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The Staves

Interview publiée par Marc Arlin le 14 avril 2015

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Les fratries dans la musique, on a l'habitude. Elles ont même donné quelques-uns de groupes les plus emblématiques du rock britannique, des Kinks à Oasis. Deux soeurs dans un groupe, on connaît aussi. Trois soeurs, c'est déjà beaucoup plus rare. On a bien les Corrs comme exemple mais on préfère ne pas y penser...

C'est donc le cas aussi de The Staves, formé par Emily, Jessica et Camilla Staveley-Taylor, dont le second album If I Was devrait régaler les amateurs de pop-folk sensible et de bel ouvrage mélodique. Nous les avons rencontré lors de leur dernier passage parisien, quelques heures avant d'ouvrir pour Angus & Julia Stone (tiens, un frère et une soeur).

Avez-vous toujours joué de la musique ensemble ?

Pas d'une façon aussi organisée qu'aujourd'hui ! Nous ne prenions pas de cours, nous n'avions pas vraiment de groupe mais nous avons grandi dans un environnement musical car nos parents avaient des instruments à la maison. On chantait les Beatles en harmonie. Un soir, sur la proposition d'une amie, nous avons chanté à un open mic dans un pub. Nous n'avions pas de nom donc nous avons juste écrit The Staves, une contraction de notre nom de famille, sur le tableau qui annonçait les groupes du soir. C'était il y a bientôt dix ans.

Quand avez-vous commencé à écrire des chansons ?

Le pub où nous avions pris l'habitude de jouer nous a demandé de revenir avec nos propres chansons. C'était à l'époque de MySpace donc nous avons créé notre profil et nous avons commencé à y mettre des démos. Petit à petit, nous faisions de moins en moins de reprises et nous avions suffisamment de notre propre matériel pour tourner dans plusieurs villes anglaises. Jessica est allée étudier la musique à Liverpool et nous y avons enregistré notre premier EP, en 2010.

C'est à cette époque que vous vous faites repérer par une maison de disques...

Quelqu'un d'Island Records nous a appelé en disant « Tom Jones recherche des choristes pour une chanson de son prochain album produit par Ethan Jones ». Au début, on se demandait si Tom Jones et nous, c'était un partenariat naturel (rires). Mais on adorait le travail d'Ethan sur les disques de Ben Kweller et Kings Of Leon. Il commençait à travailler avec Laura Marling aussi. Nous sommes donc allées dans son studio pour enregistrer ces choeurs et on lui a glissé notre EP avant de partir. Il a aimé notre travail et nous a demandé de lui envoyer plus de chansons. Au final, c'est lui qui a produit notre premier album, Dead & Born & Grown, en 2012.

Nous avons beaucoup changé en trois ans.

Quel regard portez-vous sur ce disque aujourd'hui ?

Nous avons beaucoup changé en trois ans, nous avons vécu de nombreuses expériences personnelles et professionnelles qui nous ont durablement marquées. Certaines chansons sur le premier album étaient écrites depuis 2007 ou 2008. Dead & Born & Grown était peut-être plus composite, moins cohérent. If I Was a été pensé et produit d'une façon très différente : pendant que nous écrivions, nous enregistrions tout de suite les démos et cela a influencé le son de l'album. C'était beaucoup plus évolutif. Nous avons enregistré dans le studio de Justin Vernon (Bon Iver) et nous avions toute une palette d'instruments dont nous ne disposiions pas à l'époque de Dead & Born & Grown. On a utilisé des synthétiseurs, des violons. Sur le premier, c'était quasiment un enregistrement live, nous étions toutes dans une pièce à jouer ensemble. Il n'y avait pas de réverbérations, les chansons sonnent très brutes. Cette fois, nous voulions repousser nos propres limites, ce petit carcan qu'on s'était crée, qui nous donnait un certain confort aussi. Les chansons d'If I Was se prêtaient davantage à l'excès, en quelque sorte : telle chanson réclamait une section de cordes, une autre avait besoin d'un rythme de batterie soutenu...

Comment avez-vous rencontré Justin Vernon qui produit cet album ?

Nous avons ouvert pour Bon Iver aux États-Unis en juin 2012 et nous avons beaucoup discuté avec lui à cette occasion. On prenait beaucoup de plaisir à voir leur set, et inversement. Il semblait comprendre notre musique. Humainement, c'était très agréable. Il a donc proposé presque naturellement de passer dans son studio quand nous aurions du temps libre. Le plus drôle c'est que nous n'avons même pas prévenu le label quand nous sommes allées le voir. On avait pas envie d'avoir une pression supplémentaire. Une fois que nous étions en studio avec Justin, c'était assez évident que nous devions travailler avec lui.


