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alt-J

Interview publiée par Amandine le 15 septembre 2014

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C'est au début de l'été que nous avons eu la chance de rencontrer de nouveau le groupe le plus en vogue du moment, Alt-J, en promotion pour la sortie de This Is All Yours, phénomène de cette rentrée. Lors de cette occasion unique, nous sommes revenus sur le départ de Gwil, sur les surprises de ce nouvel album... et sur les triangles, qu'ils semblent détester. Retour sur ce moment de convivialité et d'humilité.

Ce doit être au bas mot votre vingtième interview aujourd'hui, un sacré changement en comparaison avec notre première rencontre il y a de cela deux ans. Vous en avez fait du chemin depuis !

(Rires) Gus : Oui, je me souviens, c'était dans le sous-sol de ce bar, on était pétrifiés, c'étaient nos premières interviews en France.
Joe : Nous n'étions encore que des bébés ! (rires)

Et vous passiez alors à La Flèche d'Or alors que maintenant, vous remplissez La Cigale ou l'Olympia en quelques minutes. Comment ressentez-vous cela ?

Gus : C'est très excitant, on n'en revient toujours pas mais contrairement à ce que ça peut paraître, ça a été un processus assez lent, tout n'est pas venu du jour au lendemain. Nous avons franchi les étapes pas à pas : de la Flèche d'Or à la Boule Noire, nous sommes ensuite venus dans de plus grandes salles pour enfin arriver à l'Olympia. Nous sommes passés par tous les « rangs » si je puis dire : de première partie à tête d'affiche et tout cela est venu petit à petit, naturellement.
Joe : Même si tout ne s'est pas fait en un claquement de doigts, c'est toujours aussi incroyable quand on y pense.
Thom : Nous vivons ce que tous les groupes rêvent de vivre, comment ne pas en être heureux chaque jour ?!

Nous passons tout notre temps ensemble et sommes très exclusifs : on fait les cons, on sort, on rit ensemble.

Comment réussissez-vous à gérer tout ce qui vous arrive ? Vous voyagez à travers le monde pour la promotion ou pour des tournées. Finalement, à quoi ressemble une journée type pour Alt-J désormais ?

Gus : On passe beaucoup de temps ensemble, vraiment énormément. Quand nous sommes en tournée, nous avons une équipe spéciale, « le road crew », qui nous accompagne. Cette équipe est réduite à son minimum, nous ne voulons pas jouer les stars à nous entourer de dizaines de personnes. Nous sommes donc un petit groupe, un peu comme un gang et nous veillons les uns sur les autres. Nous passons tout notre temps ensemble et sommes très exclusifs : on fait les cons, on sort, on rit ensemble.

Nous sommes à quelques semaines de la sortie de votre deuxième album, This is all Yours, ressentez-vous une quelconque pression ? Pour le premier album, tout était nouveau, vous-mêmes étiez nouveaux et vous profitiez donc de cette fraîcheur mais là, on a l'impression que toute la presse musicale et les férus de musique attendent cet album...

Joe : Ça va peut-être paraître surfait ou prétentieux mais je ne pense pas que l'on perçoive ou ressente cette pression : nous avons été très créatifs pour cet album, nous nous sommes surpassés. Nous avons revu tout notre processus de création, ce qui nous a pris un certain temps, car nous voulions quelque chose de complètement nouveau. J'aurais du mal et je ne pourrais probablement pas parler d'un album dont je ne suis pas pleinement satisfait et là, je pourrais en discuter pendant des heures... C'est d'ailleurs ce que l'on fait ! (rires) Je crois que l'on peut être fiers de cet album, une fois encore. Nous avons un feeling fantastique en ce qui concerne sa sortie, ce qui nous enlève toute sensation de pression.

Vous me confiez lors de notre première rencontre que votre plus grande crainte quant à la sortie de An Awesome Wave, c'était les chroniques négatives, notamment celles de gros médias ou sites influents : ce n'est plus le cas aujourd'hui ?

Joe : Tu as totalement raison, je fais le malin et le mec décontracté mais je serai bien plus nerveux quand le disque sortira. On craint forcément ces mauvaises critiques mais je pense que l'on a vraiment fait tout ce que l'on pouvait pour satisfaire les personnes qui nous écoutent mais aussi pour nous satisfaire.
Thom : Nous serions forcément tristes d'apprendre que les gens n'aiment pas cet album où nous avons mis tant de nous.

