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Jungle

Interview publiée par Fab le 8 juillet 2014

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Si leurs identités respectives sont longtemps restées secrètes, Josh Lloyd-Watson et Tom McFarland, alias Jungle, au centre de toutes les discussions à l'occasion de la sortie de leur premier album éponyme chez XL Recordings, peuvent désormais briguer le statut de révélation d'une année 2014 de grande qualité. Inclassables et insaisissables, ces deux touche-à-tout n'ont assurément pas fini de faire parler d'eux.

Vous vous êtes produits à plusieurs reprises en France depuis quelques mois : d'abord aux Transmusicales de Rennes en décembre 2013, puis deux fois à Paris en première partie de Haim au Trianon et en tête d'affiche au Nouveau Casino. Comment avez-vous vécu ces premiers contacts avec la France ?

Tom : Nous avons pu donner de très bons concerts, nous les avons tous beaucoup appréciés.
Josh : Le Trianon constituait sans doute notre premier concert face à un public important. C'était impressionnant. Il y avait beaucoup de monde dans la salle ce soir-là, mais nous avions du mal à percevoir et interpréter quelles étaient les réactions. Lorsque nous donnons un concert en tête d'affiche, même devant moins de personnes, le public connaît nos chansons et reprend les paroles de Platoon ou Busy Earnin'. C'est une toute autre expérience. Et pourtant, que tu sois musicien, producteur ou artiste, tu ne peux pas immédiatement te trouver placé dans une telle situation, ce n'est pas immédiat. Pour moi, la différence entre un excellent concert et un concert fantastique réside dans le public et sa réaction. Nous sommes peut-être sept sur scène désormais mais ce sont nos fans qui font la différence s'ils sont sur la même longueur d'ondes que nous. Je l'ai ressenti déjà à Londres, Brighton ou au Nouveau Casino récemment. Tu ne peux pas tenir pour acquis une telle réaction.

Vous êtes très présents actuellement en France, avec de nombreuses dates durant le mois de mai mais aussi des apparitions prévues cet été aux Vieilles Charrues et Eurockéennes...

Tom : Nous allons notamment jouer à l'Ubu de Rennes, là où nous nous sommes produits pour la toute première fois en France pour les Transmusicales. Je pense que nous allons y retrouver Jean-Louis Brossard très probablement. Nous l'avions rencontré en décembre dernier lors de notre concert, et à nouveau le lendemain, lorsque nous étions à Groeningen pour le festival Eurosonic. C'est comme te réunir avec ta famille. Jouer en Europe est une expérience très différente. Par rapport à l'Angleterre, les équipes techniques sont beaucoup plus professionnelles, l'équipement est meilleur, la nourriture également...
Josh : Nous devrions venir nous installer à Paris, nous y serions mieux (rires) ! En France, on nous sert de vrais repas lors de nos concerts alors qu'en Angleterre on nous donne quelques bières et du fromage...

Nous préférions que les gens continuent à s'intéresser à notre musique avant tout et non aux personnes derrière Jungle.

Le terme « mystérieux » a pendant longtemps été très utilisé par rapport à Jungle. Pourquoi n'avoir laissé filtrer que si peu d'informations par rapport au groupe depuis vos débuts ?

Josh : C'est en partie lié à la manière dont fonctionne Internet. A nos débuts, nous avons simplement choisi de mettre en ligne une vidéo dans laquelle figure une jeune danseuse exceptionnelle, Terra, pour accompagner notre chanson Platoon. Nous l'avions prise en photo pour la pochette du vinyle et cette photo a été postée sur Internet puis a commencé à se propager par la suite. Nous n'avions pas de label à l'époque, personne pour assurer notre promotion, et cette image est donc devenue en quelque sorte la représentation de ce qu'était Jungle. Ce ne changeait rien à nous ou notre musique, nous avons compris que cela n'avait aucune importance. Nous préférions que les gens continuent à s'intéresser à notre musique avant tout et non aux personnes derrière Jungle, que les chansons, artworks ou vidéo clips soient omniprésents. La réaction d'Internet et des blogs était prévisible et beaucoup de gens ont commencé à se poser des questions sur nous et nos identités. Nous nous sommes simplement présentés comme J et T, pour Josh et Tom, nos prénoms, mais sans aller plus loin. Nous avions peur en dévoilant nos identités que nos personnalités prennent le pas sur la musique et Jungle en tant que groupe. Nous ne voulions pas être érigés en tant que représentants du groupe. Tom et moi avons grandi ensemble depuis des années et notre amitié est plus importante que nous, il était impensable qu'un jour Jungle déclenche entre nous une quelconque guerre d'égos. Il ne devait y avoir aucune compétition entre nous. Pas de course à l'argent ou à la célébrité, nous devions rester égaux. J'ai connu trop de personnes dans des groupes complètement inconnus tomber dans ce piège, à savoir à qui doit revenir le mérite d'avoir écrit une chanson ou un texte avant même d'avoir choisi un nom ! Beaucoup de personnes ont donc choisi de mettre en avant le mystère nous entourant mais nous n'avions aucun contrôle sur cela, ce n'était pas notre volonté. Nous n'avons pas consciemment cherché à nous cacher, après tout il suffisait de venir nous avoir en concert pour découvrir qui nous sommes.
Tom : Tout ceci n'était pas important, Jungle doit primer sur tout le reste. Le jour où mon égo deviendra plus important que le groupe, il sera temps pour moi de prendre mes distances.

