux que tes voisins. Tu te dois d'apprendre constamment, d'écouter tout ce qui se fait. Tu es toujours en compétition avec les autres groupes de la ville. Ce qui rend cette ville paradoxalement productive en termes de musiques.

Pour un premier album, l'accueil qui vous est réservé est très positif et même plus que ça parfois. Cela vous touche de lire ce genre de critiques, bonnes ou mauvaises ?

Charlie : Bien sûr, c'est quelque chose qui est constamment dans un coin de ta tête. Personnellement, je vois, j'entends tout ça, mais je ne le cherche pas. Je me concentre sur la musique, et rien d'autre.
Jamie : La majorité des retours critiques sont positifs, moyens ou passables, c'est vrai. Mais il y a également eu des critiques très négatives. À Manchester, notamment. Et ce sont finalement celles qui te donnent envie de te dépasser la prochaine fois. Si tu es une personne critique envers toi-même, tu te dois de ne pas te reposer sur tes lauriers, mais de te remettre en question le plus souvent possible. Donc oui, nos critiques occupent nos esprits, mais pas celles que l'on croit.

Quand tu écris des titres, tu n'es pas toujours en lien avec les symboles qu'ils vont refléter.

Considérez-vous The Shadow Of Heaven comme un concept album où deux thèmes principaux, le Paradis et l'Enfer, s'affrontent au fil des titres ?

Jamie : Je pense que oui... même s'il n'y a que deux titres qui parlent ouvertement de ces deux thèmes, disons que l'idée maîtresse du disque repose sur le paradigme entre la vie et la mort. De là à qualifier The Shadow Of Heaven de concept album... je ne sais pas. Il existe un thème central animé par les textes, les sons et même les images qu'il comprend, mais je ne suis pas sûr que nous ayons réfléchi au concept de manière si volontaire.
Charlie : Je pense qu'il est devenu un concept album avec le temps. Quand tu écris des titres, tu n'es pas toujours en lien avec les symboles qu'ils vont refléter. Cela vient avec le travail, et à la fin, c'est comme un puzzle dont les pièces, de formes différentes, forment un nouveau canevas.
Jamie : Je ne voudrais pas paraître présomptueux, mais ce qu'il ressort de notre travail, tant au niveau musical que textuel, c'est la difficulté dans nos sociétés pour l'individu d'exister en tant que tel. Jusqu'où doit-on aller pour exister en tant qu'individu dans un groupe social ? Faut-il abandonner toute conviction et croyance pour appartenir à la meute ?

Comment avez-vous rencontré Bella Union, le label de Simon Raymonde ?

Charlie : Il est entré en contact avec nous via notre page Facebook. Nous ne nous étions jamais rencontrés mais il nous a envoyé un message très sympathique concernant ce que nous faisions. Nous avons convenu de nous rencontrer.
Jamie : Contrairement à beaucoup de labels, Simon n'a pas hésité deux mois en nous demandant des tas de titres et de démos avant de se faire une idée. A la première prise de contact, il nous a directement demandés d'intégrer Bella Union. Ce qui est très courageux et gonflé de sa part, son attitude ne pouvait que correspondre à notre état d'esprit ! Chez Bella Union, s'ils ont quelque chose à te dire ils n'attendent pas d'avoir les premiers chiffres de vente ou de passages radios pour formater un discours.

Dans le vidéo clip de Hold Me Forever, nous ne voyons presque jamais le groupe à l'image, mais les danseuses et danseurs du Ballet National Anglais dans une réalisation d'un des acteurs fétiches de Danny Boyle, Cillian Murphy. Comment Cillian Murphy est-il arrivé dans ce projet ?

Cillian est un ami de Simon Raymonde. Il nous a vus sur scène et il a proposé à Simon de collaborer sur un de nos titres. Nous avions la même vision de l'image que nous voulions imprimer sur ce titre et le clip s'est fait très rapidement.

Jamie, pourrais-tu expliquer aux lecteurs Français qui est Simon Cowell ? (ndlr : juré de l'émission, X Factor et American Idol pour en Angleterre) Et pourquoi tu as déclaré : « Simon Cowell m'a sexuellement agressé quand j'étais enfant. Il a planté en moi sa graine musicale… » ?

Jamie : C'est vrai ! Ce mec fait un boulot très agressif et offensant pour les jeunes générations dans ses participations à la télé réalité anglaise. Bien sûr, ce n'est que de la télé et beaucoup y verront là un simple divertissement, mais en vérité, il officie dans un registre vulgaire et abrutissant pour les jeunes qui regardent ces programmes. Dans trente ans, quand il disparaîtra, personne ne se souciera de sa mémoire ou ses passages insignifiants à la TV, mais présentement, il est important de lui dire, face à face, tu détruis des jeunes avec tes programmes de merde !

La mort doit être prise en considération pour faire les bons choix dans sa vie.

Vous pouvez avoir des discours et réactions très cyniques parfois. Jamie, tu aurais également déclaré : « La chose la plus importante à apprendre à un enfant, c'est qu'il va finalement mourir un jour ! »...