Au début de cette année, Alt-J est devenu un trio puisque Gwil est parti : je ne vous demanderai pas pourquoi il est parti, il avait probablement de bonnes raisons, mais j'aimerais plutôt savoir quel impact ça a pu avoir sur le groupe et comment vous avez pris la nouvelle ?

Joe : Si l'on devait résumer le moment où on a appris le départ de Gwil, je dirais que c'était une surprise attendue. Nous ne pensions pas qu'il arriverait à une décision si drastique mais il était fatigué de tout ça. Du coup, quand il nous a dit qu'il avait décidé de quitter le groupe, nous avons été choqués mais c'est vite passé car finalement, en y repensant, on voyait bien que quelque chose n'allait pas depuis un moment. Par rapport à l'état dans lequel on le trouvait, on pense que c'était une sage décision de sa part.
Gus : Nous avons repris nos esprits rapidement en fait. Au début, on lui a demandé s'il voulait continuer juste en étant un partenaire, en enregistrant avec nous mais sans faire les tournées.
Joe : Nous étions tout de même tristes après tout ce que l'on venait de vivre ensemble donc je lui ai immédiatement demandé s'il voulait continuer à créer et composer avec nous et qu'il n'aurait pas à venir en tournée avec nous, à rencontrer les gens, à faire des interviews. Il nous a dit qu'il allait y réfléchir et les semaines ont passé et nous devions absolument continuer à aller de l'avant, à faire de nouvelles chansons.


Vous ne vous êtes donc dit à aucun moment que vous pouviez arrêter Alt-J et éventuellement commencer un nouveau projet ?

Gus : Oh non ! Jamais ! Je crois que d'une certaine manière, nous savions que Gwil allait partir un jour ou l'autre.

Concrètement, qu'est-ce que ce départ a changé dans votre processus créatif ?

Gus : Le fait que nous ne voulions pas remplacer Gwil a changé beaucoup de choses et c'est donc très naturellement que Thom a commencé à introduire de plus en plus de créations faites sur son ordinateur.
Thom : Oui, j'adore faire de la programmation musicale sur mon ordinateur, j'aime de plus en plus en fait, et du coup, je m'en suis donné à cœur joie pour cet album. Nous avons décidé de tous nous mettre à composer car nous avons réalisé qu'il allait falloir travailler encore plus maintenant que nous n'étions plus que trois. Nous voulions prouver que nous pouvions continuer, même sans Gwil, c'était une sorte de défi pour nous. Nous savions que nous pouvions le faire. Nous avions tous un rôle, plus ou moins défini, et pourtant, nous ne nous sommes pas dit « Oh, nous avons besoin de recruter un nouveau bassiste ». Nous pensons que nous pouvons faire de la musique comme nous la ressentons, en se recréant et changeant nos habitudes.
Joe : Deux ou trois semaines après le départ de Gwil, nous nous sommes rendus compte que cela nous avait aidés à chasser les ondes négatives, que nous étions dans une nouvelle ère où les frictions n'étaient plus de rigueur. Nous avons dû redéfinir nos rôles et nous nous y sommes mis tous les trois, nous avons voulu relever le défi et je crois que c'est ce qui a permis d'accélérer la mise en place de ce nouveau processus de création collaboratif. Toutes ces épreuves ont donc été des choses positives pour nous en tant que groupe. Nous avons mis de côté l'aspect négatif pour n'en garder que le positif et je crois qu'aussi loin que je me souvienne, tous ces moments ont été les plus sains que nous ayons vécus. Ça nous a apporté du positif, pour lui comme pour nous.

C'est comme une deuxième naissance pour vous ?

Joe : Oui, absolument.

Tout ceci peut-il expliquer le fait que This Is All Yours sonne plus électronique ?

Gus : Je ne pense pas que l'on puisse dire que c'est la raison pour laquelle ça sonne plus électronique, c'est difficile d'imaginer ce que l'album aurait été si Gwil n'était pas parti.
Joe : On ne peut pas nier que notre nouvelle façon de travailler a impacté notre son mais peut-être que cet album aurait été similaire avec Gwil, qui sait.
Thom : Nous voulions tenter, expérimenter et rendre le processus créatif le plus collaboratif possible et ça, c'est l'une des raisons probables au fait que les sonorités synthétiques sont plus présentes je pense.

This Is All Yours est une combinaison de trucs récents et d'autres trucs plus anciens.

Quand avez-vous trouvé le temps d'écrire les titres présents sur This Is All Yours ? J'ai l'impression que depuis la sortie de votre premier album, vous avez toujours été en tournée !

