logo SOV

Travis

Interview publiée par Pierre-Arnaud Jonard le 8 octobre 2020

Bookmark and Share
Neuvième album de Travis, 10 Songs est l'un des tous meilleurs de la carrière du groupe. Un disque profondément romantique et mélancolique qui montre les écossais au sommet de leur art. Rencontre avec Francis Healy, frontman du groupe, songwriter de grand talent et homme d'une profonde gentillesse.

Vous avez enregistré le nouvel album aux RAK Studios. Je sais que vous avez réalisé plusieurs albums là-bas. C'est un lieu que vous appréciez particulièrement ?

Oui, nous adorons ce studio. Nous avions mixé notre premier album avec Steve Lillywhite, et enregistré la plupart de The Man Who là-bas, avec Nigel Godrich à la production. Nous avons également fait Ode To J Smith dans ce studio. L'idée, pour ce dernier, était de composer et d'enregistrer le disque en quinze jours, ce que nous avons fait. Nous avons réalisé plein de choses là-bas. Nous connaissons tous les gens qui y bossent. Ce sont les mêmes depuis des années.

L'album s'appelle 10 Songs. Cela signifie-t-il que chaque titre a sa propre importance ?

Chaque chanson possède sa propre histoire. Je trouve qu'écrire une chanson est un acte radical de nos jours. Il y a plein de morceaux qui sont aujourd'hui écrits par des producteurs et non plus par des songwriters. Je ne suis pas Nigel Godrich. Ce n'est pas mon rôle. Les songwriters sont des personnes différentes. Ce sont des gens sensibles. Je voulais mettre en évidence le fait que ces dix morceaux soient dix titres écrits par la même personne.

Il y a beaucoup de piano sur le disque. Tu as composé tout l'album sur cet instrument ?

J'ai composé au piano, à la guitare acoustique ou parfois juste en trouvant un beat. Waving At The Window est née d'un beat, par exemple. J'aime créer des beats assez simples qui deviennent ensuite des morceaux. C'est un peu la même action que de dribbler des plots à l'entrainement de football.

Tu étais le principal compositeur au début du groupe puis les autres se sont mis à l'exercice. Et là, pour la première fois depuis 12 Memories, tu as de nouveau tout composé...

J'ai dit aux autres membres du groupe : « C'est ma vocation, je vais écrire tous les morceaux ». C'était la bonne décision. Cela permet d'obtenir une plus grande cohérence.

Il y a pas mal de titres de l'album qui me font penser à Paul Simon ou à Fleetwood Mac. Ce sont des artistes qui t'influencent ?

Stevie Nicks habite près de chez moi à Los Angeles. J'ai beaucoup écouté Fleetwood Mac et Paul Simon ces dernières années. Paul Simon pour moi est un peu comme le roi de la résurrection. Avant Graceland, ses morceaux n'étaient pas mauvais mais pas du niveau de ce qu'il avait fait plus tôt dans sa carrière, puis il a sorti ce superbe album qu'est Graceland. C'est marrant que tu mentionnes Paul Simon et Fleetwood Mac. C'est vraiment ce que j'ai le plus écouté le plus ces derniers temps.

Il y a plusieurs morceaux de l'album que je trouve très mélancoliques, plus particulièrement A Million Hearts, Kissing In The Wind, Nina's Song...

Quand tu es sur terre depuis quarante-six ans tu portes beaucoup de choses sur tes épaules. Nina's Song est un titre que j'ai écrit à la base pour un show télévisé qui était basé sur un livre écrit par Nina Stebbe. C'est un livre sur deux jeunes filles et leur rapport avec leur père. Cela m'a bien sûr interrogé par rapport au père que je n'ai pas eu et au rapport que j'ai avec mon fils.

Il y a beaucoup d'émotion dans ce disque...

Si tu le ressens, c'est que tu es une personne réceptive. Chaque humain est empli d'émotions. Il est bon de pouvoir ressentir celles-ci. Il n'y a pas besoin de les expliquer par des mots.

L'album parle de l'amour, de la complexité de l'amour ?

C'est cela. 95% de notre vie c'est de l'émotion guidée par l'amour ou le manque d'amour. Regarde Trump. Il est le stéréotype de la personne qui a manqué d'amour et qui du coup s'aime d'une manière ultra narcissique. Il y a cette pandémie actuellement. Il y en a une autre qui est celle du manque d'amour ou d'empathie, spécialement aux États-Unis où tout le monde ou presque est sous anti-dépresseurs.

Sussana Hoffs des Bangles apparaît sur The Only Thing. Tu l'as rencontrée à Los Angeles ?

Non. Nous nous sommes rencontrés via Twitter. Elle m'avait laissé un message disant être fan du groupe. Lorsque l'album était presque fini, je cherchais une personne avec laquelle je voulais enregistrer ce morceau. J'ai repensé à elle et me suis dit qu'elle refuserait. Et pourtant elle a dit oui. Nous l'avons enregistrée et ça s'est passé à la perfection. J'aime beaucoup cette chanson.

Tu as dit que le fait d'être père avait changé ta vie. De quelle manière ?