Jamie : (rires) Non, non, non ! C'est sorti de son contexte ! Ce serait terrible de n'avoir que ça à apprendre à un enfant, mais je ne veux pas non plus que cela devienne un sujet tabou. Ce que je voulais dire c'est que la mort n'a pas la place qui lui incombe dans nos sociétés actuelles. On la voit de partout à la TV, dans les séries, les films, les jeux vidéos... mais on n'en parle jamais de manière philosophique parce que ce serait un sujet tabou dans les familles. Seules la religion et la science abordent le sujet de façons spirituelles et concrètes et engagent, d'une certaine façon un dialogue avec la mort. Je ne dis pas que c'est un sujet qui doit devenir notre leitmotiv dans l'éducation, mais il faut le réintégrer à sa juste place de façon à ne pas avoir deux extrêmes : la violence gratuite et la désincarnation de la mort à tout va sur nos écrans d'un côté et le tabou de la fin de vie d'un autre. La mort doit être prise en considération pour faire les bons choix dans sa vie. Et peut-être qu'un des jobs de l'artiste, c'est de rappeler qu'un jour, nous finirons tous par mourir !

Vous jouez une musique qui est très difficile à qualifier. C'est quoi le rock aujourd'hui ?

Charlie : Guitare, basse, batterie... mais je crois que, de plus en plus, les groupes abordent et rapprochent des styles de musique qui rendent leur qualification impossible avec des mots. Je suis sûr que si je vais rechercher notre album dans un magasin de disques de type Virgin, il sera rangé dans une catégorie de musique. Peut-être rock d'ailleurs ? Mais tous les genres sont en train de se rapprocher à un point où même pour les disquaires, la classification devient très compliquée. Et puis, tout le monde tente d'être original en combinant des types de musique de plus en plus étranges entre elles, il ne doit donc pas rester énormément de vrais groupes de rock pur et dur sur le marché !
Jamie : Je dirais que nous sommes un groupe de pop à guitares. Nous faisons de la pop, définitivement !

D'où vous vient cette profonde mélancolie ?

(Jamie fait un geste montrant sa bière sur la table ; rire général)
Jamie : Imagine que tu rencontres quelqu'un dans la rue qui te demande : « Comment vas-tu ? ». Même si tu as des relents suicidaires ce jour-là, tu vas certainement lui répondre : « Ca va. Merci. Et toi ? ». Pour moi, la mélancolie est un sentiment intime dont tu ne parles pas et que tu ne montres pas. Seule l'écriture et donc l'art que tu en retires permettent d'exprimer ce sentiment très spécial. Dans l'art, et plus précisément dans la musique que propose MONEY, nous essayons d'éliminer ces barrières de la bienséance qui nous cache la vérité des sentiments et nous exprimons, peut-être crûment et de manière assez directe parfois des états d'âme qui n'ont pas souvent bonne presse en société.

Que nous réserve MONEY prochainement ? Vous avez des tournées de prévues ? De nouveaux titres en préparation ?

Jamie : Nous avons pas mal d'idées de nouveaux titres effectivement. Un nouvel album, ce n'est pas pour demain, mais nous y travaillons. Mais ce qui est excitant surtout, c'est de ne pas savoir où nous serons et ce que nous ferons l'année prochaine. Est-ce que nous ferons des premières parties comme ce soir ? Est-ce que nous jouerons encore dans MONEY ? Notre ambition actuelle n'est pas le succès à tout prix. Gagner un peu d'argent nous permettrait de continuer à faire d'autres disques et d'autres concerts ensemble, mais cela ne nous obsède pas.

C'est déjà la cinquième fois que vous vous produisez en France malgré votre récente carrière, qu'est-ce qui différencie l'Angleterre de la France du point de vue d'un jeune groupe ?

Charlie : On nous traite vraiment bien en tant qu'artistes débutants. Et pas qu'à l'Olympia ; partout où nous avons posé nos instruments, les gens ont été très attentionnés avec nous. Autant que pour des artistes plus connus. Ce qui n'est pas toujours le cas en Angleterre où la politique culturelle est quasi inexistante et où quand tu démarres dans la musique, c'est marche ou crève ! Mais, ce qui différencie le plus l'Angleterre de la France pour moi, c'est que je ne parle pas la même langue (rires) !
Jamie : Je ne vais pas me faire des amis chez moi, mais j'ai la sensation que la France donne une meilleure éducation civique que l'Angleterre. Politiquement, nous, les Anglais, sommes fainéants, absents et indifférents souvent. C'est peut-être lié à Paris, mais les jeunes générations, les étudiants, tous semblent plus engagés politiquement et socialement. Et là je vais être sérieux un moment, mais prends l'exemple du mariage Gay l'hiver dernier, vous avez été assez forts et engagés pour dire que vous vouliez les mêmes droits pour tous et descendre dans la rue pour cela. En face de celles et ceux qui pratiquent encore un certain obscurantisme. On sent que les gens n'hésitent pas à exprimer leurs idées ou leurs refus. En Angleterre, cette expression de liberté est mise sous cape et quand elle se libère, automatiquement ça devient tout de suite violent et ça part en sucette...