Joe : C'est une combinaison de trucs récents et d'autres trucs plus anciens. Nous avions déjà quelques titres qui traînaient et que nous n'avions pas pu mettre sur notre premier album mais dont nous étions fiers. Pendant les tournées, c'est vrai que l'écriture avance beaucoup moins vite parce qu'on a moins de temps, on est fatigués, on passe nos journées sur la route... Pendant les périodes où nous étions en vacances, j'ai écrit de mon côté, je n'ai jamais arrêté d'écrire en fait ! L'écriture s'est développée peu à peu et c'est d'ailleurs ce qui fait en grande partie ce nouvel album. Quand janvier est arrivé, nous avions déjà pas mal de matière et il nous restait à combiner tout ça pour en faire un album. Au même moment, nous avons mis en place ce nouveau processus collaboratif. Je vais te donner un exemple avec Hunger Of The Pine : Thom et moi avons écrit ce titre vraiment très rapidement, c'était très excitant ; nous ne savions pas où nous allions, c'était la première fois. C'était super !

Pensez-vous que l'évolution de votre son vienne en grande partie de cette nouvelle manière de travailler ou vos inspirations ont-elles changé ?

Thom : Je ne vois pas une énorme différence dans notre son mais c'est probablement parce que je n'ai pas assez de recul ou parce que je vis cette chose chaque jour et que l'évolution est si naturelle que l'on ne s'en aperçoit même plus. Nous n'avons pas décidé de sonner de telle ou telle façon, c'est une tournure non planifiée je dirais.
Joe : Que ce soit pour le premier ou pour ce second album, nous n'avons pas commencé en nous disant que nous voulions tel ou tel résultat et pourtant, c'est vrai que les deux disques sont différents... mais c'est probablement parce que nous avons changé et que nous avons parcouru du chemin depuis An Awesome Wave.

Le cinéma ou la littérature sont-ils toujours aussi importants dans This Is All Yours ?

Joe : Oui, parfaitement. C'est probablement là que réside la plus grande similarité entre nos deux albums. Je regarde toujours autant de films et donc, forcément, ça m'influence toujours autant. Je crois que ce sera toujours ainsi, c'est l'une des choses qui m'intéresse le plus le cinéma.

Dans ce nouvel album, il y a trois références à Nara : je suppose que c'est la ville japonaise ? Y a-t-il une raison particulière ?

Gus : Tu sais, à Nara, il y a tous ces daims qui se promènent dans la ville sans que personne ne leur fasse de mal. Ils vont où ils veulent, font ce qu'ils veulent. Nous avons donc choisi cette image comme métaphore du droit des gays : le droit pour eux de faire ce qu'ils veulent sans que personne ne s'en soucie, sans que ça ne pose problème.


Parlons maintenant du premier single issu de This Is All Yours : Hunger Of The Pine. On retrouve ici un sample de Miley Cyrus et des extraits d'Alfred de Musset. Pourquoi ces choix ? Est-ce parce-que vous vous sentez quelque part entre ces deux-là ?

Gus : Peut-être, oui ! Quelque part entre la poésie et la manufacture de la pop music.
Joe : Nous n'avons pas peur de faire référence à ces deux personnages car ils sont une parfaite représentation du concept de la chanson. Nous ne pensons pas qu'il s'agisse d'une contradiction quand on parle de deux artistes de cultures si différentes. Je ne veux pas dire par là que Miley Cyrus soit la culture du pauvre mais la pop est une culture mainstream alors que la poésie est généralement associée à quelque chose de plus élitiste et intellectuel, ce qui est dommage d'ailleurs. Pour tout avouer, je ne savais pas que cette référence était d'Alfred de Musset, je la connaissais de L'amant de Lady Chatterley, le roman de David Herbert Lawrence. La référence était en français dans le livre, comme beaucoup d'autres d'ailleurs, et j'ai cru bon de citer cela et je ne savais pas, j'ai découvert, que c'était en fait Alfred de Musset. Certaines références sont ancrées en vous et vous ne vous rendez même plus compte que ce ne sont que des citations d'autres auteurs. J'aimais la phrase de Miley, la citation d'Alfred de Musset et à ce moment-là, je me suis juste dit que les deux allaient bien ensemble, sans même penser aux rapprochements de deux personnalités si éloignées.

A la première écoute de l'album, j'ai été très surprise par Left Hand Free : j'ai eu l'impression d'entendre un morceau de Classic Rock, un peu à la Cream, et le moins qu'on puisse dire, c'est que je ne m'attendais pas à ça sur un album d'Alt-J !