Sur beaucoup d'aspects. Je n'ai pas eu de père donc je ne pensais pas que c'était important de l'être un jour. Quand tu deviens père, tu te rends compte d'un coup que tu penses moins à toi qu'à ton fils ou à ta fille. Cela change aussi ton couple. Quand tu es enfant, tu vis les choses de manière très pure. Je pense que les songwriters gardent cela en eux. Mon fils m'apprend plein de choses. C'est cool. Durant les quatorze dernières années de ma vie il était devenu ma priorité et puis l'an dernier il m'a dit « tu sais je suis grand maintenant, tu peux de nouveau te concentrer à fond sur le groupe. »

Il a participé à la réalisation du clip de A Ghost...

Il a filmé les dernières quarante-cinq secondes de la vidéo grâce à son drone. Il m'a fait économiser des jours et des jours de dessin.

Il veut faire quoi plus tard ? Musicien ? Réalisateur ?

Quoi qu'il fasse dans le futur, il le fera bien. La plus grande qualification dans la vie est d'être une bonne personne et il l'est.

Tu as dessiné les plans du vidéo clip. Je sais que tu as fait une école d'art. Tu te considères aussi bon peintre que musicien ?

Bonne question. J'ai trouvé dans le songwriting une façon de m'exprimer que je n'avais pas trouvée dans le dessin mais en vieillissant je me suis senti de nouveau capable de peindre. Quand j'étudiais l'art à l'université, je ne connaissais rien à cette culture car je venais du prolétariat. J'étais simplement doué pour le dessin. Je suis toujours en contact avec le monde de l'art. Mon ami Douglas Gordon a réalisé une gravure pour le maxi de Valentine qui vient de sortir. J'aime sa façon de penser l'art.

Le Douglas Gordon qui a réalisé le film sur Zidane avec la musique de Mogwai ?

Lui-même. C'est vraiment magnifique ce qu'il avait réalisé à cette occasion. Ce film est une splendeur.

Vous avez réalisé le clip de A Ghost en animation à cause du confinement. Tu penses refaire un clip en animé un jour ?

Je ne pense pas le refaire même si je veux peindre de nouveau. Avec le virus COVID-19, je ne sais même pas si j'écrirai de la musique à nouveau dans le futur. Cet album sera peut-être notre dernier. J'aime ce sentiment de ne pas savoir ce que sera l'avenir.

L'an dernier vous avez réédité The Man Who pour les vingt ans du disque. C'est l'album par lequel Travis a connu le succès. Vous l'aimez toujours autant ?

Oui, je trouve que les morceaux de cet album n'ont pas vieilli. Ils sont honnêtes. Ce ne sont pas des morceaux hype. Ils expriment des sentiments simples. Je veux de plus en plus ne plus n’écrire ou n'écouter que des choses simples. Les gens compliquent trop les choses. Ce qui est simple est souvent ce qui est le plus fort.

Savais-tu que l'an dernier le NME avait classé Why Does It Always Rain On Me? dans les vingt meilleurs titres de l'histoire de la musique sur la pluie aux côtés de Purple Rain de Prince et A Hard Rain's A-Gonna Fall de Bob Dylan ?

(Rires). Je ne savais pas. C'est marrant. Et mérité.

Le groupe existe depuis vingt-cinq ans et le line-up n'a jamais bougé. Il n'y a jamais de bagarres dans Travis ?

Non. Nous avons des moments de tension comme il y en a dans les couples, mais c'est tout. Nous avons besoin de nos moments de solitude parfois, bien sûr. Nous sommes écossais donc sensibles et humbles. Nous avons les pieds sur terre.

Etait-ce une fierté qu'un groupe comme Coldplay dise que vous êtes leur principale influence ?

Honnêtement, je ne peux pas penser à deux groupes aussi différents que Coldplay et Travis. C'est toujours sympa que l'on te fasse des compliments mais nous sommes si dissemblables...

Et quand Paul McCartney ou Elton John te complimentent sur ton songwriting ?

Travis a beaucoup en commun avec des groupes comme REM ou les Beatles. C'est toujours sympa quand après un concert des fans ou Paul McCartney viennent te voir pour te dire que tel ou tel morceau les a touchés.

Il est très difficile de tourner actuellement. Il y a quand même des choses prévues pour l'an prochain ?

Je ne sais pas. Nous avons une tournée prévue en mai 2021 mais je ne sais pas comment les choses évolueront On ne peut savoir ce que sera le futur. J'espère qu'on trouvera un test pour le virus. Cela permettra, je le pense, de revenir à la normale. Je croise les doigts.

Vous allez proposer des live streams ?

Nous allons faire des podcasts et des questions-réponses avec les fans.

Tu écoutes quoi en ce moment ?

J'aime beaucoup cette artiste française, Pomme. J'adore son songwriting. Je l'ai découverte via Youtube. Grâce à elle, j'apprends le français. Je progresse lentement mais je chante sur ses morceaux. Et sinon j'écoute une artiste américaine, Phoebe Bridgers. C'est une super artiste. Cela fait plaisir d'entendre de nouveau de très bons songwriters.