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Marika Hackman

Interview publiée par Emmanuel Stranadica le 11 février 2015

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A seulement vingt-deux ans, Marika Hackman sort son premier album We Slept At Last, un disque à la maturité folle sur lequel il faudra compter en 2015. De passage à Paris courant décembre pour la promotion de son disque, la jeune anglaise nous parle de sa musique, de sa manière de composer, de chansons de Noël mais aussi de GarageBand. Retour sur cette rencontre.

Tu as sorti ton premier single en 2012. We Slept At Last, ton premier album, ne sort qu'en février 2015. Pourquoi a-t-il fallu attendre autant de temps pour qu'il puisse voir le jour ?

J'ai eu besoin de tout ce temps pour me sentir prête à sortir un album. Il y a eu une progression dans ma musique tout au long des différents disques que j'ai pu sortir. Et l'album atteint un certain point dans cette progression. J'avais besoin d'expérimenter, d'essayer des choses pour pouvoir avancer sans pression. J'ai grandi en prenant confiance en ma manière de composer, en ma manière de jouer de la guitare. Ma relation avec Charlie Andrew en studio a été également primordiale dans l'enregistrement du disque, car j'étais très à l'aise avec lui. C'était vraiment génial de me sentir ainsi, car tout ceci m'a donc permis d'aboutir à cet album. Je sais pertinemment que je n'aurai pas pu sortir ce disque si je n'avais pas eu tout ce temps pour le réaliser. C'est une grande chance pour moi d'avoir eu la possibilité de travailler de la sorte.

Y a-t-il des chansons sur le disque que tu avais à l'esprit depuis longtemps et que tu n'arrivais pas à terminer ?

Non, pas vraiment. L'écriture de ces chansons date de cette année (2014). Open Wide est un titre que j'ai toujours voulu composer, mais j'entends par là en raison de sa sonorité. Ce n'est pas un morceau que j'avais dans la tête depuis toujours. Je pense qu'il constitue un moment important du disque. Les chansons ont globalement pas mal évolué par rapport à leurs versions démos. Je les ai prises les unes après les autres en leur ajoutant progressivement de la matière jusqu'à ce qu'elles se retrouvent dans leurs versions finales que tu connais.

Je m'attendais à un disque beaucoup plus folk, plus acoustique. Ce n'est finalement pas vraiment le cas. Comment décrirais-tu We Slept At Last ?

C'est un disque beaucoup plus accompli que ce que j'ai pu sortir dans le passé.

C'est un disque très varié, une forme de mix. Il y a de nombreux croisements musicaux. Je pense avoir pas mal de chance de posséder une voix assez caractéristique qui peut s'ajuster à de nombreuses sonorités, sans qu'elle soit dénaturée. Même si le disque varie musicalement, c'est bien toujours ma voix que l'on retrouve tout au long de l'album. C'est un disque beaucoup plus accompli que ce que j'ai pu sortir dans le passé. Il y a toujours pas mal de moments abstraits dessus, mais il y a, je le répète, cette progression dans les compositions. Elle est importante pour moi. Il y a des passages très sombres. Undone, Undress est par exemple une exploration musicale vraiment sombre pour moi.

Il y a beaucoup d'émotion dans ce disque. Et en effet, des moments particulièrement sombres. Undone, Undress m'évoque Cat Power ou My Brightest Diamond à leurs débuts. Est-ce que ce sont des artistes qui ont pu t'inspirer ?

Oui, j'ai beaucoup écouté Cat Power, lorsque j'avais dix-huit ans. Je l'adore. Elle est incroyable. C'est une artiste très honnête que j'admire. J'aime beaucoup Laura Veirs, Edith Frost. Leurs chansons ont des structures simples et profondes. Undone, Undress se rapproche en effet de leurs univers. Lorsque je l'ai composée, je me sentais assez déprimée. J'ai saisi cette opportunité pour écrire cette chanson, plutôt qu'essayer de devoir trouver cette sensation afin de pouvoir la composer. Je me suis dit, il faut que je fasse quelque chose maintenant, même si ce moment était difficile pour moi. Et finalement, malgré la difficulté, cela a été très profitable.


Le son de l'album est souvent très sale. Je suppose que c'est quelque chose de voulu...

Oui ! Je ne voulais pas que We Slept At Last sonne comme un disque pop, qu'il ait une sonorité propre et lisse. Encore une fois j'ai beaucoup de chance de posséder une voix très claire qui puisse se glisser aisément sur des sonorités assez sales. Finalement c'est un peu comme si une voix cristalline se retrouvait entourée de ténèbres (rires). J'aime ce son qui pour moi est réel et non fabriqué et poli en studio. C'est un peu comme si cette musique venait vraiment de mon moi intérieur.

Tu as teint tes cheveux en bleu. Quelle couleur donnerais-tu à ton disque ?

(Rires) Je dirai que la couleur du disque est celle que l'on retrouve sur la pochette de l'album ; ce même bleu marine. Il y a du noir à l'intérieur, mais ce noir est léger. Je trouve que la couleur de cette image reflète assez bien le disque. Cela se passe pendant la nuit. Le ciel est coloré de la même manière pendant la nuit. Oui je trouve que c'est la couleur du ciel en soirée qui correspond très bien à l'album.

Tu considères ton disque comme optimiste ?

Oui. C'est un disque où on est à la recherche de réponses, mais cette recherche est absolument optimiste. Cette recherche va jusqu'au moment où les personnes en quête de réponses finissent par abandonner et ne se posent plus de questions. C'est un versant de mon disque. Il y a beaucoup de vie et de liberté dans cet album.