Thom : Tout est parti d'une blague avec Joe et sa guitare. On était en train d'écrire un morceau et pour se détendre, il a commencé à jouer ça. C'était un trip classic rock, mais ça, on ne s'en est pas aperçu sur le moment. En réécoutant, on s'est dit « Pourquoi ne pas jouer le jeu jusqu'au bout et la rendre aussi cliché et catchy que possible ? ».
Joe : On a finalement décidé de l'inclure à l'album parce qu'elle sonnait bien, était catchy et on a arrêté de se poser la question de « Ça ne va pas faire sauter au plafond par rapport au reste ? ». Il faut l'apprécier pour ce qu'elle est, sans réfléchir.

J'aimerais en savoir plus sur Warm Foothills : qui chante avec vous ?

Joe : Nous sommes cinq à chanter sur le morceau : il y a moi, Lianne La Havas, une jeune chanteuse qui s'appelle Marika Hackman, Conor Oberst, le chanteur de Bright Eyes, et un jeune compositeur, Sivu. Ce titre est très spécial car on chante chacun un mot des paroles que j'ai écrites. En fait, je leur ai donné la chanson et ils devaient mimer parfaitement ma mélodie et mon timing, à la seconde près. Ils devaient m'imiter en résumé : prononcer comme moi, avoir les mêmes intonations... A la fin, on a mélangé tous les enregistrements, on les a rejoints, on a refait le puzzle et donc chaque mot est chanté par une personne différente mais chacun chante à ma façon, pour brouiller les pistes. J'ai trouvé le projet intéressant et il me semble que c'est la première fois que ça se fait, ou en tout cas c'est la première fois que j'en entends parler. Je voulais donc voir si ça pouvait fonctionner et je crois qu'on a réussi.

Je pense que ça a bien fonctionné car pendant tout le titre, la voix nous semble familière sans qu'on puisse jamais reconnaître à qui elle appartient.

Joe : C'est exactement ce que je cherchais à faire. J'ai même dû rappeler à ma mère que je n'étais pas le seul à chanter sur ce titre. C'est vrai qu'on entend clairement une voix féminine et une voix masculine mais elle a voulu occulter ça et croire qu'il n'y avait que son petit fils adoré.

On retrouve également sur cet album Bloodflood part. II, une référence à un titre de votre premier album : ce titre est-il un ancien ?

Gus : L'idée de faire un titre en plusieurs parties sur des albums différents est assez ancienne.
Joe : Oui, avant même le premier album, nous avions déjà cette idée en tête.

Vous vouliez relier les deux albums ?

Gus : Je trouve que c'est une chouette idée que d'avoir un lien entre les deux albums, oui. Avant même la sortie de l'album, il y a toujours le tracklisting qui est dévoilé et les fans pourront donc anticiper en voyant ce lien, j'aime bien cette idée.
Joe : Oui, notre premier album était une compilation de belles histoires et nous voulions y faire référence ici. Je chante même des paroles de Bloodflood dans ce Bloodflood part. II. Dans les livres ou les films, il y a souvent ce genre de séquences, avec des suites (pas toujours bonnes d'ailleurs), mais ça n'existe que très peu en musique finalement. J'ai donc voulu tester la méthode sur des chansons. Donc voilà, on l'a fait !

La fin de l'album est très électronique : peut-on penser que vos prochains concerts iront en ce sens ?

Joe : Nous jouerons de toute façon notre son en live et c'est à ce moment que l'on pourra répondre à ta question. Pour Leaving Nara par exemple, Thom va jouer de la batterie électrique puisque c'est le cas sur album déjà.
Thom : On va essayer de gérer au mieux ; sur les parties électroniques, on va jouer en live, je ne sais pas ce que ça va donner. Nous allons répéter pendant tout le mois d'août en vue du début de la tournée à la rentrée, en septembre.

Nous en avons ras le bol de ces triangles, mais on l'a voulu après tout.

Vous pouvez me parler de l'artwork de This Is All Yours ? C'est très coloré et... vous l'avez fait exprès ce triangle vert en plein centre ?

Gus : Un triangle ? Sérieusement ? Je veux voir ça.
Il prend alors son smartphone et fait un agrandissement de la jaquette.
Ah oui, en effet, il y a un triangle. On ne voulait pas pourtant, je t'assure ! Thom : Je n'avais jamais remarqué. Pourtant, c'est moi qui ai peint ça, quand j'étais à l'université. C'est en fait un détail d'une peinture bien plus grande. Pour moi, il n'y a pas de triangle, oublions ça (rires). C'est une expérience sur les aplats de couleurs. Nous en avons ras le bol de ces triangles, mais on l'a voulu après tout.