Quels conseils vous a t-il donné pendant l'enregistrement ?

D'abord, il a crée un environnement de travail très relaxant. Il nous a dit « Nous sommes au milieu de nulle part donc prenez votre temps, personne ne va nous déranger » (rires). C'était en plein hiver, il neigeait tous les jours, nous avions l'impression d'être déconnectées de la civilisation. Ça se voit sur la pochette de l'album, c'est d'ailleurs Justin qui a pris cette photo le dernier jour de l'enregistrement. Le fait que son studio soit au même endroit que sa maison était très important : nous avions nos chambres où nous pouvions nous reposer, il n'y avait pas de date de début et de date de fin d'enregistrement. Si tu bloques sur une chanson, tu peux prendre une pause, te balader, regarder un film, penser à autre chose. C'est aussi un très bon musicien donc il nous a donné beaucoup d'idées et, comme c'est un musicien avant d'être un producteur, il n'a pas besoin d'imposer sa patte sur un album. Il comprend le processus de création d'une chanson, le temps que cela peut prendre parfois. Il nous a communiqué son enthousiasme à tout moment.

Qui écrit les paroles ?

Cela dépend des chansons. Sur certaines, c'est Jessica qui arrive avec des idées, des phrases ou un petit scénario. Nous l'aidons à mettre tout cela en forme et on finit les textes ensemble. Parfois, nous chantons les paroles écrites par l'une d'entre nous et comme ce sont souvent des morceaux intimes et personnels, cela peut être délicat. En même temps, c'est vraiment agréable de chanter ces phrases toutes les trois, de donner vie au texte ensemble. Cela peut même décupler l'aspect cathartique des chansons car chacune se soutient, surtout quand le texte évoque un chapitre douloureux de nos vies. Nous n'avons pas besoin d'expliquer trop longtemps le sens de chaque texte car nous sommes tellement proches qu'on comprend vite ce qu'a voulu dire celle d'entre nous qui porte ce texte.

Beaucoup de chansons parlent d'acceptation de soi, de s'autoriser à être triste ou en colère.

Le titre de l'album, If I Was, a-t-il une signification particulière ?

Il fait référence à cet état que nous connaissons tous : lorsque tu veux être quelqu'un que tu n'es pas et que tu te mets à rêver « Que se passerait-il si j'étais dans une autre ville ? Si j'avais connu d'autres gens ? ». En même temps, beaucoup de chansons parlent d'acceptation de soi, de s'autoriser à être triste ou en colère. La phrase If I Was vient du premier morceau de l'album, Blood I Bled. C'était la première chanson que nous avons écrite d'ailleurs : elle exprime ce sentiment de vouloir avancer malgré les souffrances passées, laisser les angoisses derrière soi.

The Shining est-il basé sur le film de Stanley Kubrick ?

Non, mais il a un rapport étrange avec ce long-métrage. Nous avions des idées différentes pour ce morceau, nous avions une mélodie mais pas de paroles. J'avais en tête l'idée d'un morceau qui irait bien avec une scène de crime d'un film. Et, en même temps, je voulais retranscrire cette réalité alternative qu'est la tournée, avec ses moments où tu te perds dans les dates, les villes, les ambiances, où tu es ailleurs. Pendant que nous l'écrivions, la télé qui se trouve dans le studio de Justin diffusait Shining. Il n'y avait pas de son, forcément, donc c'est un peu comme si nous réagissions au film en direct. D'ailleurs, on s'est dit que le film fait presque plus peur sans le son (rires). Nous avons aussi joué sur le fade in au début du morceau et le fade out à la fin pour donner l'impression qu'on entre et on sort d'une pièce mais que la musique est toujours là, comme dans un ascenseur.

Vous avez enregistré un concert à emporter avec la Blogothèque, racontez-nous...

Nous l'avons enregistré dans les Cornouailles, une région avec un vent à décorner les boeufs. Ils nous ont amenés en haut d'un rocher. Au début, on marchait en chantant mais ensuite ils ont voulu que nous continuions le morceau au bord de la falaise, avec les vagues qui s'écrasaient juste à côté de nous. C'était très chouette au final : les gens veulent toujours nous filmer dans des jardins ou dans la nature, avec plein de fleurs. Nous, on veut juste chanter dans les pubs et boire ! D'ailleurs, notre prochain concert à emporter sera dans le plus vieux pub de Londres...