Pourquoi « at last » ?

Ça fait partie du texte d'un morceau de l'album. Je l'ai donc volé d'une de mes propres chansons (rires). Je pense que si j'avais simplement écrit « we slept », ça n'aurait pas eu le même impact. Le fait d'ajouter « at last » à la fin, donne un effet de soulagement au fait de dormir. C'est comme une clôture, donner une acceptation à la situation. Réaliser ce disque a été quelque chose de très éprouvant mentalement pour moi, pas dans le sens souffrance ou dans une version dramatique, mais cela a nécessité un processus d'isolation qui fut éprouvant. En définitive, aller jusqu'au bout de moi-même et atteindre certaines conclusions fut un véritable soulagement pour moi. C'est donc pourquoi j'ai ajouté ce « at last », finalement au fait de pouvoir dormir.

C'est un disque sombre mais c'est également un disque assez sexuel.

Le titre du disque est connecté à la pochette également. On dirait qu'il y a un relâchement assez lascif dessus, mais également une forme d'abandon. Qu'en est-il réellement ?

En effet, il y a quelque chose de lascif sur cette photo. C'est un disque sombre mais c'est également un disque assez sexuel. C'est quelque chose de très fort d'un point de vue féministe. Cette photo magnifique représente quelqu'un de vulnérable mais quelqu'un aussi de très fort à la fois. J'avais imaginé cette photo avant qu'elle ne soit prise. Je savais que ce serait cette image qui serait sur la pochette de l'album. Je l'ai trouvée sur internet. J'ai contacté le photographe qui l'avait prise afin d'obtenir son accord pour pouvoir l'utiliser. Il me l'a a donnée sans problème tout comme pour la photo qu'on retrouve au verso de l'album avec ce lit vide, et cette lumière du matin. C'est vraiment très beau.

Comment composes-tu ? Y a-t-il un moment de la journée qui t'est plus propice à l'écriture ? As-tu une saison préférée ?

Ma saison préférée est l'automne. L'été est trop propice à l'amusement et je n'aime pas lorsqu'il fait froid. Je pense qu'en termes de créativité le milieu de la nuit est le moment le plus inspirant pour moi. Mais le matin, j'ai beaucoup de choses qui me viennent à l'esprit, et je termine souvent des textes à ce moment de là. C'est vraiment un moment où les mots me viennent plus aisément alors que la nuit c'est davantage la musique qui est facile à composer pour moi. En termes d'émotions, c'est le soir que tout est plus évident pour moi. Je prends un verre de vin, je me sens détendue et je me laisse aller (rires). Mais tu vois, j'ai composé cet album au printemps. Je pense que l'automne et le printemps sont deux saisons de changement et je les aime.


Quelle fut la chanson de l'album la plus difficile à terminer ?

En studio ? Next Year a été assez difficile à réaliser du point de vue de la batterie. Il a fallu la laisser de côté pendant un moment. Puis Charlie et moi avons décidé de revenir vers elle et de l'achever. C'était la première fois que j'avais autant de mal à terminer une chanson, et crois-moi ce fut tout sauf une partie de plaisir. Let Me In ne fut pas non plus une partie de plaisir. La version qui se trouve sur l'album est en fait la version démo de la chanson. Je l'ai enregistrée dans ma chambre chez moi à l'aide de GarageBand. Ce qui est dingue c'est que ce logiciel, aussi mauvais soit-il, c'est qu'il ne m'a jamais été possible de réaliser en studio la même version que celle que j'avais enregistré avec. De ce fait, Charlie m'a demandé de mettre la version démo sur mon ordinateur et de la nettoyer pour en tirer un résultat à peu près écoutable. C'est vraiment un enregistrement lo-fi auquel nous avons ajouté de la basse et de la batterie.

Tu as fait une reprise de O Come Emmanuel. Est-ce que tu aimes jouer des reprises de chansons de Noël ?

Oui, j'aime beaucoup ça, surtout cette chanson d'ailleurs. J'aime beaucoup sa mélodie. C'est très joli. Je j'imagine interprétée dans une église, ce doit être fabuleux et c'est vraiment une atmosphère qui me plait. Il y a un peu une forme de moquerie dans cette reprise mais j'adore cela, vraiment. J'aimerai composer moi-même une chanson de Noël, voire un EP. Je sais qu'un jour je le ferai, peut-être l'année prochaine.

Je sais que tu aimes jouer des reprises d'une manière générale. Est-ce plus facile pour toi que de jouer tes propres chansons ?

C'est beaucoup plus amusant de jouer ces reprises. C'est un peu une forme de challenge pour moi. Je reprends les chansons que j'aime. Je ne veux donc pas les foutre en l'air, et par la même occasion je ne veux pas qu'elles soient similaires, sinon quel est l'intérêt de les reprendre ? Le challenge est de vraiment en faire quelque chose de différent. Aussi, en honneur à l'original, je fais mon possible pour que ma reprise soit bonne et intéressante. Il y a à la fois moins et davantage de pression à reprendre une chanson, par rapport à ton propre répertoire.

Tu as tourné avec Alt-J. Comment cela s'est-il passé ?

J'aime vraiment leur musique. Et le fait de jouer avec eux, devant 10 000 personnes fut une expérience absolument inoubliable. Le public était absolument incroyable, Glasgow est une ville vraiment particulière. Nous avons joué Wide Open et le public était incroyablement réceptif alors que nous ne l'avions jamais joué auparavant. Ce fut une sensation totalement folle. Je n'avais jamais connu une telle réaction sur scène auparavant.