Vous êtes amis depuis de nombreuses années, à quel moment avez-vous décidé de monter un groupe tous les deux ?

Tom : Ce n'est pas le fruit d'une véritable décision, l'idée est venue naturellement avec le temps. Nous avons eu nos premiers instruments, puis avons joué dans des groupes ratés à quatorze ou quinze ans, et en grandissant nous avons progressé et nous sommes intéressés un peu plus à la production et à des sonorités plus variées. Désormais, notre amitié est portée par cette relation artistique. Tu ne partages par les mêmes centres d'intérêt avec tous tes amis : tu vas boire un verre devant un match de football avec certains, tu fais du sport avec d'autres, et Josh est l'ami avec qui je joue de la musique. Ce n'est pas plus compliqué que ça.


Vous constituez tous les deux le cœur du groupe en studio, avez-vous à un moment donné envisagé de faire évoluer le line-up permanent avec d'autres musiciens ?

Josh : Nous sommes les deux seuls membres du groupe car notre relation repose justement sur cela. Nous sommes Jungle à deux. Nous tirons notre inspiration de cela et je ne crois pas qu'il pourra un jour en être autrement. Même lorsque nous aurons quarante-cinq ans, si le groupe existe encore, je pense qu'il reposera encore sur notre binôme. Nous continuerons bien entendu toujours à collaborer ou jouer avec d'autres musiciens, mais au final Jungle restera à l'image de ce que nous sommes depuis le début. Il nous a fallu tellement de temps pour construire cette relation d'amitié presque fusionnelle que nous ne pourrions fonctionner autrement.
Tom : Si nous devions un jour intégrer une ou plusieurs autres personnes à notre fonctionnement, il nous faudrait sans doute une dizaine d'années supplémentaires pour pouvoir à nouveau trouver les bons réglages. Du fait de l'absence d'égos que nous avons choisie d'entretenir, il serait sans doute très compliqué de fonctionner avec d'autres personnes, même si cela ne nous empêche pas d'inviter certains de nos choristes à nous rejoindre en studio quand nous en ressentons le besoin par exemple.

Sur scène, vous vous produisez avec cinq musiciens supplémentaires. Ce sont tous des amis à vous ?

Tom : Oui, tous. Ça ne peut fonctionner qu'avec des gens que nous aimons et en qui nous avons confiance pour représenter Jungle. Lorsque nous montons sur scène, nous ressentons le même plaisir tous les sept. Ils nous comprennent, nous les comprenons, et notre fonctionnement reste toujours démocratique. Cette mentalité de groupe est importante pour le bien du projet.

Ce qui se passe sur scène est simplement différent du studio, ne serait-ce que parce que le lieu dans lequel tu te produis est différent chaque jour.

Ce mode de fonctionnement et de pensée a-t-il un impact sur votre travail d'écriture ? Réfléchissez-vous sur le début à comment vos nouvelles chansons seront jouées en live ?

Tom : J'aimerais que ce soit le cas (rires) ! Après nos premiers concerts, lors de notre retour en studio, je craignais que nous ne tentions de nous limiter à cause de cette contrainte. A partir de ce moment nous connaissions un peu mieux les limites du groupe en live. Nous savions par exemple que nous ne pourrions jamais utiliser six guitares simultanément, car une fois sur scène cela serait impossible à reproduire.
Josh : Lorsque nous écrivions nos premières chansons, la question ne se posait pas car nous ne pensions jamais parvenir à les faire sortir du studio pour les jouer devant un public. Maintenant, avec notre audience devenant chaque jour un peu plus importante, nous prenons conscience que le studio et la scène doivent être dissociés. Busy Earnin' a été écoutée plus de 500 000 fois sur Soundcloud, mais combien de ces personnes sont déjà venues à l'un de nos concerts ? Je suis fan d'un groupe comme Air mais je n'ai jamais eu l'occasion d'aller voir en concert, et je suis sûr que quelques millions d'autres personnes les aimant sont dans le même cas que moi. Ce qui se passe sur scène est simplement différent du studio, ne serait-ce que parce que le lieu dans lequel tu te produis est différent chaque jour. Le son que tu entends sortir des enceintes est lui aussi nécessairement différent.

Après deux singles chez Chess Club Records, vous avez rejoint en fin d'année passée XL Recordings. Comment vous ont-ils convaincus de travailler avec eux ?

Josh : Ils croyaient en nous. Certains labels viennent te voir et t'expliquent comment ils voient les choses pour toi, comment cela devrait se dérouler. Eux, ils se spécialisent dans le simple fait de publier des disques. Ici je te parle d'une vraie collaboration entre eux et nous. C'était le bon choix à faire.
Tom : Travailler avec eux nous a apporté plus de confiance en notre musique. Lorsque tu collabores avec quelqu'un, tu partages en quelque sorte ton énergie. C'est un concept très important pour nous, pouvoir partager avec le public, notre maison de disques, des journalistes ou n'importe qui d'autre. Lorsque tu interagis avec cinq cent personnes face à toi, tu dégages de l'énergie et en reçois toi aussi en retour. C'est la beauté de la chose, créer des connexions avec d'autres humains, que ce soit une maison de disques ou non.
Josh : Nous ne pensions pas que notre musique puisse un jour intéresser l'industrie de la musique. Nous ne cherchions pas à nous faire remarquer par qui que ce soit en écrivant et enregistrer ces chansons qui sont devenues les nôtres. Notre développement a été progressif. Nous avons mis des chansons en ligne, donné des concerts, sorti des singles, et le public a commencé à nous suivre en partageant tout cela sur Internet ou ailleurs. C'est ainsi que nous nous sommes rapprochés de XL Recordings. Ils ont entendu nos chansons, nous ont contactés et ainsi de suite. Tu ne peux pas trouver une maison de disques en suppliant des personnes de t'offrir un contrat, tu dois faire tes preuves et attendre que l'on vienne ensuite à toi. Nous n'avons pas fait tout ça pour devenir célèbres mais parce que nous aimions jouer de la musique ensemble. Nous sommes dans une position privilégiée après tout notre travail. En prenant conscience de nos capacités et la possibilité pour nous de réussir en tant que Jungle, nous avons trouvé une certaine forme de bonheur.

Vos chansons ne se cantonnent pas à un genre particulier mais, au contraire, en brassent de nombreux du rock au hip-hop en passant par le funk ou la soul. Quelles sont selon vous vos influences principales ?

Tom : Nous avons toujours fait très attention à ne pas laisser nos influences trop imprégner nos chansons. Ce serait malhonnête que de le faire et de chercher ensuite à vendre nos propres chansons. Lorsque j'écris, je préfère m'imaginer un lieu, un contexte ou même une image et m'en inspirer. Trouver des idées à partir de pensées abstraites et les développer. Apporter aux personnes qui nous écoutent une forme de paysage que nous aurions imaginé. J'aime des groupes comme Air, Marvin Gaye ou les Beach Boys, mais j'écoute aussi du jazz, du hip-hop ou même du rock avec des groupes comme System Of A Down. Peu importe les genres, si la musique est bonne elle mérite d'être écoutée sans se poser de questions. En studio nous préférons n'écouter aucun autre artiste pour ne pas être influencés, même sans nous en rendre compte.

Votre musique ne serait-elle pas plus influencée par la culture américaine que l'anglaise ?

Tom : Cela dépend. Nous ne pouvons nier que nous sommes britanniques, cela ne peut donc pas être mis de côté, que nous le voulions ou non. Je pense que nous n'avons pas de règles. Je peux être influencé par la plage, la culture américaine, la musique française... De nos jours, la culture est vraiment devenue un concept global. N'importe qui peut faire référence à beaucoup de concepts différents, et cela très facilement. Il suffit de brancher un ordinateur, d'aller sur Internet et regarder par exemple des photos de vacances d'Inde ou regarder un film japonais des années 60s. Il m'est difficile de dégager des influences précises car nous sommes constamment abreuvés de nouvelles images ou informations provenant des quatre coins du monde. Je comprends que l'on puisse percevoir une dominante américaine dans notre univers, mais nous voyons bien plus loin que cela.


La sortie de votre premier album est une étape importante pour ne pas dire cruciale pour vous. Combien de temps avez-vous consacré à son enregistrement ?

Tom : Environ une année de manière discontinue. De décembre à mars dernier nous avons vraiment mis un coup d'accélérateur pour faire avancer les choses.

Toutes les chansons publiées sur vos premiers singles figurent sur le disque. Avez-vous envisagé d'en laisser de côté au profit de nouvelles ?

Josh : La question aurait plutôt été de savoir pourquoi ne pas les conserver... mais c'est une question que je me suis posée pendant très longtemps. Il me semblait naturel au départ de vouloir sortir un album constitué uniquement de nouvelles chansons, puis j'ai réalisé que les anciennes sont toutes aussi importantes que celles plus récentes. Pourquoi les abandonner au profit d'autres ? Pourquoi ne pas offrir au public la possibilité de connaître tout notre univers ? Certaines personnes connaissent nos premiers singles, mais elles ne représentent pas l'ensemble de notre public. J'aurais regretté que des personnes écoutant notre album puissent ne jamais découvrir Drops par exemple.

Ce disque est-il au final conforme à l'idée que vous vous en faisiez avant de l'enregistrer ?

Josh : Non ! Comme pour nos vidéo clips, l'image que tu peux t'en faire avant de découvrir sa version finale est complètement différente du produit fini. Tu ne peux jamais prévoir comment les choses vont se dérouler et ce qui va en découler. Des idées naissent de coïncidences ou d'expériences, de tentatives. Avec des « si » et des « peut-être », tu peux voir des milliers de possibilités s'offrir à toi quand tu écris ou enregistre une chanson, et ça tu ne peux le prévoir.